Pourquoi l’URSS n’a pas «gagné» la Seconde Guerre mondiale

Signature du pacte Molotov-Ribbentrop de non-agression en août 1939
Signature du pacte Molotov-Ribbentrop de non-agression en août 1939.

Le titre de cet article est intentionnellement ironique parce que, bien sûr, l’Armée rouge a joué le principal rôle dans la destruction de l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais vous ne le sauriez pas si vous vous contentiez de lire la presse grand public, de regarder la télévision ou d’aller au cinéma en Occident, où la part soviétique dans la guerre a presque entièrement disparu.

Si pour l’Occident l’Armée rouge est largement absente de la Seconde Guerre mondiale, en revanche la responsabilité soviétique dans le déclenchement de celle-ci est omniprésente. La presse et les politiciens occidentaux ont tendance à considérer l’invasion nazie de l’URSS en juin 1941 comme un juste retour de bâton pour le pacte de non-agression nazi-soviétique de 1939. Comme le premier ministre britannique Winston Churchill l’a dit, l’URSS «a créé son propre destin quand, à cause du pacte avec Ribbentrop, ils ont laissé faire Hitler contre la Pologne et ainsi déclenché la guerre… » L’opération Barbarossa, l’invasion de l’URSS par les nazis, c’était la faute de Staline et une expiation de ses erreurs, de façon à ce que la résistance soviétique ne puisse être vue autrement que comme une pénitence.

Alors que la France et la Grande-Bretagne ont cherché à apaiser l’Allemagne nazie, comme l’a récemment affirmé un commentateur médiatique, l’URSS, elle, a collaboré avec Hitler. Vous voyez donc comment fonctionne la propagande occidentale, et rien n’est trop subtil pour elle. Relevez seulement les mots clés et lisez entre les lignes. La France et l’Angleterre sont les innocents perdus dans les bois qui ont naïvement apaisé Hitler dans l’espoir de préserver la paix en Europe. Par contre, Staline le dictateur a collaboré avec Hitler le dictateur pour pousser à la guerre et non pour encourager la paix. Staline n’a pas seulement collaboré avec Hitler, mais l’URSS et l’Allemagne nazie étaient alliées pour redessiner l’Europe. L’URSS était le loup et l’Occident l’agneau. Mais ces métaphores ne viennent pas seulement du monde anglo-saxon ; France 2 promeut la même narrative dans sa série de grande écoute Apocalypse (2010) et Apocalypse Staline (2015). La Seconde Guerre mondiale a démarré à cause du pacte de non-agression, cet accord pourri qui a marqué le début de la courte alliance de deux États totalitaires. Hitler et Staline avait un pied dans le même sabot.

Les journalistes médiatiques aiment souligner la duplicité de Staline en pointant du doigt les négociations ratées de l’été 1939 entre les Anglais, les Français et les Soviétiques pour créer une alliance antinazie. Pas étonnant qu’elles aient échoué. Comment les naïfs anglais et français, des agneaux, pensaient-ils pouvoir trouver un accord avec Staline, le loup ? Même certains historiens professionnels adoptent parfois cette ligne historique : les négociations ont échoué à cause de l’intransigeance et de la duplicitésoviétiques.

C’est vraiment la poutre qui dénonce la paille dans l’œil du voisin. Et en fait de poutre et de paille, c’est encore une tactique habituelle de la propagande occidentale de noircir l’URSS et, par extension, de noircir la Russie et son président, Vladimir Poutine. Il n’y a qu’un problème avec cette vision occidentale : les journalistes, les politiciens ou les historiens occidentaux qui veulent incriminer Staline pour avoir lancé la Seconde Guerre mondiale, se heurtent à un obstacle de taille sur leur route, les faits. Ce n’est pas que les faits aient jamais gêné les habiles propagandistes mais plutôt, peut être, que le citoyen moyen occidental peut s’intéresser à eux.

