Par Silvia Cattori
Première diffusion le 7 juillet 2012 sur silviacattori.net
Selon les médias traditionnels, les forces du gouvernement el-Assad sont seules coupables d’exactions. Leur principale source d’« information » est l’« Observatoire syrien des droits de l’homme » (OSDH) ; une ONG partisane qui sert ouvertement la propagande des bandes armées.
Le point de vue de la population, contrainte à faire profil bas et, dans les quartiers sous son contrôle, forcée à« collaborer » avec une soit disant « Armée syrienne libre », n’est jamais pris en compte. Ce qui revient à nier les souffrances que cette pseudo « armée libre » inflige à tout un peuple. En vérité une « armée » composée en grande partie de mercenaires étrangers financés par le Qatar et l’Arabie Saoudite.
Comble d’ironie ! Ceux qui proposent une interprétation plus équilibrée des évènements et cherchent à savoir ce qu’en pense la grande majorité des Syriens et, au moins, à écouter les discours du gouvernement, sont immédiatement disqualifiés et taxés de « pro-Assad ». Or, il faut le dire et le répéter, le rejet d’une intervention occidentale « humanitaire » n’a rien à voir avec un« soutien à Bachar el-Assad ». Elle est simplement le rejet de la politique d’ingérence de l’Occident ; une politique qui viole le principe de la souveraineté des États sur lesquels est fondé l’ordre international établi, en vue, précisément, d’assurer la paix.
Si les bandes armées en Syrie n’avaient pas été légitimées et présentées par les organisations humanitaires et par certains journalistes, comme des « révolutionnaires » luttant pour la « démocratie » et « la liberté » – en Libye il y a moins de liberté et plus de terreur qu’avant l’intervention de l’OTAN – elles n’auraient pas pu se répandre comme elles l’ont fait.
Cette vision unilatérale et totalement biaisée de la crise syrienne est irresponsable. Comme on l’a déjà vu en Libye, les groupes financés et armés par les puissances occidentales et les potentats arabes du Golfe, finissent par porter au pouvoir des gens qui n’ont que faire de la démocratie, des droits humains, de l’État de droit, du droit international.
Le devoir de tout organe de presse est de rechercher la vérité et non pas de la dévoyer.
Le devoir d’un journaliste est de se situer du côté du faible, en empathie avec lui, et d’éviter de mettre de l’huile sur le feu en répandant la propagande des puissances en jeu. Or, depuis la première guerre du Golfe contre l’Irak en 1990-91, et plus encore depuis le 11 septembre 2001, nous constatons que les journalistes s’alignent toujours du côté des pouvoirs dont les guerres dévastatrices ont détruit des pays et ont causé des millions de morts.
Depuis le début des troubles en Syrie, nous assistons au même schéma. Les journalistes occidentaux se sont tout de suite rangés du côté des opposants violents baptisés « révolutionnaires ». La voix de ceux qui demandent des solutions politiques et refusent le renversement de leurs gouvernements par la force, n’a jamais été prise en compte.
Ce sont des forces extérieures qui ont inventé la pseudo ASL ; des fo-folles dans leur sillage, comme Sofia Amara et Edith Bouvier, ont ensuite portés aux nues leurs gangs. Il n’y a pas des bons sunnites face à des vilains alaouites ; un gouvernement cruel d’un côté et des gentils « révolutionnaires » de l’autre.
Comme le dit justement Gérard Chaliand, « la déstabilisation du gouvernement el-Assad a été programmée par une coalition extérieure dont les parrains sont la France et le Qatar (…) [tout cela devant pousser] sunnites contre chiites, l’Iran, adversaire numéro un…l’objectif pour frapper l’Iran devant passer par l’affaiblissement de Bachar el-Assad » [1].
Et pour y parvenir, à renverser son gouvernement, tout le monde y va de ses mensonges et de ses appels à l’intervention étrangère, à des frappes aériennes, à l’établissement de couloirs dits « humanitaires ». D’Amnesty International à la commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Navi Pillay, du quotidien Le Monde à Libération, tout le monde met de l’huile sur le feu.
