Arrêt sur Info a été au départ des révélations des liens d’affaire entre Lafarge et l’Etat islamique en Syrie, comme on peut le lire dans l’article de Guillaume Borel, de février 2016, que nous rediffusons ci-dessous. Ce n’est qu’en juin 2016, 4 mois plus tard, que la presse institutionnelle – Le Monde pour commencer – finira par sortir cette affaire.[ASI]

Les relations troubles du groupe Lafarge avec l’État Islamique

Le cimentier français Lafarge est passé par des intermédiaires et des négociants qui commercialisaient le pétrole raffiné par le groupe terroriste Etat islamique.

Par Guillaume Borel

Arretsurinfo | 29 février 2016

Une cimenterie basée dans le nord-est de la province d’Alep et appartenant au groupe français Lafarge se serait fournie en produits pétroliers auprès de l’État Islamique selon des documents obtenus par le média syrien Zaman al-Wasl [1].

Selon ces documents et courriels, le cimentier Lafarge Syrie aurait acheté des produits pétroliers à ISIS.

Frédéric Jolibois, le directeur de Lafarge Syrie, aurait refusé de répondre aux sollicitations de Zaman al-Wasl, affirmant que sa société « ne répondait pas aux rumeurs », mais aurait cependant confirmé que la société protégeait ses salariés et avait fait de leur sécurité sa priorité, ce pourquoi elle avait évacué une installation située à Jalibeh, à 160 km d’Alep, en septembre 2014.

Lafarge Syrie s’est établie à Jalibeh, entre Ras Alain et Ayn al-Arab (Kobané), et la production a démarré en 2010, à un volume de 2,5 à 3 millions de tonnes.

L’implantation du groupe français Lafarge en Syrie fait suite au rachat de la compagnie nationale de ciment, elle-même fondée par le syrien Firas Tlas sur instruction de Bachar al-Assad, et par le businessman égyptien Naguib Sawiris et son frère Nasiff, directeur d’Orascom Construction Industries. Les deux frères ont lancé la construction de la cimenterie sous le nom de « Ciment syrien », en partenariat avec Firas Tlas. Un joint-venture a ensuite vu le jour avec le groupe Lafarge qui a pris le contrôle de la société en 2007.

Après avoir annoncé son soutien à la révolution, Firas Tlas a été accusé par le gouvernement syrien de financer le terrorisme et ses participations dans la cimenterie ont été transférées au ministère de l’industrie syrien.

Zaman al-Wasl a publié récemment des éléments de preuve révélant des transactions commerciales entre Lafarge Syrie et l’organisation État Islamique, concernant les produits pétroliers et du ciment, notamment des courriels internes à la société française et des documents provenant de l’Etat Islamique.

Le 13 juillet 2014, selon les courriels présentés par Zaman al-Wasl, le directeur des ventes de Lafarge Syrie, Mamdooh al-Khalid, aurait ainsi écrit à Bruno Pescheux, le directeur du groupe pour la Syrie jusqu’à l’été 2014, afin de l’avertir de l’approvisionnement de la filiale locale du groupe en carburant auprès de sources non-gouvernementales, dans des zones hors de contrôle de l’Etat syrien. Le sujet étant devenu très sensible et dans le cas où le gouvernement syrien aurait connaissance des faits et engagerait une action contre la société, il convenait selon lui de mettre en place une procédure adaptée.

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Le lendemain, Pescheux répondant à Mamdooh aurait convenu avec lui de la nécessité d’adopter une ligne de conduite précise au cas où l’Etat syrien découvrirait les sources d’approvisionnement de la cimenterie du groupe. Il lui aurait conseillé de mettre en avant le fait que la société Lafarge a fait tout son possible pour obtenir du carburant de la part de sources officielles, et de renouveler ses demandes auprès de la raffinerie de Homs. Pescheux affirme notamment dans un courriel publié par Zaman al-Wasl :

« Comme nous en avons convenu plus tôt, il est important que nous puissions démontrer que nous avons fait tous les efforts possibles pour obtenir le HFO (ndlr : hydrofluoroléfine, dérivé d’hydrocarbures servant à la réfrigération) de sources gouvernementales […] En parallèle nous devons préparer nos arguments :

– HFO est absolument nécessaire au fonctionnement de l’usine et à  la vente de ciment sur laquelle le gouvernement perçoit des taxes

– Le HFO que nous consommons ne part pas à l’étranger sous forme de contrebande et bénéficie au secteur syrien de la construction »

– Il s’agit d’une très petite quantité par rapport à la contrebande qui part en Turquie

– Il est très difficile de faire venir du charbon de Tartous »

Les documents cités indiquent que  le 9 septembre 2014, Ahmed J, l’intermédiaire entre Lafarge Syrie et l’organisation État Islamique envoie un courriel au ton virulent demandant le paiement d’une avance de plus de 7 millions de livres syriennes à  Daech et avertissant la société qu’elle traitait avec l’armée islamique la plus puissante au monde… Ahmed avertit que la situation a atteint un point critique et que Lafarge a jusqu’à la fin du mois de septembre pour effectuer le paiement.