Considérons donc quelques faits que l’Occident préfère oublier. Ce fut l’URSS qui, la première, tira la sonnette d’alarme, en 1933, à propos de la menace nazie contre la paix en Europe. Maksim M. Litvinov, le commissaire aux Affaires étrangères, devint le principal porte parole soviétique partisan d’une politique de sécurité collective en Europe.

Il avertit sans arrêt du danger. L’Allemagne nazie est un chien enragé, dit-il en 1934, «en qui l’on ne peut faire confiance et avec qui aucun accord ne peut être passé et dont l’ambition ne peut être contenue que par une chaine de voisins déterminés». Cela sonne juste, n’est-ce pas ? Litvinov fut le premier homme d’État à concevoir une alliance contre l’Allemagne nazie, sur la base de la coalition, durant la Première Guerre mondiale, contre l’Allemagne wilhelminienne [nom donné à la période correspondant au règne de l’empereur Guillaume (Wilhelm) II, soit de 1888 à son abdication en novembre 1918, NdT]. Les potentiels alliés soviétiques, la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Roumanie, la Yougoslavie et même l’Italie fasciste, ont tous laissé tomber au milieu des années 1930. Même la Pologne, comme l’espérait Litvinov, aurait pu être attirée par ce concept de sécurité collective. A la différence des autres pays, la Pologne n’a jamais montré le moindre intérêt pour la proposition de Litvinov et a cherché à saper cette idée jusqu’au début de la guerre.

Litvinov me rappelle le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov, pendant ses négociations sans merci avec l’Occident russophobe. Pendant l’entre deux guerres, la russophobie était mélangée à la soviétophobie. C’était une collision entre deux mondes, entre l’Occident et l’URSS, la guerre sourde, comme l’appelait Litvinov. Quand les choses tournèrent mal, il semble que Litvinov chercha consolation dans la mythologie grecque et le mythe de Sisyphe, ce roi grec condamné par Zeus à pousser éternellement un gros rocher sur le flanc d’une montagne, uniquement pour le voir retomber à chaque fois. Comme Sisyphe, Litvinov fut condamné à des efforts sans résultats et à une frustration sans fin. Comme Lavrov, me semble-t-il. Le philosophe français, Albert Camus, a imaginé que Sisyphe puisse être heureux dans son combat, mais c’est un existentialiste et Camus n’a jamais eu affaire à ce satané rocher. Litvinov oui, et il n’a jamais pu atteindre le sommet non plus.

Mon avis est que c’était l’Occident, surtout les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, eh oui, toujours les mêmes, qui n’ont pas tenu compte des avertissements répétés de Litvinov et ont contrecarré ses efforts pour mettre sur pied une grande alliance contre l’Allemagne nazie.

Des dirigeants de démocraties sans colonne vertébrale. Les marches de la gloire.

Dominés par une élite conservatrice, souvent attirée par le fascisme, les gouvernements français et britannique ont cherché les moyens de s’entendre avec l’Allemagne nazie plutôt que de préparer leur défense contre elle. Bien sûr, il y avait les corbeaux blanc 1, comme les appelait un diplomate soviétique, qui reconnaissaient la menace nazie contre la paix européenne et désiraient coopérer avec les Soviétiques, mais ils n’étaient qu’une minorité sans pouvoir. Les médias ne vous parleront pas beaucoup de la grande sympathie pour le fascisme chez les élites conservatrices européennes. C’est comme un honteux secret de la famille vivant dans la belle maison en haut de la colline.

La Pologne a aussi joué un sale jeu dans les années 1930, même si les médias ne vous diront rien à ce sujet non plus. Le gouvernement polonais a signé un pacte de non-agression avec l’Allemagne en 1934 et, pendant les années suivantes, il a saboté les efforts de Litvinov pour construire son alliance antinazie. En 1938, la Pologne s’est rangée du côté allemand contre la Tchécoslovaquie et a participé au démembrement de ce pays, sanctionné par les accords de Munich en 1938. C’est un jour que l’Occident préférerait oublier. La Pologne était alors une collaboratrice nazie et un pays agresseur jusqu’à ce qu’elle devienne victime de l’agression de 1939.

