La désobéissance civile quotidienne et soutenue des manifestants, face au Capitole, dénonçant la mainmise de l’argent corporatiste sur notre système politique, fait partie de l’un des plus importants mouvements pour la justice sociale depuis le soulèvement d’Occupy.
600 manifestants ont été arrêtés, et j’ai fait partie des 100 qui se sont fait arrêter vendredi.
Les manifestants, organisés par Democracy Spring, ont convergé sur Washington depuis l’ensemble du pays. Jeunes, vieux, noirs, blancs, marrons, amérindiens, asiatiques, chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes, athées, de gauche, de droite. Certains ont marché pendant 10 jours le long d’une route de 200 km depuis Philadelphie jusqu’à Washington.
Vendredi, une douzaine de manifestants s’étaient infiltrés dans un groupe touristique afin de pénétrer dans le Capitole en se liant entre eux avec des fermetures éclaires, et aux échafaudages à l’intérieur de la rotonde. Ils y sont restés jusqu’à leur arrestation. En plus de cela, de nombreux manifestants se sont fait arrêtés et emmenés par la police durant la journée.
“Nous le peuple exigeons une démocratie libérée de l’influence corruptrice du grand capital et de la suppression des votants”, hurlaient-ils. « Nous exigeons une démocratie où chaque vote compte et chaque voix est entendue. Le printemps démocratique ! »
Les centaines d’arrestations de la semaine passée ont été largement ignorés par les medias corporatistes dont les lobbyistes, ainsi que ceux d’autres corporations, sont une présence familière sur la colline du Capitole. Le blackout médiatique massif du plus grand nombre d’arrestations au Capitole depuis des décennies est l’une des innombrables illustrations du coup d’état corporatiste. Et tant que le pouvoir corporatiste n’est pas renversé — et il ne peut l’être que par la rue et par des actes soutenus de désobéissance civile — la nation continuera son involution en état policier autoritaire. Les corporations continueront à nous priver du peu de droits qu’il nous reste, continueront à ravager les écosystèmes, à appauvrir les travailleurs, à parodier la démocratie et à cannibaliser ce qu’il reste du pays. Le système de pouvoir corporatiste n’est pas réformable. Il doit être détruit.
Nous devrons faire cela ensemble. Personne ne le fera à notre place. Et plus nos rues seront pleines — et je retournerai avec les manifestants à Washington Lundi prochain — plus la corruption de notre système politique sera exposée.
Il est crucial de manifester à Cleveland et à Philadelphie lors des conventions républicaine et démocrate plus tard cette année. La construction de mouvements et la désobéissance civile soutenue sont bien plus importants que le vote. Le vote sans mouvement organisé et puissant est futile. Le vote sans réforme électorale radicale, comprenant le bannissement de l’argent corporatiste de la politique, est inutile.
[…] La démocratie ne peut être soutenue si elle ne peut être vue. Ceux au pouvoir doivent craindre les mouvements prêts à déranger la machinerie étatique. […]
Les institutions de pouvoir corrompues ont, depuis des décennies, utilisé à succès un théâtre politique creux pour créer une démocratie fictive. Dans notre démocratie administrée, seuls les candidats approuvés par le secteur des corporations — comme Barack Obama, qui est sorti de la machine politique de Chicago — peuvent être élu à des postes étatiques ou nationaux. Il est quasiment impossible, dans notre système de totalitarisme inversé, de voter contre les intérêts d’ExxonMobil, de Bank of America, de Raytheon ou de Goldman Sachs. En ce qui concerne tous les problèmes structurels majeurs, depuis l’échec de la régulation de Wall Street jusqu’aux guerres impérialistes, en passant par l’éviscération de nos libertés civiles, il y a eu une continuité complète entre les administrations Bush et Obama.
Les voix des citoyens émergent des rues de Washington, des sites de fracturation du Colorado, elles émergent de villes et de communes telles que Ferguson et Baltimore où la police assassine et terrorise les gens pauvres et de couleurs. Elles émergent des rues de Los Angeles, de travailleurs sous-payés, et de rêveurs. Et ces voix vont, si nous les amplifions et nous y joignons, devenir un crescendo assourdissant. Elles créeront les genres de mouvements qui seuls rendent possible le changement social et politique.
Nous sommes tous en mesure de refuser de coopérer. Nous n’avons pas à être les complices du suicide collectif initié par notre espèce. Nous pouvons apporter la démocratie dans les rues. En rejoignant les boycotts, les manifestations, les grèves, les jeûnes, et les mouvements populaires, en initiant des actes de désobéissance civile, nous enflammons nos âmes, nous créons une autre histoire, une autre façon d’être, et nous exposons pour ce qu’elle est la main morte de l’autorité.
Les élites sont en danger. Elles ont perdu toute crédibilité. Le néolibéralisme et la mondialisation ont été démasqués en tant qu’outils de l’exploitation corporatiste. Les milliards dépensés en propagande pour alimenter l’illusion de démocratie et les bénéfices du « libre-marché » n’ont plus d’effet. Les guerres incessantes, qui n’ont pas rendu plus sûrs les USA, l’Europe ou le Moyen-Orient sont aujourd’hui démasquées et exposées pour les marchés d’armes sanguinaires d’une industrie gavée par les billions d’euros des contribuables qu’elles sont.
L’industrie de la guerre et celle des combustibles fossiles, comme tout système corporatiste d’exploitation, sont en leur cœur des systèmes de mort. Elles attaquent une planète qui a urgemment besoin d’écologie et de systèmes sociaux égalitaires, qui seuls rendent la vie possible. Le combat qui nous attend, comme le sait quiconque suit la science climatique, est urgent. Il s’agit de vaincre ces systèmes de mort. D’un combat pour la vie. Ces systèmes sont puissants et impitoyables. Mais si nous ne résistons pas, l’espoir s’éteint.
Chris Hedges | 20 avril 2016
Article original publié en anglais sur le site de truthdig.com
Christopher Lynn Hedges (né le 18 septembre 1956 à Saint-Johnsbury, au Vermont) est un journaliste et auteur américain. Récipiendaire d’un prix Pulitzer, Chris Hedges fut correspondant de guerre pour le New York Times pendant 15 ans. Reconnu pour ses articles d’analyse sociale et politique de la situation américaine, ses écrits paraissent maintenant dans la presse indépendante, dont Harper’s, The New York Review of Books, Mother Jones et The Nation. Il a également enseigné aux universités Columbia et Princeton. Il est éditorialiste du lundi pour le site Truthdig.com.