Qui est Fethullah Gülen ?

Mouvement Gülen : Les dessous d’une confrérie religieuse qui rêve de contrôler l’Etat turc

A la suite de la mise sous tutelle par le gouvernement turc d’un des plus importants journaux de Turquie, Zaman, une mobilisation importante a eu lieu en Occident, notamment en France pour dénoncer l’atteinte à la liberté d’expression que représente cette mise sous tutelle. Un soutien émotionnel compréhensible, face à ce qui est perçu comme la mise sous silence d’un journal au motif de ses critiques contre le gouvernement.

Mais malheureusement, ce qui manquait dans la transmission d’informations sur le sujet dans les médias français était une mise en perspective contextuelle. Car une information ne peut être comprise sainement qu’en étant replacée dans un contexte plus général et en donnant des informations complémentaires sur la nature des protagonistes. C’est ce que nous proposons de faire ici pour éclairer le public français, trop souvent victime de raccourcis médiatiques sur les évènements en Turquie.

A qui appartient le journal Zaman ?

Ce journal appartient à un mouvement islamiste turc très répandu à travers le monde et très puissant. Le dirigeant du mouvement étant Fethullah Gülen, résidant aux États-Unis. Le leader du mouvement, auteur de nombreux ouvrages, fait office de maître à penser pour les membres du mouvement, ses fidèles lui vouant un véritable culte de la personnalité.

Le mouvement Gülen est très puissant, il dispose d’importantes ressources financières à travers des dons d’hommes d’affaire, mais il dispose aussi d’organes de presse (dont le journal Zaman), de maisons d’édition, et d’établissements scolaires dans de nombreux pays. On parle d’environ 4000 écoles privées en Turquie et de plus de 500 dans d’autres pays.

Ce mouvement fonctionne comme une secte, selon de nombreux témoignages, où les fidèles sont complètement assujettis au mouvement. Certains comparent même le mouvement à la scientologie.[1]

Pourquoi le gouvernement turc s’attaque à ce mouvement ?

Officiellement le mouvement Gülen se présente comme apolitique, la réalité est toute autre. Depuis des années le mouvement a infiltré tous les espaces d’influence en Turquie. Ainsi, ils disposent de membres de leur organisation dans différents partis, médias ou associations. Leurs écoles et leurs médias sont aussi utilisés comme un relais d’influence politique. Mais surtout, ils ont infiltré de manière profonde les services de police, la justice et l’administration turque.

Le gouvernement AKP s’est longtemps appuyé sur ce mouvement et ses réseaux pour pouvoir faire face à l’armée turque. Mais en réalisant que le mouvement Gülen exigeait du gouvernement de plus en plus de prérogatives, et qu’il devenait pratiquement plus puissant que le gouvernement élu démocratiquement, d’où l’accusation d’être un État dans l’État, le pouvoir turc a décidé de prendre certaines mesures pour réduire l’influence du mouvement Gülen.

La mesure qui fait éclater le conflit au grand jour étant le vote de la fermeture des écoles du mouvement Gülen par le Parlement turc. [2]

A la suite de cela, le mouvement Gülen est entré en guerre avec L’État en usant de ses réseaux d’influence. Diffusion d’enregistrements téléphoniques de responsables de l’AKP, obtenus illégalement et en violation totale du respect de la vie privée, grâce à leurs hommes dans la police. Ouverture d’enquêtes et arrestations de responsables politiques liés au gouvernement, grâce aux hommes de Gülen présents dans la justice.

Dans un État de droit cela est inacceptable. En effet, un mouvement qui n’a pas été élu par le peuple, ne peut pas être plus puissant que le gouvernement, et n’a pas le droit de décider de l’ouverture d’enquêtes judiciaires ou de l’arrestation de responsables politiques. De plus, il est encore plus grave que ce mouvement soit en capacité d’écouter au téléphone n’importe quel citoyen turc. Enfin le mouvement Gülen est allé jusqu’à révéler des informations militaires confidentielles, mettant en danger la sécurité nationale.

Les « magouilles » du mouvement Gülen font aujourd’hui l’objet de nombreuses enquêtes, et on découvre de jour en jour l’ampleur du pouvoir et de la gangrène de ce mouvement dans les organes de l’Etat.

