L’Iran est encore et toujours la cible prioritaire de l’Etat d’Israël

Cette analyse, rédigée, l’été 2006, durant la guerre menée et perdue par Israël contre le Hezbollah, permet de bien comprendre le rôle prépondérant d’Israël dans la déstabilisation et la destruction des forces et des Etats qui résistent à sa domination. [ASI 10/11/2017]


Par James Bamford

Publié initialement le 24 juillet 2006 par Rollingstone sous le titre: Iran la prochaine guerre

Avant même que les bombes ne se missent à pleuvoir sur Bagdad, un petit groupe de responsables du Pentagone conspiraient afin de préparer l’invasion d’un autre pays que l’Irak. Leur campagne subreptice, là encore, recourait à des renseignements bidons et à des alliés occultes. Mais cette fois-ci, c’est de l’Iran dont il était question.On se souvient de quelle manière l’administration Bush a réussi à vendre sa guerre en Irak. La guerre contre l’Iran est peut-être [encore] évitable ?

1- ­L’Israeli Connection

A quelques blocs d’immeubles de l’Avenue Pennsylvanie, les bureaux du QG du FBI, sur huit étages, exsudent [laissent voir] tout le charme d’une prison de haute sécurité. Son toit en arceau est en acier inoxydable. Les trois étages du bas sont plaqués de granite et de grès ; des vérins hydrauliques protègent la rampe conduisant au garage situé au quatrième étage et des guérites à l’épreuve des balles montent la garde de chaque côté de l’entrée dans l’étroit hall de réception. Au quatrième étage, tombeau au sein du tombeau, se trouve la pièce la plus secrète de cette forteresse de béton à cent millions de dollars ­ elle est strictement inaccessible, même aux agents spéciaux escortés. Ici, dans la Section des Services Linguistiques, des centaines de spécialistes des langues, assis en rangs d’oignons, des écouteurs fourrés vissés sur les oreilles, pianotent sur des claviers pour transcrire ce qu’ils entendent sur les lignes téléphoniques des ambassades et d’autres cibles hautement prioritaires dans la capitale fédérale.

A l’autre bout de cette salle, au matin du 12 février 2003, un petit groupe de mouchards épiaient avec une tension extrême les preuves d’un crime ignominieux. Au moment même où l’armée américaine se préparait à envahir l’Irak, plusieurs indices laissaient entendre qu’un groupe voyou d’anciens responsables du Pentagone était d’ores et déjà en train de conspirer afin de pousser les Etats-Unis dans un autre conflit ­ avec l’Iran.

A quelques kilomètres de là, des agents du FBI pistaient Larry Franklin, un iranologue’ et membre titulaire de la l’Agence de Renseignement du ministère de la Défense, tandis qu’il roulait en direction de l’hôtel Ritz-Carlton, sur la rive du Potomac opposée à Washington. Cet homme svelte, âgé de soixante-six ans, aux cheveux blonds virant au gris, avait laissé sa modeste demeure de Kearneysville, en Virginie, peu avant l’aube, ce matin-là, pour effectuer son trajet de banlieusard, d’environ deux cents kilomètres, pour rejoindre son lieu de travail au Pentagone. Depuis 2002, il travaillait au Service des Projets Spéciaux, un espace encombré de bureaux paysagers bleus, au cinquième étage du bâtiment. Les membres de ce service, constituant une unité secrète responsable de la planification à long terme et de la propagande afférentes à l’invasion de l’Irak, s’étaient donné le surnom de « la cabale ». Ils référaient au seuil Douglas Feith, le troisième responsable en importance au ministère de la Défense, leur contribution consistant à concocter les rapports de renseignement frauduleux qui devaient pousser l’Amérique dans la guerre contre l’Irak.

