Un piège israélien pour le Liban
Par Linda S. Heard
Article publié le 13 septembre 2006 dans Online Journal
Après la défaite israélienne au Liban, le Premier ministre israélien Ehud Olmert tente de séduire Beyrouth en proposant de négocier sur les Fermes de Chebaa, ouvrant ainsi la voie à un possible traité de paix. En réponse, son homologue libanais, Fouad Siniora, a juré que le Liban serait le dernier pays arabe à signer un compromis de paix avec Israël.
De manière générale, la paix est indubitablement préférable à l’inimitié. Mais, dans le cas qui nous occupe, Siniora a parfaitement raison de repousser les avances israéliennes.
« Que les choses soient bien claires : nous ne recherchons aucun accord tant qu’il n’y aura pas une paix juste et globale, fondée sur l’initiative arabe » [du sommet arabe de Beyrouth de 2002 – une proposition souvent qualifiée de « saoudienne », NdT], a-t-il déclaré fin août.
Du point de vue israélien, un compromis de paix avec le Liban serait une sacrée aubaine. Tout d’abord, Israël n’aurait plus à s’inquiéter des roquettes du Hezbollah, mais, tout aussi important, le Liban servirait de zone tampon amicale entre le Nord d’Israël et la Syrie.
Cela signifierait qu’Israël aurait des relations amicales avec tous ses voisins, excepté les territoires occupés et la Syrie, de l’autre côté des hauts plateaux du Golan occupé.
Ainsi, son bras armé serait renforcé, ayant à faire face à un front hostile de moins, et les Palestiniens se retrouveraient dans une situation encore plus détestable que celle qu’ils connaissent d’ores et déjà, tandis que la Syrie serait, pour le coup, totalement isolée, toutes ses possibilités de marchander à propos du Golan étant très sévèrement réduites.
La ministre israélienne des AE, Tzipi Livni, a déclaré : « Le problème n’est pas que le Liban ne veuille pas entrer dans le processus de paix. Le problème, c’est que la Syrie ne lui permettrait sans doute pas de le faire… »
De fait, si le Liban adhérait à un tel processus, il est plus que probable que la Syrie scellerait sa frontière, causant un blocus terrestre total du Nord du Liban et contraignant ce pays à s’en remettre à Israël pour ses importations et exportations de biens par la route. Etant donné les états de service d’Israël en matière de fermetures de ses frontières sur un coup de tête, cela mettrait le Liban à la merci de ce pays.
Depuis des années, la Syrie réaffirme être prête à entamer des pourparlers de paix basés sur la restitution du Golan, et elle n’a cessé de se faire rembarrer. Aussi semblerait-il que le gouvernement israélien soit délibérément enclin à semer la zizanie, dès lors que rien ne l’empêcherait de proposer de négocier simultanément avec le Liban et avec la Syrie, si toutefois la paix et la sécurité étaient sincèrement ses véritables objectifs.
En réalité, Israël convoite des terres, bien plus qu’il n’aspire à la paix. Peu lui importe de restituer la minuscule zone des Fermes de Chebaa au Liban, au cas où les pressions deviendraient trop fortes. En revanche, Israël a toujours considéré que le fait de s’accrocher bec et ongles aux hauteurs du Golan était pour lui un impératif stratégique.
C’est à la même histoire de vols de terres que nous avons affaire en Cisjordanie, où le mur d’apartheid d’Israël a englobé des étendues de terres palestiniennes et où ses colonies illégales sont vouées à s’étendre, en dépit des appels de la communauté internationale à en arrêter la construction. Et, maintenant que l’ainsi dit « plan de convergence » concocté par Olmert a rejoint le dépotoir des promesses brisées, l’invocation par Israël de n’importe quel prétexte pour réoccuper Gaza n’est plus qu’une question de temps.
Officiellement, Israël affirme continuer à adhérer à la « feuille de route », laquelle ressemble de plus en plus à un produit de la fertile imagination du président américain, extraite de sa casquette de base-ball pour amener les pays hésitants à s’embarquer dans l’invasion de l’Irak. Les Israéliens disent que c’est le meilleur truc qu’ils aient en rayon.
