Des Palestiniens transportent des blessés et tentent d’éteindre un incendie après une frappe aérienne israélienne sur une maison du camp de réfugiés de Shaboura, dans la ville de Rafah, au sud de la bande de Gaza, le 17 novembre 2023. (Abed Rahim Khatib)

Je vous écris aujourd’hui après six mois de dévastation à Gaza, au rythme des violations commises contre ses habitants restés sur place, des déplacements massifs et de l’impossibilité de communiquer en raison des actions délibérées de l’occupation pour nous maintenir confinés dans un petit espace sous le contrôle arbitraire d’Israël.

Au fil de ces journées éprouvantes, on a assisté à de nombreuses scènes déchirantes de faim, de soif, et d’humiliation.

Le nombre de nos victimes s’élève à ce jour à plus de 33 000, dont près de 14 000 enfants et plus de 9 000 femmes, sans parler des membres de la protection civile, des ambulanciers, des travailleurs humanitaires, du personnel de l’ONU et des anciens.

Chacun d’entre eux raconte une histoire héroïque, incarnant des familles qui vivaient autrefois dans la paix et l’espoir. Après le 7 octobre, l’occupation a mis sa menace à exécution, anéantissant le bonheur, les aspirations et les rêves.

Je me souviens de mon cher voisin Ibrahim al-Madhoon, 90 ans, qui avait l’habitude de boire chaque matin sur le pas de sa porte une tasse de thé que lui préparait sa femme Nisreen. J’avais l’habitude de les regarder, dans leurs moments de joie, souriant instinctivement à leur vue.

Leur maison a été bombardée et tous deux ont été tués. La tasse de thé a été brisée, et les rires qui animaient le quartier se sont tus.

Je me souviens de mon ami Hazem, qui nourrissait les pauvres. Il était très généreux.

Après le 7 octobre, j’ai trouvé Hazem abattu et malheureux, malade à cause de la rareté de la nourriture à Gaza et de la consommation d’eau contaminée, qui a maintenant un goût d’égout. Il faisait la queue pour recevoir l’aide humanitaire, un repas insuffisant pour une personne, fourni tous les trois jours pour toute la famille.

J’ai été déplacé loin de ma maison, qui me semble aujourd’hui un palais, le 13 octobre, pour rejoindre Khan Younis, dans le sud du pays. Cette décision m’a été imposée par les forces d’occupation israéliennes, qui ont déclaré que le sud était une zone humanitaire où il n’y aurait pas de bombardements.

De la maison à la tente

Le 26 octobre, cependant, ma perception de cette nouvelle réalité s’est éclaircie. J’étais dans la rue pour aller acheter du pain lorsqu’un bloc entier du quartier que je venais de quitter a été bombardé.

J’ai failli devenir une victime statistique. L’explosion était si proche et si forte que j’ai perdu l’ouïe et la parole pendant 20 minutes, en essayant de comprendre ce qui se passait.

J’ai vu les habitants du quartier courir et crier des mots que je pouvais à peine comprendre – “mort”, “sortez les survivants des décombres” – et j’ai couru aussi vite que j’ai pu, sans savoir où aller, avec juste ces quelques mots qui me venaient à l’esprit : nous ne sommes plus nulle part en sécurité.

J’ai ensuite consulté les actualités et les réseaux sociaux pour découvrir que de nombreux gouvernements dans le monde étaient contre nous, sur ce petit territoire plein d’histoires, de rêves et de bonheur au travers de toutes ses rues. J’ai perdu l’espoir que ce génocide se termine bientôt, et j’ai réalisé que telle serait désormais notre vie – oscillant entre angoisse et terreur.

Nous avons encore été déplacés plus au sud. Les militaires génocidaires nous ont forcés à nous rendre à la périphérie de Khan Younis, la décrivant à nouveau comme une zone humanitaire sûre.

Nous n’avions pas d’autre choix que de suivre les instructions de l’armée, en espérant que cela nous sauverait de la mort, tout en sachant très bien que non, il n’y plus d’endroit sûr.

Nous sommes passés d’une maison à une tente. Nos nouvelles conditions de vie n’offrent pas la moindre protection, que ce soit contre le froid et la pluie, ou contre les roquettes et les obus.

Les habitants de Gaza sont devenus des habitants sous la tente, sans intimité ni sécurité.

Les interrogations autour du ramadan

Le mois du ramadan a suscité de nombreuses questions.

Le ramadan sous la tente ?

Le ramadan en temps de guerre ?

Où trouverons-nous de quoi manger ?

Comment rompre le jeûne pour le compenser ?

Toutes ces questions se bousculent dans l’esprit des gens affamés, malades, déplacés et sans abri.

Je n’entends aucun rire nulle part, je n’entends que des pleurs à la mémoire des morts et de la ville de Gaza.

Je vois des enfants qui pleurent de douleur parce qu’ils ont faim, et des femmes qui attendent de recevoir des médicaments et des traitements pour leurs enfants atteints de maladies de peau, d’infections gastro-intestinales et d’hépatite. J’ai vu un enfant souffrir et sa famille incapable de faire quoi que ce soit faute de médicaments ou de personnel médical pour le soigner.

À Gaza, si vous tombez malade, soit vous attendez la miséricorde de Dieu, soit vous attendez la mort. Il n’y a que peu ou pas de traitement.

Si tous les Palestiniens de Gaza racontaient les pertes et les souffrances qu’ils ont subies, la mer s’assécherait avant que ces histoires ne se terminent. Nous avons perdu nos villes et nos villages, leurs souvenirs, leurs rues, leurs écoles, leurs mosquées et leurs églises.

L’histoire et le présent de Gaza sont en train d’être anéantis.

Au cœur de chaque défi germe la graine de l’espoir, et chaque tragédie fait rejaillir la force de la résilience et du courage. Malgré toutes les blessures, l’histoire de Gaza est empreinte de tendresse, de volonté et d’espoir.

Gaza a été confrontée aux conditions les plus atroces, mais elle n’a jamais abdiqué et n’a jamais cessé de rêver d’un avenir meilleur. En chacun de ses habitants réside le courage de lutter et le désir de construire un avenir qui redonne à Gaza sa beauté et sa paix.

La résilience et la volonté de vivre dans la dignité brûlent en nous. Avec chaque jour qui passe, l’espoir demeure et la volonté d’aller de l’avant se renforce en dépit de toutes les épreuves.

Mohammed Abu Shamala, 5 April 2024

Mohammed Abu Shamala a grandi dans le camp de réfugiés de Khan Younis, à Gaza. Sa famille est originaire de Beit Daras, où les villageois ont été déplacés de force par les milices sionistes en 1948.

Source:https://electronicintifada.net/content/six-months-genocide-gaza-hasnt-surrendered/45586