Cette demande d’un Etat palestinien est un veux pieux. Sur quelles miettes peut-on encore construire l’Etat palestinien ? SC

Il est remarquable que plusieurs initiatives ont été lancées ces dernières semaines par des personnalités israéliennes et l’Organisation non gouvernementale B’Tselem en faveur d’une solution négociée basée sur le respect du droit et pour mettre fin à l’occupation militaire de la Palestine qualifiée « Territoires Palestiniens ». Ces appels n’ont reçu aucun écho(1) dans le monde médiatique et c’est dommage.

L’asservissement de nos dirigeants et de nos médias au lobby pro-Israël est plus flagrant que jamais.

La perspective du 50e anniversaire de la guerre des Six-Jours [ 10 juin 1967, ndlr] et de l’occupation militaire de la Cisjordanie a été l’occasion de remettre le débat sur la place publique. Un appel a été lancé à la fin septembre 2016 par 500 personnalités représentatives des forces vives de la société israélienne. Le texte de l’appel est modéré. Il rappelle que «  l’année 2017 marque les 50 ans d’occupation par Israël des Territoires palestiniens, que l’occupation constitue une oppression, qui mine les fondements moraux et démocratiques de l’État d’Israël et qu’elle porte atteinte à son statut dans la communauté des nations. Il demande qu’une solution soit négociée, conduisant à la création d’un État palestinien indépendant à côté de l’État d’Israël. » On notera que cet appel s’adresse « aux juifs du monde entier en les invitant à se joindre à leurs partenaires israéliens pour développer une action coordonnée pour mettre fin à l’occupation et bâtir un nouvel avenir dans l’intérêt de l’État d’Israël et des générations futures »

Le 14 octobre 2016, devant les membres du conseil de sécurité de l’ONU, le directeur exécutif de l’ONG B’Tselem, Hagaï El-Ad (2) a lu cet appel au cours d’une session spécial ( le texte, traduit de l’anglais par Philippe DAUMAS , est une transcription des remarques préparées par Hagaï El-Ad).Inutile de préciser que depuis ce 14 octobre, Hagaï El-Ad est violemment pris à partie en Israël, où des politiques proposent de le destituer de sa nationalité israélienne comme « traître » à son pays .

« Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil de Sécurité,

Avant de commencer, je voudrais exprimer mes profonds remerciements pour l’occasion unique qui m’est donnée de prendre la parole devant cette assemblée distinguée et de m’adresser aux membres du Conseil de Sécurité des Nations unies.

Ce que je vais vous dire n’a pas pour objet de vous choquer. Mon propos est cependant de vous émouvoir.

Au cours des 49 années écoulées, et ce n’est pas fini, l’injustice connue sous le nom d’occupation de la Palestine et contrôle par Israël de la vie des Palestiniens à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, est devenue partie intégrante de l’ordre international……

Qu’est-ce que cela signifie, en termes concrets, que de passer 49 ans, c’est-à-dire une vie d’homme, sous régime militaire ? Quand la violence se déchaîne ou quand des incidents particuliers attirent l’attention du monde entier, vous avez un aperçu de certains aspects de ce qu’est la vie sous occupation. Mais qu’en est-il le reste du temps ? Qu’en est-il des nombreux jours « ordinaires » d’une occupation de 17.898 jours, qui se poursuit de plus belle ? Vivre sous régime militaire représente une violence invisible, bureaucratique, quotidienne. Cela signifie vivre sous un régime sans fin de demandes de permis, lequel contrôle la vie des Palestiniens depuis le berceau jusqu’au tombeau. Israël a la haute main sur l’état-civil ; Israël a la haute main sur les permis de travail ; Israël a la haute main sur qui peut voyager à l’étranger — et qui

ne le peut pas ; dans certains villages, Israël tient la liste de ceux qui peuvent se rendre dans le village et de qui est autorisé à cultiver telle parcelle. Il arrive parfois que les permis soient refusés. Les permis doivent toujours être renouvelés.

Ainsi, à chaque inspiration, les Palestiniens inhalent l’occupation. A la moindre erreur, vous pouvez perdre votre liberté de mouvement, vos moyens de subsistance ou même la possibilité de vous marier et de construire une famille avec votre bien-aimée.