Début 1939, cela faisait déjà plus de cinq ans que Litvinov roulait son rocher (son projet de sécurité collective). Staline, qui n’était pas Albert Camus, et peu content de se voir sans cesse snobé par l’Occident, donna une dernière chance à Litvinov d’obtenir une alliance avec la France et la Grande-Bretagne. C’était en avril 1939. Les lâches français, pourris par les sympathies fascistes, oublièrent comment identifier et protéger leur intérêt national pendant que les Anglais évitèrent Litvinov en ricanant dans son dos.

Le rocher de Sisyphe/Litvinov retomba une dernière fois au pied de la montagne. Staline en eut assez, vira Litvinov et embaucha le bien plus dur Vyacheslav M. Molotov.

Pourtant, pendant quelques mois, Molotov essaya aussi de pousser le rocher jusqu’en haut de la montagne, mais il retomba là encore. En mai 1939, Molotov offrit même son aide à la Pologne, qui la refusa immédiatement. Les Polonais avaient-ils perdu le nord ? L’avaient-il même jamais trouvé ? Quand les délégations anglaise et française arrivèrent à Moscou, en août 1939, pour discuter d’une alliance antinazie, vous pourriez penser qu’elles étaient enfin sérieuses et décidées à abattre du boulot car la guerre risquait d’éclater bientôt. Mais non, même pas : les instructions britanniques étaient d’y aller très doucement. C’est ce que firent les délégations. Elles mirent cinq jours à arriver en Russie dans un vieux bateau de commerce ne dépassant les 13 nœuds (20 km/h). Le chef de la délégation britannique n’avait pas de procuration pour conclure d’accord avec lespartenaires soviétiques. Pour Staline cela dut être la goutte d’eau de trop. Le pacte de non-agression nazi-soviétique fut signé le 23 août 1939. C’est l’échec des négociations avec les Anglais et les Français qui entraînèrent la signature du pacte de non-agression et non le contraire.

La stratégie soviétique motivée par l’urgence ne fut pas une bonne idée face au danger, mais elle est loin de la narrative médiatique expliquant les origines de la Seconde Guerre mondiale. La perfide Albion a agi, une fois de plus, de manière hypocrite jusqu’à la fin. Pendant l’été 1939, des membres du gouvernement britannique négociaient encore un accord avec leurs homologues allemands, comme si personne à Moscou n’allait le remarquer. Et ce n’est pas tout. Le Premier ministre anglais, Neville Chamberlain, se vanta en privé auprès de l’une de ses sœurs, de la manière dont il avait bien eu Moscou en se jouant de l’insistance soviétique pour une authentique alliance militaire contre l’Allemagne nazie. Alors, qui a trahi l’autre ?

Les historiens peuvent débattre pour savoir si Staline a pris la bonne décision en signant le pacte de non-agression. Mais avec des partenaires potentiels comme la France et la Grande-Bretagne, on peut comprendre pourquoi la stratégie du sauve-qui-peut a pu apparaître comme la seule option raisonnable en août 1939. Cela nous ramène à l’histoire de la poutre et la paille. L’Occident a projeté ses propres erreurs dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale sur Staline et l’Union soviétique.

Le 22 juin 1941, plus de 3 millions de soldats allemands envahissent l’Union Soviétique formant un front s’étendant de la Baltique à la Mer Noire. L’Armée Rouge fut prise au dépourvu parce que Staline ne voulait pas prendre au sérieux les rapports de ses propres services de renseignements qui l’avaient prévenu d’une invasion allemande. Staline invita un de ses meilleurs agents d’aller se taper sa mère (« …Mozhet poslat…istochnik…k*** materi ») quand celui-ci l’averti d’une invasion imminente. Le fait qu’Hitler veuille attaquer l’Union Soviétique était un secret de polichinelle en Europe.

Il semble que Staline ait été le seul dirigeant de l’époque à ne pas croire à cette invasion. Les renseignements anglais et américains estimaient que l’Armée Rouge ne tiendrait pas plus de trois ou quatre semaines. Les allemands pensaient la même chose.

