Compilation de textes sur la question des frontières.[ASI]

Ambassadeur Michel Foucher Géopolitique des frontières

L’Ambassadeur de France Michel Foucher (“Le retour des frontières”, éd. CNRS, 2016) répond aux questions du Diploweb. Un propos clair et argumenté, sans démagogie.

. Quelles sont les principales idées fausses à propos des frontières ?
. A quoi servent les frontières ?
. Comment expliquer le regain d’intérêt pour la notion de frontière ?
. Un monde sans frontière: rêve ou cauchemar ?

Cette vidéo a été réalisée à la faveur d’une conférence géopolitique organisée par Diploweb.com en partenariat avec Grenoble Ecole de Management.

Propos recueillis par Pierre Verluise et Fabien Herbert. Images et son Fabien Herbert. Montage : Fabien Herbert. Avec le soutien du Centre Géopolitique – Geopolitics Center.

Source: Diploweb Pierre Verluise

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A la frontière, près de la zone démilitarisée qui sépare Corée du Nord et Corée du Sud. / Photo: Kim Hong-Ji 

Michel Foucher : « Nous devons gérer l’attraction que nous suscitons »

La construction de murs est-elle un phénomène majeur aujourd’hui ?

Michel Foucher : Le terme de mur fait l’objet d’un usage abusif qui traduit une mauvaise conscience occidentale face à des dispositifs de séparation. Ces clôtures peuvent aussi être des dunes, dans le Sahara, des barbelés électrifiés et éclairés, entre l’Inde et le Pakistan, ou des systèmes de capteurs en Arizona.

Ces séparations ont des raisons variées. Dans un régime communiste, elles interdisaient de sortir. C’est encore le cas en Corée du Nord. Elles peuvent délimiter des zones disputées en installant un statu quo en faveur de l’État dominant, comme entre Israël et la Palestine. Ces barrières ont pu être installées pour prévenir des tensions. C’est encore le cas dans des villes d’Irlande du Nord. Elles peuvent aussi être la trace d’un conflit passé, comme à la frontière entre les deux Corées ou à Nicosie. Enfin, des barrières sont destinées à contrôler les migrations illégales, par exemple, à Ceuta et Melilla, ou à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

Que vous inspire le projet de mur du candidat républicain Donald Trump ?

M. F. : Donald Trump est un homme de téléréalité, un bonimenteur. Il exploite la perception d’un risque de déclassement que ressentent de nombreux Américains. L’Europe est confrontée au même phénomène. Il n’y a qu’à voir la déroute aux élections en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale du parti d’Angela Merkel.

Aujourd’hui, les Mexicains sont moins nombreux à tenter l’immigration illégale, car leur pays leur offre des opportunités et la pression démographique est moins forte. Ils sont remplacés par des Centraméricains ou des Chinois.

L’intérêt des Américains n’est pas à la fermeture du marché mexicain. La frontière entre les États-Unis et le Mexique est devenue une ressource pour 30 millions de personnes, qui vivent dans 25 villes jumelles. Les échanges entre les deux côtés de la frontière représentent un milliard d’euros par jour.

Ces migrations doivent-elles être contrôlées par des murs ?

M. F. : Un État a le droit et le devoir de contrôler l’accès à son territoire. Nous, Occidentaux, devons gérer l’attraction que nous suscitons. Tout le monde sait, au fin fond du Soudan, que la Grande-Bretagne est un pays où l’on peut réussir. L’Europe attire du fait de ses services publics, de son système de prise en charge, de son respect des droits. Cela dit, le pourcentage de population « flottante » dans le monde est stable. Il est de 3 %, soit le même pourcentage qu’il y a un siècle.

Simplement, nous sommes maintenant sept milliards d’individus. Et l’histoire des frontières est aussi celle de leur contournement perpétuel.

Ces migrations ont deux moteurs distincts. La motivation peut répondre à une répulsion (un facteur « push »), lorsque des gens fuient des guerres, comme en Syrie. Les candidats au départ peuvent aussi être motivés par une attraction (un facteur « pull »). Au Mali ou au Guatemala, des familles financent la migration de l’un d’entre eux, souvent le plus brillant. Une fois arrivé, il leur enverra de l’argent.

