Photo de « Notre récit: Al Aqsa Flood.” (Hamas Media Office)

Le Hamas est le porte-parole de la frustration et du désenchantement des Arabes à l’égard de la notion de justice internationale. 

Contrairement aux récits occidentaux sur la guerre génocidaire israélienne à Gaza, le récit officiel du Hamas (qui a été publié sous la forme d’un document spécial en arabe et en anglais: « Le Hamas publie un document de 20 pages livrant «sa version des faits« ) construit le contexte dans lequel l’évasion du 7 octobre a été conçue et exécutée.

Pour les Arabes, le contexte commence avec l’invasion sioniste de la Palestine et le parrainage britannique du projet sioniste en terre sainte. Pour les gouvernements et les médias occidentaux, tout a commencé le 7 octobre ; tout était calme sur le front de Gaza auparavant. Rien ne s’est passé avant.

En fait, la propagande israélienne diffuse des images avant la guerre dans lesquelles Gaza est présentée comme une île de villégiature, où les plages et les parcs d’attractions remplissent le paysage.

Les faits racontent une autre histoire.

Le Hamas s’appuie sur ce qu’il appelle des « études statistiques documentées dans lesquelles il est établi qu’entre 2000 et 2023, l’armée d’occupation israélienne « a tué 11 299 Palestiniens et en a blessé 156 768 » (le chiffre semble gonflé, mais il n’enlève rien au fait qu’Israël tue des Palestiniens de manière régulière et constante depuis avant le 7 octobre, depuis avant 2005 et depuis avant 2000).

Le Hamas note que les États-Unis n’ont jamais exprimé la moindre sympathie pour les souffrances des Palestiniens et ont même continué à soutenir l’occupation et l’agression israéliennes pendant des années de carnage et de massacres contre les Palestiniens.

Cette note trouvera un écho parmi les Arabes, mais ne fera pas bouger la conscience occidentale, car le racisme a toujours été un facteur déterminant de la politique étrangère de l’Occident à l’égard de la région. Les vies arabes n’ont jamais eu autant d’importance que les vies israéliennes.

Le document du Hamas (en anglais) cite des rapports de l’ONU et même des rapports de Human Rights Watch, qui a toujours fait preuve d’insensibilité à l’égard des Palestiniens et des Arabes.

Je ne pense pas qu’il soit particulièrement utile pour les personnes sous occupation de citer les rapports de HRW, car cette organisation est le bras armé de l’impérialisme occidental. C’est HRW qui a créé la fausse équivalence entre la violence de l’occupant et la lutte armée de l’occupé.

Chaque rapport sur l’agression et les crimes de guerre israéliens doit être accompagné d’un rapport sur les crimes de guerre commis par les autochtones, ce qui annule la valeur juridique et le jugement moral des crimes de guerre israéliens, aussi massifs et réguliers soient-ils.

Le Hamas cite même l’étalage par Israël de son mépris pour les rapports de l’ONU sur les violations israéliennes des droits de l’homme.

L’échec du droit international et de la justice

Le Hamas est le porte-parole de la frustration et du désenchantement des Arabes à l’égard de la notion de justice internationale. L’explosion du 7 octobre était une révolte contre la foi dans le droit et la justice internationaux.

La guerre israélienne en cours contre Gaza n’a fait que renforcer la futilité de la confiance dans les organisations et les normes internationales. Le rapport de la Cour internationale de justice s’est avéré totalement inefficace dans la gestion des restrictions juridiques internationales au génocide israélien.

Le Hamas avait raison de dire que la coalition occidentale a toujours considéré Israël comme un État au-dessus des lois et qu’elle l’a autorisé à ignorer tous les traités et résolutions internationaux relatifs à son occupation de la Palestine.

Les États-Unis ont envahi l’Irak au nom de l’application des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, tandis qu’ils protègent Israël des demandes d’application des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la Palestine.

Mesure de dernier recours

Le document présente un argumentaire quasi-juridique en faveur de la mesure de dernier recours prise par le Hamas le 7 octobre.

Il indique que son raisonnement repose sur les éléments suivants:

1) l’échec de tous les espoirs de retour et de libération, après 75 ans de « souffrance et d’occupation », et les « résultats catastrophiques du processus de paix » ;

2) la judaïsation (de parcelles de terre) et les divisions « de lieu et de temps » dans la mosquée d’Aqsa et « l’augmentation du rythme des invasions provocatrices par les colons » dans la mosquée ; les pratiques de la coalition sioniste d’extrême droite pour renforcer le contrôle sur la Cisjordanie et finaliser la souveraineté israélienne sur Jérusalem, ainsi que le plan d’expulsion des Palestiniens de Cisjordanie ; le mépris international pour la situation critique de milliers de prisonniers palestiniens ; le mépris pour « l’injustice de l’occupation » ; et le mépris pour « l’injustice de l’occupation » ; le mépris pour le « siège injuste » imposé à la bande de Gaza, qui a été laissée « mourir à petit feu » ; l’augmentation des colonies israéliennes en Cisjordanie au rythme le plus rapide et la montée de la violence et des crimes des colons ; l’inaction face à l’espoir de 7 millions de Palestiniens (dans la diaspora) de retourner dans leur patrie ; et l’impuissance de la « communauté internationale » face à la création d’un État palestinien.