Quinze jours auparavant, tout juste, dans son discours sur l’état de l’Union, le président Bush avait entrepris de poser les premiers jalons en vue de l’invasion, affirmant fallacieusement que Saddam Hussein détenait les moyens de produire des dizaines de milliers d’armes biologiques et chimiques, dont l’anthrax, la toxine botulinique, les gaz sarin et moutarde et l’agent innervant VX. Mais une attaque contre l’Irak requerrait quelque chose qui alarmait Franklin et d’autres néocons presque autant que des armes de destruction massive : la détente avec l’Iran. Comme l’a indiqué l’éditorialiste David Broder dans le quotidien Washington Post, des modérés, au sein de l’administration Bush, « négociaient en coulisses avec l’Iran afin de l’inciter à se tenir tranquille et à accueillir des réfugiés tandis que nous irions en Irak. »

Franklin ­ un néocon zélé, recruté par Feith en raison de ses convictions politiques ­ espérait saper ces pourparlers. Les agents du FBI le virent pénétrer dans le restaurant du Ritz et y rejoindre deux autres Américains, qui recherchaient eux aussi vraisemblablement des moyens d’impliquer les Etats-Unis dans une guerre avec l’Iran. L’un était Steven Rosen, un des lobbyistes les plus influents à Washington. La soixantaine, presque plus un cheveu sur le caillou, les sourcils foncés et un air renfrogné apparemment permanent, Rosen dirigeait la section des questions de politique étrangère du puissant lobby pro-israélien Aipac [American Israel Public Affairs Committee]. L’autre Américain, assis au côté de Rosen, était l’expert de l’Aipac ès questions iraniennes, Keith Weissman. Tous deux oeuvraient, depuis une dizaine d’années, en une collaboration intensive, à inciter les responsables américains et les parlementaires du Congrès à faire monter la pression contre Téhéran.

Au cours de leur déjeuner au Ritz-Carlton, Franklin mit les deux lobbyistes au jus d’un projet de directive présidentielle ultra confidentielle touchant à la sécurité nationale ayant trait à la politique américaine vis-à-vis de l’Iran. Rédigé par Michael Rubin, responsable de l’Irak et de l’Iran du service de Feith, ce document prônait, pour l’essentiel, un changement de régime politique en Iran. Aux yeux du Pentagone, d’après un ancien responsable affecté à ce service à l’époque, l’Iran n’était rien d’autre qu’ « un château de cartes, qu’il suffisait de pousser dans le ravin. » Jusqu’alors, cependant, la Maison Blanche avait repoussé le projet concocté par le Pentagone, lui préférant la position plus modérée adoptée par la diplomatie du Département d’Etat. Mais voilà que Franklin, qui ne voulait plus continuer à respecter les règles du jeu, franchissait le pas exorbitant ­ et illégal ­ consistant à remettre de l’information classée « secret ­ défense » à des lobbyistes au service d’un pays étranger. Incapable de remporter la bataille interne aux services au sujet de l’Iran, qui faisait rage au sein de l’administration américaine, un membre de l’unité secrète de Feith, au sein du Pentagone, recourrait carrément à la trahison, en recrutant les services de l’Aipac afin d’utiliser son énorme influence pour pousser le président à adopter son projet de directive et à déclencher une guerre contre l’Iran.

Pour l’Aipac, c’était inespéré. Le rêve ! Rosen, subodorant que Franklin pourrait servir d’espion bien utile, se mit immédiatement à échafauder des scénarios tordus permettant de l’introduire à la Maison Blanche ­ carrément au Conseil de la Sécurité Nationale, l’épicentre du renseignement et de la politique de sécurité nationale. En étant en fonction dans la place, quelques jours plus tard, Franklin allait se trouver « épaule contre épaule avec le président. »

Parfaitement persuadé qu’une telle man¦uvre était tout à fait dans les cordes de l’Aipac, Franklin demanda à Rosen de « placer une recommandation » pour lui. Rosen en convint. « Je ferai de mon mieux », dit-il, ajoutant que ce « déjeuner de travail » lui avait véritablement « ouvert les yeux ».