Un mur en Europe est-il souhaitable ?

M. F. : Dans la crise des migrants, il est curieux de nous voir critiquer l’Europe centrale, alors que nous ne sommes pas capables d’accueillir les Africains à Calais. Contrôler la frontière gréco-turque est une gageure, du fait de sa géographie et de sa délimitation, objet de contestations. Je préconise l’instauration d’un système Schengen +, qui verrait un accord renforcé entre des territoires restreints et homogènes en Europe. Il faut également conserver l’accord avec la Turquie et renégocier l’accord du Touquet, qui place la frontière britannique en France.

Lire aussi : Quel avenir pour Schengen ?

Propos recueilli par Pierre Cochez | 07/09/2016

(1) Il a publié « Le Retour des frontières », CNRS éditions (2016), 64 p., 5 €.

Source: La Croix.com/Monde/Michel-Foucher-


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Europe : vers la désunion territoriale ?

France Culture – 28.06.2016

Analyse du “Brexit” sous l’angle géographique: quelles fractures ont été révélées par le référendum au Royaume-Uni, et surtout, que veulent-elles dire ? Ces ruptures territoriales lui sont-elles propres ou sont-elles généralisées en Europe? Pour en parler notre invité est le géographe Michel Foucher

Intervenants

  • Michel Foucher : géographe, diplomate et essayiste
  • Jean-Pierre Chevènement : fondateur de plusieurs mouvements et partis politiques (PS, Mouvement républicain et citoyen), plusieurs fois ministre, de l’Industrie, de la Défense, de l’EN, de l’Intérieur, aujourd’hui président de la fondation Res Publica

Cinq réflexions pour l’avenir (4/5) : quel rôle peuvent jouer les frontières pour la sécurité?

28.06.2016

 Faut-il revenir aux Etats-Nations, rétablir les contrôles aux frontières à l’intérieur de l’Europe pour empêcher la circulation des terroristes? La souveraineté nationale est-elle la garantie de la sécurité? Comment penser une utilisation géopolitiquement efficace des frontières, qui prenne en compte la diversité des flux qui les traversent? Jean-Pierre Chevènement est notre invité aujourd’hui, accompagné du géographe et diplomate Michel Foucher.

Intervenants

  • Michel Foucher : géographe, diplomate et essayiste
  • Jean-Pierre Chevènement : fondateur de plusieurs mouvements et partis politiques (PS, Mouvement républicain et citoyen), plusieurs fois ministre, de l’Industrie, de la Défense, de l’EN, de l’Intérieur, aujourd’hui président de la fondation Res Publica

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Michel Foucher: «Toutes les frontières sont artificielles»

Michel Foucher est diplomate et géographe de formation. Il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages consacré à la pensée des frontières. Bon connaisseur des crises frontalières auxquelles le continent africain a été confronté depuis sa sortie de la période coloniale, il a participé au Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique. Ses réflexions sur les « frontières d’Afrique » devenues des « frontières africaines » à proprement parler ont contribué à une meilleure appréhension des enjeux à la fois sécuritaires et économiques d’une pensée stratégique africaine à venir.

RFI: « Territoires et frontières » ont été l’un des thèmes débattus lors du récent Forum de Dakar consacré à la paix et la sécurité en Afrique. Si on reparle aujourd’hui des frontières en Afrique, est-ce parce que les terroristes qui menacent les Etats africains se moquent des frontières ?

Michel Foucher: Non, les terroristes ne se moquent pas des frontières, ils en jouent. Ils commettent leurs basses besognes dans des pays cibles, avant de se réfugier dans des pays frontaliers dépourvus de tracés définitifs délimitant les frontières. C’est ce qui se passe en ce moment avec les fondamentalistes musulmans qui font régner la terreur au Mali avant de partir se cacher dans le sud de l’Algérie ou le sud-ouest de la Libye devenus des sanctuaires. D’où l’importance pour les Etats de s’engager dans un processus d’abornement de leurs frontières encouragé, voire même financé par l’Union africaine.