Le 10 septembre, l’employé responsable des achats avertit Frédéric Jolibois, le remplaçant de Pescheux, parti en juillet 2014 prendre la direction de Lafarge Kenya, en lui demandant par courriel d’être déchargé des négociations avec l’État Islamique, estimant qu’il « risque sa vie pour la société ». Dans son courriel, il mentionne également le fait que la relation commerciale avec l’État Islamique a été initiée par l’ancien directeur Bruno Pescheux, il affirme : « Je prenais mes instructions de lui et ait initié l’ordre d’achat avec son approbation. »

Frédéric Jolibois répondra à son employé de maintenir la relation avec l’État Islamique et de payer la somme exigée : « N’entrez pas en contact avec d’autres fournisseurs, et renvoyez-les vers moi en cas de problème. »

La relation avec l’État Islamique aurait eu lieu à plusieurs niveaux : outre l’achat de produits pétroliers, la société Lafarge aurait fourni également du ciment à l’organisation Etat islamique afin qu’elle l’écoule sur le marché noir. Le responsable financier de l’organisation terroriste a notamment délivré un laisser-passer autorisant l’entrée des camions du groupe dans Alep le 5 septembre 2014.

Voici le  document qui atteste la vente de ciment par la société Lafarge à l’Etat islamique:

Les frères djihadistes ( moujahidines) sont priés de laisser passer aux barrages le véhicule transportant le ciment de la société Lafarge, après accord avec elle sur le commerce de ce produit.

Le nom du chauffeur ainsi que le numéro du camion portent le tampon de l’organisation Etat islamique.

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La cimenterie, qui était sous la protection militaire du PYD, la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, depuis août 2013, est finalement tombée aux mains de l’État Islamique le 25 septembre 2014, et, selon le directeur de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme, elle aurait été partiellement brûlée. On peut penser qu’il s’agit là de la réponse de l’organisation terroriste aux retards de paiements du groupe Lafarge et à la rupture de leurs relations commerciales. La direction du groupe avait en effet pris la décision d’évacuer son personnel le 18 et 19 septembre et de suspendre l’activité du site…

Guillaume Borel | 29 février 2016

[1]: French cement company in Syria buys oil from ISIS: documents (2016-02-19)

Source: https://arretsurinfo.ch/les-relations-troubles-du-groupe-lafarge-avec-letat-islamique/


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Le géant du ciment Lafarge a acheté du pétrole aux groupes terroristes

Silvia Cattori | 23 février 2016 | Arretsurinfo

A la suite de récentes opérations victorieuses l’armée syrienne a découvert, parmi d’autres documents saisis, des contrats d’achats entre Daech et le groupe du ciment et béton Lafarge ». Les dits documents évaluent les besoins annuels en fioul pour le fonctionnement d’une « cimenterie près d’Alep, sans spécifier toutefois qu’il y aurait un lien d’affaire entre l’organisation de l’Etat islamique et la société Lafarge. Le document laisse entendre qu’en échange du ciment livré à l’Etat islamique, la société Lafarge recevait du fioul.

Le premier document*, ci-dessous, évalue les besoins en fioul de la cimenterie sans spécifier toutefois comment celle-ci va s’approvisionner.

Il n’est pas précisé dans ce document quelle « direction d’industrie d’Alep » est concernée par les calculs de consommation de fioul. On peut néanmoins comprendre que cette « industrie » dépend de l’organisation Etat islamique.

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Le deuxième document, ci dessous, daté de sept. 2014, indique que la cimenterie Lafarge travaille avec le groupe terroriste État islamique, qu’elle négocie des arrangements financiers permettant le passage des camions transportant le ciment.

 

petrole isis

 

Traduction

L’Etat islamique

Califat sur les pas de la prophétie

Le jugement est a dieu, il n’y a de dieu qu’allah

Au nom d’allah le tout miséricordieux, le très miséricordieux

  • les frères djihadistes sont priés de laisser passer aux barrages le véhicule portant le ciment de la société Lafarge, après accord avec elle sur le commerce de ce produit.
  • n° de la voiture (masqué); nom du conducteur ( masqué);
  • Date 10 dhou el qa’da 1435 [ndlr, sept. 2014]
  • Les  papiers qui ne portent pas le cachet de l’Etat islamique ne donnent pas l’autorisation de franchir les barrages.
  • Document valable une fois, pour une journée.

 Silvia Cattori le 23 février 2016


[1] https://arretsurinfo.ch/les-relations-troubles-du-groupe-lafarge-avec-letat-islamique/

(*) Traduction de l’arabe par Adalia pour Arrêt sur Info