Colloque du CIDAN (Civisme Défense Armée Nation)

– Strasbourg le 18 avril 2015.Situation au Moyen-Orient.

1. Nouveaux équilibres mondiaux.

Les rapports de force dans le monde sont en bouleversement. Nous sommes entrés dans un monde où de nombreux et nouveaux pôles de puissance affirment leurs ambitions.

Après l’équilibre de la terreur nucléaire entre les deux blocs antagonistes, qui a suivi la deuxième guerre mondiale et a empêché les conflits majeurs entre eux, jusqu’à l’effondrement de l’idéologie communiste avec celle de l’Union Soviétique dans les années 90, le système libéral dirigé par les Etats-Unis a pensé que son rôle était alors de l’imposer à toute la planète parfois au prix d’interventions militaires qui se sont toutes soldées par des échecs retentissants créant le chaos.

Les puissances émergentes, ou réémergentes, comme la Russie, la Chine, l’Inde et d’autres d’Amérique Latine et d’Afrique, aux cultures et histoires différentes, ont alors exigé que leurs intérêts, pas nécessairement identiques à ceux de l’Occident, soient pris en compte par la puissance dominante des Etats-Unis d’Amérique. Aujourd’hui le monde multipolaire est une réalité incontournable.

Dans ce nouvel ordre mondial, l’Occident, représenté par les Etats-Unis et leurs alliés, notamment européens, ne représente qu’un septième ou huitième de la population mondiale. Si les Etats-Unis resteront encore longtemps la première puissance mondiale économique et militaire, ils savent qu’ils doivent composer avec les nouveaux pôles de puissance, notamment la Chine qui affirme ses ambitions calmement et lentement, la Russie passerelle indispensable entre l’Asie et l’Europe qui réagit énergiquement aux empiètements à son espace vital, l’Inde qui renaît du chaos postcolonial avec son important potentiel humain et l’Amérique latine qui s’organise de façon indépendante de son grand voisin du nord.

Les Etats-Unis avec Obama ont compris cette nouvelle donne et ont voulu y adapter la première puissance économique et militaire mondiale, mais leur stratégie est contrariée en permanence par des groupes de pression qui s’y opposent, dont la finance internationale dirigée par Wall Street et la City de Londres qui veut pérenniser la domination du dollar dans un monde sans frontières et sans obstacles au commerce totalement libre.
On l’a vu récemment avec l’opposition à un accord avec l’Iran souhaité par le gouvernement américain mais combattu par ces différents groupes de pression.

Il faut rappeler que l’arme nucléaire a révolutionné l’art de la guerre en étant, pour la première fois, une arme de non-emploi dès lors que plus d’un état la possède, c’est-à-dire uniquement de dissuasion et de souveraineté rendant le pays qui la détient « invulnérable » comme le disait de Gaulle, mais inemployable puisque l’utilisation par un état entraînerait sa propre destruction par une represaille automatique. Les Israéliens qui la possèdent sans le dire le savent bien. Néanmoins il devient vital pour l’avenir de l’humanité de supprimer cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes en débarrassant le monde de toutes les armes terrible qui menacent notre existence, en commençant par celles qui sont les plus nombreuses.

2. Nouveaux équilibres au Moyen-Orient.

La situation au Moyen-Orient est une conséquence de ces bouleversements mondiaux car s’y affrontent par procuration les intérêts des grandes puissances. L’on peut dire aussi que tant que le problème israélo-arabe ne sera pas résolu avec une juste reconnaissance des droits des Palestiniens, en raison de la politique extrémiste du gouvernement israélien qui ne reconnaît aucune des résolutions de l’ONU grâce à l’appui inconditionnel de son allié américain, aucune paix durable ne pourra s’établir même après l’éventuelle éradication du terrorisme islamiste.

Les Palestiniens, qu’ils soient du Fatah ou du Hamas, ce dernier étant né de l’incapacité du premier à trouver une solution avec Israël, sont prêts à des concessions pour en finir avec le conflit, d’autant plus que les états arabes ne les soutiennent pas vraiment, sauf ceux qui ont étés détruits comme l’Irak et la Libye, ou ayant résisté comme la Syrie, mais les exigences de l’état hébreu se multiplient, en contradiction avec le droit international.