«  Plusieurs fonctionnaires agissent sous les ordres des « frères du mouvement Gülen », raconte un ex-membre doyen.  Ils ont été nos élèves, nous les avons formés et nous les avons soutenus, lorsque ces enfants reconnaissants arrivent en poste, ils continuent à servir Gülen ». En 2006, l’ancien chef de la police Adil Serdar Sacan a estimé que les Fethullahcis tenaient plus de 80% des positions haut placées des forces de police turques. « L’affirmation que le TNP (Police Nationale Turque) est contrôlée par les Gülenistes est impossible à vérifier mais nous n’avons trouvé personne pour la contredire », a écrit James Jeffrey, qui fut ensuite ambassadeur américain à Ankara, dans un câble diplomatique de 2009. »[3]

Il est donc aujourd’hui certain que le Mouvement Gülen est très puissant et dispose d’une influence importante parallèlement au gouvernement sur les institutions de L’État, telles que la justice, la police et très probablement l’armée.

« Recep Tayyip Erdogan, dont M. Gülen fut l’allié entre 2002 et 2011, s’est servi sans réserve de cette influence : il a utilisé des magistrats et des policiers gülénistes pour mettre fin à la tutelle militaire sur la vie politique — avant d’accuser le mouvement, lorsque la crise a éclaté, fin décembre 2013, de s’être infiltré dans la justice et la police. Face à ces attaques, certains réseaux gülénistes se sont jetés dans la mêlée, au risque de mettre en péril l’image spiritualiste de leur chef. Ces deux épisodes montrent bien le pouvoir de l’organisation. Après avoir efficacement contribué à expulser de la scène son adversaire historique, l’armée, elle a fortement déstabilisé l’homme fort du pays, M. Erdogan : ce sont des magistrats proches d’elle qui ont engagé les poursuites judiciaires sur les cas de corruption au sommet du pouvoir. »[4]

Le réseau Gülen est-il vraiment pour la liberté d’expression ?

On voit aujourd’hui en Turquie, comme en France, les journalistes de Zaman protester contre les mesures restrictives qu’ils subissent au nom de la liberté d’expression. La version française « Zaman France » a notamment obtenu le soutien de quelques personnalités ou médias d’envergure. Or, ce qui est occulté, c’est que Zaman est l’outil d’un mouvement qui a des buts politiques précis et qui use pour les atteindre de tous les stratagèmes possibles, notamment des moyens complètement immoraux et illégaux. Ainsi leur stratégie actuelle de victimisation n’est pas très crédible quand on sait qu’ils ont eux même emprisonné des journalistes les critiquant il y a quelques années, comme nous allons le voir en fin d’article.

Le journal critique beaucoup le gouvernement turc, mais les a-t-on déjà entendu dénoncer les manigances politiques et financières dans lesquelles est mêlé le réseau Gülen ? Ont-ils déjà publié une critique intellectuelle de la pensée du Fethullah Gülen ou de ses actions ? Bien sûr que non.

Quand le réseau Gülen emprisonnait des journalistes critiques de leur mouvement

Pire que cela, il n’y a pas si longtemps, quand le mouvement Gülen n’était pas encore en conflit ouvert avec le gouvernement AKP, et que ce dernier avait besoin d’eux, ils se permettaient, en violation totale des principes hiérarchiques et de l’État de droit, de mettre des gens en prison, simplement pour avoir critiqué le mouvement Gülen ou son leader.

Le journaliste turc Ahmet Sik emprisonné pour avoir critiqué Gülen.

En effet, en 2011, le journaliste turc Ahmet Sik a été arrêté par la police car il s’apprêtait à publier un livre dénonçant les pratiques scandaleuses du Mouvement Gülen et notamment ses tentatives d’OPA sur la police turque. Son livre « l’armée de l’imam » a été censuré et son auteur a été emprisonné. Il est évident que cette arrestation est le fruit des hommes de Gülen au sein de la police et de la justice (le livre concernant Gülen et non Erdogan). Le journaliste Nedim Sener a lui aussi été emprisonné pour avoir critiqué le mouvement Gülen.