Durant les six premiers mois de combats, l’Armée Rouge perdit 3 millions de soldats. 177 divisions ont été rayées de l’ordre de bataille soviétique. Mais au lieu de s’effondrer au bout de 3 ou 4 semaines, comme tout le monde s’y attendait, l’Armée Rouge continua le combat a travers toutes les épreuves, en dépit de catastrophes inimaginables, la pire étant la chute de Kiev en septembre 1941. Pour en rajouter a l’horreur, les allemands envoyèrent des einsatzgruppen, des escadrons de la mort, pour tuer les communistes, les juifs, les fonctionnaires soviétiques, les intellectuels et quiconque se plaçait sur leur chemin. Les femmes étaient déshabillées et forcées de faire la queue en attendant d’être fusillées. Les collaborateurs ukrainiens et baltes prêtèrent main forte. Des centaines de milliers puis des millions de civils soviétiques moururent.

Pourtant cette guerre ne fut pas une simple ballade du dimanche pour la Wehrmacht.

Elle conquit de large pans de territoire mais au prix d’environ 7.000 pertes par jour. Ce fut une nouvelle expérience pour les allemands qui, jusqu’alors, avaient réussi à détruire leurs adversaires en souffrant de peu de pertes. La Pologne fut battue quasiment en quatre jours, la France en six. L’armée britannique fut jetée hors du continent européen, d’abord a Dunkerque où elle abandonna toutes ses armes, puis en Crête et en Grèce ou elle subit de graves défaites. Elle en connu d’autres, plus tard, en Afrique du Nord. La Wehrmacht fut finalement vaincue à la bataille de Moscou en décembre 1941, longtemps après que les renseignements américains et anglais avait prévu que la guerre dans l’est serait vite achevée. C’était une première défaite stratégique pour la Wehrmacht.

La blitzkrieg contre l’URSS avait échoué.

Les britanniques furent heureux d’avoir un allié qui ne se rende pas en trois ou quatre semaines. Churchill a sorti Cognac et cigares quand il apprit la nouvelle de l’invasion allemande et prononça un discours inspiré sur la BBC. Mais à l’été 1941, le gouvernement britannique hésitait à appeler l’Union Soviétique un allié et Churchill fit son possible pour que la BBC ne passe pas sur les ondes l’hymne nationale soviétique, l’internationale, le dimanche soir avec celui des autres alliés britanniques. Churchill ne changea d’avis qu’après la bataille de Moscou.

1942 fut encore une année de sacrifices et de deuil pour l’Union Soviétique. Tout le monde savait que c’était l’Union Soviétique qui portait le lourd fardeau de la guerre contre l’Allemagne.

A l’automne, les forces soviétiques se trouvèrent au pied du mur contre la Volga à Stalingrad. Quelqu’un a dit que Stalingrad fut l’enfer. Ho non, lui répondit un autre, c’était dix fois pire que l’enfer. L’Armée Rouge sortie victorieuse de cette féroce bataille et les derniers soldats allemands se rendirent le 3 février 1943, quinze mois avant le débarquement de Normandie. A cette époque, il n’y avait pas un seul bataillon anglais ou américain sur le sol d’Europe continentale, pas un seul. En mars 1943 le décompte des pertes allemandes et de l’Axe étaient énormes : 68 divisions allemandes, 19 roumaines, 10 hongroises et 10 italiennes avaient été détruites. Cela représentait 43% des forces de l’Axe se trouvant sur le front est. De nombreux historiens et des gens de l’époque allant des fonctionnaires du ministère des affaires étrangères britannique au président Franklin Roosevelt à Washington pensaient que Stalingrad avait marqué un tournant dans la guerre contre Hitler.

