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Par Tim Kirby
Paru le 7 février 2022 sur Strategic culture
Elle pourrait justifier des dépenses infinies pour protéger la démocratie contre les méchants Russes qui ne demandent qu’à marcher sur Paris avec une cavalerie cuirassée et des baïonnettes étincelantes ou tout autre fantasme idiot que les médias grand public peuvent imaginer.
Peut-être ai-je été trop optimiste au tout début de 2022 quant aux chances que Washington et Moscou puissent trouver une position de compromis sur la crise ukrainienne. Lorsque le Kremlin a envoyé une liste de demandes à l’Ouest et que leurs homologues ont accepté de se rencontrer et d’en discuter, il semblait logique de croire que ce cauchemar pourrait enfin prendre fin. L’offre consistait essentiellement à résoudre le conflit en définissant clairement de nouvelles sphères d’influence dans une nouvelle ère multipolaire. Toutefois, lorsque les négociations proprement dites ont commencé, mes espoirs d’un 21e siècle pacifique ont été rapidement anéantis. Comme de nombreux Russes me l’ont dit, il est difficile de négocier avec les Américains en raison d’un certain style de raisonnement « nous comprenons vos préoccupations… MAIS », qui écoute mais ne traite pas et ne souhaite pas comprendre l’autre partie et ensuite revenir sur sa position initiale.
J’ai entendu cela un million de fois, que nous, les fils de la liberté, sommes très bons pour donner l’illusion d’écouter et de sympathiser avec ceux de l’autre côté de la table, tout en ne bougeant même pas d’un seizième de pouce. Et bien, pour être honnête, tout ce que l’on peut dire c’est « tant mieux pour nous ». Pendant des décennies, les Russes ont été totalement dupés par nos tactiques de négociation. Les Russes perçoivent le sourire américain comme un signe de stupidité et de faiblesse, ainsi que d’autres signes superficiels d’amitié qui les bercent d’un faux sentiment de sécurité. J’ai rencontré des personnes étonnamment puissantes et influentes en Russie qui continuent de croire que les problèmes avec l’Amérique ne sont pas géopolitiques, systémiques ou basés sur la dynamique du pouvoir d’un jeu à somme nulle, mais qu’ils sont de nature personnelle et peuvent être résolus par une sorte de diplomatie amicale et de compréhension culturelle.
En fait, la crédulité de la Russie est la raison pour laquelle nous sommes ici en premier lieu. Reagan a fait beaucoup de promesses à Gorbatchev, qui a tout gobé. Quelques années plus tard, l’ensemble du Pacte de Varsovie est capitaliste et sous le contrôle de l’Occident, la Russie vit la « plus grande tragédie géopolitique du 20e siècle » et il n’est pas nécessaire d’avoir recours à la magie d’Hollywood pour tourner un film de type Mad Max dans n’importe quelle grande ville de l’ex-Union soviétique.
Sur cette base, j’aurais probablement dû voir venir le fait que Washington participerait à de grandes négociations théâtrales et émotionnelles qui, au fond, n’impliqueraient aucune négociation réelle, les Américains restant sur leurs positions.
Toutefois, nous ne pouvons pas oublier que l’équipe Biden a ensuite fait une sorte de contre-offre secrète qui ne devait pas être révélée au public. Cette manœuvre alimentera les réflexions des conspirateurs en ligne pendant des années, mais en fin de compte, les Russes n’étaient pas vraiment ravis de l’offre, probablement en raison d’un autre aspect de la façon dont les États-Unis négocient avec les Untermenschen. Lorsqu’il s’est emparé des terres des Indiens, en rédigeant de jolis contrats pour leur offrir des perles brillantes en guise de compensation, le gouvernement américain savait exactement ce qu’il faisait, mais n’avait aucune honte à les considérer comme des animaux non civilisés, un peu de la même manière que Washington considère les Russes aujourd’hui. « Nous vous ferons dix choses horribles, mais nous en révoquerons une si vous signez X, Y et Z, et vous devriez vous considérer comme honorés d’avoir eu la possibilité de conclure un tel accord avec nous ».
Ce type de raisonnement m’a amené à penser que les États-Unis pourraient renoncer à environ la moitié de l’Ukraine, pour obliger les Russes à renoncer à TOUT le reste du territoire européen et à tout soupçon d’influence qu’ils pourraient y avoir. En substance, l’Amérique obtiendrait l’Europe (toutes les terres qu’elle a gagnées pendant la guerre froide) et la Russie récupérerait une partie de son territoire traditionnel (des perles sous la forme de plus de 50 % de l’Ukraine). Cela pourrait être facilement accompli par un simple référendum public qui déchirerait cette pseudo nation en deux instantanément. Un accord de cette nature entre ces deux puissances serait une solution humaine, sans effusion de sang, qui s’avérerait être une victoire à long terme pour Washington puisqu’ils obtiendraient presque tout. Mais les gens n’appellent pas cette entité l’hégémon mondial pour être mignons, vous n’aurez pas de dieux devant Washington. C’est le siècle américain après tout.
