Interview de Norman Finkelstein sur Democracy Now le 10 janvier 2018
Transcription de l’interview :
Amy Goodman : Avant de parler plus longuement de Gaza, je voulais vous demander brièvement ce qui a selon vous motivé le Président Trump à reconnaitre Jérusalem comme capitale (d’Israël), déclarant qu’il déplacerait l’ambassade américaine de Tel Aviv, et ce que vous pensez de la réponse massive à l’ONU après que cette reconnaissance ait été annoncée, le vote écrasant contre les États-Unis, et le fait que les États-Unis ont menacé ceux qui ont voté contre eux.
Norman Finkelstein : Eh bien, le fonctionnement de la politique américano-israélienne est une question un peu compliquée. Mais en général, on pourrait dire que lorsque des intérêts nationaux majeurs sont en jeu, le lobby israélien a très peu de pouvoir. Nous l’avons vu, par exemple, lors des négociations sur l’accord avec l’Iran. C’était un intérêt national majeur pour les États-Unis. Le lobby y était radicalement opposé. Netanyahou y était radicalement opposé. Mais l’accord est passé. Et de nombreux partisans d’Israël – Dianne Feinstein, Nancy Pelosi, l’ensemble du gang – ont soutenu l’accord. Mais quand un intérêt majeur des États-Unis n’est pas en jeu, le lobby est assez puissant.
Donc dans ce cas particulier, il était clair que les Saoudiens, qui constituent un intérêt majeur pour les États-Unis, se fichaient de ce que les États-Unis feraient de Jérusalem. Ils ont donné le feu vert : « Si vous voulez la donner à Israël, ça ne nous pose pas de problème, on s’en moque ». Donc, aucun intérêt national américain n’était en jeu, et Trump a donc fait ce que tout le monde fait : il a récompensé ses donateurs. Dans ce cas, c’était Sheldon Adelson, le magnat des casinos milliardaire, qui soutenait fortement la reconnaissance américaine de Jérusalem comme capitale indivise d’Israël.
Mais nous devons garder à l’esprit que ce n’était pas seulement Trump. Vous savez, parfois les médias veulent accabler Trump. Et ils oublient qu’il ne s’agit pas seulement de Trump. Charles Schumer, l’actuel leader de la minorité sénatoriale, Schumer attaquait constamment Trump, juste après son élection : « Pourquoi ne reconnaissez-vous pas Jérusalem comme la capitale indivise (d’Israël) ? » Quand Trump l’a reconnue, Schumer, Charles Schumer, a dit : « Il l’a fait grâce à moi, c’est moi qui l’ai poussé à reconnaître Jérusalem capitale d’Israël. » Voilà les propos du chef de la minorité sénatoriale.
Et pour la même raison, si vous regardez l’argent de Schumer, il l’obtient principalement des Juifs conservateurs de droite et de Wall Street, les mêmes sources d’argent que Trump, les mêmes financeurs. Et sur ces questions, beaucoup de démocrates, y compris Schumer – ou plutôt surtout Schumer, devrais-je dire – sont pires que Trump.
Par exemple, après l’incident du Mavi Marmara en 2010, quand Israël a tué les passagers à bord du navire humanitaire, le Mavi Marmara, ils ont tué 10 passagers, Charles Schumer s’est rendu devant un groupe de Juifs orthodoxes et a déclaré : « Les habitants de Gaza ont voté pour le Hamas, ils ont voté pour le Hamas, et par conséquent, la strangulation économique est la voie à suivre. » Ayez bien conscience du fait que nous parlons d’une population, dont plus de la moitié est composée d’enfants, qui vit sous un siège médiéval. Et ce qu’il dit en substance, c’est que nous devrions continuer à les affamer, jusqu’à ce qu’ils votent contre le Hamas ou se débarrassent du Hamas. Que dire d’un tel personnage ?
Vous savez, Charles Schumer était dans le même lycée que moi, tout comme Bernie Sanders du reste. Je ne le connaissais pas. Il avait, je crois, quatre ans d’avance sur moi. J’ai assez bien connu sa sœur, Fran. Extrêmement intelligente. Vous savez, même maintenant, près d’un demi-siècle plus tard, je m’en souviens toujours aussi bien. Une jeune femme extrêmement brillante. Ils étaient décents, en fait. Chuck – on l’appelait Chuck –, son père était un exterminateur. Vous savez, c’est très marquant. C’était un spectacle impressionnant. C’était quelqu’un d’extrêmement brillant. Il était major de sa classe, et il était très en avance sur tout le monde, comme Fran, vous voyez ? Mais que dire de ce qu’ils sont devenus ?
Il a grandi à Kings Highway à Brooklyn, tout près de l’endroit où Bernie [Sanders] a grandi. Je passais devant sa maison tous les jours, en allant à la piscine en vélo. Que peut-on dire d’une personne qui recommande d’affamer des enfants ? C’est ce qu’il a préconisé, vous savez. C’est un monstre moral. Et il faut reconnaitre ce fait. C’est un monstre moral. Et pourtant, tout le monde veut cracher sur Trump. Que dire de personnes comme Schumer ?
Amy Goodman : Eh bien, nous allons faire une pause, et ensuite, nous parlerons de la situation que vous décrivez à Gaza. Votre nouveau livre s’intitule Gaza: une enquête sur son martyre. Nous parlons avec l’auteur et chercheur Norman Finkelstein. Le livre vient tout juste d’être publié. Restez avec nous. […]