Travaillant ensemble, les deux hommes espéraient vendre aux Etats-Unis une nouvelle sale guerre. A quelques kilomètres de là, les magnétophones digitaux des Services linguistiques du FBI captaient ces échanges feutrés, jusque dans leur moindre détail.

2- ­Le gourou et l’exil

Ces dernières semaines, les attaques lancées contre Israël par le Hezbollah ont donné aux néocons de l’administration Bush le prétexte qu’ils attendaient impatiemment pour lancer ce que l’ex porte-parole de la Chambre des Représentants, Newt Gingrich, appelle la « Troisième guerre mondiale ». Dénonçant les bombardements du Hezbollah en les qualifiant de « guerre de l’Iran, par procuration », William Kristol, du Weekly Standard, presse le Pentagone de contrer « cet acte iranien d’agression en lançant une frappe militaire contre les installations nucléaires iraniennes. »

D’après Joseph Cirncione, un expert ès armements et auteur de l’ouvrage Deadly Arsenals : Nuclear, Biological and Chemical Threats [Des arsenaux mortels : les menaces nucléaires, biologiques et chimiques], « les néocons espèrent désormais se servir du conflit israélo-libanais pour lancer une guerre américaine contre la Syrie ou l’Iran. Voire, les deux. »

Mais l’hostilité de l’administration Bush envers l’Iran n’est pas seulement une excroissance de la crise actuelle. La guerre contre l’Iran est sur l’établi depuis cinq ans, elle est préparée dans un secret quasi complet par un petit groupe de hauts responsables du Pentagone rattachés au Service des Projets Spéciaux. L’homme qui a créé ce service, c’est Douglas Feith, le sous-secrétaire à la Défense chargé des questions politiques. Ancien spécialiste du Moyen-Orient au Conseil de la Sécurité Nationale sous Reagan, Feith incitait depuis longtemps Israël à sécuriser ses frontières au Moyen-Orient en attaquant tant l’Irak que l’Iran. Après l’élection de Bush, Feith s’attela à faire de cette vision une réalité, en constituant une équipe de faucons néocons déterminés à pousser les Etats-Unis à attaquer Téhéran. Un an avant l’arrivée de Bush à la Maison Blanche, l’équipe de Feith avait concocté une rencontre secrète, à Rome, avec un groupe d’Iraniens, afin de discuter de l’aide clandestine qu’ils étaient susceptibles d’apporter.

La rencontre avait été arrangée par Michael Ledeen, membre de la cabale recruté par Feith en raison de ses accointances en Iran. Qualifié par le Jerusalem Post de « gourou néoconservateur de Washington », Ledeen a grandi en Californie, dans les années 1940. Son père, ingénieur, a dessiné le système d’air conditionné des Studio Walt Disney, et Ledeen a passé le plus clair de sa petite enfance entouré par un monde fantastique. « Tout au long de mon enfance, nous étions une annexe de l’univers Disney », s’est-il remémoré un jour, évoquant son passé. « D’après la légende familiale, ma mère a servi de modèle pour le personnage de Blanche Neige, et nous avons effectivement un portrait d’elle, qui correspond trait pour trait au personnage du dessin animé ».

