Ci-dessus : Soljenitsyne avec Heinrich Böll à Langenbroich, Allemagne de l’Ouest, 1974.
“Les hommes n’acceptent pas la vérité des mains de leurs ennemis, et la vérité leur est rarement offerte par leurs amis : c’est pour cela même que je l’ai dite”.
– Alexis de Tocqueville, La démocratie en Amérique
Par Edmund J. Mazza, PhD
Publié le 22 juillet 2022 sur Onepeterfive.com
Alexandre Soljenitsyne est le plus célèbre critique du communisme. En 1970, il a reçu le prix Nobel pour son ouvrage phare L‘Archipel du Goulag, qui s’est depuis vendu à des millions d’exemplaires (autant ou plus que le nombre réel de victimes). Si un homme a mérité le titre de “conscience morale de l’Occident” pendant la guerre froide, c’est bien Soljenitsyne.
Alors même qu’il a combattu les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été arrêté en 1945 par la police secrète soviétique. Le crime de Soljenitsyne ? Il avait écrit des lettres à un ami qui critiquait Staline (nom de code “le Patron”). Condamné à huit ans de camp de travail en Sibérie, son expérience douloureuse est décrite dans sa nouvelle, Une journée d’Ivan Denissovitch. Libéré pendant la période de déstalinisation de Nikita Khrouchtchev, Soljenitsyne est d’abord autorisé à publier ses révélations retentissantes sur les horreurs soviétiques, mais en 1974, il perd sa citoyenneté et est exilé en Allemagne de l’Ouest. En 1976, il s’est installé avec sa famille aux États-Unis, où il a continué à écrire et à prononcer des discours, dont un désormais prophétique “1978 Harvard Commencement Address“. En 1994, deux ans après la chute de l’Union soviétique, Soljenitsyne retourne en Russie et a continué à écrire jusqu’à sa mort en 2008.
Ce que le sage russe avait à dire dans une interview accordée au Moscow News le 28 avril 2006, concernant l’OTAN et l’Ukraine, est aussi prophétique qu’il est politiquement incorrect aujourd’hui :
“Les États-Unis placent leurs troupes d’occupation dans un pays après l’autre. C’est la situation de fait en Bosnie depuis 9 ans, au Kosovo et en Afghanistan depuis 5 ans chacun, en Irak depuis 3 ans jusqu’à présent, mais ce sera encore long là-bas. Il y a peu de différence entre les actions de l’OTAN et les actions individuelles des États-Unis. Voyant clairement que la Russie d’aujourd’hui ne représente aucune menace pour eux, l’OTAN développe méthodiquement et avec persistance son appareil militaire – à l’est de l’Europe et dans la partie continentale de la Russie du sud. Les révolutions de “couleur” bénéficient d’un soutien matériel et idéologique ouvert, et les intérêts nord-atlantiques sont paradoxalement introduits en Asie centrale. Tout cela ne laisse aucun doute sur le fait que l’on se prépare à un encerclement complet de la Russie, puis à la perte de sa souveraineté. Non, l’adhésion de la Russie à une telle alliance euro-atlantique, qui mène une propagande et l’introduction violente dans diverses parties de la planète de l’idéologie et des formes de la démocratie occidentale actuelle – ne conduirait pas à l’expansion, mais au déclin de la civilisation chrétienne.
Ce qui se passe en Ukraine, même depuis le libellé faussement construit du référendum de 1991 (j’ai déjà écrit et parlé de ce sujet), est mon amertume et ma douleur constantes. La suppression et la persécution féroces de la langue russe (qui, lors de sondages antérieurs, était reconnue comme langue maternelle par plus de 60 % de la population ukrainienne) est tout simplement une mesure exécrable, et également dirigée contre la perspective culturelle de l’Ukraine elle-même. De vastes étendues de terres qui n’ont jamais appartenu à l’Ukraine historique, comme la Novorossia, la Crimée et toute la région du sud-est, ont été intégrées de force dans l’État ukrainien actuel et sa politique d’adhésion avide à l’OTAN. Durant tout le mandat d’Eltsine, il n’y a pas eu une seule réunion avec les présidents ukrainiens sans capitulations et concessions de sa part. L’expulsion de la flotte de la mer Noire de Sébastopol (qui n’a jamais été cédée à la RSS d’Ukraine, même sous Khrouchtchev) est une profanation grossière et brutale de toute l’histoire russe des XIXe et XXe siècles.
