Petit à petit, Washington concocte inexorablement une provocation majeure avec la Chine. Jusqu’à maintenant, le régime Obama a resserré son encerclement militaire de la Chine, en prolongeant les accords entre ses forces armées et le Japon, les Philippines et l’Australie. Il fait aussi valoir le Partenariat transpacifique (PTP), un accord commercial régional excluant ouvertement la Chine. Obama a ordonné un renforcement naval majeur en mer de Chine méridionale et s’est lancé dans un cyber espionnage intensif des industries et du gouvernement chinois par le truchement des grandes entreprises de haute technologie étasuniennes, comme l’a révélé Edward Snowden en publiant des documents confidentiels de la NSA.
Au moment même où le président Xi Jinping se prépare en vue de sa première visite aux États‑Unis à titre de dirigeant de la Chine le 25 septembre, avec l’intention de resserrer les liens économiques entre la Chine et les entreprises étasuniennes (notamment les entreprises de haute technologie à Seattle et dans la Silicon Valley), le régime Obama menace d’imposer une série de sanctions punitives contre des entreprises et des ressortissants chinois pour « cyber espionnage », compromettant ainsi l’objet de son voyage.
Traiter les Chinois de « cybervoleurs » et imposer des sanctions à des entreprises chinoises juste avant la visite de Xi sont des façons de faire qui seront perçues, à juste titre, comme une humiliation et une provocation délibérées, qui visent à traiter la Chine comme un simple vassal de Washington.
Cela obligera le gouvernement chinois à riposter au nom des entreprises chinoises, et le président Xi est tout à fait capable d’imposer des contre-sanctions frappant des entreprises de haute technologie étasuniennes multimilliardaires qui étaient florissantes en Chine jusqu’à maintenant.
La décision d’Obama de provoquer la Chine sur différents fronts met en lumière l’influence prépondérante de la mouvance militariste à Washington représentée par le Pentagone, la NSA et les idéologues sionistes et militaristes.
Contrairement aux tenants de la politique offensive de Washington, les grandes entreprises de haute technologie étasuniennes sont quasi unanimes dans leur opposition au « pivot militaire » d’Obama et sont consternées par la menace de cybersanctions en les qualifiant à juste titre de « provocations inutiles ».
Pour sa part, Wall Street a adopté une position mitoyenne, en espérant que Washington forcera la Chine à « ouvrir » ses marchés financiers protégés aux grandes banques étasuniennes. Wall Street n’appuie pas nécessairement des sanctions musclées, qui risquent d’amener la Chine à fermer la porte aux possibilités lucratives associées au plus grand marché financier du monde.
Toile de fond à une confrontation lourde de conséquences
La croissance de la Chine et son expansion économique outre-mer menacent de plus en plus la suprématie du marché par les États-Unis en Asie, en Afrique et en Amérique latine.
Les relations de la Chine avec les multinationales des États-Unis, de l’UE et du Japon ont changé du fait de ses avancées technologiques récentes dans les secteurs de la fabrication et des services, qui ont fait en sorte que sa production est en hausse dans la chaîne de valeurs. Les Chinois demandent de plus en plus de transferts technologiques à leurs partenaires multinationaux et utilisent davantage des pièces fabriquées localement dans leurs usines d’assemblage.
L’expansion économique et la maturité industrielle de la Chine ont suscité des réponses divergentes parmi les élites à Washington, dans la Silicon Valley et à Wall Street.
Divergence parmi les élites étasuniennes
Le Pentagone et la Maison-Blanche ont créé leur « pivot militaire » en réponse à l’ascension de la Chine comme puissance économique mondiale. Il s’agit essentiellement d’une politique de confrontations stratégiques, qui comprend un encerclement militaire dans le cadre d’ententes relatives à des bases régionales, une exclusion économique délibérée au moyen d’accords commerciaux régionaux, et une provocation politique par la menace de sanctions. Les bases militaires étasuniennes prennent de l’expansion et une véritable armada patrouille la frontière maritime de la Chine. Des avions de chasse étasuniens volent au‑dessus des installations insulaires revendiquées par Pékin et le Département d’État des États‑Unis pousse les voisins de la Chine à marquer leurs propres revendications territoriales en mer de Chine méridionale.
