Un homme avec des sacs mortuaires à Jabalia, dans la bande de Gaza, le 9 octobre (Bashar Taleb, Wafa pour APAimages, Wikimedia Commons),

Le 11 mai au matin, le porte-parole de l’armée israélienne a annoncé que l’armée avait lancé une nouvelle opération à Jabalia, la ville et le camp de réfugiés attenant situés dans le nord de la bande de Gaza. Des ordres d’évacuation ont été donnés aux résidents palestiniens de plusieurs quartiers, mais beaucoup n’ont pas pu partir ; d’autres ont décidé de rester, en raison du manque de zones sûres dans l’ensemble de la bande de Gaza.

La moitié nord de la bande de Gaza a été la plus touchée par les bombardements de l’armée israélienne au cours des premières semaines de la guerre et, le 27 octobre, elle a été la première partie de la bande de Gaza à être touchée par l’invasion terrestre israélienne. En mars, le nord s’est trouvé confronté à une famine de stade 5 – le niveau le plus élevé selon la classification du Integrated Food Security Phase Classification et qualifié de “catastrophe”. Pratiquement aucune aide humanitaire n’arrive aux habitants du nord, et on estime qu’un tiers des enfants de moins de deux ans souffre de malnutrition aiguë.

La situation la plus grave est sans doute celle du camp de réfugiés de Jabalia, le plus vaste de Gaza, qui comptait avant la guerre plus de 100 000 Palestiniens vivant sur une superficie d’à peine 1,4 kilomètre carré. Les attaques israéliennes aveugles dans une région aussi densément peuplée ont donc eu un impact fatal massif. En octobre, deux bombes d’une tonne ont été larguées sur Jabalia, tuant au moins une centaine de personnes. Moins de deux mois plus tard, un autre assaut a fait autant de victimes. Au cours des deux dernières semaines, les bombes israéliennes ont détruit des maisons, un jardin d’enfants et l’aile d’un hôpital réservée aux urgences.

La dernière attaque israélienne sur le camp, à la fois par des avions et des troupes au sol, a eu des conséquences dévastatrices : l’armée a bombardé et détruit au bulldozer des quartiers d’habitation entiers, des marchés et des entrepôts de denrées alimentaires, aggravant ainsi une crise humanitaire déjà désespérée, tandis que des cadavres sont éparpillés dans les rues.

Sabri Abu Al-Nasr, 43 ans, est résident du camp, réfugié dans l’école Al-Fakhoura, affiliée à l’UNRWA, pour tenter d’échapper aux bombardements israéliens.

“Les conditions de vie dans le camp sont épouvantables, et personne n’est épargné par les bombardements aériens et d’artillerie”, a-t-il déclaré à +972“Les snipers israéliens sont postés sur les immeubles – ils tirent sur tout ce qui bouge”.

“Lorsque les Israéliens ont attaqué, le camp s’est réveillé dans le fracas de gigantesques explosions. Le ciel s’est chargé de fumée noire sous l’effet de l’intensité des tirs d’artillerie, et les habitants ont fui pour leur salut.”

Abu al-Nasr vit avec les survivants de sa famille qui, comme des dizaines de milliers d’autres, ont refusé de quitter Jabalia, malgré les maladies récurrentes et le manque d’eau potable. “Nous ne pouvons plus supporter ce qu’on nous inflige aujourd’hui”, a-t-il déclaré.

“Les rires des enfants font place aux explosions des missiles”.

Nazmi Hijazi, qui vit dans la rue Al-Hoja à Jabalia, a été contraint de quitter les lieux sous de violents bombardements, alors que les véhicules militaires israéliens progressaient vers sa maison. Il s’est ensuite réfugié au Yemen Hospital, à l’ouest du camp de réfugiés.

Hijazi a décrit les événements de Jabalia comme une seconde Nakba, les rues du camp étant encombrées de morts et de blessés, sans que personne ne puisse récupérer les corps ou venir en aide aux survivants. Après les bombardements ou les tirs, les habitants sont confrontés à un choix cornélien : soit ils laissent les blessés mourir, soit ils risquent leur propre vie en tentant de les secourir. “Il n’y a plus de lieu sûr à Jabalia”, a déclaré Hijazi à +972, “Écoles comme hôpitaux, l’armée ne peut les approcher sans les attaquer pour s’en prendre à des civils sans défense”.

De gauche à droite : Nisreen Abu Al-Aish, Sabri Abu Al-Nasr et Nazmi Hijazi. (Avec l’aimable autorisation de l’auteur)

Le 17 mai, Basil, le fils de Nazmi Hijazi, a été abattu par des soldats israéliens alors qu’il tentait de récupérer ce qui restait de nourriture à l’intérieur de sa maison pour nourrir sa famille de huit personnes. Selon Hijazi, un véhicule blindé israélien a ensuite écrasé son fils jusqu’à ce qu’il ne soit plus reconnaissable. Hijazi n’a pu l’identifier que grâce à ses chaussures.

Comme tout le monde à Jabalia, Hijazi et sa famille n’ont pas pu surmonter leur deuil : ils sont toujours confrontés à la faim et à la soif et doivent s’efforcer de trouver les produits de première nécessité. “Les habitants se sont rabattus sur la nourriture pour animaux, mais même celle-ci a commencé à manquer lorsque l’armée israélienne a envahi et assiégé le camp”, a-t-il déclaré. La majorité des familles n’a pas eu accès à la farine, au pain, au blé ou même à l’orge depuis plus d’une semaine.

Israël ayant bloqué l’arrivée de l’aide humanitaire dans le nord de la bande de Gaza, ce sont les enfants palestiniens qui ont été le plus durement touchés. Nisreen Abu Al-Aish, 37 ans, a dû faire de la soupe à l’hibiscus, une plante qui pousse à proximité, pour pouvoir nourrir ses enfants. Elle s’est réfugiée avec sa famille dans l’école Abu Hussein, également rattachée à l’UNRWA. Ses deux enfants présentent des symptômes d’hépatite, une maladie de plus en plus courante chez les habitants de Gaza due à une mauvaise alimentation et à une absence d’hygiène.

“Nous sommes encerclés”, a déclaré Abu al-Eish. “Les bombardements sont incessants, nous ne sortons donc pas de notre refuge dans l’école. On craint d’être tués à chaque instant”. Ce climat de terreur a gagné les enfants d’Abu al-Eish : “Leurs rires ont fait place au vacarme des bombardements et des missiles qui s’abattent sur le camp”.

Pour Sami al-Batsh, 41 ans, et ses enfants, le bilan de l’invasion est particulièrement lourd. “C’est impossible de dormir avec les bombardements, et à tout moment, on craint de voir l’armée attaquer notre maison”, confie-t-il à +972“Mes enfants présentent des troubles psychologiques horribles. Certains d’entre eux souffrent de miction intempestive tant ils ont peur, et souvent, il peut s’écouler plusieurs jours sans qu’ils aient de quoi manger.”

Abu al-Eish, mère de deux enfants, décrit Jabalia comme un camp de réfugiés inhabitable. “L’armée détruit systématiquement toutes les maisons de Jabalia, à tel point que le camp est devenu une véritable ville fantôme : les gens sont partis et leurs maisons ont été détruites”. Et pour ceux qui restent, Al-Batsh prédit que “ceux qui ne mourront pas de faim seront éliminés par les bombes”.

Ibrahim Mohammad, 29 mai 2024

Source: https://www.972mag.com/jabalia-camp-israeli-attack-gaza-war/