Les hommes et les femmes qui ont un reste d’humanité et un peu de clairvoyance souffrent de savoir qu’on leur ment et que le peuple syrien qui en majorité craint ce qu’il qualifie de gangs armés (et non pas de résistants) n’est pas entendu. Depuis des mois nous nous efforçons de recueillir des témoignages de première main. Tout en sachant qu’avec la meilleure volonté du monde, face à l’hystérie anti-Bachar, les témoignages sincères et les écrits d’honnêtes journalistes diffusés sur dans les nouveaux médias – et exceptionnellement, aussi dans la presse occidentale traditionnelle [2] – ne pourront pas empêcher la destruction de la Syrie, comme ils n’ont pas pu l’empêcher en Libye, ni empêcher aucun massacre israélien à Gaza.
Une fois lancée, la machinerie des ONG (Amnesty International et HRW en tête), de l’ONU, des médias traditionnels et des puissances occidentales dominantes au Conseil de sécurité, va toujours au bout de ses sinistres projets. La Russie et la Chine parviendront-elles cette fois à renverser la donne ?
Le 4 juillet, lassée d’entendre toutes les radios, toutes les télévisions répéter solennellement que « selon l’OSDH le régime… » [3] était l’unique responsable des violences en Syrie, nous avons appelé Homs (*), pour entendre le point de vue d’un Syrien victime de la coalition extérieure qui soutient les groupes armés.
Nous lui avons encore une fois dit que ce que les médias occidentaux rapportent chez nous donne une image très différente de ce qu’il nous disait notamment le 22 juin [4]. Nous lui avons demandé si c’était vrai par exemple que, le 27 juin, certains quartiers de Homs tenus par les « opposants armés » avaient été« pilonnés avec les hélicoptères et les chars du régime… » ; qu’il y aurait eu ce jour là « quatre bombardements par minute dans le quartier de Kousour » [5] ? Si c’était vrai que les habitants de Homs ne peuvent toujours pas sortir « à cause des bombardements de plus en plus intenses de l’armée régulière » ?
Voici ce qu’il nous a répondu :
« C’est très exagéré de parler de quatre explosions à la minute. Je n’ai pas vu d’hélicoptères intervenir à Homs. Cette semaine ça s’est un peu calmé. Mais la semaine passée les forces gouvernementales sont intervenues ; elles ont attaqué des positions rebelles. Le quartier Jourat al-Chayah a été en grande partie nettoyé [6] ; il leur reste encore à libérer les quartiers allant de l’extrémité de Bab Seeba, à Hamidiye, Bustan Diwan et Warché où il y a toujours de nombreuses familles retenues en otages. Les rebelles ont attaqué à plusieurs reprises les véhicules du Croissant rouge et du CICR les empêchant d’aller secourir les blessés et les malades.
Ces jours, il y a beaucoup d’hommes armés qui se rendent ; le gouvernement fait preuve de clémence [7]. Notre crainte est que ces hommes reprennent les armes une fois retournés chez eux. Ce sont des analphabètes. Durant les deux mois où ils m’ont tenu en otage dans leur appartement, je les entendais parler et se disputer. Une fois, un salafiste s’est même battu avec un autre homme car il refusait de prier derrière lui, le salafiste se considérant comme le chef et ne voulant pas prier derrière un non salafiste, ai-je compris. Imaginez leur niveau ! J’ai réussi à discuter avec les gardiens, en l’absence des chefs. Je leur ai demandé : « Est ce que c’est ça le Jihad (la conquête pour Dieu) ? » Certains m’ont dit qu’ils se sont trouvés obligés à s’enrôler car menacés de représailles sur leur familles, ou que c’est sous menace de mort qu’ils ont été contraints d’accepter ».
Il nous a alors rappelé que, le 28 juin à Homs (dans la périphérie de Homs, où se trouve le « Crak des chevaliers » [8]), Mme Ahlam Ilad, une professeure du génie pétrochimique, a été assassinée chez elle ainsi que ses parents et trois enfants, parce qu’elle avait refusé de collaborer avec les hommes armés.
Au passage, nous avons demandé à notre interlocuteur pourquoi il qualifie d’« hommes armés » ou de« rebelles » les auteurs d’assassinats, de kidnappings… et ne mentionne jamais l’« Armée syrienne libre ». Sa réponse : « Parce que chez nous, entre Syriens, ce terme n’est pas utilisé ; nous les qualifions de gangs, d’hommes armés. Ils constituent un ramassis de gens comprenant des salafistes, des jihadistes etc. »
Au sujet des vidéos postées sur Youtube par les opposants dont des extraits continuent d’être montrés par les médias, il maintient ce qu’il nous avait déjà dit :« La fumée noire ce sont toujours des pneus que les rebelles brûlent et non pas, comme ils le disent, le résultat de bombardements de l’armée gouvernementale. Les tirs des forces de sécurité donnent une fumée différente, plus claire et avec du feu ».
