« Notre rôle n’est pas d’être pour ou contre, il est de porter la plume dans la plaie ». Albert Londres

Ce focus sur les chrétiens d’Irak ne doit aucunement occulter l’épreuve sans nom qu’endure le peuple syrien depuis 4 ans.

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Irak: La désespérance des réfugiés chrétiens abandonnés

Depuis l’été dernier plusieurs centaines de milliers d’irakiens ont fui l’avancée éclair des troupes de l’Etat islamique. Parmi ceux-là une immense majorité de chrétiens. Pour l’essentiel, les chrétiens ont alors, dans l’urgence, trouvé refuge au Kurdistan. Mais la province autonome d’Irak, en guerre totale contre Daesh, et à la pointe de ce combat, ne peut subvenir à l’immensité des besoins des « déplacés » qui survivent dans des conditions misérables. La communauté internationale qui s’était particulièrement émue du calvaire des chrétiens et des Yazidi d’Irak a là encore beaucoup promis mais peu fait. La France n’est pas à l’honneur dans ce tableau. Les chrétiens d’Irak sombrent aujourd’hui dans l’amertume et un profond désarroi. D’autant que les souvenirs des atrocités subies sont encore là, et que  l’hiver arrive désormais, annonciateur d’une catastrophe humanitaire effrayante si rien n’est fait dans les semaines qui viennent.

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A Erbil, après que la menace soit passée si près, la vie a repris ses droits.« Pour les kurdes mais pas pour nous témoigne le chef d’un camp de réfugiés chrétiens ». Alaa Selias, 51 ans, regard fiévreux et barbe de patriarche survit avec plusieurs dizaines de familles, dans un bâtiment gris  en construction ouvert à touts vents. Un refuge de fortune où rien n’est prévu pour affronter telle situation. Pas d’eau, pas de chauffage, pas de sanitaires, pas de médecin ni de médicaments, un minimum d’électricité, de nourritures. L’extrême dénuement et aucune aide officielle extérieure.

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Ici le ressentiment contre la France s’exprime sans retenue. Car le camp improvisé est situé juste en face de l’église catholique Saint-Georges, que François Hollande a visité le 12 septembre dernier. « Il est venu pour la photo s’emporte le chef du camp. Il n’avait qu’une rue à traverser pour aller vers nous mais il ne l’a pas fait ». Pire, les chrétiens chassés par Deash ont voulu parler au président français. Mais un épais cordon de forces de l’ordre les en a empêché. « Il aurait pu passer outre s’il avait voulu, mais il ne l’a pas fait » se souvient une femme de 51 ans au visage douloureusement marqué par la dislocation de sa famille au cours de l’exode, et la disparition de certains de ses proches. « A l’époque tout le monde parlait de nous et de nos frères Yazidi. Tout le monde disait qu’il fallait nous sauver, nous aider. Maintenant tout le monde s’en fout ».

Lors d’une conférence de presse tenue aux cotés du président kurde, François Hollande avait promis un véritable « pont-aérien » pour accueillir un maximum de chrétiens d’Irak en souffrance. Un dispositif d’accueil spécial pour les réfugiés devait être mis en place. « On attend toujours » disent unanimement les réfugiés dont plusieurs milliers s’étaient précipités à l’ambassade pour déposer des demandes de visa. « C’était de l’esbroufe comme les promesses d’aide humanitaire » lâche le chef du camp.

