La résolution anti-azéri du Parlement européen en dit long sur la stratégie régionale de l’UE

 

La semaine dernière a été terrible pour les liens de l’Occident avec le monde turc.

Par Andrew Korybko

Le Parlement européen vient d’adopter une résolution non contraignante condamnant l’Azerbaïdjan pour l’opération antiterroriste du mois dernier, qui a permis de rétablir l’autorité de l’État sur l’ensemble du Karabakh. Un résumé de son contenu peut être lu ici, tandis que le document complet de 10 pages est disponible ici. Il appelle essentiellement à des sanctions ciblées contre les responsables azéris et à une réévaluation complète des relations de l’UE avec ce pays. Ces demandes en disent long sur la stratégie régionale de l’Union européenne.

Tout d’abord, l’hostilité des parlementaires à l’égard de l’Azerbaïdjan contredit leur engagement en faveur du soi-disant « ordre fondé sur des règles » de l’Occident, puisque Bakou n’a pas violé le droit international. Leur réaction ajoute donc de la crédibilité aux affirmations selon lesquelles ce concept se résume en fait à la mise en œuvre arbitraire de deux poids deux mesures destinés à donner à l’Occident un avantage dans n’importe quelle situation donnée. Dans cette situation particulière, des responsables politiques européens influents estiment qu’il est dans l’intérêt de leur bloc de semer la peur au sujet de la « purification ethnique ».

Sur la base de cette observation, leur position est manifestement biaisée en faveur de l’Arménie, ce qui peut être attribué à la puissance du lobby de la diaspora et à leur mécène français. En d’autres termes, ces deux-là ont réussi à manipuler les perceptions de près de 500 parlementaires, ce qui n’est pas une mince affaire. La France envisage aujourd’hui de jouer un rôle de premier plan dans la région par l’intermédiaire de l’Arménie, ce qui l’a amenée à annoncer récemment qu’elle commencerait à vendre des armes à ce pays, provoquant ainsi une vive riposte de la part de Bakou.

Ces projets dérangent également la Russie, qui est engagée dans une compétition féroce avec la France pour l’influence dans toute la « sphère d’influence » néocoloniale de cette dernière au Sahel. En fait, on peut même affirmer que la nouvelle incursion de la France dans le Caucase du Sud est une sorte de réponse asymétrique aux gains stratégiques que la Russie a réalisés à ses dépens dans le Sahel. Mais ce n’est pas tout, car la France souhaite se positionner en tant que leader de l’UE en s’engageant auprès de certains partenaires orientaux de l’Union.

Cette évolution va de pair avec le récent jeu de pouvoir de l’Allemagne en Ukraine, dont la Pologne estime qu’il se fait à ses dépens. Dans l’ensemble, on a l’impression que l’Allemagne dirige la politique de l’UE à l’égard de l’Europe de l’Est, tandis que la France fait de même à l’égard du Caucase du Sud. L’Ukraine et l’Arménie sont toutes deux des partenaires égarés de la Russie, la première évidemment beaucoup plus que la seconde, que deux des principaux pays de l’UE exploitent pour se faire les protecteurs de ces pays.

À cette fin, ils emploient une rhétorique trompeuse sur l’ »ordre fondé sur des règles » pour mieux séduire leurs populations, l’Allemagne mentant sur les références prétendument « démocratiques » de l’Ukraine et la France inventant un « nettoyage ethnique » des Arméniens. Une autre comparaison intrigante est que ces jeux de pouvoir sont tentés au détriment des liens de l’UE avec ses importants partenaires énergétiques russes et azéris. Cela montre que les motifs idéologiques et hégémoniques ont pris le pas sur le pragmatisme économique.

Cependant, ni la Russie ni l’Azerbaïdjan n’ont utilisé leur rôle de fournisseur d’énergie de l’Union européenne à des fins militaires, ce qui prouve leur fiabilité et leur engagement en faveur d’une coopération apolitique. Bien que l’UE se soit dissociée de la Russie et l’ait sanctionnée, sous la forte pression des États-Unis, il est peu probable qu’elle fasse de même avec l’Azerbaïdjan. Les violations présumées du concept d’ »ordre fondé sur des règles » par ce pays sont bien moins importantes que celles de la Russie, et ils ont besoin de l’Azerbaïdjan pour les aider à remplacer les ressources russes qu’ils ont volontairement cessé d’acheter.

En outre, la Hongrie est un observateur de l’Organisation des États turcs (OET) et devrait donc opposer son veto à toute sanction anti-azéri. Ce facteur contribuera à contenir quelque peu l’influence de la France et de son lobby de la diaspora arménienne, l’empêchant ainsi d’échapper à tout contrôle. Néanmoins, les liens entre l’Azerbaïdjan et l’Union européenne ont déjà subi d’immenses dommages en raison de la dernière résolution et des ventes d’armes prévues par la France à l’Arménie. Bakou n’a plus aucun doute sur le fait que Bruxelles n’est pas digne de confiance.

Il en va de même pour son allié turc, qui a également condamné ladite résolution par solidarité avec l’Azerbaïdjan. Cela peut conduire ces deux pays à percevoir l’UE et peut-être même l’Occident dans son ensemble comme leur concurrent, ce qui pourrait prendre des dimensions civilisationnelles. Le fait que les États-Unis viennent d’admettre avoir abattu un drone turc en Syrie n’arrange rien non plus. La semaine écoulée a donc été terrible pour les liens entre l’Occident et le monde turc.

S’il y a une lueur d’espoir dans ces événements, c’est qu’ils prouvent une fois pour toutes que ni l’Azerbaïdjan ni la Turquie ne sont les marionnettes anti-russes de l’Occident, ce qui met à mal les fausses affirmations du lobby de la diaspora arménienne et de ses partisans dans la communauté des médias alternatifs. Aucun membre honnête de cette communauté ne peut continuer à prétendre que ces deux pays sont exploités par l’Occident pour nuire aux intérêts de la Russie, mais quiconque le fait encore se présente par inadvertance comme un propagandiste pro-occidental anti-russe.

Source: Andrew Korybko, 6 Octobre 2023

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