En 1977, un doctorat Ph.D. d’histoire et de philosophie en poche, et après avoir enseigné deux années à Rome, Ledeen devint le premier directeur de l’Institut Juif des Affaires de Sécurité Nationale, un groupe de pression pro-israélien porte-drapeau du mouvement néoconservateur. Quelques années plus tard, après l’élection de Reagan, Ledeen prit une telle importance qu’il devint consultant auprès du Conseil de Sécurité Nationale, aux côtés de Feith. Là, il joua un rôle central dans le pire scandale de la présidence Reagan : un marché secret consistant à fournir des armes à l’Iran en échange de la libération d’otages américains détenus au Liban. Ledeen servit d’intermédiaire de l’administration américaine avec Israël dans ce marché illégal d’armements. En 1985, il rencontra Manucher Ghorbanifar, ex-vendeur de tapis iranien, dont tout le monde était persuadé qu’il s’agissait d’un agent israélien. La CIA considérait que Ghorbanifar était un homme de paille dangereux, et elle avait publié une « note de mise en garde » recommandant qu’aucune agence américaine n’ait le moindre rapport avec ce personnage. Nullement impressionné, Ledeen qualifia Ghorbanifar d’ « homme parmi les plus honnêtes, les plus cultivés et honorables » qu’il ait jamais rencontrés ! Les deux hommes conclurent donc le troc otages / armes. Cette transaction allait conduire à la mise en examen de quatorze hauts responsables du Pentagone, sous l’administration Reagan.

« Ce fut horrible ­ comme vous le savez, ça a mal tourné », dit aujourd’hui Ledeen. « Quand l’affaire Iran-Contra s’est apaisée, je me suis dit : Terminé, plus jamais je ne toucherai à l’Iran’ ».

Mais, en 2001, peu après son arrivée au Pentagone, Ledeen rencontra a nouveau Ghorbanifar. Cette fois-ci, au lieu de vendre des missiles au régime iranien, les deux hommes explorèrent les moyens les plus expédients pour le renverser.

« Si nous nous sommes rencontrés, à Rome, c’est parce que mon ami Manucher Ghorbanifar m’a appelé », raconte Ledeen. Râblé, calvitie naissante, avec une barbe blanche hérissée, Ledeen est assis dans le living room de sa maison de briques claires située à Chevy Chase, dans le Maryland. Il tire sur son cigare dominicain. Son terrier Airedale, Thurber, furète la pièce avec une sorte d’instinct protecteur. au cours de sa première interview développée sur l’opération secrète du Pentagone, il ne fait pas de secret quand à son désir de renverser le gouvernement à Téhéran. « Je veux renverser ce régime », dit-il. « Ce régime, je n’en veux plus. L’Iran est un pays qui s’est voué fanatiquement à nous détruire. »

En appelant Ledeen au téléphone, à l’automne 2001, Ghorbanifar avait prétendu, comme souvent, détenir des renseignements explosifs et vitaux pour les intérêts américains. « Il y a des Iraniens qui disposent d’informations de première main sur les plans iraniens visant à tuer des Américains en Afghanistan », avait-il confié à Ledeen. « Y a-t-il quelqu’un chez vous, qui serait intéressé ? »

Ledeen transmit l’information à Stephen Hadley, conseiller adjoint à la Maison Blanche en matière de sécurité nationale. « Je sais que vous allez me jeter du service », lui dit Ledeen, « et, si j’étais à votre place, je me licencierais tout comme vous. Mais j’ai juré que je vous soumettrais ce choix. Ghorbanifar m’a appelé. Il a dit que ces gens sont prêts à venir ici. Voulez-vous que quelqu’un aille leur parler ? »

Hadley fut intéressé. Il en alla de même en ce qui concerne Zalmay Khalilzad, alors l’homme clé en matière de Moyen-Orient au Conseil de Sécurité Nationale, qui est aujourd’hui ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad. « Je pense que nous devons le faire ; nous devons entendre ce qu’ils ont à nous dire », dit Hadley. Ledeen avait donc désormais le feu vert : comme il le dit lui-même, « il n’y avait pas un seul membre de l’exécutif américain qui eût ignoré ce qui allait se passer. »

3-­ La rencontre de Rome

Quelques semaines ayant passé, au mois de décembre, un avion avec à son bord Ledeen, atterrissait à Rome, où débarquaient également deux autres membres de l’unité secrète de Ledeen au Pentagone : Larry Franklin et Harold Rhode, un protégé de Ledeen, qui conquit le titre de « théoricien du mouvement néoconservateur. » Spécialiste de l’islam parlant hébreu, arabe, turc et persan, Rhode avait l’habitude de ces exilés louches dans le style de Ghorbanifar. Il était proche d’Ahmad Chalabi, cet opposant irakien dont les renseignements bidons avaient contribué à pousser l’administration Bush à envahir Bagdad. D’après l’agence UPI, Rhode fut lui-même pincé, par la suite, par des agents de la CIA, en train de fourguer des renseignements « stupéfiants » à Israël, dont des informations ultrasensibles au sujet des déploiements de l’armée américaine en Irak.