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Alors les réfugiés chrétiens désespèrent. Dans le bâtiment réquisitionné à la hâte, c’est le défilé de la misère et de la souffrance. Chacun veut raconter son histoire. Habib A., un vieil homme de 71 ans, presque aveugle, s’avance, vouté, marchant doucement. Il n’a plus qu’un neveu pour s’occuper de lui. Rongé par la douleur, il livre son récit en balbutiant:« Quand Daesh a envahi notre village en Irak dans la province de Nirvine, ma fille de 30 ans, Rita est venue spécialement de Turquie où elle vivait pour venir me chercher. Elle est arrivée jusqu’à moi au péril de sa vie. On a cherché des vêtements qui lui permettraient de passer inaperçue pour fuir. Mais on est tombé sur les djihadistes. Et ces chiens m’ont volé ma fille en un instant. Ils m’ont dit: « Elle est à nous maintenant. Elle sera une de nos esclaves. Peut-être auras-tu des nouvelles un jour. Peut-être pas! Ils étaient armés jusqu’aux dents, que pouvais-je faire? Ils riaient ces monstres ». Le vieil homme reste hanté par le dernier regard que sa fille lui a jeté en se retournant. Un regard empli de terreur. C’était le 12 aout. Depuis, plus aucune nouvelle. Habib ne sait si sa fille est encore vivante, si elle a été vendue comme une marchandise, si elle a été mariée de force… Il vit en permanence avec un téléphone à la main qui ne sonne jamais. L’homme se met à pleurer. Il parait comme un enfant perdu. Les gens qui écoutaient son récit s’écartent, pétrifiés. Nul ne sait comment le réconforter.

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Une femme s’écrie: « Comment pouvez-vous nous abandonner ainsi. Nous sommes partis de chez nous en catastrophe. Nous avons tout laissé derrière nous, nos maisons, nos biens. Parfois les nôtres, enlevés ou tués sur place. Nous n’avons plus de papiers d’identité, plus d’argent, plus rien. On vit dans des conditions sanitaires infâmes. Et notre cœur est mort. On pensait que l’Occident allait nous aider. Trouver des solutions. Il est où l’Occident maintenant? Elle est où la France, terre d’asile? Ils sont où les chrétiens du monde qui manifestaient leur émoi? Ici c’est l’enfer! Et vous nous laissez vivre où plutôt crever en enfer ».

Quelques vieux ont été installés à l’intérieur d’un bâtiment où s’entassent les réfugiés. Ils sont recouverts de toiles de tentes et de couvertures, pour éviter là encore que la pluie ne s’infiltre. Dans l’un deux, un vieil homme enfoui dans un sac de couchage est en train de se laisser mourir me dit un réfugié au regard noir. Cet homme là, a été trouvé prostré sur le chemin de la fuite éperdue d’un groupe de chrétiens. Ils l’ont emmené avec eux. Il leur a raconté que sa femme et ses deux filles ont été des proies faciles, kidnappées par Daesh. Et puis l’horreur brute. L’une d’elle a été violée sous ses yeux. Les islamistes l’ont forcé à regarder. Puis ils l’ont tué. « Est-ce que vous pouvez imaginer pareille abomination? » La mère et l’autre sœur ont été kidnappées par les islamistes qui ont dit au vieil homme: « On te laisse la vie sauve, pour que tu puisses raconter le sort que l’on réserve aux chiens de chrétiens! ». Voila ce qu’il nous a dit en sanglotant. Depuis il n’a plus jamais vraiment parlé.

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Emmuré dans sa prison de malheur, l’homme a semble t-il perdu la raison. Aujourd’hui, le visage fiévreux recouvert d’une serviette blanche, il balbutie parfois des mots incompréhensibles. Il ne mange plus, refuse les quelques médicaments trouvés pour soigner sa mauvaise fièvre, ne quitte plus son sac de couchage. « Il agonise, étouffé de malheur, et on ne peut rien » enrage un autre réfugié.

Notre voyage au cœur des ténèbres se poursuit. L’ambiance est crépusculaire. Dans un autre algeco, une famille entière s’entasse. Elle ne dit rien de son histoire, s’estimant presque chanceuse tant les récits des ignominies subies par d’autres s’accumulent.

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Il n’y pas de place pour tout le monde , certains dorment à même le béton. Dans une semi-obscurité quelques enfants parviennent malgré tout à s’amuser avec des jouets que le voisinage leur a donné. Pour certains notre visite est un moment de joie. Ils posent devant l’objectif en souriant. Image trompeuse.

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Nombre d’entre eux restent prostrés, le regard perdu dans le vague, ne sachant plus  sourire.

