La technologie Deepfake est peut-être vendue simplement comme une nouvelle forme de divertissement, mais elle a le potentiel d’être utilisée à des fins plus sombres.

En Occident, on nous prévient contre les fausses nouvelles et la guerre de l’information, pendant que les médias nous bombardent 24 heures sur 24 avec les dernières nouvelles et images du monde entier. Avant de pouvoir comprendre, sans même parler de vérifier une information, notre attention est captée par la suivante. Même lorsqu’une information se révèle par la suite inexacte, les gens sont déjà passés à autre chose, car leur attention est captivée par le dernier scoop. Nous avons la possibilité de faire confiance aux médias ou de déléguer notre quête de la vérité à l’un des nombreux sites Web de « fact-checking ». Certains peuvent choisir d’abandonner et de s’en tenir à la position de l’avocat du président Trump, Rudy Giuliani, pour qui « la vérité n’est pas la vérité » ou « est relative ».La frontière entre la réalité et la fiction devient de plus en plus floue avec l’émergence de la technologie dite « deepfake », qui facilite la création de fausses vidéos en superposant une image sur une autre. L’année dernière, ce type de vidéos ont été publiées sur Internet par un utilisateur de Reddit surnommé ‘Deepfakes’, qui montrait diverses célébrités dans des actes pornographiques hardcore, y compris de l’inceste. Leurs visages avaient été superposés à ceux d’acteurs de porno sans leur consentement. Bien que des sites Web tels que Reddit et Pornhub aient depuis lors dénoncé et interdit la pornographie deepfake, d’autres considèrent la technologie deepfake comme une bonne opportunité de business.

La société de divertissement pour adultes Naughty America, l’un des principaux producteurs de pornographie en réalité virtuelle (RV) au monde, a décidé de se pencher sur le genre potentiellement lucratif du deepfake en créant des vidéos qui transposent le visage d’un individu sur le corps d’un acteur porno ou remplacent le fond par n’importe quel autre endroit, y compris des habitations de particuliers. Andreas Hronopoulos, PDG de l’entreprise, dit: « Je peux placer des gens dans votre chambre à coucher. »

On pourrait penser que cette fusion de la technologie et du divertissement est une simple mode, un nouvel opium du peuple conçu pour distraire les gens des réalités moroses de la vie et du monde qui les entoure. Cependant, la technologie deepfake a le potentiel de devenir une arme et d’être utilisée à des fins plus discutables.

La création de faux pornos hardcore pour divertir les internautes ou harceler une célébrité n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Au fur et à mesure des avancées de la technologie deepfake, elle pourrait être utilisée pour fabriquer des clips vidéo qui semblent montrer un politicien ou un membre du public en train de dire ou de faire n’importe quoi, dans n’importe quel endroit. Ces vidéos pourraient par la suite être utilisées pour faire chanter des gens ou pour influencer l’opinion publique en vue d’une élection. Peut-être verrons-nous la technologie deepfake utilisée par l’État profond pour influencer l’opinion publique à l’approche de l’élection présidentielle américaine de 2020.

(A 0:28, à gauche, le véritable Obama. A droite, la recréation « fake » : ils font redire la même chose à Obama à travers une synchronisation artificielle. Ils pourraient aussi bien lui faire chanter « Yankee Doodle Dandy » et nous n’y verrions que du feu, NdT)

Imaginez si, après la réunification de la Crimée avec la Russie, une vidéo truquée avait émergé qui aurait montré le président Poutine discutant de plans d’invasion de l’Ukraine ou de déclenchement d’une guerre avec l’Europe ? Ou si une vidéo devait paraître à l’avenir avec le président syrien Assad autorisant l’utilisation d’armes chimiques contre des civils ? Des visages de civils blessés ou mourants dans une partie du monde pourraient être superposés à des images d’individus dans une autre partie de la planète avec un changement de décor de fond, afin d’exploiter l’indignation du public et de paver la voie à une « intervention humanitaire « . Même si de telles transmissions s’avéraient truquées par la suite, l’opinion publique aurait déjà été influencée et les dommages causés. La technologie deepfake pourrait donc être utilisée pour créer n’importe quel type de provocations de la part de ceux qui y auraient un intérêt direct et les moyens de payer.

(Au début de la vidéo, à droite, un acteur fait des mimiques devant une Webcam ordinaire. Derrière lui, à gauche, sur l’écran vidéo, une recréation de George W. Bush reproduit fidèlement les mimiques. Ensuite, la même démonstration de la synchronisation parfaite d’un acteur avec une « cible » est faite avec des recréations de Poutine, Trump et Obama. Inutile d’ajouter qu’avec cette méthode, comme le souligne Tomasz Pierscionek, on pourra faire dire n’importe quoi à n’importe qui, NdT. Source, Archimag.com)

Pour passer de la sphère publique à la sphère privée, la réalité virtuelle et la technologie deepfake nous envoient sur une pente qui permettra à des gens d’abandonner la réalité au profit de leur fantasme choisi, aussi tordu qu’il puisse être, ce qui les éloignera encore plus du monde réel et des autres à mesure de leurs errances dans leur monde imaginaire.

Combien de temps avant que cette technologie ne permette à une personne de vivre le plus clair de son temps à l’intérieur d’une bulle de réalité virtuelle, aux côtés d’un mannequin virtuel, sans limites aux actions qu’il ou elle peut accomplir, et en restant totalement inconscients de ce qui se passe à leur porte ?

Même si la pornographie en réalité virtuelle pourrait avoir un rôle bénéfique limité en donnant satisfaction à des personnes incapables d’avoir des relations sexuelles normales en raison d’un handicap ou d’une maladie grave, son utilisation plus large doit être déconseillée. Il a été démontré qu’une utilisation excessive des réseaux sociaux nuit à la santé mentale et à la communication entre humains. La pornographie en réalité virtuelle personnalisée isolera encore davantage les gens les uns des autres et sapera leur capacité à communiquer et à former des relations sociales et sexuelles saines dans le monde réel. C’est d’autant plus préoccupant que les taux de natalité dans les pays développés sont faibles et continuent de baisser.

Tomasz Pierscionek

Tomasz Pierscionek est médecin spécialisé en psychiatrie. Il était auparavant membre du conseil d’administration de l’association caritative Medact, est rédacteur en chef du London Progressive Journal et a été l’invité de Sputnik, de RT et de l’émission Kalima Horra (présentée par George Galloway) sur la chaine de télévision pan-arabe Al-Mayadeen.

Article original: We’re on a dangerous path: From fake news & fake porn to fake reality