Pendant ce temps, présents partout, il y a les colonies et les colons. Ce sont des citoyens israéliens qui vivent, sans se cacher, dans une démocratie du premier monde qui, d’une certaine manière, n’existe que pour eux, au-delà des frontières de leur pays. Cette entreprise qui ne cesse de croître, bien qu’elle soit illégale, se retrouve partout, dans toute la Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Les colonies entourent les agglomérations palestiniennes ainsi que les généreuses attributions de terres à leur pourtour, en vue de leur future expansion ou de la création de « zones spéciales de sécurité » ; elles se traduisent par des « checkpoints » pour les Palestiniens et des routes de contournement pour les colons ; elles se traduisent par la Barrière de Séparation et, en fin de compte, par la fragmentation de la Palestine en des centaines de communautés isolées qui flottent — ou plutôt, devrais-je dire, qui s’enfoncent lentement dans une mer de domination israélienne. Qui pourrait mériter d’endurer de telles conditions pendant un demi-siècle ?

Mesdames et Messieurs,  

Presque tous les aspects de cette réalité sont considérés comme légaux par Israël. La façon dont Israël contrôle la vie des Palestiniens est unique par l’attention précautionneuse que la puissance occupante accorde à la lettre de la loi, tout en en étranglant l’esprit même. L’occupation a porté à une telle perfection l’art de diluer le droit humanitaire international et celui des droits humains qu’elle est parvenue à les vider virtuellement de leur sens. Quand les avocats militaires, les procureurs et les juges de la Cour Suprême ont fini de peaufiner les avis juridiques, tout ce qui reste, c’est l’injustice pure et simple.

Trouvez-moi un Palestinien mort dont il faut se débarrasser de l’assassinat pour garantir l’impunité [à son auteur], et vous trouverez un avis savant du procureur militaire.

Trouvez-moi les 100.000 Palestiniens dont on a ignoré et négligé l’existence de l’autre côté de la Barrière de Séparation érigée à l’intérieur de Jérusalem-Est, et je vous rappellerai que même une injustice aussi flagrante a été approuvée par avance par la Haute Cour d’Israël.

Trouvez-moi un lopin de terre palestinienne que vous voulez vous approprier, et l’Administration Civile vous fournira le matériel légal taillé sur mesure — bien entendu, tout cela doit être conforme à la loi — pour arriver à vos fins : zones militaires d’entraînement, réserves naturelles, sites archéologiques et par-dessus tout, déclaration de milliers d’hectares comme « terres domaniales » — mais domaines de quel Etat ? — Toutes ces méthodes sont utilisées avec succès pour déplacer de force les Palestiniens et justifier l’interdiction qui leur est faite de se brancher sur le réseau d’adduction d’eau et le réseau de l’électricité. 

Bien entendu, ces gestes des Israéliens ne réussissent pas à tous les coups. Ce serait trop beau. Aussi, une fois en passant, peut-être une fois tous les dix ans, un militaire pas trop gradé se retrouve devant un tribunal bidon et, une fois en passant, un plan d’occupation des sols est approuvé pour un village. Ces singularités extraordinaires, soigneusement choisies, détournent utilement l’attention de l’image d’ensemble.

De façon à maintenir l’apparence de la légalité, Israël fait intervenir la procédure pour tout et n’importe quoi : pour alimenter de force des grévistes de la faim, comme ce fut le cas dernièrement à la Haute Cour ; pour approuver ou renouveler machinalement des ordres de détention pour démolir la maison de la famille de Palestiniens qui ont perpétré des attentats — oui, cela aussi est arrivé des centaines de fois, conformément à la procédure et avec le sceau de la Haute Cour administrative, ou prolonger le maintien en détention sans jugement de centaines de Palestiniens ;

Depuis l’an 2000, plus de 4.400 Palestiniens ont perdu leur maison de cette façon.

Oui, Israël a  des avocats, des procureurs et des juges qui sont des professionnels. C’est, bien entendu, un métier hautement professionnel. Nous avons eu suffisamment de temps pour avancer vers une occupation plus parfaite. Mais il n’est pas besoin d’être homme de loi pour reconnaître une injustice. Voyez l’occupation et toute l’apparence de légalité qui l’accompagne, et désignez-la pour ce qu’elle est : un travestissement de légalité sur une violence d’État organisée.