La seule façon d’obtenir les résultats sur lesquels le Pentagone, le Bureau ovale et le Kremlin peuvent s’entendre sera malheureusement une sorte de guerre par procuration qui divisera l’Europe, mais d’une manière beaucoup plus potable pour Washington. Les résultats d’une confrontation de cette nature en Ukraine seront presque identiques à ceux d’un processus référendaire – elle la divisera et une grande partie du territoire ira à la Russie, mais la différence est que le conflit permet au complexe militaro-industriel d’être alimenté pour une autre génération. Ils seront en mesure de refiler des milliards de dollars de vieilles technologies à leurs alliés et de construire toutes sortes de défenses de pointe sur la frange orientale de l’UE à des coûts astronomiques.
Pour être clair, je crois personnellement que beaucoup de choses qui se passent à Washington, y compris le financement du complexe militaro-industriel, ne nécessitent plus ni logique ni justification pour être promulguées. La guerre ou un ennemi spécifique ne sont plus nécessaires pour augmenter les dépenses militaires, mais le pouvoir de l’inertie historique ne peut être surestimé. Washington a l’habitude d’avoir besoin d’un ennemi à inscrire comme une sorte de poste budgétaire et actuellement la liste des ennemis semble un peu vide avec la fermeture de l’Afghanistan. Nous ne pouvons pas oublier que Trump a tranquillement tué la guerre contre la terreur sans la remplacer. Les omniprésents Daesh/ISIS, Al-Qaeda et la terreur islamique ont en quelque sorte disparu comme par magie et pourtant personne au pouvoir n’a même fait allusion à une réduction des budgets de défense. Il n’y a aucun besoin réel de remplacer la terreur islamique par la Russie comme cible du jour, mais Washington est simplement habitué à avoir besoin d’un ennemi officiel.
Ainsi, une guerre par procuration en Ukraine pourrait justifier des dépenses infinies pour protéger la démocratie des méchants Russes qui ne demandent qu’à marcher sur Paris avec une cavalerie cuirassée et des baïonnettes étincelantes ou tout autre fantasme idiot que les grands médias peuvent imaginer.
Pour les Russes, perdre des milliers de leurs compatriotes expatriés de force en Ukraine n’est pas une partie de plaisir, mais une chose est sûre, dans un combat entre l’armée ukrainienne soutenue par Washington et les républiques séparatistes soutenues par la Russie, nous savons tous qui va gagner, et donc la « realpolitik » va probablement l’emporter derrière les murs du Kremlin.
Ainsi, au lieu de parvenir à un accord pacifique et respectueux, dans lequel Washington obtiendrait la quasi-totalité de l’Europe et la Russie récupérerait une partie de ses territoires perdus afin d’éviter une troisième guerre mondiale, ce même résultat va probablement se produire, mais avec des milliers de cadavres, des billions de dollars du contribuable américain volés et l’hostilité politique d’une génération. Ce scénario explique la nature secrète des réponses de Washington et le fait que tant Zelensky que Lloyd Austin ont clairement indiqué que l’armée américaine n’allait pas mourir pour de l' »aneth » dans la banlieue de Kiev.
Si la lecture des feuilles de thé dans cet article est correcte, alors nous pouvons voir une fois de plus pourquoi tant de gens dans le monde méprisent la politique étrangère américaine, car elle est dépendante de la guerre et exige constamment une sorte de nouveau sacrifice pour maintenir le feu allumé. À l’heure actuelle, avec quelques négociations, nous pourrions vraiment être à l’aube d’une paix à très long terme dans une Europe clairement divisée qui serait dominée de manière écrasante par les États-Unis. Mais cela n’est pas suffisant pour Washington, et nous nous dirigeons donc probablement vers la première véritable guerre par procuration de la Guerre froide 2.0, qui rendra toutes les parties concernées « heureuses » à un certain niveau. Évidemment, je fais beaucoup de spéculations ici, mais cela fait partie du travail d’analyse, de prendre le connu pour projeter ce qui pourrait être et inversement ce qui ne peut tout simplement pas être.
Tim Kirby
Source: Strategic culture
(Traduction Olinda/Arrêt sur info)