Ce sont ces gangs, – qualifiés d’« Armée syrienne libre » et de « révolutionnaires » par une presse occidentale qui en fait l’incessante promotion – que les journalistes encensent. Ce sont encore ces gangs qui font exploser des maisons [9] et des gazoducs et paralysent le pays, qui assiègent les habitants et empêchent les autorités locales, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Croissant rouge syrien d’entrer dans les quartiers pour évacuer des civils et notamment les blessés. Ce sont ces gangs que le peuple syrien en sa majorité tient en horreur que le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, fervent ami de Bernard-Henri Lévy et d’Israël, appuie aujourd’hui avec zèle.
Quand le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, suggère que « les analyses qualifiées et honnêtes des développements en Syrie et de leurs conséquences potentielles manquent cruellement », nous ne pouvons être plus d’accord.
Il faut être capables de garder une équidistance, et ne pas se laisser aveugler par la propagande des uns ou des autres. La guerre est quelque chose de trop grave. Le mieux qu’un journaliste puisse faire est d’éclairer le public de manière équilibrée sur les réels dangers qu’encourent les peuples et de tenter de les sauver du pire en dévoilant les véritables objectifs des bandes armées et des puissances engagées.
Ce n’est pas à François Hollande ni à Amnesty International, ni à Bernard-Henri Lévy, ni à Hillary Clinton, de décider ce qui est bon ou pas pour le peuple syrien.
Silvia Cattori
(*) Propos concernant Homs recueillis le 04.07.2012 et traduits de l’arabe en français par Mme Rima ATASSI. Pour des raisons évidentes nous ne révélons pas le nom de notre témoin ; un cadre indépendant, âgé de 61 ans, qui réside à Homs.
[1] Voir : « Gérard Chaliand dit quelques vérités sur la Syrie », par Silvia Cattori, 21 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3350.html
[2] Voir par exemple :
« Most Syrians back President Assad, but you’d never know from western media » [La plupart des Syriens soutiennent le Président Assad, mais vous ne l’apprendrez jamais des médias occidentaux], par Jonathan Steele, The Guardian, 17 janvier 2012.
http://www.silviacattori.net/article2717.html
« « L’extermination » par les rebelles sunnites », par Rainer Hofmann, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 13 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3340.html
« Le massacre de Houla perpétré par la rébellion syrienne », par Rainer Hofmann, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 7 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3310.html
« Massacre of al-Houla : In Syria, there is more than just one truth », par Alfred Hackensberger, Berliner Morgenpost, 23 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3379.html
En-dehors de la presse occidentale, les excellents journalistes de la chaîne d’information Russia Today, font contrepoids à la désinformation de nos journalistes embedded. Raison pour laquelle depuis 2011 c’est la chaîne la plus regardée sur les cinq principaux marchés aux États-Unis. Russia Today a battu France 24, Euronews UE, Deutsche Welle, Al Jazeera, etc.
[3] Une émanation des Frères musulmans basée à Londres et dirigée par des militants islamistes. Elle fut fondée à la fin des années 80 sous le contrôle des services britanniques. Financée au départ par des fonds saoudiens elle est aujourd’hui financée par le Qatar.
[4] Voir : « Homs : tout ce qui est raconté est à l’envers », par Silvia Cattori, 24 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3370.html
[5] Selon un opposant syrien basé à Paris, interrogé par Omar Ouaman / radio France Culture.
[6] Débarrassé des bandes armées -ndt.
[7] Pour ceux qui n’ont pas commis de crimes. Contre ceux qui mènent des actes terroristes, des lois sévères, sur le mode occidental, viennent d’être édictées – ndt.
[8] En arabe, « la citadelle de Homs », objet ces temps-ci d’une intense manipulation médiatique – ndt.
[9] Voir : http://cort.as/2B_D
Cette vidéo a été filmée par les rebelles eux-mêmes. La caméra a été placée en face de l’immeuble où les rebelles s’apprêtent à faire exploser un étage miné. Et ensuite ils ont diffusé la vidéo en accusant les forces du gouvernement. Et de crier : « Dieu est grand, l’armée tire sur le quartier al-Qussour de la ville de Homs ».
Ce sont ce genre de vidéos « Allah Ou Akbar » manipulées par les groupes terroristes qui sont reprises par les rédactions depuis le début des troubles.