Mahmoud Abbas en 2016. (Kremlin.ru, Wikimedia Commons, CC BY 4.0)

Pour répondre aux attentes d’Israël et assurer sa survie, l’Autorité palestinienne est prête à s’opposer directement aux Palestiniens qui refusent de suivre la ligne, écrit Ramzy Baroud.

C’est l’occasion rêvée pour le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, de quitter la scène. Mais il ne le fera pas. La brève visite d’Abbas au camp de réfugiés dévasté de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée, le 12 juillet, a démontré l’absurdité et le danger de l’AP et de son dirigeant âgé de 87 ans.

Alors qu’il marchait, Abbas a lutté pour garder l’équilibre, dans ce qui a été présenté comme une visite de “solidarité” au camp.

Des milliers d’habitants de Jénine, frustrés, sont descendus dans la rue, scandant à peine le nom d’Abbas. Certains ont regardé la scène avec déception ; d’autres ont demandé où se trouvaient les forces du président lorsqu’Israël a envahi le camp, tuant 12 personnes, en blessant et en arrêtant des centaines d’autres.

La BBC a fait état d’un “énorme déploiement armé” pour sécuriser la visite de M. Abbas, où “les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont rejoint une unité d’un millier de personnes de la garde présidentielle d’élite de M. Abbas”. Leur seule mission consistait à “ouvrir la voie” à M. Abbas dans le camp.

Le premier jour, le plus meurtrier, de l’invasion israélienne de Jénine, les médias israéliens, citant des sources militaires, ont déclaré que 1 000 soldats israéliens participaient à l’opération militaire.

Pourtant, il a fallu davantage de soldats palestiniens pour assurer la brève visite d’Abbas à Jénine. En effet, où étaient ces soldats de l’Autorité palestinienne bien habillés et équipés lorsque Jénine se battait et mourait seule ? Et pourquoi Abbas a-t-il besoin d’être protégé de son propre peuple ?

Pour répondre à ces questions, il convient d’examiner le contexte récent, et en particulier trois dates importantes :

Le 5 juillet, Israël a mis fin à son opération militaire à Jénine.

Le 9 juillet, malgré les protestations de certains membres de son cabinet de sécurité, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré qu’Israël ferait tout son possible pour empêcher l’effondrement de l’AP. Il a déclaré sans ambages que l’AP “travaille pour nous”.

Enfin, le 12 juillet, Abbas s’est rendu à Jénine pour adresser un message sévère aux groupes de la Résistance palestinienne.

Ces trois dates sont directement liées : L’échec du raid israélien sur Jénine a renforcé l’importance de l’AP aux yeux d’Israël. Abbas s’est rendu à Jénine pour rassurer Israël sur la capacité de son Autorité à faire face à la situation.

La volonté d’en découdre avec les Palestiniens

Pour répondre aux attentes d’Israël et assurer sa survie, l’Autorité palestinienne est prête à se heurter directement aux Palestiniens qui refusent de se plier à ses exigences. “Il y aura une seule Autorité et une seule force de sécurité”, a déclaré Abbas avec colère, quelques jours seulement après l’enterrement des victimes de Jénine. “Quiconque cherche à porter atteinte à son unité et à sa sécurité en subira les conséquences”, a-t-il ajouté, promettant en outre que “toute main qui se tendra pour nuire au peuple et à sa stabilité sera coupée“.

La main dont il est question n’est pas celle d’Israël, mais celle de tout Palestinien qui résiste à Israël. Abbas sait que les Palestiniens le méprisent carrément, lui et son Autorité. Quelques jours auparavant, le vice-président du parti Fatah, Mahmoud Aloul, a été expulsé de Jénine par des foules en colère. Les foules ont scandé à l’unisson “sortez” à Aloul et à deux autres fonctionnaires de l’Autorité palestinienne.

C’est ce qu’ils ont fait, mais Abbas est revenu sur les lieux. Il a été transporté dans un hélicoptère militaire jordanien. Une petite armée de l’Autorité palestinienne l’attendait, en contrebas, après avoir pris possession des rues et des immeubles – ou de ce qu’il en restait – dans le camp détruit.
Tout cela s’est fait grâce à des arrangements logistiques avec l’armée israélienne.