La Maison-Blanche et son Département d’État ultra militariste ont lancé une campagne de propagande à grand déploiement par l’entremise des médias de masse étasuniens, qui criminalise la Chine en l’accusant sans fondement d’espionnage. La portée, l’intensité et la fréquence de ces accusations indiquent que cette campagne n’est pas un quelconque stratagème diplomatique pour tirer des concessions dans le cadre de relations autrement pacifiques. La criminalisation de la Chine par Washington vise à provoquer une rupture totale des relations diplomatiques, politiques et économiques et à se préparer en vue de confrontations militaires violentes.
La campagne de criminalisation de la Chine lancée par Washington comprend des affirmations hystériques selon lesquelles la Chine s’adonne au vol des droits de propriété intellectuelle des États‑Unis à grande échelle et à long terme. En attribuant faussement les avancées technologiques de la Chine au « vol », Washington dénigre les réalisations scientifiques et technologiques endogènes de ce pays, tout en criminalisant Pékin et les entreprises chinoises.
Ces dernières années, les États‑Unis ont arrêté des scientifiques chinois et ont délivré des mandats contre d’autres, en les accusant d’espionner des entreprises étasuniennes. Le FBI a par la suite abandonné discrètement les accusations portées contre plusieurs d’entre eux pour manque de preuves, non sans avoir au préalable détruit leur carrière. L’impact de la propagande négative sur la population des États‑Unis a été concluant, les universitaires et les scientifiques chinois étant perçus comme des espions. Des documents révélés par le lanceur d’alerte Edward Snowden à propos de la NSA (l’Agence nationale de la sécurité) démontrent clairement que ce sont les États-Unis qui s’adonnaient à un espionnage à grande échelle de Pékin, en utilisant les grandes entreprises de TI étasuniennes actives en Chine comme principal vecteur du vol de données.
Les États-Unis ont accusé la Chine de violer les normes internationales concernant la gouvernance de l’Internet, en affirmant que le pouvoir chinois exerce une censure et un contrôle à l’endroit des entreprises de TI étasuniennes et de ses propres citoyens. Autrement dit, Washington renie la souveraineté chinoise en revendiquant une compétence extraterritoriale de l’Internet! Dans le même ordre d’idées, Washington prétend que la Chine bloque l’accès des États-Unis au marché en exigeant que les organismes publics fassent appel à des fournisseurs chinois et que les sociétés des États-Unis stockent leurs données en Chine. La Chine a adopté ses nouvelles politiques après avoir découvert que les multinationales étasuniennes travaillaient main dans la main avec la NSA et d’autres services du renseignement des États‑Unis. Faut‑il s’étonner alors que la Chine ait cherché à protéger ses secrets industriels et commerciaux, ainsi que sa sécurité nationale, en limitant l’accès aux entreprises de TI étasuniennes?
La « presse financière » s’en va-t-en guerre à propos des marchés
La campagne de provocation de Washington, qui cherche à criminaliser la Chine et les industries chinoises, est amplifiée dans les pages financières de journaux étasuniens et britanniques respectables. Il est frappant de constater le degré qu’ont atteint le Wall Street Journal et le Financial Times (les principaux journaux financiers anglo-américains) comme ardents défenseurs de la politique militariste et conflictuelle d’Obama, au lieu de servir les intérêts commerciaux de la communauté des affaires en évaluant l’impact des sanctions sur les multinationales étasuniennes du secteur de la haute technologie et en présentant leur position beaucoup plus modérée.
La campagne stridente de la presse financière vise à dépeindre la Chine comme un criminel institutionnel, tout en faisant fi de l’opposition des grandes entreprises étasuniennes à toute intervention militaire inconsidérée. La campagne de propagande avertit l’élite des TI aux États‑Unis de l’imposition imminente d’une avalanche de sanctions économiques contre les cyberindustries chinoises émergentes. Ces sanctions pourraient être annoncées avant même la visite du président Xi Jinping aux États‑Unis, si les militaristes imposent leurs vues.
Sanctions de la Maison-Blanche : les divergences de la politique étasunienne
Malgré la rhétorique de la Maison-Blanche et l’hystérie anti chinoise, la plupart des entreprises de TI étasuniennes ont engrangé d’immenses profits de leurs ventes et de leurs ententes commerciales avec l’État chinois et les entreprises chinoises. Selon un cadre dirigeant, « Le succès d’Apple est phénoménal, les ventes de son iPhone ont grimpé de 75 % en Chine au cours de la dernière année (2014) » (FT 9/12 – 9/13/15).
Les hauts dirigeants des TI ont exprimé leur volonté de se conformer aux demandes de la Chine qui souhaite un changement dans leur façon de faire des affaires, y compris sur le plan des transferts technologiques, parce qu’ils voient « d’énormes possibilités (de profit) à court terme ». La dernière chose que la Silicon Valley souhaite, c’est que Washington provoque des représailles hostiles de la part de la Chine si Obama impose des sanctions, ce qui entraînerait la perte de centaines de milliards de dollars!
Au sein de l’administration Obama nettement militarisée et « sionisée », où la politique fondée sur la provocation et la guerre domine, ce ne sont pas les multinationales qui ont le dernier mot.
Maturité du capitalisme chinois et innovation endogène
La maturité du capitalisme chinois s’est accompagnée de changements significatifs. En 2006, les dirigeants chinois ont annoncé une nouvelle politique de promotion de « l’innovation endogène ». Cette politique visait deux objectifs : moins dépendre de la technologie étrangère et répondre à la menace croissante d’espionnage de la part de Washington par le truchement d’entreprises de haute technologie étasuniennes présentes en Chine.
Conformément à ces objectifs stratégiques, la Chine a statué en 2009 que seules les entreprises dont la technologie est mise au point localement seraient autorisées à soumissionner pour des contrats de marché public.
En 2010, les activités de Google en Chine ont cessé lorsqu’il a été révélé que l’entreprise servait de « courroie de transmission » de données sensibles concernant la Chine à la NSA. Washington a aussitôt dénoncé la Chine en disant qu’elle « censurait » Google.
En prenant son élan, la politique d’innovation endogène menaçait le monopole du marché chinois de la haute technologie exercé par les multinationales étasuniennes. Celles‑ci ont donc pressé Washington d’intervenir et de forcer la Chine à « ouvrir » ses marchés à la domination étasunienne.
Du point de vue stratégique, ce raccordement entre les multinationales des TI étasuniennes et Washington a eu un effet boomerang. Espionner pour le compte de la NSA a peut‑être permis au secteur de la haute technologie d’obtenir des faveurs à court terme, mais au détriment des relations stratégiques avec la Chine et son marché lucratif. Les magnats des TI ont alors revu leur stratégie en cherchant à obtenir une plus grande autonomie par rapport à la NSA, afin de regagner la confiance de la Chine et de réintégrer son marché.
Diplomatie de haute technologie
Les multinationales du secteur de la haute technologie sont prêtes à accueillir le président chinois Xi au cours de sa visite, car elles y voient une possibilité de renouer et d’étendre leurs relations. L’élite du monde des affaires dans la Silicon Valley et à Seattle s’oppose aux sanctions contre la Chine, alors que la Maison-Blanche prétend agir dans leurs intérêts.
L’élite du secteur de la haute technologie aux États-Unis sait fort bien que les entreprises de TI étasuniennes doivent satisfaire aux demandes de la Chine en matière de transfert et de partage de la technologie. C’est une perspective réaliste, car si on ne partage pas les marchés, la technologie et les ventes, on risque de tout perdre.
Apple, IBM, CISCO et Qualcomm ont déclaré qu’ils préféraient se conformer à la politique d’innovation endogène plutôt que d’encaisser de lourdes pertes ou d’être exclus totalement du marché chinois.
Même Google, qui s’est fait le complice consentant de la NSA et qui a été évincé pour cause d’espionnage contre la Chine, cherche maintenant à obtenir l’autorisation de réintégrer le marché d’une façon limitée.
Diplomatie de Wall Street : pression plutôt que provocation
De leur côté, les grands banquiers de Wall Street veulent que la Maison-Blanche fasse pression sur la Chine pour qu’elle déréglemente ses marchés financiers. Ils souhaitent que la Chine permette aux fonds de placement à haut risque et aux spéculateurs de vendre à découvert et de faire baisser artificiellement la valeur des titres chinois, ce qui augmenterait la volatilité et découragerait les investisseurs.
On se demande si la « pression » privilégiée par Wall Street va jusqu’à l’imposition de sanctions économiques punitives. Après tout, l’accès financier limité accordé dans les circonstances actuelles est beaucoup plus lucratif que le spectre de l’exclusion totale du marché chinois en représailles aux sanctions de la Maison-Blanche.
Conclusion
Les deux réunions qui se tiendront parallèlement pendant la visite du président Xi font ressortir les approches et les intérêts divergents parmi les élites impérialistes étasuniennes, qui opposent les puissants PDG des entreprises de TI aux militaristes du Pentagone et de la Maison-Blanche.
Au cours de cette visite, Xi s’arrêtera à Seattle pour s’entretenir avec de hauts dirigeants du secteur des TI, dans le cadre du Forum Chine – États-Unis de l’industrie d’Internet. Le moment et le lieu (Seattle) du Forum n’ont rien d’une coïncidence. La date du Forum a été planifiée par les Chinois et montre leur influence et leur capacité à monter les puissantes élites économiques étasuniennes contre les bellicistes de Washington et les militaristes du Pentagone.
La Maison-Blanche cherche à provoquer la Chine depuis qu’Obama a annoncé son soi‑disant « pivot vers l’Asie ». Les menaces de guerre se sont affirmées ces deux dernières années, avec le soutien et les encouragements d’une campagne de propagande sans merci qui dénigre les résultats scientifiques et économiques de la Chine tout en exagérant les craintes à l’égard de ses programmes de modernisation de son système de défense. Lorsqu’on lit le Wall Street Journal ou le Financial Times, on a l’impression que l’économie chinoise est sur le point de s’écrouler. Ces journaux qualifient de « catastrophique » la baisse projetée de la croissance annuelle de 7,3 % à 7 %! Si la croissance de l’Union européenne et des États‑Unis parvenait à la moitié de ce taux, les scribes parleraient de « miracle économique »!
Le dénigrement de l’économie chinoise, les descriptions des Chinois comme des voleurs industriels qui pratiquent l’espionnage et ont un comportement criminel, et les mises en garde paranoïaques au sujet de la croissance de la « menace militaire de la Chine » font partie d’une montée en pression systématique pour faire échec aux relations économiques lucratives entre la Chine et les entreprises de TI et d’autres secteurs économiques dominants aux États-Unis.
Les sanctions projetées par Washington contre la Chine vont coûter bien plus cher aux multinationales étasuniennes que celles qui sont en place contre la Russie. Les sanctions imposées contre Moscou ont surtout causé du tort aux industries et aux entreprises basées en Europe. Les sanctions contre la Chine auront toutefois un impact considérable sur l’économie des États‑Unis.
La perception du « péril jaune » par la Maison-Blanche n’a de conséquence positive pour aucun secteur de l’économie étasunienne. C’est l’expression la plus pure du militarisme incontrôlé. Elle prime sur tout intérêt économique rationnel dans le but de parvenir à une suprématie géopolitique et militaire pure et dure. Mais quand bien même Washington imposera ses vues, il ne parviendra pas à cette suprématie militaire, comme il le découvrira tôt ou tard. Dans l’intervalle, la Chine approfondit ses relations militaires avec la Russie.
Dès que Washington fera surgir le spectre des sanctions contre la Chine (accompagné d’insultes gratuites et d’accusations sans fondement de « cybervol » parrainé par l’État), le gouvernement chinois va rétorquer.
Le président Xi adoptera des mesures de représailles comme il l’a fait auparavant, en réponse à des menaces moins graves. Il bénéficiera aussi du soutien de la grande majorité des Chinois de toutes les régions et de toutes les classes.
Les entreprises de TI étasuniennes sont sensibles à cette débâcle potentielle et ont ouvertement et fortement exprimé leurs points de vue à Washington. Pour elles, le soi‑disant « cybervol » est un problème mineur comparativement aux lucratives possibilités stratégiques à long terme d’une collaboration avec la Chine.
Pour l’instant, ce sont les militaristes de la Maison-Blanche d’Obama qui dirigent la politique des États-Unis à l’égard de la Chine. Jusqu’à maintenant, ils ont fait fi des intérêts des grandes entreprises étasuniennes, que ce soit dans le secteur du pétrole en Irak et en Libye ou des TI en Chine.
Si les éléments sionistes intégrés au pouvoir exécutif influencent les militaristes au chapitre de la politique au Moyen-Orient, ce sont les militaristes purs et durs qui influencent les sionistes en Extrême-Orient.
Si la politique au Moyen-Orient préconisée par les militaires étasuniens est un échec, l’adoption d’une politique similaire à l’égard de la Chine sera catastrophique.
Les sanctions et l’humiliation imposées par les États‑Unis contre la Chine et la détérioration des relations qui s’en suivra se feront sentir peu à peu. Cela commencera par une dégringolade du nombre de coentreprises et des exportations, ce qui entraînera la multiplication des grues immobilisées et des porte-conteneurs qui rouillent dans les ports de la côte Pacifique, des pertes de profit et des clubs privés vides dans la Silicon Valley, et des ventes perdues pour les constructeurs automobiles étasuniens. La liste est infinie, mais les conséquences sont claires.
James Petras | 19 septembre 2015