Celui qui avait aidé Ledeen à arranger la rencontre complétait la galerie des voyous rassemblés à Rome ce jour-là : Nicolo Pollari, directeur des services italiens du renseignement militaire. Tout juste quinze jours auparavant, ce Pollari avait informé l’administration Bush du « fait » que Saddam Hussein avait obtenu de l’uranium en Afrique de l’Ouest ­ il s’agissait là, en l’occurrence, d’un document clé de renseignement bidon, utilisé par Bush pour justifier l’invasion de l’Irak.

Afin de dissimuler le rendez-vous secret à Rome, Pollari fournit une maison isolée particulièrement bien protégée, près des bars à café exprès bruyants et des gargotes bruyante qui entourent la Place d’Espagne. « C’était dans un appartement privé », se souvient Ledeen. « Il faisait un froid de canard ­ il n’y avait pas de chauffage. » Les agents du Pentagone et les Iraniens étaient assis autour d’une table encombrée de demies tasses à moitié pleines de café noir, de cendriers remplis de mégots de cigarette écrasés et de cartes détaillées, de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie. « Ils nous ont donné des informations sur les positions et les projets de terroristes iraniens prêts à tuer des Américains », dit Ledeen.

Ledeen insiste sur la pertinence des renseignements. « C’était exact », dit-il. « Les informations étaient précises ». Avis non partagé par son patron. «Il n’y avait rien d’assez détaillé ni d’assez important qui nécessitât d’aller plus loin », concéda plus tard le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld. « Cela ne menait nulle part. »

Tout ce petit monde tourna son attention vers leur objectif plus général : le changement de régime en Iran. Ghorbanifar suggéra de financer le renversement du gouvernement iranien au moyen de millions de dollars cash que Saddam Hussein était censé dissimuler. Il alla jusqu’à suggérer que Saddam se serait caché en Iran !

Ledeen, Franklin et Rhode reprenaient une page du scénario de Feith en Irak : ils avaient besoin d’un groupe d’exilés et de dissidents, pour la galerie, lesquels en appelleraient au renversement du régime iranien.

D’après des sources au courant de cette réunion, les Américains auraient proposé de conforter les Mujahedin-e Khalq [Les Combattants du Peuple, ndt] [MEK], un groupe de guérilla hostile au gouvernement iranien opérant à partir de l’Irak.

Il n’y avait qu’un seul petit problème : le MEK avait été classifié « organisation terroriste » par le Département d’Etat. De fait, la Maison Blanche était en pleines négociations avec Téhéran, qui proposait d’extrader cinq membres de l’organisation Al-Qa’ida supposés présenter une forte valeur en termes de renseignement, en échange de la promesse de Washington de supprimer tout soutien au MEK.

Ledeen nie avoir eu un quelconque rapport avec l’organisation. « Je ne suis pas homme à m’approcher à moins de trois cents kilomètres du MEK », dit-il. « Ces gens ne sont pas soutenus ; ils n’ont aucune légitimité. »

Mais les néoconservateurs étaient impatients de saper tout marché impliquant une coopération avec l’Iran. Pour les néocons, la valeur du MEK, en tant qu’arme dirigée contre Téhéran, l’emportait et de loin sur un quelconque bénéfice susceptible d’être retiré de l’interrogatoire des activistes d’Al-Qa’ida ­ même si ceux-ci auraient pu fournir des renseignements sur des attentats terroristes à venir, ainsi que des indices sur la localisation d’Oussama Ben Laden.