Un texte de Reporter Sans Frontières relatait l’acharnement judiciaire dont a été victime Ahmet Sik, pour avoir osé critiqué Gülen « L’acharnement dont fait preuve le parquet pour éliminer toute trace du manuscrit d’Ahmet Sik ne fait au contraire que renforcer les soupçons sur le caractère politique de l’arrestation de son auteur. « L’Armée de l’Imam » enquête sur l’infiltration de la police, traditionnellement gardienne du kémalisme laïc, par le mouvement islamiste de Fetullah Gülen. »[5]

RSF avait d’ailleurs fermement dénoncé cette arrestation : « Reporters sans frontières est profondément choqué par la saisie et la destruction de toutes les copies connues du dernier manuscrit non publié d’Ahmet Sik. Cet ouvrage, qui explore les relations entre la police et l’influent mouvement islamiste Gülen, contiendrait des révélations sur les dessous du procès antiterroriste « Ergenekon » qui empoisonne la vie politique turque depuis plusieurs années.

Non contente d’empêcher sa publication et d’incarcérer son auteur, la justice turque a perquisitionné les trois lieux où le manuscrit était susceptible de se trouver, et sommé quiconque pourrait encore le posséder de le remettre à la justice sous peine de poursuites pénales. En interdisant la simple détention d’un fichier informatique, la justice gravit un échelon inédit dans la répression des journalistes d’investigation proches de l’affaire « Ergenekon », et pose un précédent extrêmement dangereux. En répandant l’idée que chaque courriel reçu par un journaliste peut le mener derrière les barreaux, elle fait peser une pression aberrante et inacceptable sur les professionnels des médias. »[6]

Ahmet Sik mettait notamment en avant dans son livre, la manière dont le mouvement Gülen avait infiltré les organes de l’État et parasitait l’État de Droit, et surtout comment il utilisait ses fidèles infiltrés pour défendre les intérêts personnels du mouvement et son pouvoir.

Évidemment, vous n’entendrez pas parler de ces arrestations violant la plus élémentaire des libertés d’expression dans le journal Zaman, même pas sa version française.

La condamnation de Zaman est liée aux pratiques illégales du mouvement Gülen, non à son opposition au gouvernement.

Ainsi, le gouvernement turc tente, parfois par des moyens critiquables, de freiner l’influence d’un mouvement qui parasite l’État de Droit et la démocratie en Turquie, et qui s’est rendu coupable de nombreux délits. Un nombre important de policiers liés au mouvement ont notamment été écartés. Il s’agissait donc ici de mettre sous tutelle le journal Zaman en raison des pratiques illégales du mouvement Gülen, bien plus que de faire taire un journal en raison de son opposition au pouvoir turc.

La preuve étant que parmi les nombreux journaux d’opposition en Turquie, qui critiquent quotidiennement le gouvernement turc, seul Zaman a fait l’objet de cette mesure. Les journaux très critiques à l’égard de l’AKP et d’Erdogan tels que le journal Hurriyet (deuxième journal du pays) ou encore le journal Milliyet et de nombreux autres continuent à publier quotidiennement leurs journaux sur une ligne hostile au gouvernement, et n’ont fait l’objet d’aucune mise sous tutelle.

Le mouvement Gülen peut-il être derrière le coup d’Etat ?

A la lumière des éléments mentionnés, il est de l’ordre de l’évidence que le mouvement Gülen bénéficie de relais importants au sein de l’armée et de la justice turque, même s’ils ont été affaiblis par les « purges » du pouvoir turc au sein de la police, la justice et l’armée. On a vu précédemment que le mouvement Gülen était en mesure d’ordonner l’arrestation d’individus par la police, de lancer des procédures judiciaires contre des éléments gênant de l’AKP en violation de la hiérarchie étatique et du monopole de l’État de l’autorité légitime, et qu’ils disposaient même d’enregistrements de conversations militaires secrètes de haut niveau, ce qui prouve la présence de leurs fidèles au sein de l’armée turque.

Le fait que le mouvement Güle nie l’implication dans la tentative du coup d’État [7] n’est pas du tout une preuve de sa non culpabilité, en effet, surtout après l’échec de cette tentative, le mouvement a tout intérêt à faire croire qu’il n’est pas impliqué. Un aveu direct de sa culpabilité pourrait notamment entrainer une extradition de Fethullah Gülen en Turquie. L’Histoire est pleine d’exemples de complots fomentés par des groupes ou des États en niant publiquement toute implication.