Vous réfléchissez depuis longtemps, Michel Foucher, sur la question des frontières en Europe et en Afrique. Vous êtes aussi l’auteur d’un livre très remarqué, paru cette année : Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe. C’est quoi, ce mythe ?

C’est l’idée que les tracés coloniaux artificiels seraient responsables de tous les maux de l’Afrique contemporaine. Les frontières d’Afrique seraient arbitraires, absurdes, poreuses, indéfendables et non-défendues. Cette affirmation fait partie du viatique des idées reçues sur l’Afrique. Pour moi, cette thèse ne tient pas debout. Elle ne sert qu’à dédouaner les Africains de leurs responsabilités dans les conflits et le mal-développement de la période postcoloniale. En pratique, l’engagement pris par les Etats, dans la Déclaration du 21 juillet 1964, de respecter les frontières héritées à l’indépendance a été globalement tenu et continue de l’être. Le principe d’intangibilité des frontières n’a été mis à mal que dans deux cas, celui de l’Erythrée et celui du Soudan du Sud.

Les frontières africaines, tracées au cordeau par les colonisateurs sans tenir compte des réalités du vécu des communautés et des peuples, n’en restent pas moins artificielles.

Toutes les frontières sont artificielles au sens où elles sont de construction socio-historique. La frontière naturelle est un mythe dans la mesure où les éléments naturels qui délimitent un territoire ne sont des limites parce que l’Histoire les a imposés comme tels. S’agissant des frontières africaines, il ne faut pas oublier la brièveté de la période coloniale, avec soixante ans d’occupation effective, ce qui est très peu dans une perspective historique. L’histoire longue nous invite à prêter plus d’attention à l’importance des configurations précoloniales qui ont servi de support de nombre de tracés coloniaux. L’Afrique a une histoire et si on ne tient pas compte de son passé précolonial, on ne comprend pas ce qui s’y passe aujourd’hui. C’est ça ma thèse.

L’Afrique précoloniale était organisée en empires, royaumes, en aires de production agricole et de marchés, en régions côtières et intérieures. Entre ces régions, il y avait souvent une circulation intense, des passages. Dans ces temps anciens, la pensée de la frontière n’avait peut-être pas la même finalité que celle dans les Etats urbanisés d’aujourd’hui ?

Les frontières renvoient à l’Etat qui ne peut exister sans limites linéaires. Dans la conception européenne classique, la frontière sert de limite. Selon les juristes, la frontière est la limite où expire une souveraineté et commence une autre. Dans l’Afrique des empires, il n’y avait pas de place pour des frontières linéaires, il y avait uniquement des confins ou des marges. Tracer une ligne séparant deux pays n’avait pas de sens car les pays étaient souvent des ensembles très vastes où les allegéances pouvaient changer du jour au lendemain. Ces pays étaient composés d’un centre fort et d’une périphérie en constant état de flux et où florissaient toutes sortes de commerces transfrontaliers. Dans la mesure où ces commerces frontaliers font vivre des populations entières, je les appelle des « frontières ressources ». La situation n’est pas très différentes aujourd’hui dans beaucoup de pays africains, notamment dans l’aire saharo-sahélienne.

Que sera la politique intelligente de gestion des frontières en Afrique que vous appelez de tous vos voeux ?

Il faut être deux pour gérer une frontière. Une gestion intelligente passe nécessairement par la négociation avec pour objectif de concilier la logique du flux et celle du contrôle.

Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe, par Michel Foucher. CNRS Editions, 2014, 60 pages, 4 euros.


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Entretien avec Michel Foucher, géographe et diplomate

La France doit cultiver sa francosphère et se projeter au-delà, nous dit Michel Foucher, auteur de l’Atlas de l’influence française au XXIe siècle, co-édité par l’Institut français et Robert Laffont. Rencontre avec ce géographe, diplomate, titulaire de la chaire de géopolitique appliquée au Collège d’études mondiales (FMSH – ENS Ulm).