Le Hamas a placé son attaque de rupture dans le contexte d’une « réponse nationale » à ces pratiques et de « l’expression de l’initiative du peuple » pour « défendre ses droits, sa terre et ses lieux saints ».

C’est avec assurance que le Hamas affirme que son opération était « une étape nécessaire et une réponse naturelle » aux plans israéliens qui visent à « liquider le problème palestinien ».

Ce document du Hamas emprunte le jargon gauchiste et la littérature politique du Front populaire de libération de la Palestine des années 1970, ce qui montre que la rhétorique politique du mouvement est devenue nettement moins islamiste et de plus en plus anticoloniale.

 

Patrouille du FPLP en Jordanie, 1969. (Thomas R. Koeniges – LOOK Magazine, Wikimedia Commons)

Il énumère ensuite ses objectifs : mettre fin au siège de Gaza, se débarrasser de l’occupation, restaurer les droits nationaux, atteindre « l’indépendance et la liberté », ainsi que le droit à l’autodétermination et la création d’un État palestinien indépendant, avec Jérusalem pour capitale.

(Il convient de noter que le Hamas ne précise pas les frontières du futur État, ni s’il englobe uniquement la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem ou davantage).

Éviter les civils

En ce qui concerne l’exécution de l’opération du 7 octobre, le Hamas explique, à la page 8 du document, qu’il a toujours évité de viser les civils. Ce n’est peut-être pas vrai car les attentats suicides, même s’ils ne visent pas nécessairement les civils, ne font pas la distinction entre les cibles civiles et les cibles militaires.

Le Hamas a rappelé à son auditoire qu’après le massacre d’Hébron (par un Israélien) en 1994, il avait lancé une initiative appelant à éviter de prendre les civils pour cible en temps de guerre. Il a indiqué qu’il avait réitéré cette offre alors qu’Israël l’ignorait et continuait à tuer des civils.

Dans la nuit du 7 octobre, le Hamas déclare que « des erreurs ont pu être commises lors de la mise en œuvre de l’opération « Déluge d’Aqsa » » en raison de l’effondrement total et rapide de l’ordre militaire et sécuritaire israélien et qu’un certain chaos s’est produit après l’infiltration à travers la clôture et l’appareil de sécurité séparant Gaza et la zone d’opération à l’intérieur d’Israël.

Le document réfute les mensonges et les fabrications qui proviennent tous des Israéliens. Il donne des exemples de mensonges révélés et cite Mondoweiss. Cette section montre un changement majeur dans la stratégie médiatique et de propagande du mouvement.

Outre le déclin de la composante religieuse de la rhétorique, le nouveau Hamas de Yahya Sinwar est plus sensible à l’opinion publique mondiale, notamment en ce qui concerne les atteintes aux civils.

Sinwar, à gauche, lors d’un exercice des forces de police à Gaza en 2012. (Fars Media Corporation, Wikimedia Commons, CC BY 4.0)

Le mouvement a catégoriquement nié les histoires de viol, bien que les médias occidentaux n’aient pas relayé ces démentis parce qu’ils sont en contradiction avec les récits implantés par les Israéliens.

Le Hamas se réfère également à juste titre à des récits vérifiés selon lesquels les tirs israéliens ont tué de nombreux Israéliens cette nuit-là, tout comme ils ont tué des Israéliens plus tard lors des bombardements sauvages et aveugles de Gaza.

Le Hamas et le Hezbollah n’ont jamais, dans toute leur histoire, commis d’infractions sexuelles connues, car leur code religieux et moral interdit strictement de tels actes. En outre, le document affirme que de nombreux civils israéliens sont en réalité des colons armés ou des réservistes de l’armée d’occupation.

Le Hamas s’est déclaré prêt à accepter une enquête indépendante et équitable et s’est dit convaincu qu’il prouverait son innocence.

Dans le document, le Hamas demande aux États-Unis, à l’Allemagne, au Canada et au Royaume-Uni en particulier de permettre à la Cour pénale internationale de mener une enquête sur les crimes qui ont été commis. Bien entendu, ni les États-Unis ni Israël ne permettraient à la CPI de mener une enquête qui documenterait inévitablement les crimes commis par Israël.

À la fin, le document salue « les peuples libres de tous les pays du monde » (sans distinction de religion, de nationalité ou d’orientation). Cela souligne la nouvelle orientation du mouvement, sur les traces du Hezbollah, et montre que le mouvement a intégré la rhétorique des mouvements progressistes, de gauche et de libération.

Le document n’a pas attiré l’attention de la presse occidentale parce que l’Occident traite Israël comme un pays véridique et les Arabes comme des menteurs : de vieux clichés orientalistes.

As`ad AbuKhalil

As`ad AbuKhalil est un professeur libano-américain de sciences politiques à la California State University, Stanislaus. Il est l’auteur du Dictionnaire historique du Liban (1998), de Ben Laden, Islam and America’s New War on Terrorism (2002), de The Battle for Saudi Arabia (2004) et dirige le blog populaire The Angry Arab. Il tweete sous le nom de @asadabukhalil

Lire aussi: Le Hamas et l’opinion publique arabe

Source: Consortiumnews.com, 7 mars 2024

Traduit de l’anglais