Comment le Hezbollah a vaincu Israël
Le Hezbollah joue un rôle fondamental dans la résistance à la domination d’Israël

L’auteur de ce texte est un personnage hors du commun. Ministre du Renseignement dans le gouvernement sud-africain depuis avril 2004, il a été auparavant ministre-adjoint de la Défense de 1994 à 1999 et ministre des Eaux et Forêts de 1999 à 2004. Ce communiste juif né en 1938 à Johannesburg avait des grands-parents d’origine lituanienne et lettone. Il rejoint l’ANC en 1960 après le massacre de Sharpeville et entre rapidement dans sa branche militaire Umkhonto weSizwe (MK). Il recevra une formation militaire et dans le domaine du renseignement en Union soviétique. Il a passé 27 années en exil pendant le régime de l’apartheid.

Par Ronnie Kasrils, 1er septembre 2006

« Israël est comme vos éléphants du Parc National Kruger », fit observer l’ancien porte-parole d’Ariel Sharon lors d’une récente visite en Afrique du Sud. Ra’anan Gissin (puisque c’est de lui dont il s’agissait) s’exprimait devant la Fédération sioniste sud-africaine, dont il était la guest star : « Tout ce que nous demandons, c’est qu’on nous fiche la paix… », plaida-t-il. « Nous semblons dociles, comme ça… Mais si on nous blesse, nous pouvons devenir fous, car nous sommes une espèce menacée de disparition… »

Comme le monde a pu le constater, le Liban – deux fois plus petit qu’Israël – vient d’essuyer l’ire du mammouth : son peuple, sa capitale, ses villes, ses villages, ses autoroutes, ses ponts, ses infrastructures électriques et hydriques ont été réduits en poussière.

Le détonateur de cette crise de folie aurait (soi disant) été la capture par le Hezbollah de deux soldats israéliens, dont l’un était (je le signale au passage) originaire de… Durban. A la suite d’une opération analogue du Hamas, deux semaines avant, la population de Gaza avait dû payer un tribut de deux cents Palestiniens tués contre un seul Israélien, sans compter l’infrastructure palestinienne totalement détruite. Le tribut des victimes, au Liban, dépasse les 1 200 morts, à comparer à 150 Israéliens tués (dont… 120 militaires !) Un tiers des tués au Liban étaient des enfants. Plusieurs milliers ont été mutilés, ont vu leur maison rasée, un quart de la population libanaise a été déplacée. Pour finir le plat : le pays continu à subir le blocus israélien.

Le célèbre écrivain norvégien Jostein Gaarder [auteur du best-seller philosophique Le Monde de Sophie, NDT] a répondu à Gissin : « Nous ne reconnaissons plus Israël. Il nous était impossible de reconnaître le régime d’apartheid sud-africain… Nous appelons un chat ‘un chat’, et des assassins d’enfants ‘assassins d’enfants’… Nous ne reconnaissons pas le précepte : « Pour un œil israélien, mille yeux arabes. » »

Le monde se perd en conjectures quant aux causes du conflit. La thèse « juifs israéliens = espèce menacée » est la position sioniste standard : les juifs ont commencé à « retourner » en Palestine à la fin du dix-neuvième siècle, afin de « racheter » [au sens, y compris, de ‘rédimer’, NDT] leur « patrie biblique » [Les guillemets sont de moi, NDT]. Au fur et à mesure qu’ils acquéraient de nouvelles terres, ils étaient en butte une opposition de plus en plus violente de la population autochtone arabe. Les colons [juifs] furent contraints à se défendre, déjà à l’époque, comme aujourd’hui. [sic]

De fait, dès son origine, le sionisme a eu pour but la dépossession de la population indigène [palestinienne] afin qu’Israël soit en mesure de devenir un Etat entièrement juif. Les Palestiniens, prenant de plus en plus conscience des intentions des sionistes, entrèrent tout naturellement en résistance. Lors de l’indépendance d’Israël, en 1948, laquelle se fondait sur le plan de partage de la Palestine concocté par les Nations Unies – environ 56 % du territoire échouant aux juifs, et 44 % aux Palestiniens – Israël bénéficia du pouvoir, de la puissance militaire, des aides financières extérieures et d’autres ressources afin de porter son emprise territoriale jusqu’à 78 % de la Palestine historique, expulsant des centaines de milliers de Palestiniens et devenant une superpuissance régionale, grâce au soutien américain.