Mesdames et Messieurs,

Israël a systématiquement légalisé des violations des droits humains dans les territoires occupés par l’installation de colonies pérennes, des démolitions punitives de maisons, un mécanisme partisan de constructions et de planification, de confiscation de terres palestiniennes et bien, bien plus de choses encore. Le système militaire d’application de la loi — si on peut l’appeler ainsi — blanchit des centaines de cas où des Palestiniens ont été tués ou victimes d’abus.

Voici quelques chiffres : Israël a déclaré 20% de la Cisjordanie « terres domaniales » ; Israël autorise « généreusement » les Palestiniens à construire sur la moitié de un pour cent de la zone C, ces 60% de la Cisjordanie placés « temporairement » sous contrôle israélien il y a une génération ; au cours de la dernière décennie, Israël a démoli quelque 1.200 maisons de Cisjordanie, sans tenir compte des démolitions à Jérusalem-Est, rendant de ce fait sans domicile fixe plus de 5.500 personnes, dont la moitié étaient des mineurs ; si on incluait les chiffres de Jérusalem-Est, cela augmenterait ces chiffres de 50% encore. En avril 2016, il y avait environ 7000 Palestiniens dans les prisons israéliennes, dont un quart était détenu pendant le temps nécessaire à la procédure des tribunaux militaires, et environ 10% sont en détention administrative. Dernière série de chiffres : Pour un quart des quelque 740 plaintes déposées par B’Tselem auprès des autorités militaires depuis l’an 2000, aucune enquête n’a été ouverte ; pour une autre moitié, les plaintes  ont été finalement classées sans suite ; et dans 25 cas seulement, des mises en examen ont été prononcées. Et tenez-vous bien : pendant ce temps, les autorités militaires ont matériellement perdu toute trace de 44 dossiers — plus que les 25 cas qui ont été renvoyés devant un tribunal ! Israël insiste sur le fait que tout ceci est légal, aussi bien selon le droit israélien que selon le droit international.

Tel n’est pas le cas.

Mais ceci est de peu d’importance dans les faits pour empêcher Israël de poursuivre sa politique parce que, malheureusement, le droit international est dépourvu de tout mécanisme effectif d’application. Et de cette façon, la politique israélienne est appliquée et promue avec un soutien toujours plus grand de la population israélienne. En dépit d’un large consensus international — y compris les résolutions passées du Conseil de Sécurité — sur le fait que les colonies sont illégales, la seule différence que l’on puisse mesurer dans ce domaine, c’est l’augmentation du nombre de colonies, de colons et de Palestiniens qui vivent sous leur ombre portée, en butte aux démolitions, ou au déplacement .

B’Tselem travaille depuis 27 ans pour enquêter et publier les violations des droits humains dans les territoires occupés, pour analyser et interpréter les données et plaider localement, comme sur un plan international, sur ces problèmes. Nous ne nous prononçons pas pour une solution politique spécifique ; nous combattons les violations des droits humains. En fait, nous mesurons

à quel point Israël a utilisé le « processus de paix » lui-même pour gagner du temps — beaucoup de temps — puisqu’il établit toujours plus de faits accomplis chez les Palestiniens. …..

Et au niveau mondial ?

Il y a six ans et demi, le vice-président des Etats-Unis, Joe BIDEN, a prévenu que « le statu quo n’était pas maintenable ». A n’en pas douter, il avait seulement six ans et demi d’avance en énonçant cet avertissement. Le « statu quo » — ce vecteur des intérêts israéliens qui avance toujours aux dépens des droits des Palestiniens — s’est révélé non seulement durable mais en fait florissant.

Il y a pratiquement un an, l’Union Européenne s’est lancée dans un « dialogue structuré » de six mois avec Israël, visant à mettre un terme aux démolitions administratives de maisons dans la zone C. Six mois plus tard, le dialogue ne débouchait sur rien et les démolitions étaient plus nombreuses que jamais, et pourtant l’Union Européenne décida, devinez quoi ?: de prolonger le dialogue. Si un nombre sans précédent de démolitions peut aller de pair avec un calendrier sans limite de dialogue international, pourquoi arrêterait-on les démolitions ? …..

Je me sens obligé de vous demander : Combien de maisons palestiniennes supplémentaires doivent être passées au bulldozer avant que l’on comprenne que les paroles qui ne sont pas confirmées par des actes ne font rien d’autre qu’indiquer à Israël qu’il peut continuer ?  

