Par Patrick J. Buchanan 04 mars 2022 – Antiwar
Lorsque les rebelles hongrois se sont levés en 1956 pour renverser le régime communiste imposé par Joseph Staline, le président Dwight Eisenhower a refusé d’envoyer des forces américaines pour aider les Hongrois.
Ike ne voulait pas que l’Amérique entre en guerre avec la Russie pour un petit pays d’Europe centrale.
Si les Hongrois sont héroïques et inspirants, la Hongrie n’est ni membre de l’OTAN ni un intérêt vital pour les États-Unis. De plus, elle se trouvait du côté soviétique de la ligne de Yalta divisant l’Europe, et acceptée par Franklin D. Roosevelt, Joseph Staline et Winston Churchill à Yalta en 1945.
Pour des raisons similaires aujourd’hui, le président Joe Biden a refusé d’envoyer des troupes, des navires ou des avions américains pour attaquer les forces russes qui envahissent l’Ukraine.
Bien qu’elle compte 44 millions d’habitants et soit presque aussi grande que le Texas, l’Ukraine n’est ni un intérêt vital pour les États-Unis ni un membre de l’OTAN.
Toutefois, si le président russe Vladimir Poutine envahissait l’Estonie, dont la population représente 3 % de celle de l’Ukraine, l’Amérique serait obligée d’entrer en guerre contre la Russie.
Cette disparité a-t-elle un sens stratégique ?
L’Amérique ne devrait-elle pas avoir la même liberté d’action pour décider de se battre pour l’Estonie que pour décider de se battre pour l’Ukraine ? Après tout, l’Ukraine est bien plus grande, plus peuplée et plus stratégique.
En 1948, le président Harry Truman a refusé d’utiliser la force pour briser le blocus de Berlin imposé par Staline. En 1956, Eisenhower a refusé d’intervenir pour sauver la Hongrie. En 1961, le président John F. Kennedy a refusé d’utiliser la force pour arrêter la construction du mur de Berlin.
En 1968, le président Lyndon Johnson a refusé d’intervenir lorsque l’URSS a envahi la Tchécoslovaquie pour écraser le « Printemps de Prague » pro-démocratique.
Pourtant, aujourd’hui, les dirigeants américains n’ont pas la même liberté de ne pas agir que Truman, Eisenhower, Kennedy et Johnson. Nous sommes obligés d’agir. Pourquoi ?
Parce que, depuis la fin de la guerre froide, nous avons élargi la composition de l’OTAN, et il y a maintenant 28 nations d’Europe que nous sommes obligés de défendre si elles sont attaquées.
L’Ukraine n’en fait pas partie, mais cinq d’entre eux qui ont une frontière avec la Russie ou l’Ukraine – la Roumanie, la Slovaquie, la Pologne, la Lettonie et l’Estonie – fournissent actuellement des missiles Stinger ou Javelin à l’Ukraine pour détruire les chars russes, abattre les avions russes et tuer les soldats russes en Ukraine.
Si Poutine exerce des représailles contre l’un de ces pays pour ces transferts d’armes qui tuent des soldats russes, les États-Unis seraient obligés, en vertu de l’article 5 de l’OTAN, de combattre la Russie au nom de ces pays de l’OTAN.
L’article 5 engage automatiquement les États-Unis dans une guerre avec la Russie, si Moscou exerce des représailles contre un pays de l’OTAN qui fournit des armes pour tuer des soldats russes.
Pourquoi avons-nous volontairement lié nos propres mains de cette manière ?
Pendant 40 ans de guerre froide, l’Amérique est restée en sécurité alors que l’Allemagne de l’Est, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie étaient toutes sous le contrôle de Moscou.
Ces nations sont toutes libres aujourd’hui grâce à la victoire de l’Occident dans la guerre froide. Mais pourquoi toutes ces nations ont-elles des garanties de guerre des États-Unis alors qu’aucune d’entre elles, comme la guerre froide l’a démontré, ne constitue un intérêt vital pour les États-Unis ?
Pourquoi, après la fin de la guerre froide en 1991, avons-nous accepté de mener une guerre contre la Russie, y compris une guerre nucléaire, en leur nom alors que 40 ans de guerre froide ont démontré qu’ils n’étaient pas essentiels à notre sécurité ?
Aujourd’hui, par notre refus d’intervenir militairement en Ukraine, pour ralentir ou stopper cette invasion russe, nous envoyons un message au monde.
Ce message ?
L’indépendance de l’Ukraine n’est pas vitale pour les États-Unis. Bien qu’il s’agisse d’un objectif souhaitable, il ne vaut pas la peine que nous menions une guerre avec la Russie pour la préserver.
De plus, l’indépendance de l’Ukraine ne vaut pas le risque d’utiliser des avions américains pour établir une zone d’exclusion aérienne pour les avions russes dans le ciel de l’Ukraine.
En effet, si nous avions donné à Poutine l’assurance que l’OTAN était fermée à Kiev, nous aurions peut-être évité ce qui s’est passé, car c’était la première et la plus insistante des demandes de Poutine.
La rhétorique héroïque que nous entendons de la part de nos dirigeants politiques et médiatiques mise à part, le véritable message envoyé à l’Ukraine par nos propres actions et l’inaction de l’OTAN est le suivant :
Nous vous enverrons des armes, mais nous n’enverrons pas nos troupes, et nous ne ferons pas la guerre pour vous, ou à vos côtés, à moins et jusqu’à ce que nous décidions qu’il est dans notre intérêt vital de le faire.
Heureusement, nous n’avions pas fait entrer l’Ukraine dans l’OTAN, ni donné à Kiev une garantie de guerre qui nous obligeait à tout risquer pour une nation jugée non vitale pour nous.
Ceux qui ont empêché les États-Unis de réaliser l’ambition de l’ancien président George W. Bush de faire entrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN nous ont peut-être évité une guerre avec la Russie dans laquelle nous aurions tous deux pu souffrir horriblement.
La décision d’entrer en guerre pour une nation qui faisait autrefois partie du bloc soviétique devrait être prise par les Américains d’aujourd’hui et de demain. Elle ne devrait pas être imposée, ni dictée par notre signature d’un traité vieux de 73 ans, conçu pour une autre époque et un autre monde.
Patrick J. Buchanan
Patrick J. Buchanan est l’auteur de Churchill, Hitler et « The Unnecessary War » : How Britain Lost Its Empire and the West Lost the World. www.creators.com.
Traduction: Arrêt sur info