Je n’ai jamais été une lectrice assidue d’Uri Avnery. Il écrivait beaucoup et ses articles étaient immédiatement traduits et publiés partout dans le monde. J’ai suivi son action en Israël dès 2002; je l’ai observé lors des manifestations en soutien aux Palestiniens – alors sauvagement opprimés par l’armée israélienne. Je me souviens de sa poignée de main ferme et de son regard bleu froid et perçant. Avnery arborait toujours le slogan « deux Etats », solution revendiquée comme devant conduire à « une juste paix entre Israéliens et Palestiniens ». C’était le début de mes voyages en Israël et en Palestine occupée. J’ai demandé à Israel Shamir, qui se trouvait à une même manifestation, ce qu’il pensait des « deux Etats » prônés par Avnery. Il m’a répondu sur ce ton détaché et doux qui lui est coutumier: « Tant qu’il y a des gens qui véhiculent ce genre de slogan, rien ne se passera ». Les faits lui ont malheureusement donné raison : l’influence d’Avnery – et de tout ce grand mouvement international de solidarité qu’il a inspiré – a surtout permis un contrôle du mouvement pro-palestinien dans des limites ne présentant pas de réel danger pour Israël. [Silvia Cattori]
Nous sommes bien mieux sans le sionisme « allégé » d’Uri Avnery
Uri Avnery, fondateur de mouvement pour la paix Gush Shalom, est mort cette semaine à 94 ans. Juif ashkenaze blanc et ancien membre du gang sioniste Irgun qui a participé à la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine, Avnery s’est opposé à l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza mais ne s’est jamais repenti du pêché originel – le grand vol de la Palestine en 1948. Pour lui, sioniste engagé jusqu’au dernier moment, l’occupation de 1967 était la source du « conflit israélo-palestinien ».
Palestine occupée – 23 août 2018
Par Haidar Eid
Passer à côté de l’appel BDS
Je me suis intéressé à sa position sur deux questions importantes : le droit palestinien au retour et l’appel au BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) contre Israël jusqu’à ce qu’il respecte le droit international.
Sa position représente celle de la soi-disant « gauche » israélienne, c’est-à-dire un sionisme « allégé ». Alors qu’il y a quelques Israéliens courageux qui soutiennent les droits fondamentaux des Palestiniens et notre appel au boycott, Avnery y était totalement opposé. Il n’était prêt à envisager l’idée de boycotter seulement les produits des colonies, et autres formes de résistance populaire « contrôlée » contre l’occupation.
Avnery appartenait à ce groupe d’Israéliens dont l’objectif est d’imposer à la lutte palestinienne et à la campagne BDS leurs propres paramètres restrictifs, ou de nuancer leur soutien de manière à servir leur programme politique. Dans ce contexte, il est de la plus haute importance de faire la distinction parmi les différentes variantes de ces soutiens, en particulier en ce qui concerne le BDS.
Avnery a soigneusement évité le cadre politique établi par la société civile palestinienne en apportant son soutien à BDS en tant que stratégie visant à mettre fin à l’occupation militaire de la Cisjordanie et de Gaza en 1967. Lorsqu’il employait le terme de colonialisme, il limitait son application au territoire palestinien occupé en 1967 – et non à la Palestine historique, qui englobe maintenant l’État d’Israël.
Éluder le droit au retour
Le danger de cette formulation est qu’elle évite la question du droit au retour de millions de réfugiés palestiniens, ainsi que le système légalisé et institutionnalisé – et maintenant constitutionnalisé – de racisme et de discrimination contre les citoyens d’Israël.
Ainsi, non seulement il ne respecte pas l’approche globale fondée sur les droits adoptée dans l’appel palestinien de 2005 pour le BDS, mais il ignore également les droits de la grande majorité de la population autochtone de Palestine reconnus par l’ONU.
L’appel du BDS palestinien préconise des mesures punitives et non violentes jusqu’à ce qu’Israël remplisse son obligation de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination et respecte pleinement le droit international en mettant fin à l’occupation et à la colonisation de toutes les terres arabes et en démantelant le mur de séparation. Cela implique de reconnaître la pleine égalité des citoyens arabes d’Israël et de protéger le droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux, comme le stipule la résolution 194 de l’ONU.
Avnery a refusé d’accepter cette définition pour BDS, en dépit du fait que les Palestiniens ont le droit de définir les paramètres et de rester à l’avant-garde du mouvement en tant que cadre de référence légitime.
Ce qui reflète certaines tentatives israéliennes de restreindre la portée de la lutte palestinienne pour la liberté, l’égalité et la justice – le penchant bien connu de la « gauche sioniste » israélienne de définir les termes de la lutte et d’autoriser des actions de solidarité appropriées pour mettre fin à l’oppression israélienne du peuple palestinien tel qu’elle le définit, indépendamment des besoins des Palestiniens colonisés.
Contester le racisme d’Israël
Avnery, comme d’autres sionistes mous, a pris des mesures audacieuses pour « sauver Israël de lui-même » et lui garantir une place dans le monde arabe sans démanteler son système d’apartheid et de colonialisme de peuplement.
Comme beaucoup d’autres Palestiniens, je m’interroge sur la sincérité de ces Israéliens qui ne contestent jamais le caractère raciste d’Israël, et encore moins le grand crime qu’il a commis contre notre peuple en 1948. Les Israéliens sur lesquels nous comptons sont ceux qui reprennent notre appel au BDS et reconnaissent nos droits internationalement reconnus, y compris le droit de retour. Avnery n’en faisait pas partie.
Au contraire, il s’est engagé dans le projet sioniste en Palestine en défendant à la fois la solution raciste à deux États et la majorité juive sur 78% de la Palestine historique. Il s’est opposé avec véhémence à l’idée d’un État laïc et démocratique en Palestine historique, un État pour tous ses citoyens, sans distinction de religion, de race ou de sexe.
Article original: Middle East Eye