Mais vous ne verrez pas ce point de vue dans les masses médias, même si quelques historiens occidentaux cautionnent cette version des faits. Les masses médias vous racontent que l’Armée Rouge n’aurait pas pu vaincre la Wehrmacht sans une aide financière américaine (le prêt-bail) de plusieurs milliards de $. Ce que les médias ne disent pas est que la grosse partie de cette aide est arrivée seulement après la bataille de Stalingrad au cours de laquelle le destin d’Hitler fut scellé. Ils ne vous diront pas non plus qu’en 1942, l’industrie soviétique surpassait déjà l’industrie allemande pour de nombreuses catégories d’armement, bien avant que le prêt-bail ne fasse une différence. Les Etas Unis ont payé le coût de la guerre en camions Studebaker et en aluminium.Ogromnoe spasibo, merci beaucoup (en russe), répondent les russes, mais l’Union Soviétique l’a payé en rivières de sang et de larmes.

Le gouvernement britannique essaya de convaincre l’opinion publique, qui comprenait l’importance du combat de l’Armée Rouge contre Hitler, qu’il faisait quelque chose pour contribuer à la cause commune. Ce fut par le bombardement stratégique de l’Allemagne, bien qu’il n’était ni stratégique ni précis. Une étude britannique montre qu’une bombardiere sur trois frappa dans un rayon de 8 à 9 kilomètres de la cible. Les américains et les britanniques commencèrent donc à bombarder les villes allemandes tuant un grand nombre de civils. Les raids aériens sur Hambourg de 1943, par exemple, firent 40.000 victimes civiles. Berlin connut aussi des pertes importantes dans la population civile.

Bien, je suppose qu’ils ont eu au moins pour effet de remonter le moral de l’Armée Rouge.

Mi 43, le moral de l’Armée Rouge allait très bien. En juillet, la bataille de Koursk marqua le début de la grande contre offensive qui mena à la libération de Kiev et, plus au nord, de Smolensk en automne 1943. La Wehrmacht était kaiuk, finie, une année avant le débarquement de Normandie. L’Armée Rouge se transforma en un monstre impossible à arrêter. Na Zapad, vers l’ouest, était son cri de guerre.

Ce que Staline voulait vraiment était un deuxième front en France.

Les américains et les britannique firent des promesses qu’ils ne voulurent ou ne purent tenir. Churchill était schizophrénique à sujet de l’Union Soviétique. Parfois il les considérait comme des alliés, d’autres fois il les appelait des barbares et des bolchéviques qui devait rester à distance de l’Europe centrale et orientale. Son idée était d’envahir l’Italie (septembre 1943), pas la France, de remonter rapidement la botte italienne puis de tourner à l’est pour empêcher l’Armée Rouge de pénétrer les Balkans. Cela semblait une brillante idée sur le papier mais fut en réalité un flop. Les forces alliées ne rejoignirent pas Rome avant juin 1944. L’Italie s’est avérée être un boulet pour les ressources alliées, encore plus qu’elle ne le fut pour la Wehrmacht. Staline continuait à viser un second front en France, la route la plus courte y menant passant par le cœur de l’Allemagne et il obtint finalement un vrai accord pour cela à la conférence de Téhéran en automne 1943. Puis ce fut l’opération Overlord.

Bien sur, si vous vivez à l’ouest, le débarquement de Normandie est l’événement crucial de la deuxième guerre mondiale qui scelle le destin d’Hitler. Tout le monde, en Occident, a entendu parler de l’opération Overlord, mais demandez juste à une classe d’étudiants, comme je le fait, sils ont déjà entendu parler de l’opération Bagration qui démarra deux semaines plus tard. Au lieu de mains qui se lèvent pour montrer qu’ils connaissent l’opération Bagration, j’ai vu des regards perplexes. Pendant que les alliés occidentaux étaient coincés dans la poche normande, l’armée Rouge explosait le centre des lignes allemandes à l’est et, en quelques semaines, avançait de 500 km avers l’ouest. Les propagandistes allemands niaient la gravité de la défaite de la Wehrmacht alors, pour s’en moquer, l’Armée Rouge fit défiler 57.000 prisonniers de guerre, une partie de la récolte de l’opération Bagration, dans les rues de Moscou en juillet 1944. C’était la seule manière pour les allemands de voir la capitale soviétique.

