Israël critique la FINUL renforcée

Israël considère comme futile la mission de sauvegarde de la paix effectuée par la marine allemande au large du Liban. L’armée israélienne n’est pas contente des principes guidant la mission de la Finul renforcée – elle dit qu’ils permettent la poursuite des chargements d’armes à destination du Hezbollah.

Par Pierre Heumann, 2 novembre 2006

Rude réveil pour les habitants de Beyrouth : des avions de guerre israéliens volant à basse altitude ont fait des pirouettes au-dessus de la capitale libanaise. Des témoins oculaires font état de huit avions, évoluant pour la plupart d’entre eux au-dessus des quartiers chiites.

Les survols du territoire libanais font partie de la routine, pour l’aviation militaire israélienne, depuis de nombreuses années. Les pilotes israéliens sautent dans leurs jets, prêts à l’action, dès que leurs radars enregistrent quoi que ce soit d’impossible à circonstancier immédiatement. Le but, explique Eitan Ben Eliahu, ancien commandant de l’armée de l’air israélienne, c’est de rassembler de l’information sur les activités du Hezbollah.

Mais de tels survols sont-ils bien nécessaires depuis que le cessez-le-feu sous mandat de l’ONU est désormais effectif ? La trêve, entrée en vigueur à la mi-août après un mois de guerre, au Liban, entre le Hezbollah et Israël, n’est observée que de manière formelle par Beyrouth, affirme Ben Eliahu, les Libanais permettant à la milice chiite de se réarmer. Terje Roed-Larsen, envoyé spécial de l’ONU au Liban, le rejoint dans cette évaluation. Les Libanais, dit-il, ont observé [sans rien faire, NdT] comment des armes ont été introduites en contrebande depuis la Syrie, encore tout récemment.

Jusqu’à quel point la flotte de la FINUL est-elle efficace ?

Qu’en est-il, alors, de la mission de la marine allemande en Méditerranée orientale – une mission ayant pour but explicite d’empêcher ces passages d’armes en contrebande ? Même si l’opération de la flotte internationale de la FINUL a été bien accueillie en Israël, les experts [israéliens] se perdent en conjectures quant à son efficacité réelle.

« Ne serait-ce », dit un diplomate israélien, « que parce que l’opération au large du Liban est dépourvue d’un mandat clair » ; ce diplomate la qualifie de sorte de cocktail entre une opération d’observation pure et une mission militaire. Il dit que « l’effectivité de la mission de lutte contre la contrebande a été considérablement réduite par les restrictions imposées à la mobilité de la marine allemande ». « Quant un bateau transportant des armes pour le Hezbollah quitte un port syrien et cingle vers le Sud, son capitaine se sent en sécurité, tant qu’il ne s’éloigne pas à plus de 11 kilomètres du rivage », explique Gad Shimron, un expert israélien ès sécurité, qui contribue au quotidien israélien Ma’ariv. « Notre capitaine syrien peut mettre le cap, à l’aise, vers les positions du Hezbollah au Liban », poursuit Shimron, « comme s’il transportait une cargaison de tomates ou d’olives, et la marine allemande n’est pas habilitée à s’interposer. »

Initialement, les Allemands pensaient qu’ils disposeraient de leur liberté de mouvement au large des côtes du Liban, ainsi que du droit d’arraisonner des navires suspects. Mais ces droits ont été limités dans la version finale de leur mandat. Les Allemands doivent demander aux Libanais d’interférer auprès des navires suspects, et de s’enregistrer auprès des autorités libanaises s’ils veulent pénétrer à l’intérieur des eaux territoriales libanaises [à partir de six kilomètres du rivage].

Même en l’absence de ces restrictions, saisir des cargaisons [illégales] d’armes serait très difficile ; des dizaines de navires et de petits bateaux naviguent en suivant la côte libanaise chaque jour, sans que les troupes de l’ONU soient informées de ce qu’ils transportent. Shimron est persuadé que les stratèges du Hezbollah utilisent d’ores et déjà cette faille dans la sécurité maritime afin de stocker de nouvelles armes. « Personne n’est capable d’en empêcher le Hezbollah », dit-il.

