Jürgen Elsässer

Photo: Jürgen Elsässer

Source: http://www.revelli.com/

Carlo Revelli | 25 juillet 2006

Que faut-il penser quand un journaliste d’investigation respecté écrit un livre pour nous expliquer que la CIA a recruté en Bosnie les terroristes qui ont contribué aux attentats du 11 septembre ? Que faut-il penser quand un ancien ministre de la défense et de l’intérieur, Jean-Pierre Chevènement, décide d’écrire la préface d’un tel ouvrage en déclarant qu’il « constitue une mine de révélations pour quiconque cherche à comprendre les enjeux géostratégiques mondiaux » ? Que faut-il penser quand le FBI déclare qu’il n’existe aucune preuve à ce jour qui permette d’associer Ben Laden aux attentats du 11 septembre ? Que faut-il penser quand aucun média français ne traite de ces sujets ?

Le 1er avril 2006, Jürgen Elsässer sort la version française d’un ouvrage dont on n’a pas beaucoup entendu parler en France :Comment le Djihad est arrivé en Europe.

Ce petit livre s’est vendu uniquement à 6000 exemplaires en Allemagne, et la version française, publiée en Suisse par un tout jeune éditeur (Xenia), n’est pas bien distribuée en France (quasiment introuvable en librairie, trois semaines de livraison sur le site de la FNAC, distribution indirecte sur Amazon…). Or, tant le profil de l’auteur du livre (un journaliste d’investigation respecté) que celui de l’auteur de la préface (un ancien ministre de l’intérieur français) devraient permettre d’établir un minimum d’intérêt et de confiance…

Très succinctement, nous pouvons dire que dans son long travail d’investigation, l’auteur a essayé de prouver le lien existant entre les guerres dans les Balkans et les attentats du 11 septembre 2001. Ainsi, en remontant la piste des kamikazes du 11 septembre, il est arrivé directement en Bosnie où les moudjahidin sont recrutés et entraînés par les services secrets occidentaux, la CIA en tête….

Une synthèse du livre est disponible sur le site de l’auteur et ceux qui souhaitent aller plus loin peuvent également écouter le podcast audio de la conférence qui s’est déroulée avec l’auteur le 6 mai 2006, au prestigieux Club suisse de la presse (qui comprend parmi ses membres des prix Nobel et des prix Pulitzer) et qui était intitulée : “Comment le Djihad est arrivé en Europe : Islamisme et services secrets“.

Une journaliste suisse, Silvia Cattori, a également interviewé Jürgen Elsässer et a publié son entretien sur plusieurs médias « alternatifs » ou militants . Certains extraits de l’interview sont intéressants et montrent bien le très fort scepticisme de l’auteur allemand face à la thèse officielle de l’administration américaine :

« C’est le seul ouvrage qui établisse le lien entre les guerres dans les Balkans des années 1990 et les attentats du 11 septembre 2001. Tous les grands attentats, à New York, à Londres, à Madrid, n’auraient jamais eu lieu sans le recrutement par les services secrets américains et britanniques de ces djihadistes à qui l’on attribue les attentats. […] Les informations que j’ai collectées à de multiples sources démontrent que ces djihadistes sont des marionnettes entre les mains de l’Occident et non pas, comme on le prétend, des ennemis. »

« Les néoconservateurs, groupés autour de Richard Perle, avaient rédigé un document, un an avant le 11 septembre, selon lequel l’Amérique avait besoin d’un évènement catalyseur comme l’attaque de Pearl Harbour. Le 11 septembre fut cet évènement catalyseur. Je crois que les gens autour de Perle ont souhaité les attentats du 11 septembre. »

« Immédiatement après le 11 septembre, un certain nombre d’agents israéliens ont été arrêtés aux États-Unis. Ils étaient présents sur les lieux où se préparaient les attentats. Il y a des analystes qui disent que c’est là une preuve qu’Israël était directement impliqué dans ces attentats. Mais cela pourrait également signifier autre chose. Il se pourrait que ces agents observaient ce qui se passait, qu’ils étaient au courant que les services secrets américains soutenaient ces ‘terroristes’ dans la préparation de ces attentats, mais qu’ils garderaient leur savoir pour s’en servir au moment opportun, et pouvoir exercer un chantage le moment venu : ‘Si vous ne soutenez pas davantage Israël, nous allons livrer ces informations aux médias’. Il y a même une troisième possibilité, à savoir que ces espions israéliens voulaient prévenir les attaques mais ont échoué. En ce moment, nous savons seulement que ces types étaient sur place et qu’ils ont été arrêtés. Des investigations supplémentaires sont nécessaires. »

« Bush est stupide. Il n’est qu’un instrument entre les mains d’autres personnes. »

« Oui, il y a un double gouvernement qui échappe au contrôle de Bush. Ce sont des néoconservateurs, comme Cheney, Rumsfeld, Wolfowitz, Perle, des gens liés au pétrole et aux industries militaires. Le chaos global est dans l’intérêt de l’industrie militaire : quand il y a le chaos dans le monde entier, on peut vendre des armes et le pétrole plus cher. »

Le but de cet article n’est pas d’entrer dans le détail du contenu de ce livre ni d’apporter un quelconque jugement. Je n’ai ni les compétences, ni les connaissances nécessaires pour vérifier avec certitude les thèses de l’auteur. Ce qui m’intéresse ici, c’est de mettre en évidence le soutien que Jean-Pierre Chevènement apporte à cet ouvrage, notamment via la préface qu’il a rédigé, dont voici quelques extraits :

« La traduction française du livre de Jürgen Elsässer Comment le Djihad est arrivé en Europe constitue une mine de révélations pour quiconque cherche à comprendre les enjeux géostratégiques mondiaux. »

« Ce que montre, en revanche, avec un grand luxe de détails Jürgen Elsässer, c’est le véritable chaudron du terrorisme islamiste qu’ont constitué les guerres yougoslaves tout au long des années quatre-vingt-dix. Les attentats du 11 septembre 2001 à New-York, de Madrid le 11 mars 2003, et du 7 juillet 2005 à Londres, font tous émerger des personnages qui, à des titres divers, ont été des vétérans des guerres de Bosnie. Il semble qu’il s’agisse là de connexions si gênantes qu’il faille absolument les taire ou les dissimuler. »

« Le livre de Jürgen Elsässer est fort instructif sur le rôle des services spéciaux dans la manipulation des conflits (et des opinions publiques droguées aux idéologies identitaires). Il est vrai que les services se prennent souvent les pieds dans leurs propres intrigues. Dans la société hypermédiatique où nous vivons, leurs manigances finissent toujours par être éventées. »

« Même si Jürgen Elsässer nous étourdit parfois sous la multiplicité de ses sources et l’abondance de ses références, rendons hommage à son érudition : son livre contribuera utilement à un sain pluralisme et à l’éclosion de vérités pas toujours bonnes à dire. Saluons son immense travail et la contribution salubre que son livre apporte à un débat démocratique débarrassé des a priori trompeurs qui obscurcissent la compréhension des enjeux et retardent l’heure d’une paix juste dans les Balkans et ailleurs. »

Comment est-il possible que l’ancien ministre Jean-Pierre Chevènement exalte à un tel point l’œuvre et les théories d’un journaliste que beaucoup définiraient comme conspirationniste ? Comment se fait-il qu’aucune maison d’édition française n’ait accepté de publier cet ouvrage ? Comment se fait-il qu’aucun média français n’ait annoncé la sortie du livre, malgré la prestigieuse « sponsorship » de Chevènement ?

De deux choses l’une. Soit ce journaliste est réellement un fanatique conspirationniste (Chevènement aussi, du coup) et il faut donc dénoncer ses idées et les combattre. Soit ce qu’il dit est cohérent et vraisemblable, et il faut en débattre. Mais la solution de l’omerta médiatique demeure pour moi un mystère.

Par ailleurs, Jürgen Elsässer n’y va pas par quatre chemins, même au sujet de Ben Laden et de son organisation. Selon lui, en effet, Al Qaida n’existe pas réellement, et est avant tout un concept marketing de propagande de la politique extérieure américaine… Cela ne vous fait pas drôle, que Chevènement cautionne ces propos ?

A ce sujet, le FBI aurait récemment déclaré qu’à ce jour, il n’y aurait aucune preuve de l’implication de Ben Laden dans les attentats du 11 septembre. J’utilise le conditionnel car cela me semble tellement énorme que je crains le canular Internet bien ficelé. Pourtant, sur son site Web, le FBI consacre une fiche à Ben Laden en indiquant bien qu’il est recherché pour les attentats de 1998 contre les ambassades américaines, mais aucune mention n’est faite pour sa prétendue participation aux attentats du 11 septembre !

Sur le site du Muckrarer Report on trouve la news suivante :

« Le 5 juin 2006, l’équipe de l’association Muckraker Report a appelé le FBI pour savoir pourquoi l’avis de recherche de Ben Laden n’indique pas sa participation aux attentats du 11 septembre. Nous avons parlé avec Rex Tomb, Chief of Investigative Publicity au FBI (et responsable, selon l’AFP, de l’unité du FBI chargée de dresser la liste des dix criminels les plus recherchés des Etats-Unis) qui nous a dit : « La raison pour laquelle le 11 septembre n’est pas mentionné dans l’avis de recherche de Ousama Ben Laden est que, à ce jour, le FBI n’a pas de preuves tangibles de son implication dans ces attentats. Formellement, Ben Laden n’est accusé de rien par rapport au 11 Septembre. Le travail du FBI est de réunir des informations et des preuves. C’est le Département de la Justice qui décide s’il y a assez de preuves pour inculper quelqu’un et pour le présenter devant un jury fédéral. Dans le cas des attentats de 1998, Ben Laden a été formellement inculpé et son cas présenté devant des jurés. Dans le cas du 11 septembre, il n’a été accusé de rien car le FBI n’a pas de preuves attestant son implication dans les attentats de 9/11. »

Je ne vous cache pas que je n’ai pas été forcément rassuré par le site de cette association. J’ai fait quelques recherches et j’ai vu que la news est reprise à l’infini sur pas mal de médias dits « alternatifs », mais malheureusement, je n’ai trouvé aucun média traditionnel qui ait commenté cette information. Un député et journaliste italien, Giulietto Chiesa, en parle sur son site web. Mais ce qui m’a finalement conforté dans ma recherche, c’est de trouver un article de la célèbre revue américaine Wired, daté du 29 septembre 2001 ( !), qui interroge le même Rex Tomb, lequel fournit exactement la même réponse ! Après cinq ans d’enquêtes, la position du FBI n’a pas changé d’un iota au sujet du lien de Ben Laden avec les attentats du 11 septembre…

Ainsi, après avoir constaté que les attentats de Londres n’étaient absolument pas liés à Al-Qaida, le FBI déclare qu’il n’a jamais possédé de preuves contre Ben Laden, qui pourtant a été dénoncé comme le coupable certain par l’ensemble des télévisions de la planète environ douze minutes après les attentats… Par ailleurs, les USA n’ont-ils pas attaqué l’Afghanistan justement pour capturer Ben Laden, à la suite des déclarations faites par ce dernier sur une mystérieuse cassette vidéo qui avait été « oubliée » chez un de ses amis et que les Américains ont retrouvée grâce à un heureux hasard… ? Cette vidéo diffusée à l’infini par les télé de la terre entière serait-elle vraiment un faux, comme le prétendent certains « conspirationnistes » ?

A chacun d’en débattre et de se forger sa propre opinion. Mais le problème, c’est qu’à ce jour, on ne peut pas discuter sereinement du 11 septembre dans les médias, du moins en France. Paradoxalement, ailleurs, en Suisse, en Italie, en Allemagne et même aux Etats-Unis, les discussions sont beaucoup plus libres et ouvertes.

Ainsi, même une chaîne proche du pouvoir en place comme Fox News n’a pas de réticence à faire dialoguer le célèbre colonel Oliver North avec le professeur James Fetzer de l’Université du Minnesota, co-fondateur du mouvement « Scholars for 911 truth » (en regardant son site, on remarquera le nombre important d’interviews que leur accordent la TV, la radio ou la presse américaine). Dans cette interview à ne pas rater, James Fetzer en profite pour rappeler l’histoire du FBI et de Ben Laden au colonel North, qui lui-même ne semble pas être réellement au courant !

En Italie, un des journalistes et écrivains les plus prestigieux et appréciés du pays, Corrado Augias vient de consacrer une émission entière sur la chaîne publique RAI3 aux invraisemblances de l’attentat du Pentagone avec un parti pris « conspirationniste » assez étonnant (Enigma, « L’aereo sul Pentagono  », 13 juillet 2006, extrait vidéo accessible qu’avec IE). Augias est d’ailleurs fort apprécié même en France puisqu’il vient de recevoir la médaille de Chevalier de l’ordre des Arts et Lettres. Comme le dit l’ambassadeur de France en Italie, « cette haute distinction témoigne de l’estime et de la reconnaissance de la France pour la contribution active de Corrado Augias à l’enrichissement des relations culturelles entre la France et l’Italie ». Ironies du calendrier, l’Etat français a décoré un dangereux conspirationniste à quelques jours de la diffusion de son émission sur le Pentagone… Quelques jours auparavant, le 17 juin, un autre journaliste italien (Corradino Mineo) consacre une autre émission choc sur le 11 septembre, toujours sur la chaîne publique RAI… En France, on aime bien caricaturer depuis des années la « dictature médiatique » d’un Berlusconi. Et je peux le comprendre. Cela dit, le vrai danger ne vient pas des pays, comme l’Italie, où les abus médiatiques sont manifestes et donc faciles à identifier, mais au contraire des pays qui montrent une respectabilité de façade qui réussit encore à duper beaucoup de personnes.

Pour revenir au Pentagone, que penser de cette farce internationale, pour le coup très bien médiatisée en France, du ministère de la défense des Etats-Unis, qui a décidé en mai 2006 de rendre publiques des vidéos sur le Pentagone qui circulaient presque identiques sur Internet depuis cinq ans et qui ne montrent rien du tout ? Autre hasard du calendrier, ce week-end, grâce à une webcam achetée pour vingt euros à la FNAC et placée en bordure de fenêtre, j’ai réussi à identifier le chien qui s’amuse à uriner devant la porte de chez moi (ainsi que son patron). Pensez-vous que par esprit citoyen, je devrais communiquer le nom de mon fournisseur de webcam au Pentagone ?

Blagues à part (quoique…), ce qui est sûr, c’est que la question du 11 septembre intéresse beaucoup les lecteurs d’AgoraVox. Mon article qui annonçait la sortie du film Loose Changea obtenu le plus important nombre de visites depuis la création d’AgoraVox : presque 100 000 visites (sans compter la reprise sur Yahoo Actualités), plus de 400 discussions toujours en cours quatre mois plus tard et un taux d’appréciation d’environ 87%. Ces données en soi ne veulent rien dire de particulier, sinon que la plupart d’entre nous ne comprenons pas pourquoi aucun média français n’ose remettre en cause le moindre élément de la version officielle. Comme je l’ai déjà évoqué dans un autre article c’est justement cette ‘omerta médiatique’ qui nourrit les théories conspirationnistes les plus farfelues.

Mes deux articles sur le 11 septembre, dans lesquels je ne prends pourtant pas position, m’ont valu des critiques acerbes de la part d’un nombre restreint de « maîtres censeurs » de l’espace médiatique français, ainsi qu’une tentative avortée de remise en cause du journalisme citoyen. Maîtres censeurs qui sont là pour nous indiquer ce sur quoi nous avons ou n’avons pas le droit de réfléchir, de discuter ou de douter. Grâce à eux, le 11 septembre est devenu en France un sujet tabou sur lequel il est impossible de dialoguer sereinement. Heureusement que Chevènement, Augias et le FBI sont là…

Enfin, je viens d’apprendre que pour commémorer le 5e anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, les Éditions Demi-Lune annoncent la création de la collection « Résistances » avec la sortie en simultanée de cinq livres traduits de l’anglais qui demandent tous la réouverture du dossier 9/11. Les ouvrages, portés par des universitaires, des scientifiques et des journalistes étrangers, seront en librairie dès la rentrée avec un site Web donnant accès à une chronologie complète des faits. Voilà peut-être une bonne occasion d’ouvrir sereinement le débat en France. Quel grand média annoncera ces publications ?

Comme le disait Albert Einstein : « Le monde est dangereux à vivre : non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » A méditer.

Carlo Revelli | 25 juillet 2006

Source: http://www.revelli.com/


Mises à jour :

[27 juillet] – Comme celle a été déjà le cas avec l’article de Versac en mars 2006, AgoraVox laisse la parole à tout rédacteur qui n’a pas la même vision sur le 11 septembre. Cette fois, c’est Chem Assayag qui a souhaité réagir à mon article.

[29 juillet] – Un autre rédacteur d’AgoraVox, le journaliste indépendant Olivier Bonnet, vient de publier sur son blog un long article en réaction au mien dans lequel il constate que presque cinq ans après le 11 septembre il règne dans les médias un véritable “terrorisme intellectuel“….

[29 juillet] – Je suis agréablement surpris par la qualité de certains commentaires et l’envie d’approfondir de beaucoup de lecteurs. Comme certains d’entre vous le savent, on va bientôt lancer sur AgoraVox des dossiers d’enquêtes sur plusieurs sujets qui seront menés de manière collective par différents rédacteurs qui vont collaborer ensemble. La liste des sujets n’est pas encore arrêtée. S’il y a suffisamment de volontaires avec une approche objective et une envie d’approfondir sereinement les choses, pourquoi ne pas faire aussi un dossier sur le 11 septembre ? Tous ceux qui sont potentiellement intéressés à participer peuvent me mettre un mail sur revelli(at)agoravox.fr Le (at) étant bien sûr un @.

Jürgen Elsässer est un historien et journaliste allemand spécialiste des Balkans. Il a écrit une douzaine de livres de géopolitique au cours des dix dernières années ; ancien rédacteur en chef du quotidien berlinois Junge Welt, il a également été rédacteur de nombreux quotidiens et hebdomadaires allemands. Quelques approfondissements biographiques sont disponibles sur son site, sur celui de son éditeur ou sur la Wikipedia allemande. *http://silviacattori.net/article35.html