Un épisode assez récent, datant du 19 janvier 2014, est très révélateur concernant la puissance et le niveau d’infiltration du réseau Gülen. Il s’agit de l’interception d’un camion appartenant aux services secrets turcs (MIT), contenant apparemment des armes, qui se dirigeait en Syrie, et qui, selon les différentes versions, devaient être livrées à des rebelles syriens ou à la minorité turkmène persécutée en Syrie qui fait l’objet d’un souci particulier de la part de la Turquie. Le Camion a été intercepté par des policiers et gendarmes sur décisions de plusieurs magistrats, et des photos ont été prises pour être divulguées à la presse en vue de déstabiliser le gouvernement AKP.[8]

Cet épisode nous montre que les gülenistes ont été capables de saboter une opération des services secrets turcs (MIT) et de divulguer des informations relevant du secret militaire avec la complicité de policiers, gendarmes et magistrats. Un événement d’une telle ampleur démontre qu’un tel mouvement, disposant d’une telle force de frappe et volonté de nuire ne peut coexister avec les principes de la démocratie et de l’État de droit.

De plus, la sincérité de la condamnation de la tentative de coup d’État peut être remise en cause par le fait, que lors de précédents coups d’État militaires en Turquie, notamment celui de 1980 et celui de 1997, Gulen avait soutenu les coups d’État contre des gouvernements élus démocratiquement, ce qui remet sérieusement en cause ses propos actuels laissant entendre qu’il est toujours par principe contre les coups d’État militaires.[9]

Différentes sources révèlent aussi les liens existants entre Fethullah Gülen et la CIA. A titre d’exemple, les écoles de Gülen en Asie centrale auraient été utilisées comme couverture pour 130 opérations d’espionnage de la CIA au Kirghizistan et en Ouzbékistan[10], ce qui expliquerait le protection américaine à l’égard de Fethullah Gülen, et les campagnes de promotion de sa personne par certains médias américains en occultant complètement les activités parallèles du mouvement.

Ainsi, le mouvement Gülen bénéficiant d’un important réseau au sein des services de l’Etat, possédant un mobile solide en termes de volonté de nuire au gouvernement turc et d’augmenter son pouvoir sur l’Etat, est accusé depuis des années de chercher à faire un coup d’État, même par des disciples de Said Nursi (maitre de Fethullah Gülen)[11]. La probabilité de son implication dans la tentative de coup d’Etat qui a eu lieu dans la nuit du 16 au 17 juillet est très forte. Enfin, n’importe quel État démocratique qui subirait les nuisances d’un tel mouvement chercherait légitimement à s’en débarrasser pour protéger l’État de droit.

Julien Khoury, journaliste indépendant

[1]http://www.turquieeuropeenne.eu/5318-le-monde-obscur-du-mouvement-islamiste-turc-de-fethullah-gulen-1ere.html

[2]http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/turquie-le-parlement-vote-la-fermeture-des-ecoles-du-mouvement-gulen_1496480.html

[3]http://www.turquieeuropeenne.eu/5319-le-monde-obscur-du-mouvement-islamiste-de-fethullah-gulen-2nde-partie.html

[4]https://www.monde-diplomatique.fr/2014/03/KAZANCIGIL/50236

[5]http://fr.rsf.org/turquie-saisie-et-destruction-du-manuscrit-25-03-2011,39888.html

[6]http://fr.rsf.org/turquie-saisie-et-destruction-du-manuscrit-25-03-2011,39888.html

[7]http://www.lemonde.fr/international/article/2016/07/16/turquie-qui-est-fetullah-gulen-accuse-par-le-pouvoir-d-avoir-initie-le-coup-d-etat_4970450_3210.html

[8]http://aujourdhuilaturquie.com/fr/cumhuriyet-devoile-la-video-dune-livraison-darmes-de-la-turquie-aux-rebelles-syriens/

[9]http://t24.com.tr/haber/akitten-fethullah-gulen-darbelerin-karsisinda-yer-almadi-ovguler-yagdirdi,245503

[10]https://www.opendemocracy.net/osman-softic/what-is-fethullah-gülen’s-real-mission

[11]http://www.balikligol.com/haber/gulenin-asil-amaci-ihtilal-yapmakti-26000.html

Source: Le quotidien d’Algerie


Qui est Fethullah Gülen ?

Latif Erdoğan était l’adjoint du leader ; aujourd’hui, il est convaincu que le prédicateur est derrière la tentative de coup d’État avortée. Pourquoi ?

Le débat fait rage en Turquie sur le rôle que le prédicateur musulman auto-exilé Fethullah Gülen et ses foules de partisans occupant des postes gouvernementaux ont pu jouer dans le coup d’État avorté du 15 juillet. Pourtant, un homme a peu de doutes sur la culpabilité de Gülen : son ancien adjoint.