Ledeen et sa cabale du Pentagone n’étaient pas les seuls officiels américains à qui Ghorbanifar ait réussi à fourguer de faux renseignements sur l’Iran. L’an dernier, le Représentant Curt Welton (Républicain, Pennsylvanie), a affirmé qu’il détenait des renseignements ­ obtenus auprès d’un « informateur clandestin irréprochable » auquel il donnait le pseudonyme d’ « Ali » – selon lesquels le gouvernement iranien préparait des attaques contre les Etats-Unis. Mais quand la CIA enquêta sur ces allégations, il s’avéra que ledit Ali n’était autre que Fereidoun Mahdavi, un Iranien en exil qui servait de couverture à Ghorbanifar et qui tenta d’acheter la CIA pour 150 000 dollars. « C’est un affabulateur », dit Bill Mursay, ancien responsable de la CIA à Paris. Weldon était furieux : les hommes de l’agence aurait repoussé Ali, insistait-il, « uniquement parce qu’ils voulaient éviter, à tout prix, d’entraîner les Etats-Unis dans un conflit avec l’Iran. »

Après le rendez-vous romain, Ledeen et Ghorbanifar continuèrent à se rencontrer plusieurs fois par an, souvent pour une journée complète, voir deux journées, à chaque fois. Rhode rencontra lui aussi Ghorbanifar à Paris, et l’Iranien téléphonait ou envoyait des fax à ses contacts au sein du Pentagone quasiment tous les jours. A un moment donné, Ledeen notifia au Pentagone que Ghorbanifar était au courant d’un transfert d’uranium enrichi depuis l’Irak, vers l’Iran. Une autre fois, en 2003, il affirma que Téhéran allait faire exploser une bombe nucléaire sous quelques mois ­ alors même que les experts internationaux estimaient que l’Iran était incapable de mettre au point des armes nucléaires avant plusieurs années.
Mais la véridicité des informations n’avait strictement aucune importance. Ce qui importait, en revanche, au plus au point, c’était l’utilisation possible de tels rapports en vue de rameuter des soutiens à la guerre. L’histoire de l’Irak se répétait, de A jusqu’à Z.

4- Sur les traces de Monsieur X

Les efforts discrets déployés par l’équipe de Feith au Pentagone commencèrent à avoir l’effet escompté. En novembre 2003, Rumsfeld donna son aval à un projet connu sous le nom de Conplan 8022-02, qui établissait pour la première fois la faisabilité d’une attaque préemptive contre l’Iran. Celui-ci fut suivi, en 2004, par un ordre intérimaire d’alerte contre une attaque au plan mondial », qui mettait l’armée en état de préparation au lancement d’attaques aériennes et par missiles contre l’Iran, dès que Bush en aurait donné l’ordre. « Nous sommes désormais au point où nous sommes essentiellement en état d’alerte », indiqua le lieutenant général Bruce Carlson, commandant de la 8ème escadrille de l’armée de l’air. « Nous avons la capacité de planifier et de réaliser des frappes partout dans le monde, en une demi-journée, voire moins. »

Mais tandis que le Pentagone plaçait le pays à deux doigts d’une guerre avec l’Iran, le FBI élargissait ses investigations sur l’Aipac et sur son rôle dans le complot. David Szady, à l’époque chasseur d’espion en chef de l’organisation, était désormais convaincu qu’au minimum un citoyen américain travaillant au sein du gouvernement américain était en train d’espionner au profit d’Israël. « Désormais, ce ne sont plus seulement nos adversaires traditionnels qui sont désireux de nous voler nos secrets, mais c’est parfois nos alliés eux-mêmes », déclara Szady. « La menace est terriblement sérieuse. » Afin de localiser l’espion, parfois désigné comme Monsieur X, des agents travaillant pour lui commencèrent à se focaliser sur un petit groupe de néoconservateurs travaillant au Pentagone, parmi lesquels se trouvaient Feith, Ledeen et Rhode.