Dans toutes ces conditions, la Russie n’ose pas, sous quelque forme que ce soit, trahir indifféremment les plusieurs millions de la population russe en Ukraine, nier notre unité avec eux.”
Soljenitsyne donnait rarement des interviews, mais dans un article récent, son biographe catholique Joseph Pearce, nous donne des pépites supplémentaires de sagesse du 23 juin 2007, avec l’hebdomadaire allemand, Der Spiegel. Ce qu’il dit de Poutine peut surprendre la plupart des gens :
“Vladimir Poutine – oui, a été un officier des services de renseignement, mais il n’était pas un enquêteur du KGB, ni le chef d’un camp du goulag. Quant au fait de travailler dans les services de renseignement étrangers, ce n’est un point négatif dans aucun pays – parfois, cela attire même les louanges. George Bush père n’a pas été beaucoup critiqué pour avoir été l’ancien chef de la CIA, par exemple”.
En 2014, après que la Russie a fait l’objet de sanctions pour ses actions en Crimée, on a demandé à Poutine si les relations s’étaient dégradées avec l’Amérique à cause de la Crimée ou de la Syrie. “Vous vous trompez”, a répondu Poutine au journaliste. “Pensez à la Yougoslavie. C’est à ce moment-là qu’elle a commencé.
Ceci est confirmé par Soljenitsyne dans l’article déjà cité :
“Les cruels bombardements de l’OTAN en Serbie… Il est juste de dire que toutes les parties de la société russe ont été profondément et indéfiniment choquées par ces bombardements… Ainsi, la perception de l’Occident comme étant principalement un “chevalier de la démocratie” a été supplantée par la conviction décevante que le pragmatisme, souvent cynique et égoïste, est au cœur des politiques occidentales. Pour de nombreux Russes, il s’agissait d’une grave désillusion, d’un effondrement de l’idéal…”.
En janvier 1999, dans le village yougoslave de Racak les forces serbes (chrétiennes orthodoxes) ont tué 45 Albanais du Kosovo (musulmans sunnites) (*), pour la plupart des femmes et des enfants [NdT, cette version des faits est erronée; il s’est avéré que les mutilations et signes d’exécution sommaire sur les victimes de Racak étaient le fruit d’une mise en scène albanaise, une opération sous faux drapeau].
Au printemps 1999, sans l’approbation des Nations unies, les forces de l’OTAN dirigées par les États-Unis ont lancé une campagne de bombardement contre la Yougoslavie qui a duré 78 jours. L’opération Allied Force a entraîné la mort de plus de 500 civils. Lorsque les forces russes ont aidé à sécuriser certaines localités serbes, une guerre ouverte entre la Russie et l’OTAN a failli éclater.
La même chose pourrait être sur le point de se produire aujourd’hui, puisque l’OTAN a aggravé une situation déjà tendue en Europe de l’Est en raison de son intensification des préparatifs militaires, comme le montre Mearsheimer.
Edmund J. Mazza, PhD
(*) L’auteur semble ne pas connaitre la version des faits réels: il s’est avéré que les mutilations et signes d’exécution sommaire sur les victimes de Racak étaient le fruit d’une mise en scène albanaise. Pour en savoir davantage voir :
Massacre’ de Boutcha en Ukraine en 2022 et ‘massacre’ de Raçak au Kosovo en 1999
Lavrov sur « les mises en scène provocatrices organisées par l’Occident et ses suppôts »