Marc Chesney


Credit suisse

Si l’on veut regagner la confiance de la population, il faut la protéger des excès du monde de la finance

Les lampions sont éteints, la fête est finie pour Credit Suisse (CS). Les membres de la direction et du conseil d’administration quittent temporairement le tapis vert feutré du monde de la finance de casino – la mine grave, les poches pleines et le cœur léger. Les regrets et excuses de circonstance sont de mise. Ils auraient fait de leur mieux


Par Marc Chesney – 7 avril 2023 – infosperber.ch


C’est d’ailleurs pour cela qu’ils étaient grassement payés.

Mais, convainquez-vous-en chers lecteurs, la malchance, les rumeurs, voire les complots de l’étranger, auraient eu raison de leur modèle d’affaires, de leur savante gestion des risques et de leur habilité à «regagner la confiance des marchés financiers».

C’est d’ailleurs ce qui nous est répété à satiété ces derniers temps, et c’est bien de cela qu’il s’agirait, de regagner cette confiance qui faisait tellement défaut et dont l’absence nous empêchait parfois de dormir. Ce serait l’essentiel et ce pour quoi il faudrait investir des montants énormes.

Gagner la confiance de la population, en la protégeant des dérives de la finance et de ses joueurs de poker, n’est manifestement pas à l’ordre du jour.

Retraçons la chronologie des faits.

35 années de finance casino

L’achat de First Boston par CS en 1988 a scellé l’entrée de cette dernière dans la cour des grands de la finance casino, avec ses paris à grande échelle. Le modèle d’affaires allait changer. Au lieu de se limiter à engranger les intérêts liés aux prêts octroyés et à gérer des actifs, il s’agissait de se focaliser sur les activités de fusions et d’acquisitions ainsi que sur celles associées aux produits dérivés traités dans d’immenses salles de marchés. L’objectif était de générer rapidement d’énormes profits, les pertes étant en dernière instance assumées par le contribuable. Ce nouveau modèle est devenu la référence pour les grandes banques, dont CS.

15 années de cécité consciente

La faillite de la banque Lehman Brothers et plus généralement la crise de 2008 ont mis en évidence le caractère moribond et néfaste de ce modèle.

Le cocktail composé de produits financiers complexes et toxiques, d’é normes dettes, de rémunérations grotesques pour les directions des institutions financières et leurs traders, ainsi que d’un cynisme sans limite, ont presque fait exploser ce système.

Pourtant, les mondes politique et académique – en économie et finance – ont en majorité pudiquement détourné le regard et oublié qu’ils se devaient de représenter les intérêts du contribuable et du citoyen. La finance débridée a ainsi pu continuer à tourner en roue libre, pour le plus grand plaisir de ses groupes de pression.

J’avais déjà attiré l’attention sur ces problèmes, entre autres dans mes tribunes dans «Le Temps» en 2018: La faillite de Lehman Brothers est celle d’un système. Et en 2022: CS – la débâcle de Casino Suisse. Rien qu’en 2020, la valeur nominale de ces produits financiers complexes, dits «dérivés», représentait pour CS environ 25 fois le produit intérieur brut (PIB) suisse!

Une semaine de panique

Du 13 au 19 mars 2023, la confusion et la panique ont régné. Le 15 mars, la Banque nationale suisse (BNS) et l’autorité de surveillance Finma ont rassuré et tous les médias l’ont diffusé: «Credit Suisse satisfaisait aux exigences strictes en matière de fonds propres et de liquidités imposées aux banques d’importance systémique.» Ce qui n’a pas dissuadé la banque, peu après cette déclaration, de tout de même demander un prêt de 50 milliards de francs, soi-disant pour rassurer les marchés financiers. Ils ne le sont restés plus longtemps que quelques heures: 50 milliards n’étaient pas suffisamment rassurants.

Les spéculateurs sur les marchés financiers en voulaient plus.

Deux jours pour trouver une solution

Sous la pression des dirigeants américains – qui craignaient que l’effet domino initié chez eux avec la faillite de la Silicon Valley Bank continue à se propager –, une solution a été bricolée dans l’urgence et l’opacité, durant le week-end des 18 et 19 mars, avec le rachat pour un prix symbolique de CS par UBS, devenant ainsi l’Union des banques systémiques. Etant donné l’utilisation du droit d’urgence, des actes essentiels du contrat restent secrets.

Toutes les régulations mises en place depuis 2008 – par exemple pour une procédure d’insolvabilité avec sauvetage de l’activité suisse – ont été ignorées. On a créé un mastodonte, qui contrôlera la Suisse plutôt que d’être contrôlé par elle. Le bilan de cette nouvelle UBS serait de l’ordre de deux fois et demie le PIB de la Suisse, et la valeur nominale de ses produits dérivés d’environ 30 à 40 fois cette somme.

90 minutes d’exercices en communication

Le dernier acte de cette farce – qui prêterait à rire s’il n’était pitoyable – a consisté à rassembler les protagonistes de cette affaire à la même table. Ceux-là mêmes qui affirmaient quelques jours auparavant que CS remplissait les exigences en matière de capital et de liquidités imposées aux banques d’importance systémique.

Lors de la conférence de presse du 19 mars, ils ont expliqué que la reprise était la meilleure solution pour la Suisse afin de rétablir la confiance des marchés financiers.

Ainsi, au-delà de la chute de CS, il s’agit

  • de la faillite du système financier, transformé en casino;
  • de l’échec d’une élite politique qui a tout laissé faire pendant 15 ans;
  • de la défaillance du monde académique dans ce domaine, qui, trop souvent, a fait preuve d’une complaisance déplacée à l’égard des institutions financières.

Les citoyens se doivent d’être vigilants, sinon les fêtes et les faillites vont perdurer.

Marc Chesney, né en 1959, est professeur de finance quantitative à l’Université de Zurich. Il défend un point de vue critique à l’égard des marchés financiers et des grandes banques. Il est l’auteur de divers articles sur les dangers liés à la taille et à la complexité de la sphère financière. Marc Chesney est membre de Finance Watch.

Source: https://www.infosperber.ch/wirtschaft/konzerne/credit-suisse-eine-nachlese-zum-ende-der-party 

Traduction «Point de vue Suisse»