L’angle d’attaque de Netanyahou

Mais pourquoi Netanyahou tient-il à la survie de l’AP ? Netanyahou souhaite la survie de l’AP tout simplement parce qu’il ne veut pas que l’administration et l’armée d’occupation israéliennes soient entièrement responsables du bien-être des Palestiniens en Cisjordanie et de la sécurité des colons illégaux. Malgré leur échec presque total, les accords d’Oslo ont réussi une chose : ils ont fourni à Israël une force palestinienne dont la mission principale est d’aider l’occupation israélienne dans sa quête pour maintenir un contrôle total sur la Cisjordanie.

Le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le président américain Bill Clinton et Yasser Arafat de l’OLP lors de la cérémonie de signature des accords d’Oslo, le 13 septembre 1993. (Wikimedia Commons, domaine public)

Le voyage d’Abbas à Jénine avait pour but de rassurer Tel-Aviv sur le fait que l’AP est toujours engagée dans ses obligations envers Israël.
Un autre message a été envoyé au président américain Joe Biden qui, dans une récente interview, a mis en doute la crédibilité de l’Autorité palestinienne. “L’AP perd sa crédibilité”, a déclaré M. Biden à CNN, ce qui a “créé un vide pour l’extrémisme”.

Le message adressé à Washington était que les mains des soi-disant extrémistes seraient “coupées” et qu’il y aurait des “conséquences” pour ceux qui défieraient la volonté de l’Autorité palestinienne.

Abbas a semblé parler non seulement au nom de son Autorité, mais aussi au nom de Tel-Aviv et de Washington. Même les Palestiniens ordinaires comprennent que c’est le cas ; en fait, ils l’ont toujours compris. La seule différence aujourd’hui est qu’ils se sentent forts et enhardis par une nouvelle génération de résistants qui a réussi à retrouver un certain degré d’unité palestinienne, au milieu de la politique des factions et de la corruption de l’AP.

L’AP est désormais considérée par la plupart des Palestiniens comme l’obstacle à l’unité totale. Cette position est tout à fait compréhensible. Alors qu’Israël intensifiait ses opérations meurtrières à Jénine et à Naplouse, la police de l’Autorité palestinienne arrêtait des activistes palestiniens, provoquant la colère des groupes de résistance en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Si cela continue, une guerre civile en Cisjordanie est une réelle possibilité, d’autant plus que les successeurs potentiels d’Abbas sont tout aussi méfiants, même dans les rangs du Fatah. Ces hommes étaient également présents à Jénine, aux côtés d’Abbas qui tentait frénétiquement d’établir les nouvelles règles.

Cette fois-ci, il est peu probable que les Palestiniens écoutent. Pour la Résistance, les enjeux sont trop importants pour reculer maintenant. Pour l’Autorité palestinienne, perdre la Cisjordanie signifie perdre des milliards de dollars de subventions occidentales.

Un affrontement entre la Résistance et son soutien populaire, d’une part, et les forces de l’AP soutenues par Israël et l’Occident, d’autre part, coûtera très cher aux Palestiniens.

Mais pour Tel Aviv, c’est une situation gagnant-gagnant. C’est pourquoi Netanyahou tient à aider Abbas à conserver son poste, au moins assez longtemps pour que la transition post-Abbas se déroule efficacement. Les Palestiniens doivent trouver un moyen de bloquer ces projets, de préserver le sang palestinien et de restructurer leurs dirigeants, afin qu’ils les représentent, et non les intérêts de l’occupation israélienne.

Ramzy Baroud – 7 août 2023

Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de The Palestine Chronicle. Il est l’auteur de six livres. Son dernier ouvrage, coédité avec Ilan Pappé, s’intitule Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak Out (Notre vision de la libération : des dirigeants et des intellectuels palestiniens engagés s’expriment). Parmi ses autres ouvrages figurent My Father Was a Freedom Fighter et The Last Earth. M. Baroud est chercheur principal non résident au Center for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web est le suivant : www.ramzybaroud.net

Source: Consortiumnews.com

Traduit de l’anglais par Arrêt sur info