Ensemble, Gülen et Latif Erdoğan (sans lien avec le président turc Recep Tayyip Erdoğan) ont construit le mouvement Hizmet (« Service »), qui a depuis infiltré l’armée, le système judiciaire, les bureaux des procureurs et la fonction publique au sens large.

« Quand le coup d’État a échoué, Gülen a déclaré aux médias : “Je m’oppose au coup d’État”, mais je sais que chaque étape du plan de coup d’État a été révisée et approuvée par Gülen », a déclaré Latif Erdoğan au journal Vatan.

« Des centaines de personnes seraient mortes si le coup d’État avait réussi. Le pays aurait sombré inévitablement dans la guerre civile. Gülen est un homme cruel. La Turquie a échappé à la catastrophe. Ils ne s’attendaient pas à ce que les gens descendent dans les rues pour défier les chars. »

Le président Erdoğan est du même avis et a lancé une purge massive de l’armée et de la fonction publique visant à éradiquer les gülenistes.

Latif Erdoğan a travaillé avec Gülen pendant plus de trois décennies pour construire le mouvement Hizmet, lancé sous la forme d’un réseau éducatif qui encourageait ses anciens élèves à intégrer le système judiciaire, les bureaux des procureurs, la fonction publique et même l’armée. Jusqu’à il y a cinq ans, Latif Erdoğan était largement considéré comme l’héritier présomptif de Gülen et voyageait régulièrement depuis Istanbul pour rendre visite à l’ecclésiastique dans sa propriété rurale en Pennsylvanie, où Gülen vit depuis 1999.

Latif Erdoğan s’est séparé de Gülen après avoir conclu que ce dernier n’essayait plus simplement de diffuser les idéaux d’honnêteté et d’incorruptibilité dans la vie publique, mais se plaçait en opposition directe avec les islamistes au pouvoir en Turquie, le Parti pour la justice et le développement (AKP) du président Erdoğan.

Selon lui, le changement s’est produit en partie lorsque Gülen s’est installé aux États-Unis et a établi des liens avec les néo-conservateurs, ainsi qu’avec la CIA et l’agence d’espionnage israélienne, le Mossad. Gülen adopte une position intransigeante et critique vis-à-vis de la Russie et de l’Iran et se montre largement favorable à Israël. Le premier désaccord public entre Gülen et l’AKP est survenu après l’attaque menée par Israël contre le Mavi Marmara, un navire turc d’aide humanitaire à destination de Gaza, en 2010.

Neuf personnes ont perdu la vie lorsque des commandos israéliens sont montés à bord du navire dans les eaux internationales. La Turquie a ensuite déclassé ses relations avec Israël, qui n’ont été rétablies que plus tôt ce mois-ci, mais à l’époque, Gülen avait critiqué les organisateurs de la flottille d’aide humanitaire pour avoir adopté un comportement provocateur et Recep Tayyip Erdoğan pour avoir eu une réaction excessive.

Gülen s’est également opposé à l’AKP au sujet de l’ouverture de pourparlers de paix avec le mouvement nationaliste kurde, le PKK. Ses partisans sont accusés d’avoir divulgué des enregistrements en 2011 dans lesquels Hakan Fidan, chef du service de renseignement national, tenait des discussions secrètes avec le PKK à Oslo. Les ouvertures vis-à-vis du PKK, qui ont donné lieu à un cessez-le-feu dans sud-est de la Turquie, ont irrité de nombreux membres de l’armée turque, qui estimaient que l’adoucissement de la lutte contre le PKK portait préjudice à l’intérêt national.

Cette question a révélé des signes d’une convergence entre Gülen et l’armée, même si au cours des deux décennies précédentes, les partisans de Gülen ont joué un rôle majeur aux côtés de l’AKP pour réduire les interventions de l’armée dans la politique et congédier des généraux fidèles à l’héritage laïc du père fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk.

Certains détracteurs du mouvement de Gülen affirment que sa relation avec le haut commandement militaire était ambiguë, même lorsque des généraux de haut rang étaient résolument laïcs et soupçonneux à l’égard des islamistes. Au cours du coup d’État réussi par l’armée en 1980, Gülen s’était montré élogieux, une position qui avait atténué la méfiance des généraux vis-à-vis de Gülen et permis à ses partisans de faire carrière au sein de la police, du système judiciaire et même de l’armée, ce qui a contribué à islamiser l’idéologie laïque de l’institution. Cette génération Gülen a désormais atteint des postes de haut rang, ce qui explique pourquoi de nombreux gülenistes pourraient faire partie des conspirateurs à l’origine du coup d’État manqué du 15 juillet.