Le FBI tenait également à l’¦il Larry Franklin, qui continuait à rencontrer clandestinement Rosen, à l’Aipac. Redoutant manifestement que le FBI soit à leurs trousses, les deux hommes se mirent à prendre des précautions. Le 10 mars 2003, une semaine à peine avant l’invasion de l’Irak, Rosen rencontra Franklin dans la gare caverneuse Union, à Washington. Les deux hommes se retrouvèrent dans un restaurant, puis ils se hâtèrent vers un autre et, finalement, ils finirent dans un troisième ­ lequel était totalement vide. Précaution supplémentaire : Franklin se mit à envoyer des faxes à Rosen à son domicile, et non plus à son bureau de l’Aipac.

Quelques jours après, Rosen et Weissman remettaient à des responsables de l’ambassade d’Israël des détails sur le projet de directive présidentielle ultra-secrète sur l’Iran, en leur disant qu’ils avaient reçu le document « des mains d’un ami des nôtres, au sein du Pentagone. » Ils fournirent également aux Israéliens des détails sur des conversations internes à l’administration Bush, portant sur l’Iran. Puis, deux jours avant l’invasion américaine de l’Irak, Rosen fit passer l’information à la presse avec le commentaire suivant : « Je ne suis pas supposé être au courant de cela. » Le Washington Post finit par publier cette histoire, sous le titre : « Des pressions croissantes incitent le président à déclarer une action stratégique contre l’Iran », accréditant cette information classifiée à des « sources bien informées. » L’article mentionnait Ledeen, qui avait contribué à mettre sur pied la Coalition pour la Démocratie en Iran, un groupe de pression voué au renversement du gouvernement iranien, mais il ne faisait aucune allusion au fait que l’article avait été transmis par quelqu’un ayant une raison très particulière de donner cette information.

En juin de cette année-là, Weissman téléphona à Franklin et il lui laissa un message selon lequel lui-même et Rosen voulaient le rencontrer afin de parler de « notre pays préféré ». La réunion eut lieu, au restaurant Tivoli, un établissement faiblement éclairé, situé deux étages au-dessus de la station de métro Arlington, utilisé fréquemment par des agents du renseignements désireux de tenir des rendez-vous tranquilles. Au cours du dîner, dans la salle de restaurant tapissée de miroirs, les trois hommes parlèrent de l’article du Washington Post, et Rosen reconnut « les contraintes » que représentait pour Franklin le fait de les rencontrer. Mais le responsable du Pentagone se mit totalement à la disposition de l’Aipac. « C’est vous qui fixez l’ordre du jour », dit-il à Rosen.

Non content de rencontrer Rosen et Weissman, Franklin rencontrait régulièrement Naor Gilon, un officiel de l’ambassade d’Israël, lequel, d’après un ancien responsable du service américain du contre-espionnage, « montrait tous les signes de son appartenance à un service secret. »

Franklin et Gilon se rencontraient ordinairement au milieu des machines à musculation et des punching balls du Club d’athlétisme des officiers du Pentagone, où Franklin transmettait de l’information secrète sur les activités de l’Iran en Irak, sur ses programmes d’essais de missiles et même, apparemment, sur la journaliste Judith Miller, du New York Times.

A un moment donné, Gilon suggéra que Franklin rencontrât Uzi Arad, un ancien directeur des services israéliens de renseignement, ainsi que conseiller de l’ex-Premier ministre Benjamin Netanyahou en matière de politique étrangère. Une semaine après, Franklin déjeunait à la cafétéria du Pentagone avec cet ancien espion israélien de haute volée.