Ken Burns, le talentueux réalisateur de documentaires américains, déclara dans The War, un film sur l’expérience états-unienne de la deuxième guerre mondiale, que « sans la puissance américaine et sans le sacrifice de vies américaines, le résultat de la guerre en Europe aurait été totalement différent ». C’est vrai mais peut être pas dans le sens où l’entend Burns. Sans la puissance américaine, l’Armée Rouge aurait juste eu l’honneur de planter ses drapeaux rouges sur les plages de Normandie, libérant ainsi toute l’Europe avec l’aide des mouvements de résistance anti fasciste. C’était justement ce que Churchill était déterminé à éviter.

A la suite d’Overlord et Bagration, la chute de l’Allemagne nazie n’était plus qu’une question de temps et tout le monde le savait.

Plus la victoire contre le nazisme approchait, plus la Grande Alliance contre lui s’affaiblissait. Roosevelt mourut en 1945 et, en quelques semaines, la politique états-unienne commença à tourner à l’hostilité anti soviétique. A Londres, Churchill demanda à ses généraux russophobes un plan de guerre contre l’Union Soviétique. Les forces américaines et britanniques, renforcées par des divisions allemandes, probablement sans insignes nazies, qui devaient confronter l’Armée Rouge. Un document secret fut même rédigé, opération Unthinkable [Inimaginable, NdT], dont la première mouture circulait deux semaines après le jour de la victoire. « L’objet global ou politique » y écrivent les généraux de Churchill « est d’imposer la volonté des Etats Unis et de l’empire britannique sur la Russie ». Les russes doivent se soumettre à notre volonté et, au cas où ils ne s’y plient pas, « s’ils veulent la guerre totale, ils sont en position de l’avoir ». Mon Dieu, quels fanfarons. Le plan était moitié prêt, injouable et totalement condamnable. Finalement, il fut mis au placard. Unthinkable marqua le début de ce qui allait devenir une campagne publique, qui continue encore de nos jours, pour transférer la responsabilité du déclenchement de la guerre sur Staline et pour rendre imperceptible le rôle de l’Armée Rouge dans la destruction de la Wehrmacht. Il n’y a qu’à regarder les sondages sur le vainqueur de la deuxième guerre mondiale. En Occident la majorité pense que ce sont les américains. Cette distorsion de la réalité aide à alimenter les doutes de quelques européens de l’est qui semblent penser que la guerre contre l’Allemagne Nazie fut une horrible erreur. Si seulement Hitler n’avait pas été si déraisonnable.

D’une certaine façon, rien n’a changé depuis 1945. Les Etats-Unis et son fidèle secrétaire, la Grande Bretagne, essayent encore d’imposer leur volonté sur la Russie. Le général Buck Turgidson-Breedlove, un docteur Strangelove contemporain et pourtant commandant des forces de l’OTAN a déclaré, il y a tout juste quelques semaines, que l’OTAN était prête à se battre et à gagner contre la Russie. Cela ressemble au retour de l’opération Unthinkable. Le parlement européen et l’OSCE sont aux avant poste de la propagande dépeignant Staline comme un associé d’Hitler pour lancer la deuxième guerre mondiale. Souvenez vous de Staline mais oubliez l’Armée Rouge est la principale tactique occidentale pour transformer l’histoire de la deuxième guerre mondiale en une narrative russophobe. On peut comprendre pourquoi l’Ouest poursuit cette stratégie. La vraie histoire des origines et du déroulement de la deuxième guerre mondiale ne correspond pas avec le conte de fées de l’agneau occidental et du loup russe. La victoire de l’Armée Rouge et des peuples soviétiques contre l’Allemagne Nazie est si remarquable et si inspirante que même les efforts acharnés et bien financés de trois générations de propagande occidentale ont été incapables de l’effacer. Ils n’y arriveront jamais…

Par Michael Jabara Carley – Le 19 mars 2016

1)Note de l’auteur: Surnom donné par l’ambassadeur soviétique à Paris aux oiseaux rares (politiciens de droite) qui ont appuyé le rapprochement avec l’URSS.

Article original publié sur Strategic Culture.

Traduit par Wayan