Latif Erdoğan estime que le travail de Gülen aux côtés de l’AKP a toujours été un mariage de convenance. Hizmet représentait l’« islam social », tandis que l’AKP était en faveur de l’« islam politique ».

Latif Erdoğan est aujourd’hui sur la même longueur d’onde que le président turc en accusant les gülenistes de nourrir des ambitions consistant à infiltrer et prendre le contrôle de l’État à l’aide de leur réseau, mais pas de manière transparente et à travers des élections.

« Je reconnais qu’il s’agit d’un État parallèle. Au début, notre objectif était d’éduquer les gens en religion et en morale, mais le mouvement est devenu politique lorsqu’il s’est développé. Gülen a changé et s’est tourné vers la politique ; il voulait être un leader capable de gouverner la Turquie. Nous avons commencé notre route ensemble avec un message spirituel, mais maintenant, celui-ci est seulement laïc. Il devrait y retourner », m’a-t-il affirmé à Istanbul en 2014, lors de sa première interview accordée à un correspondant occidental après sa séparation avec Gülen.

Latif Erdoğan a étudié avec Gülen à Izmir. Tous deux admiraient les enseignements de Saïd Nursi, un réformateur musulman originaire de l’est de la Turquie qui a écrit une série d’exégèses coraniques appelée Risale-i Nur et fondé un mouvement appelé Nur. Nursi, qui a ensuite été exilé par Atatürk dans une province reculée, soutenait que l’athéisme et le matérialisme entraînaient inévitablement la corruption. Quinze ans après la mort de Nursi, Latif Erdoğan et Gülen ont fondé leur mouvement, Hizmet, dans le but de créer des écoles et des universités visant à instaurer les normes les plus rigoureuses dans la vie publique.

Outre la différence entre l’« islam social » de Gülen et l’« islam politique » de l’AKP, il existe d’autres contrastes, selon Aykan Erdemir, qui était jusqu’à l’année dernière un député du Parti républicain du peuple, le parti kémaliste turc historique, et qui est désormais chercheur principal à la Foundation for Defence of Democracies, basée aux États-Unis.

« Gülen n’est pas un autoritaire islamique qui soutient les Frères musulmans. Je dirais que les gülenistes sont les héritiers de l’islam soufi anatolien, pieux et libéral sur le plan économique. Gülen est lui-même clairement pro-UE et pro-atlantique, favorable au libre-échange et pragmatique au sujet d’Israël », a-t-il expliqué à Middle East Eye en 2014. « Erdoğan est en son for intérieur un réactionnaire populiste et un adepte du capitalisme d’État et du capitalisme de connivence. Bien qu’il soit en faveur de l’UE et pro-atlantique, il s’agit seulement d’une position pragmatique. En réalité, il est contre. »

Aujourd’hui, le président turc fait face à des critiques de plus en plus fortes de la part de l’UE et des États-Unis pour la répression qu’il exerce contre tous les sympathisants présumés de Gülen au sein des institutions publiques et dans les médias. Son exigence quant à l’extradition de Gülen accentue également les tensions avec Washington.

Erdoğan en est aussi venu à soupçonner les États-Unis d’avoir soutenu le coup d’État en raison de leurs premières déclarations, jusqu’à ce qu’il rallie le peuple pour défendre la démocratie, entraînant l’échec du coup d’État. Si son soutien pour l’atlantisme était réellement uniquement pragmatique, le rapport pourrait bien s’inverser aujourd’hui.

Jonathan Steele | 27 juillet 2016

Jonathan Steele est correspondant à l’étranger et auteur d’études largement reconnues sur les relations internationales. Il était le chef du bureau du Guardian à Washington à la fin des années 1970 et à Moscou lors de l’effondrement du communisme. Il a écrit des livres sur l’Irak, l’Afghanistan, la Russie, l’Afrique du Sud et l’Allemagne, dont Defeat: Why America and Britain Lost Iraq (I.B. Tauris, 2008) et Ghosts of Afghanistan: The Haunted Battleground (Portobello Books, 2011).

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Source: MEE 

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