En réalité, il y a une autre option, qui apporterait une paix durable non seulement à Israël, mais aussi à l’ensemble de la région. Il s’agit d’une version améliorée du projet mis sur la table par l’Arabie saoudite lors du Sommet de la Ligue des Etats Arabes tenu en 2002 à Beyrouth et basée sur une solution à deux États au conflit israélo-palestinien, et sur le principe : les territoires en échange de la paix. C’est là une magnifique opportunité pour Israël, dès lors que cette proposition est soutenue par la totalité des vingt-deux pays membres de la Ligue arabe. [Cela n’est plus d’actualité, ndlr]
La réponse israélienne a été tiède, mais comme l’a récemment déclaré le roi Abdallah de Jordanie à la revue Time : « Les Israéliens veulent-ils continuer à patrouiller autour de leur maison, leur fusil d’assaut Uzi en bandoulière ? » et aussi : « Les mères (israéliennes) doivent-elles continuer à se demander si leurs enfants rentreront ou non sains et saufs chez eux, d’un centre commercial ou d’un restaurant ? »
« Les Israéliens doivent nous dire, tout de suite, quelle est leur vision à long terme de ce qu’ils considèrent être la paix. S’agira-t-il d’un Israël-forteresse ? Ou bien Israël sera-t-il intégré dans la région ? »
Aucun doute n’est permis : les pays arabes ont décidé d’être désormais plus dynamiques dès lors qu’il s’agit de leurs propres affaires. Ils ont vraisemblablement décidé que les USA ne seraient jamais un honnête courtier, tandis que l’intérêt manifesté par le Britannique Tony Blair a bien plus à voir avec son legs politique qu’avec un engagement sérieux et sincère.
Nous avons constaté les effets de cette unité retrouvée des Arabes quand une délégation des ministres des Affaires étrangères des Émirats arabes unis et du Qatar s’est jointe au chef de la Ligue arabe, Amr Moussa, pour exprimer de manière très directe leurs observations devant le Conseil de sécurité de l’Onu, au sujet des droits du Liban, dans le cadre de la résolution 1701.
Les Arabes doivent aujourd’hui s’unir afin de mettre la pression sur Israël jusqu’à ce que ce pays se comporte comme une composante responsable de cette région et à cette fin, il semble appartenir à l’Égypte et à la Jordanie – pays ayant signé des traités de paix avec Israël – de menacer celui-ci de rompre leurs relations diplomatiques avec lui.
C’est, de fait, ce qu’on réclamé un certain nombre de parlementaires égyptiens durant le récent conflit.
Quand le président égyptien de l’époque, Anouar Sadate, a effectué sa visite historique à Tel Aviv, en 1977, afin d’accomplir ce qu’il qualifia de « mission sacrée », il tendit aux Israéliens une branche d’olivier, dans l’espoir que tous les pays arabes suivraient son exemple. A l’exception de la Jordanie – dix-sept ans après – cela n’a jamais été le cas.
A la lumière de l’aggravation de l’agressivité israélienne, le temps est sans doute venu, pour l’Égypte et la Jordanie, de réévaluer les traités qu’elles ont signé. Israël devrait se voir soumettre le choix suivant : Tout, ou rien. La paix avec TOUS ses voisins, ou avec aucun.
Comme l’a déclaré récemment un des dirigeants les plus modérés et les plus pro-occidentaux de cette région du monde, le roi Abdallah de Jordanie, «Tous, dans la région, y compris les Israéliens, nous nous sentons de moins en moins en sécurité. Personne ne sait où cela va nous mener. Le camp de la paix doit manœuvrer le bateau pour le faire partir dans la direction opposée. Sinon, nous allons tous couler… »
Encore en état de choc après la dévastation totalement inutile qui lui a été infligée, des citoyens continuant à être tués par les bombes à sous-munitions dont Israël a généreusement saupoudré l’ensemble du Sud du pays dans les toutes dernières heures du conflit, le Liban – c’est heureux – ne succombe pas aux manœuvres de division d’Israël.
Comme les Palestiniens, les Libanais ont besoin du soutien politique, économique et moral de leurs cousins arabes, qui parviendront, espérons-le, à la conclusion – fût-ce tardivement – que, désormais, c’est « Tous pour un, et un pour tous ! »
Linda S. Heard, 13 septembre 2006 | Online Journal
Linda S. Heard, Britannique, est spécialiste du Moyen-Orient.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Source: https://arretsurinfo.ch/un-piege-israelien-pour-le-liban/