Avi Primor, ancien ambassadeur d’Israël en Allemagne, est lui aussi sceptique quant à la mission de sauvegarde de la paix effectuée par la marine allemande. La marine allemande cause « manifestement » des difficultés aux contrebandiers d’armement, explique-t-il, « mais peut-elle les empêcher d’agir ? » Primor répond à sa question rhétorique avec diplomatie, d’un « Mwouais, peut-être… »

Un officier israélien se montre encore plus critique quant à cette mission. « La plus grande contribution qu’ait apportée la marine allemande jusqu’à ce jour… », commente-t-il, [dépité] a consisté à porter secours à des marins syriens en difficulté… »

Sur le plan politique, la mission de sauvegarde de la paix est tout aussi controversée. D’un côté, le Premier ministre israélien Ehud Olmert, qui célèbre le déploiement d’une force internationale de sauvegarde de la paix dans lequel il veut voir une victoire politique. De l’autre, en revanche, la présence de cette force signifie qu’il y a internationalisation du conflit au Liban. La violation par Israël de l’espace aérien libanais, par exemple, a été critiquée par la France ; l’Union européenne a, elle aussi, appelé Israël à respecter les frontières libanaises.

« La traque aux ennemis et aux terroristes »

Mais Israël a pris l’habitude de traiter l’espace aérien libanais comme s’il s’agissait du sien propre, en dépit des protestations onusiennes. « Ils peuvent protester autant que cela leur chantera. Nos vols de reconnaissance se poursuivront », a déclaré récemment à la radio le vice-ministre de la Défense Ephraim Sneh. Les vols en rase-mottes au-dessus du territoire libanais, dit-il, servent à « traquer les ennemis et les terroristes. »

Conformément à l’attente, le Liban voit les choses différemment. L’intention d’Israël est nullement de collecter de l’information, se plaint Beyrouth, mais bien plutôt d’intimider la population et de faire montre de sa force. Israël, on le sait, dispose d’une technologie d’espionnage très sophistiquée, et il dispose de ses propres satellites placés sur orbite, fait observer un commentaire du Daily Star, un quotidien de Beyrouth [d’expression anglaise, NdT].

Faire trembler les murs de Beyrouth ne rime pas à grand-chose, ni politiquement, ni militairement.

Mais c’est devenue une routine. De fait, l’incident récent mettant en cause le survol à basse altitude d’un bâtiment allemand croisant au large de la côte libanaise par un R-16 israélien n’avait rien de particulièrement inhabituel, lui non plus. Et, effectivement, l’aviation israélienne n’a même pas ressenti le besoin d’en rendre compte. Le ministre israélien de la Défense Amir Peretz n’a demandé des explications qu’après avoir pris connaissance de l’incident dans la presse.

Aujourd’hui, bien entendu, l’aviation israélienne est en possession de nouveaux ordres visant à prévenir de tels « incidents de routine ». Le projet, pour l’aviation israélienne, consiste à améliorer sa coordination avec la marine allemande. Le Premier ministre israélien Ehud Olmert a présenté ses excuses à la Chancelière allemande Angela Merkel pour ces incidents – manifestement conscient du fait que la mission de sauvegarde de la paix est susceptible de poser problème en Allemagne. Son appel téléphonique à Merkel visait pour partie à s’assurer que sa position en la matière ne s’était pas érodée, indiquent des sources gouvernementales [allemandes].

Mais même si Israël doute de l’efficacité tant politique que militaire de la Finul, il est difficile d’ignorer un des effets secondaires de la présence accrue de l’Onu dans la région : les contrôles accrus tout au long des côtes tant israéliennes que libanaises ont causé des problèmes majeurs à ce qui était jusqu’alors un commerce florissant de toutes sortes de drogues. Le cannabis, illégal en Israël, est désormais huit fois plus cher, par rapport au début de la guerre.

Pierre Heumann, 2 novembre 2006

Spiegel Online
Pierre Heumann est correspondant au Moyen-Orient de l’hebdomadaire helvétique Weltwoche

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier