poutine


Après un long échange de reproches entre Moscou et Paris, le président russe Vladimir Poutine a finalement annoncé, le 11 octobre, qu’il ne se rendrait pas à Paris, parce que plusieurs manifestations prévues lors de l’inauguration du nouveau Centre spirituel et culturel orthodoxe, à laquelle il devait participer, s’étaient avérées inopportunes. Dans une interview diffusée dans la soirée du 12 octobre sur la chaîne française TF1, Vladimir Poutine a expliqué ce qui s’était passé en réalité, et répondu à plusieurs questions sur la Syrie. 

Sur l’annulation de la visite

« Vous savez, ce n’est pas qu’on ait refusé, simplement, on nous a dit que la raison principale, le motif de ma venue à Paris – l’inauguration du Centre spirituel et culturel – tombait mal. Mais si elle tombe mal, nous allons trouver une autre possibilité de nous rencontrer et de parler de la Syrie. Rien ne nous limite sur cette question, nous sommes ouverts au dialogue. Mais on nous a simplement fait comprendre que ce n’était pas le meilleur moment pour de telles manifestations, et c’est tout. Nous ne refusons pas de parler. »

Sur les accusations de « crimes de guerre » sur le territoire syrien

« Je dirais que c’est de la rhétorique politique, qui n’a pas grand sens et ne prend pas en compte la réalité de ce qui se passe dans ce pays, et je vais vous dire pourquoi. Je suis profondément convaincu que ce sont avant tout nos partenaires occidentaux, et en premier lieu, évidemment, les États-Unis et leurs alliés, notamment les grands pays européens, qui sont responsables de la situation qui s’est établie dans la région en général, et en Syrie en particulier. Souvenons-nous de la façon dont ils s’étaient tous empressés de soutenir leprintemps arabe. Et alors, où est passé cet optimisme aujourd’hui ? Comment tout cela s’est-il terminé ? »

Sur les réfugiés syriens

« Souvenons-nous que le problème des réfugiés est apparu bien avant que la Russie ne commence d’entreprendre des efforts pour la normalisation et la stabilisation de la situation en Syrie. Le départ massif de gens depuis cet immense territoire du Proche-Orient, et même depuis l’Afrique, l’Afghanistan, a commencé longtemps avant que nous ne nous mettions à agir en Syrie. Toutes les accusations revenant à affirmer que la Russie serait prétendument coupable du problème des réfugiés sont absolument infondées. Notre objectif consiste précisément à créer les conditions pour un retour de ces gens dans leurs foyers natals. »

Sur les frappes visant des cibles humanitaires

« On n’aurait pas oublié comment l’aviation américaine avait bombardé en Afghanistan un hôpital, tuant notamment des [collaborateurs de l’organisation] Médecins sans frontières ? En Afghanistan, les gens ont été tués par centaines, des mariages entiers. Et au Yémen, que s’est-il passé ? Une bombe sur une cérémonie de deuil, 170 morts, 500 blessés. Des gens qui ne sont coupables de rien meurent et souffrent partout où se déroulent des combats, malheureusement. Mais nous ne pouvons pas permettre aux terroristes d’utiliser des civils comme boucliers humains, et nous ne pouvons pas leur permettre de faire du chantage au monde entier quand ils capturent, assassinent et égorgent.

Si nous voulons mener à terme la lutte contre le terrorisme, nous devons les combattre, et pas nous soumettre à leur volonté, ne pas plier et ne pas reculer. »

Sur le Front al-Nosra et les États-Unis

« La situation à Alep est contrôlée par une autre organisation terroriste : le Front al-Nosra, qui a toujours été considéré comme une aile d’Al-Qaïda et est inscrit à la liste des formations terroristes de l’ONU.

Et ce qui nous étonne et nous plonge tout simplement dans l’abattement, c’est que nos partenaires, y compris les Américains, essaient constamment, d’une façon ou d’une autre, de la faire sortir de la liste de ces organisations terroristes. Et je vais vous dire pourquoi. Il me semble que nos partenaires commettent constamment la même erreur.

Ils veulent utiliser le potentiel de combat de ces organisations terroristes et des radicaux pour atteindre des objectifs politiques, en l’occurrence – afin de lutter contre le président Assad et son gouvernement, sans comprendre qu’ils ne parviendront pas, ensuite, à les mater [les combattants], comme on dit, et à les obliger à vivre de manière civilisée, s’ils remportent une quelconque victoire. »

Sur la question de savoir qui a enfreint le régime de cessez-le-feu en Syrie

« Nous nous étions entendus, très récemment, pour annoncer un cessez-le-feu : un Jour Jcomme ont dit nos amis américains. Pour ma part, j’avais insisté pour qu’avant de proclamer ce cessez-le-feu, ils commencent par résoudre la tâche consistant à établir une distinction entre le Front al-Nosra et les autres terroristes, d’un côté, et la partie saine de l’opposition, de l’autre.

Mais les Américains ont insisté pour annoncer d’abord le cessez-le-feu, et ensuite seulement se charger de faire la différence entre les terroristes et les non-terroristes. Finalement, nous avons fait un pas vers eux, nous avons accepté cela, et le 12 septembre a été proclamée l’interruption des combats. Mais le 16 septembre, l’aviation américaine a bombardé l’armée syrienne, faisant 80 morts.

(…) C’est ainsi que nos accords de cessez-le-feu ont été rompus. Qui les a rompus ? Nous, peut-être ? Non. »

Sur les accords avec le pouvoir syrien

« Et donc, nous nous sommes entendus avec le président Assad – il a accepté d’aller vers l’acceptation d’une nouvelle constitution, et d’organiser des élections sur la base de ce nouveau texte. Mais nous n’avons pu convaincre personne d’autre de cela.

Si le peuple ne vote pas pour le président Assad, alors il y aura un changement du pouvoir par la démocratie – pas par le biais d’une intervention militaire de l’extérieur mais par la voie des urnes, sous un strict contrôle international, un contrôle de l’ONU.

Je ne comprends pas à qui cela pourrait ne pas convenir, cette façon démocratique de résoudre la question. Pourtant, nous ne perdons pas notre optimisme, et nous espérons que nous finirons tout de même par convaincre tous nos collègues et partenaires que c’est la seule voie possible et acceptable pour résoudre ce problème. »

Sur le futur président des États-Unis

« Écoutez, tout nous plaît. L’Amérique est un grand pays, les Américains sont un peuple très intéressant, sympathique, talentueux. C’est un grand peuple, une grande nation.

Nous travaillerons avec celui qu’ils éliront. Mais, évidemment, c’est plus facile de travailler avec quelqu’un qui a envie de travailler avec vous. Si [le candidat à la présidence des États-Unis Donald] Trump dit Je veux travailler avec la Russie, nous ne pouvons que saluer cela. Il faut seulement que ce travail soit franc, de façon réciproque, mutuelle. »

13 octobre 2016

Traduit par Julia Breen

Source: http://www.lecourrierderussie.com/politique/2016/10/poutine-francais-tf1-paris/