Les Palestiniens restés sur place sont en cours de ghettoïsation par les colonies juives, le réseau des routes de sécurité réservées aux juifs et la construction d’une muraille monstrueuse tout autour de la Cisjordanie occupée militairement les confinant dans les 12 % restants de leur territoire originel. Cette dépossession rappelle l’apartheid sud-africain et ses homelands – les bantoustans [de sinistre mémoire] – établis sur 13 % du territoire sud-africain. Pour beaucoup d’observateurs, c’est cette situation qui est la cause fondamentale du conflit.

Le Liban fait lui aussi partie, depuis longtemps, des projets sionistes d’annexion territoriale. Israël a toujours considéré la rivière Litani, au Nord du Liban, comme sa frontière naturelle ; il a constamment cherché à faire du Liban un fortin chrétien face aux musulmans ; Israël a envahi le Liban en 1948, en 1978 et en 1982. A la suite de cette avant-dernière invasion, l’armée israélienne est demeurée au Liban jusqu’en 2000, année où le Hezbollah lui offrit une conduite de Nantes. Durant cette longue période, Israël a provoqué une guerre civile, suscité des massacres, créé une armée de supplétifs au Sud, et il continue à s’accrocher à des fermes stratégiques. Pas étonnant, à ce compte-là, qu’un militaire israélien partant à la retraite ait pu bougonner que le Liban était décidément une histoire (d’emmerdes) sans fin…

Qu’y a-t-il derrière la dernière agression israélienne en date contre le Liban ? Une réplique aussi disproportionnée a-t-elle pu réellement être motivée par l’enlèvement de DEUX soldats ? [À d’autres !] Il y a eu des escarmouches frontalières incessantes. Israël aurait pu répliquer [à l’enlèvement de ses deux blancs-becs] par une opération locale, ou par un échange de prisonniers, que recherchait le Hezbollah. Vous plaisantez ? Israël a préféré lancer ses molosses de guerre.

Le Premier ministre Ehud Olmert a dû, bien entendu, subir un test afin de vérifier son taux de testostérone. En effet, à  la différence de la plupart de ses devanciers, ce n’est pas ancien général d’armée. En sa qualité d’éléphant de combat n’ayant pas encore fait ses preuves, il a dû faire la démonstration de sa fougue, déjouer des attaques venues de son flanc droit et administrer une leçon aux Arabes. Mais le déchaînement d’Israël tient à bien d’autres raisons encore.

Des militants israéliens de la « paix » avaient averti [avant les enlèvements] que l’armée attendait la prochaine provocation [comme prétexte] pour déclencher une « combinaison possible de terreur d’Etat intensifiée et d’assassinats de masse » à Gaza – afin de prolonger artificiellement la stratégie sharonienne de « désengagement unilatéral », à n’importe quel prix.

De manière significative, Israël s’est inséré dans la nouvelle stratégie du contre-terrorisme mise en œuvre par les néo-conservateurs de Washington dans le monde de l’après-Onze septembre. Beaucoup de commentateurs suggèrent l’idée qu’aux yeux des USA, l’objectif général est d’étrangler l’axe constitué par le Hezbollah, le Hamas, la Syrie et l’Iran, dont l’administration Bush est convaincue qu’il cherche à fédérer ses capacités afin de modifier le terrain de jeu stratégique au Moyen-Orient. Un haut responsable israélien a expliqué que le raid du Hezbollah avait fourni « une occasion unique, en raison d’une exceptionnelle convergence d’intérêts ». Pour Israël, ce nouveau paradigme est plus que bienvenu, car il détourne la focalisation de l’attention internationale du conflit arabo-israélien en tant que cause originelle du problème. D’aucuns avancent l’idée que ce serait précisément cette « convergence » qui aurait incité les faucons israéliens à lancer leur agression contre le Liban. Mais d’autres objectent les risques extrêmement graves que comportait la tentation de lier le destin du peuple d’Israël à un agenda de cette nature.