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Celui-là, qui était parvenu à se cacher quand les islamistes ont envahi sa maison, passe toutes ses journées à attendre des parents qui ne viendront jamais. Ils ont été assassinés par Daesh.

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Du linge sèche difficilement un peu partout. L’hiver arrive, il pleut souvent et l’eau s’infiltre partout. Une eau précieusement recueillie dans une des pièces du bâtiment. Là, une immense bassine de cuisine est reliée à une bonbonne de gaz. « On fait chauffer l’eau, et c’est comme cela qu’on peut donner le bain aux enfants » explique une mère de famille.

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Des ONG sont venues racontent les réfugiés. Des gens qui avaient des beaux 4X4. Ils ont pris les noms, les ont inscrits sur des registres, et puis plus rien. « Nous n’avons revu personne. Et on a eu le droit à rien. Ni aide, ni encadrement médical. Encore moins à une quelconque perspective d’échapper à cet enfer ». Les chrétiens réfugiés survivent grâce à la charité de quelques « bienfaiteurs » privés. Ils sont à bout. « Chaque jour est un combat. Ici Monsieur on vit plus mal qu’en prison ».

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A quelques encablures de là, sur un terrain vague, un autre camp, à ciel ouvert, à deux pas du chantier d’un immense complexe immobilier de luxe qui verra le jour bientôt. Dans le camp à perte de vue, des centaines de tentes alignées fournies par le HCR, de nouveaux réfugiés qui arrivent tous les jours et tentent de trouver de la place, des images et des récits qui font froid dans le dos. Au milieu d’un groupe d’hommes désœuvrés, un jeune homme de 23 ans, accepte de raconter le calvaire subi. Il vivait près de Mossoul avec sa famille et se croyait à l’abri parce qu’à deux pas se trouvait un poste militaire de l’armée irakienne. Mais quand les hommes de Daesh ont surgi les soldats ont fui. «Les islamistes nous ont dit que si on leur donnait 3000 dollars, ils nous laisseraient tranquilles. Nous n’avions pas l’argent, alors instantanément ils ont tiré, tuant mon père, ma mère, ma soeur. Moi je suis un miraculé. Ils m’ont laissé pour mort »

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Le jeune homme a été touché par 2 balles. Une au sommet du crâne, une autre dans le genou, une troisième dans l’abdomen. Il montre ses cicatrices, mais pas son visage. La peur est encore là. « Je ne sais pas comment j’ai survécu. Je ne sais même pas qui m’a récupéré et amené à l’hôpital. Un jour, un médecin est venu. Il m’a dit que maintenant je pouvais tenir debout, et que tous les blessés chrétiens devaient quitter l’hôpital avant que Daesh ne vienne. Car la rumeur courrait. Alors on est parti dans la nuit. Et c’est ainsi qu’après un périple insensé j’ai atterri ici ». Aujourd’hui, le jeune homme au regard perdu dit qu’il aurait préféré mourir avec les siens.

Dans le camp, transformé en cloaque boueux du fait d’incessantes averses, de tente en tente, c’est la litanie des récits de l’horreur vécue, de la fuite éperdue, et ici règnent en maîtres les sentiment d’abandon brutal, et de solitude extrême.

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Maria Nabil, 47 ans nous accueille dans la sienne. Sa fille de 15 ans au regard encore effrayé, est là. Le père, Yonam, est parti en ville tenter de trouver du travail. C’est un charpentier, qui a travaillé en Irak pour l’armée américaine. Il construisait des baraquements.