On dit parfois que la France est une puissance moyenne d’influence mondiale. Votre ouvrage se concentre moins sur la puissance que sur l’influence. Comment les deux notions s’articulent-elles ?

Michel Foucher : Les logiques de puissance demeurent, avec des modalités classiques et des modalités nouvelles, comme la performance économique ou la maîtrise des outils numériques. Mais dans la période récente, la France a relancé une politique d’influence, affichée comme telle par le Quai d’Orsay. J’ai essayé de comprendre ce retour d’une politique qui n’est pas nouvelle : elle apparaît en 1883 avec la création des Alliances françaises, peu après la défaite française face à l’Allemagne et dans un contexte de montée en puissance du monde anglo-saxon. Elle revient en 1943, quand de Gaulle, dans son discours d’Alger, forge la notion d’« influence culturelle ». À chaque fois, la nécessité de l’influence apparaît dans une période de sortie de crise ou de transition. C’est bien le cas aussi en ce moment, avec la crise économique et la montée des émergents. Il s’agit pour la France de maîtriser son image externe et de faire référence.

Comment, justement, faire référence ? Car, comme vous le rappelez dans le livre, la référence est finalement dans le regard de l’autre…

M. F. : Nous vivons dans un monde où les représentations sont essentielles. Et la perception de la France n’est pas la même d’un bout à l’autre du monde : en Ouganda, la France, c’est Napoléon, l’Etat et la nation – et aussi Total (affiché « Total Bonjour ») ; au Brésil, c’est l’ordre et le progrès – qui figure d’ailleurs sur le drapeau –, c’est-à-dire le positivisme. Vue de Chine, la France est un pays « romantique » : autrement dit, les Français peuvent être séduits et donc acheter ! Au Japon, l’idée du miroir prédomine : la France est avant tout un pays qui s’intéresse aux Japonais. En Russie, ce sont les mots de l’art de vivre ; au Maroc, le cinéma français, vu comme élitiste dans un pays où les cinémas sont de moins en moins nombreux… Il y a quelques grands traits récurrents : l’Etat et la nation – de la Révolution française à de Gaulle –, les services publics, la voix française pour sortir du rouleau-compresseur occidental global et qui apparaît comme une alternative… Une meilleure connaissance de ces différentes images permettrait déjà de mieux adapter l’offre à la demande, de mieux répondre aux attentes.

À l’encontre des discours déclinistes, votre ouvrage insiste sur la réalité de l’influence française…

M. F. : L’influence de la France touche à de nombreux domaines. La perception d’un pays du luxe, de la gastronomie et de la mode, trop exclusive dans les représentations, fait oublier tant d’autres aspects, notamment scientifiques et techniques : regardez pourtant le nombre de médailles Fields et de prix Nobel et français ! Ce qui n’empêche pas que la France ait quelques faiblesses. Notre pays n’est plus prescripteur : il lui manque un média écrit de référence ; et, si elle est bien classée dans de nombreux domaines, ce n’est pas elle qui réalise les classements. Autre point faible : la France n’est pas très fidèle. Elle offre des bourses, elle est d’ailleurs au 4e rang pour l’accueil des étudiants internationaux, mais elle n’entretient pas le lien.

Comment renforcer l’influence de la France ?

M. F. : La France doit produire des idées, des concepts nouveaux, et notamment « penser global » – peu de pays, au final, sont à même de produire une pensée sur le monde. Au-delà des débats d’idées que la France soutient à l’étranger, Paris doit redevenir une capitale intellectuelle de premier plan, comme elle l’est au plan artistique. La langue française est l’un des piliers de l’influence française : la France se doit d’entretenir cette « francosphère », avec laquelle elle a des liens privilégiés, notamment sur le plan économique, mais il lui faut désormais se projeter au-delà, pour y diffuser produits, valeurs et idées.

Entretien paru dans la revue Le français dans le monde (janvier-février 2014)