La résistance populaire, pour une cause juste, ne peut être écrasée si aisément. Une raison de la venue de Gissin en Afrique du Sud, c’était d’affirmer aux sionistes du cru qu’Israël n’a(urait) pas perdu sa guerre face au Hezbollah. Les Israéliens ont perdu la guerre des ondes, leur a-t-il raconté, mais pas sur le terrain. Mais il est clair qu’ils ont perdu ET sur les ondes, ET sur le terrain ! Le Hezbollah, dont ils s’étaient vanter qu’ils allaient l’éradiquer, leur a administré à nouveau une leçon magistrale, dans la vallée du Litani, et il a encore une fois démontré l’inanité du mythe d’on ne sait trop quelle invincibilité israélienne. La répression vous a cet effet (non désiré) de générer une résistance de plus en plus résolue. Cela se vérifie tant au Liban qu’en Palestine…

Israël a perdu la bataille de l’opinion publique ; le monde entier a vu ces corps d’enfants arabes tués que l’on extrayait des gravats d’immeubles pulvérisés.

Les gens ne disent-ils pas : « Désormais, les juifs, eux aussi, se sont comportés comme les nazis… » ?

Tels avait été, déjà, l’appréciation du premier ministre israélien de l’Agriculture, Aharon Cizlang, en mai 1948, après les massacres perpétrés à Deir Yassine. Il avait ajouté : « C’est tout mon être qui en est bouleversé. »

Combien de temps encore le monde va-t-il continuer à laisser Israël impuni, en dépit de ses vols de terres et de ses assassinats d’enfants ? Les sièges et les barrages militaires, les punitions collectives et les assassinats ciblés, les démolitions de maisons et le nettoyage ethnique, l’enlèvement de parlementaires légalement élus et de ministres d’un gouvernement légitime… Le nouveau chef d’état-major de l’armée israélienne, Dan Halutz, interrogé après qu’il eut largué une bombe d’une tonne sur un immeuble de Gaza [faisant dix-sept victimes, dont une majorité d’enfants, NDT] au motif d’assassiner un dirigeant du Hamas, interrogé sur ce qu’il ressentait, avait répondu : « Oh, vous savez, quand vous lâchez votre bombe, vous ressentez tout juste une petite oscillation, sous l’aile… » Aucun remords pour les enfants et les femmes déchiquetés par la bombe en même temps que sa cible. Cette nuit-là, déclara le général Halutz, il avait dormi du sommeil du « juste »…

A l’instar du ministre Aharon Cizlang, nous sommes tous bouleversés. Nous pleurons ceux qui sont morts sous les tirs de roquettes en Israël. Mais nous n’en blâmons pas plus le Hezbollah, ou la résistance palestinienne, que nous ne blâmions les forces de libération sud-africaines lorsque des civils étaient tués ou blessés. Nous blâmions la politique raciste d’un gouvernement corrompu, qui mettait cyniquement sa population dans la trajectoire des tirs.

En bombardant Beyrouth, les dirigeants israéliens savaient qu’il y aurait des représailles, exactement de la même manière qu’ils procèdent à des assassinats ciblés afin de provoquer des réactions et de saper des négociations dont ils ne veulent pas entendre parler. Pour eux, la terreur de leurs propres citoyens, fuyant vers le Sud d’Israël ou se terrant dans les abris, n’est qu’une variable parmi d’autres dans leurs calculs cyniques. Comme la militante pacifiste israélienne Tanya Reinhart l’a fait remarquer : « Pour les dirigeants militaires d’Israël, il n’y a pas que les Libanais et les Palestiniens qui ne soient que de simples pions dans une grande vision militaire d’ensemble ; il en va de même pour les Israéliens. »

Terriblement parlant est le fait que, parmi les victimes civiles de tirs de missiles sur Haïfa, il y a eu nombre d’Arabes israéliens, auxquels leur gouvernement n’a pas daigné fournir d’abris…

A l’instar d’un Jostein Gaarder, nous devons nous aussi appeler les assassins de bébés : « assassins de bébés » ! Et déclarer que ceux qui utilisent des méthodes de nazis doivent s’entendre dire qu’ils se comportent comme des nazis.

Puissent les Israéliens se réveiller et entendre raison, comme cela s’est produit en Afrique du Sud, et négocier en vue de la paix.

Enfin, tirons la leçon de ce qui a aidé à les Sud-Africains blancs à ouvrir les yeux : la combinaison d’une juste lutte, renforcée par une solidarité internationale utilisant comme armes principales le boycott et les sanctions.

Par Ronnie Kasrils, 1er septembre 2006

[* Ronnie Kasrils, ministre du Renseignement du gouvernement sud-africain, s’exprime ici à titre privé.]

Original : The Mail and Guardian, Johannesbourg

Traduit par  Traduit par Marcel Charbonnier