Le terrorisme de DAESH ou EI, dit islamiste bien qu’il déforme totalement la religion pratiquée paisiblement dans le monde par des millions de musulmans, trouve ses racines dans les mercenaires envoyés combattre les Soviétiques en Afghanistan de 1979 à 1989, équipés, armés et soutenus financièrement par les services saoudiens, pakistanais et américains. Ces mercenaires sont toujours présents en Afghanistan mais beaucoup ont essaimé en Asie Centrale, notamment en Tchétchénie, et au Moyen-Orient.

Ils ont pris différentes formes, structures et allégeances mais procèdent tous de la même doctrine intégriste wahhabite, brutale et sanguinaire pour tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Des rivalités territoriales ou de direction existent entre les factions, Al Qaïda, Al Nosrah ou autres mais l’objectif est le même d’amener le monde musulman d’abord, puis le reste, à reconnaître la domination doctrinale et politique du Califat. Ces mercenaires restent encore aujourd’hui soutenus, directement ou indirectement, par les mêmes services qui les utilisent comme moyen d’atteindre des objectifs géopolitiques, la Turquie leur accordant des facilités pour asseoir sa politique d’influence dans la région.

En Irak, les conquêtes territoriales fulgurantes de DAESH en mai et juin 2014 s’expliquent par l’alliance entre les islamistes et les stratèges militaires des anciens cadres de l’armée baasiste qui veulent renverser le gouvernement irakien, ainsi que par le soutien de nombreuses tribus sunnites mécontentes du pouvoir chiite de Bagdad. Les services américains ont utilisé cette alliance pour chasser du pouvoir Maliki et sa politique sectaire et mettre en place un Premier Ministre, toujours chiite du fait de la démocratie, mais plus respectueux des minorités.

La créature échappant à son créateur, les Etats-Unis ont décidé de former une coalition pour combattre cette engeance. Les frappes aériennes n’étant pas décisives, le succès ne pourra venir que de troupes au sol des pays concernés, essentiellement Irak et Syrie, mais aussi Jordanie et Liban, qu’il faut appuyer et équiper solidement.

C’est pourquoi les Etats-Unis ont reconnu récemment que le gouvernement de Damas était désormais un interlocuteur incontournable pour le succès de la lutte contre ces fanatiques.

La Syrie a, en effet, montré sa solidité en résistant depuis quatre ans aux assauts de mercenaires de plus de 80 nationalités différentes, qui n’ont rien à voir avec les quelques manifestants pacifiques initiaux qui réclamaient des progrès plus rapides dans les réformes démocratiques. Les occidentaux reconnaissent peu à peu leur erreur d’avoir soutenu des opposants déconnectés des réalités ou même des rebelles soi-disant « islamistes modérés » dans le but de renverser le gouvernement syrien. La majorité des Syriens qui est sunnite, jointe à de nombreuses minorités, soutient le président Bachar el Assad considéré comme seul rempart contre le terrorisme islamiste. Une nouvelle Constitution adoptée en 2012 est d’ailleurs entièrement démocratique et entérine ces aspirations. Un processus de réconciliation nationale est en cours, que des accords sous égide internationale pourraient entériner, facilitant ensuite la lutte pour l’éradication de DAESH.

Toutes ces organisations terroristes n’ont, pour l’instant, jamais attaqué Israël, l’armée de ce pays ayant même en Syrie appuyé par des frappes aériennes leurs opérations contre les forces armées syriennes, et soigné dans ses hôpitaux militaires du Golan de nombreux blessés d’Al Nosrah et autres. Israël a intérêt à voir ses voisins arabes s’entretuer pour assurer sa pérennité tout en continuant ses implantations sur les territoires palestiniens. Mais ceci est une politique à courte vue que de plus en plus de juifs de la diaspora dénoncent et qui pourrait ne plus avoir le soutien américain dont elle jouissait jusqu’alors.