La concrétisation des droits humains n’a pas besoin d’attendre plus longtemps. Les Palestiniens ont

droit à la vie et à la dignité, ont le droit de déterminer leur propre avenir. Ces droits ont été retardés beaucoup trop longtemps. Et retarder la justice, c’est nier la justice.

Comme Martin Luther King nous l’a enseigné : « Nous savons d’expérience douloureuse que la liberté n’est jamais volontairement octroyée par l’oppresseur ». Aussi la réalité à laquelle la communauté internationale est confrontée est celle-ci : l’absence d’action non seulement donne à l’oppresseur la possibilité de continuer sans avoir à trop souffrir des répercussions, mais encore octroie à l’oppresseur le pouvoir de décider quand viendra le moment opportun pour commencer à envisager des alternatives. « Attendez » demande Israël, « Maintenant n’est pas le bon moment ». Mais « Attendez » a presque toujours signifié « Jamais », répond Martin Luther King. « C’est toujours le bon moment pour faire ce qui est juste. » Et ce moment, c’est maintenant : le moment, à la fin des fins, de passer à l’action. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies n’a pas seulement le pouvoir : vous avez une responsabilité morale — et une réelle occasion — d’agir avec un sentiment d’urgence, avant d’atteindre la date symbolique de juin 2017 et que ne commence la seconde moitié de ce premier siècle, d’adresser au monde, aux Israéliens et aux Palestiniens, un message clair, appuyé par l’action internationale : Israël ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Vous ne pouvez pas occuper un peuple pendant cinquante ans et vous appeler une démocratie. Vous ne pouvez pas violer les droits de millions de gens et demander des avantages au niveau international, justifiés par des paroles creuses d’engagement à des valeurs partagées de droits humains.

Israël est un pays souverain, établi selon la légitimité internationale conférée par une décision historique de cette institution-même en 1947. Je suis citoyen de ce pays. C’est ma patrie. Pendant la plus grande partie de l’existence de mon pays, le monde l’a autorisé à occuper un autre peuple. J’ai vécu ma vie entière, chaque jour de ma vie, avec cette réalité. Des millions d’Israéliens et de Palestiniens ne connaissent pas d’autre réalité. Nous avons besoin de votre aide. Cinquante ans d’occupation « temporaire », c’est trop long pour que ne serait-ce qu’une seule personne sur notre planète accepte un tel oxymore. Les droits des Palestiniens doivent être traduits dans les faits. L’occupation doit cesser. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies doit agir. Et le moment d’agir, c’est maintenant. »  

De pareils propos sur l’occupation militaire des Territoires occupés, dits ou écrits par un journaliste ou un dirigeant politique, lui vaudrait un lynchage de première classe et bien entendu une plainte pour incitation à la haine et antisémitisme. Il suffit de se référer à l’ouvrage de Pascal Boniface(3)pour en être convaincu.

MARC Jean | novembre 2016

(1) A l’exception de la revue Marianne qui a publié l’appel des 500 personnalités israéliennes dans son numéro 1018 du 7 au 13 octobre 2016

(2) Hagai El-Ad: Directeur exécutif de B’Tselem lors de son intervention  devant le Conseil de Sécurité le 14 octobre 2016

Hagai El-Ad’s adresse in a special discussion about settlements at …

[B’Tselem est une ONG qui a été créée en 1989 par des universitaires, des juristes, des journalistes et des membres du Parlement israélien (la Knesset) : le Centre israélien d’information sur les droits humains dans les Territoires occupés. Son nom est un mot hébreu qui veut dire littéralement  « à l’image de ». Il apparaît deux fois dans un fameux verset du premier chapitre du premier livre de la Bible : Genèse 1,27 : « Dieu créa l’homme à son image (littéralement : à l’image de lui), à l’image de Dieu il le créa. » En hébreu, le mot est aussi utilisé comme synonyme de « dignité humaine ». L’objectif de B’Tselem, organisme connu et jusqu’à présent respecté en Israël, est d’informer et de sensibiliser l’opinion et les décideurs israéliens sur les violations des droits humains dans les Territoires occupés illégalement par Israël depuis la guerre de juin 1967. Afin que personne ne puisse dire un jour : « Je ne savais pas ».

(3) « Est-il permis de critiquer l’Etat d’Israël » de Pascal Boniface, Robert Laffont, 2003.

Source: https://arretsurinfo.ch/un-appel-pour-la-justice-en-palestine/