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Maria montre le certificat signé d’un commandant de bataillon de la célèbre « 101ème airborne (division aéroportée). On peut y lire que « son travail accompli, son aide loyale, et son amitié sincère ne seront jamais oubliés par les soldats du bataillon dont il devient membre honoraire et un ami pour toujours ». Des promesses de papier. Quand Deash est arrivé, le cauchemar a débuté pour cette famille chrétienne. Qui a vite compris que personne ne les défendrait. « Naïvement, on a contacté l’ambassade américaine. Ils nous ont envoyés paître » raconte l’épouse du charpentier. Quand aux militaires irakiens, ils ont été des « moins que rien. Ils n’ont cessé de cogner sans cesse à notre porte en nous suppliant de leur fournir des vêtements civils, nous proposant en échange leurs armes! « Nous les avons renvoyés en leur disant qu’ils étaient la honte de notre pays, où plutôt notre ancien pays. Car l’Irak aujourd’hui est mort! » D’autres ont fait un choix impossible pour les Nabil. Ils ont abandonné leur religion, pour une conversion immédiate à l’Islam « Nous les comprenons, mais nous, nous préférons la mort plutôt que le reniement! Nous sommes chrétiens, nous resterons chrétiens jusque dans la tombe. Alors nous n’avons eu d’autre choix que celui de fuir, emportant quelques effets personnels et notre télé. Rien de plus. Notre vie, nous l’avons laissée derrière nous ».

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La foi porte cette petite famille comme tant d’autres dans la tourmente qui les a emportés. D’autant que les chrétiens ou Yazidi ont espéré follement en la communauté internationale. Là encore leur espoirs ont été douchés. Ils ont cru que l’Occident ne les laisserait pas. Et puis le rêve est passé. Ils ont cessé de faire la « une » des journaux. « Les élans de solidarité sur lesquels on pouvait comptait se sont fait de plus en plus rares » dit avec amertume Maria Nabil. « C’est triste. Mon mari qui s’était mis à son compte a tout perdu. Il nous reste qu’une tente pour seul abri, mais regardez comme la mienne est bien tenue ! » ajoute la femme qui fume cigarette sur cigarette. Rester digne dans le malheur est essentiel pour elle. Et puis elle n’oublie pas tous ceux qui n’ont pas eu la possibilité de s’échapper, ceux qui ont été torturés, mutilés, tués, qui ont disparu, ou ont été réduits à l’état d’esclave par les islamistes. Les chrétiens comme les autres. « Je prie souvent pour eux. Et je me bats pour ma fille, qui souffre de troubles mentaux, vit dans une terreur indescriptible, mais ne reçoit plus aucun traitement ».

A l’extérieur des points de distribution d’eau ont été mis sur pied. L’électricité est là aussi. Maigre réconfort… Nombre d’enfants grelottent de froid. Certains sont même pieds-nus dans la boue.

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Une petite fille se promène alors que le gel pointe, en robe d’été, le vissage enroulé dans une grande écharpe noire d’ou émerge un pale regard bleu. Une vielle femme peine à faire avancer dans la gadoue une vieille brouette où sont entassés des galons d’eau.

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La nuit tombe, est c’est encore la bataille pour les derniers arrivants qui cherchent une tente.

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La plupart dormiront dans leurs voitures, pour ceux qui en ont encore une. D’autres sont parvenus entre les lignes de tentes s’allongeant à l’infini, à construire des baraquements de misère.

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Soudain la femme du charpentier me rattrape alors que je m’apprête à quitter les lieux: « Si vous connaissez quelqu’un qui a besoin d’une femme de ménage, n’hésitez pas ! » La femme me glisse son numéro de téléphone griffonné à la hâte sur un morceau de papier. C’est au tour d’un homme au visage accablé de lassitude de m’interpeller à la sortie du camp…

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Un homme qui se fait la voix de tous veut remercier les autorités kurdes.

« Nous savons qu’elles font ce qu’elles peuvent avec peu de moyens. On a tous pensé que l’Occident serait-là pour nous. Nous avons tous espéré en la France. Quand Hollande est venu, on y a cru, vraiment. Votre président nous a vendu du vent! l’été dernier nous étions à la « une » partout. Mais regardez ce que nous sommes devenus? Des parias, des damnés de la terre, des moins que rien. En nous laissant tomber vous offrez une belle victoire à nos bourreaux. Aujourd’hui nos illusions sont parties en fumées. Nous ne pouvons ni revenir chez nous, ni partir ailleurs. Nous ne voyons plus aucune lueur d’espoir. Nous n’avons plus d’avenir ».

Frédéric Helbert (Récit et photos) | 23/11/2014

Source: frederichelbert.com/