L’Iran, grand pays de vieille civilisation, est un acteur essentiel des équilibres régionaux. Son rôle dans la lutte contre DAESH en Irak et en Syrie, de même qu’au Liban a été et reste décisif. Les Etats-Unis ont un besoin impérieux de s’entendre avec cette puissance régionale qui est prête à jouer un rôle stabilisateur au Moyen-Orient.

Ses intérêts stratégiques rejoignent ceux de la Russie et de la Chine : libérée de l’ostracisme dans lequel le système des sanctions le confinait, elle sera avec eux et l’Inde, le Brésil et d’autres pays qui les rejoignent de plus en plus, le fer de lance de la constitution d’un ensemble diversifié qui propose au monde des rapports basés sur le respect des nations , quelles que soient leurs tailles, et des différences culturelles et civilisationnelles, et le développement en commun de projets économiques dans l’intérêt partagé : banques d’investissements, route et ceinture de la soie dans un système « gagnant-gagnant », liaisons routières et ferrées reliant l’Asie et l’Europe, grandes infrastructures de transport des énergies et matières premières.

Un Moyen-Orient apaisé jouera un rôle économique important dans ces projets, point de passage obligé pour tous les flux commerciaux et énergétiques entre l’Asie extrême et l’Europe.

Le terrorisme islamiste concerne le monde entier puisque de nombreux Européens, Américains, Asiatiques, Arabes et Africains ont rejoint l’Irak et la Syrie en passant par la Turquie pour un combat dans lequel ils trouvent un exutoire à l’absence de but ou d’idéal là où ils vivent. Ils peuvent revenir dans leur pays d’origine pour y commettre des attentats.

Enfin, la guerre civile qui sévit au Yémen devient dangereuse car l’Arabie Séoudite a décidé d’y intervenir avec force au profit de ses partisans sunnites en se faisant aider par des alliés qu’elle finance, pour combattre les rebelles Houthis chiites. C’est un prolongement voulu par l’Arabie de la rivalité sunnisme-chiisme pour contrer l’Iran, qui soutient les Houthis, et revient en force dans le concert régional et mondial. L’Arabie Séoudite se sent en effet menacée par les pouvoirs chiites qui la cernent de plus en plus au nord avec le Liban, la Syrie, l’Irak, alors que l’Iran lui fait face de l’autre côté du Golfe Persique à l’est, que les minorités chiites à l’intérieur occupent les parties productrices d’énergie près de l’émirat de Bahreïn où les populations se révoltent de plus en plus. La menace d’une intervention au sol, qui serait catastrophique pour la région, a amené la Russie à mettre en garde le Conseil de sécurité de l’ONU. Une solution négociée au conflit doit être recherchée par les grandes puissances et les puissances régionales pour éviter un embrasement, qui devrait régler également les rivalités frontalières entre les deux pays portant sur trois provinces revendiquées. Les forces d’Al Qaïda au Yémen sont paradoxalement bénéficiaires des frappes aériennes de l’Arabie et de ses alliés.

Conclusion

René Girard, anthropologue et philosophe français enseignant aux Etats-Unis, ayant étudié en profondeur les civilisations préhistoriques et historiques a écrit ce constat révélateur sur notre époque contemporaine, s’appuyant sur la théorie mimétique qu’il a conçue, recherche du bouc émissaire pour conjurer la violence des sociétés :

« La véritable vengeance (Pour lui le ressentiment nietzschéen qui refait surface chez nous chaque jour, est l’intériorisation d’une vengeance dont le tranchant s’est émoussé) est de retour parmi nous sous la forme de l’arme absolue du nucléaire qui réduit notre planète à la taille d’un village primitif, terrifié une fois de plus par l’éventualité d’une guerre à mort. »
et :
« Qui aurait pu imaginer que l’on soit passé, en l’espace de dix ans, du souci de la guerre froide au souci de l’islam radical, c’est-à-dire d’un relatif immobilisme historique à une telle accélération, à un tel dérèglement de l’histoire ? »

Alain Corvez 10 avril 2015