5- L’agent double iranien

Il s’avère que Larry Franklin n’était pas la seule personne impliquée dans l’opération secrète du Pentagone à échanger des secrets d’Etat avec des gouvernements étrangers. Tout en surveillant Franklin et ses activités clandestines au sein de l’Aipac, le FBI enquêtait par ailleurs sur un autre cas d’espionnage explosif, lié aux activités du service de Feith en Iran. Cet autre cas concernait Ahmad Chalabi, chef du Congrès National Irakien, un groupe activistes de l’opposition anti-Saddam, qui poussait depuis plus de dix ans les Etats-Unis à envahir l’Irak.

Depuis des années, l’Agence de la Sécurité Nationale possédait les codes utilisés par les Iraniens pour coder leurs messages diplomatiques, ce qui permit au gouvernement américain de mettre sur écoutes pratiquement toutes les conversations entre Téhéran et ses ambassades. Après l’invasion de Bagdad, l’Agence de la Sécurité Nationale se servit de ces codes pour espionner dans le détail les opérations clandestines de l’Iran en Irak. Mais en 2004, l’agence intercepta une série de messages urgents émanant de l’ambassade d’Iran à Bagdad. Des responsables du renseignement de cette ambassade avaient découvert la brèche massive dans la sécurité ­ révélée par une personne au fait des opérations de décodage américaines.

Le coup ainsi porté à la collecte de renseignements n’aurait pas pu intervenir à pire moment. L’administration Bush soupçonnait le gouvernement chiite iranien d’aider les insurgés chiites en Irak, lesquels tuaient des soldats américains. L’administration redoutait aussi que Téhéran ne fût en train de développer secrètement des armes nucléaires. Désormais, des renseignements cruciaux, qui auraient pu faire la lumière sur ces opérations étaient inaccessibles, ce qui mettait potentiellement en danger des vies américaines.

Le 20 mai, peu après que la fuite eut été découverte, la police irakienne, soutenue par des soldats américains, investirent le domicile de Chalabi, ainsi que ses bureaux, à Bagdad. Le FBI soupçonnait Chalabi, un chiite propriétaire d’une luxueuse résidence à Téhéran et proche de hauts responsables iraniens, d’espionner en réalité au profit du gouvernement chiite iranien. Obtenir des Etats-Unis qu’ils envahissent l’Irak, cela s’insérait, apparemment, dans un plan visant à installer un gouvernement chiite pro-iranien à Bagdad, dont Chalabi assurerait la présidence. Le service soupçonnait par ailleurs le chef du service de renseignement de Chalabi d’avoir transmis des renseignements extrêmement sensibles à l’Iran ­ des preuves sensibles au point de risquer d’entraîner « la mort d’Américains ».

Cette révélation mit Franklin et d’autres membres du service de Feith en état de choc. Si elle était avérée, les allégations signifiaient qu’ils venaient de faire déclencher une guerre à seule fin de placer au pouvoir un agent de leur ennemi mortel : l’Iran. Leur homme ­ ce dirigeant dissident qui était assis juste derrière la First Lady, dans la tribune présidentielle, durant le discours sur l’état de l’Union au cours duquel Bush prépara le pays à la guerre ­ s’avérait avoir travaillé pour l’Iran, depuis le début.

Il fallait que Franklin contrôle les dégâts, et vite. Il était une des très rares personnes, au sein du gouvernement, qui sût que c’était l’information permettant de déjouer les codages de l’Agence de la Sécurité Nationale que Chalabi était soupçonné d’avoir remise à l’Iran, et qu’il y avait des preuves irréfutables que Chalabi avait rencontré un agent iranien clandestin impliqué dans des opérations contre les Etats-Unis. Afin de protéger les gens qui, au sein du Pentagone, oeuvraient en vue d’un changement de régime à Téhéran, Franklin avait besoin d’un simple message : « Nous n’étions pas au courant des accointances secrètes de Chalabi avec l’Iran. »

Alors Franklin prit la décision de faire passer l’info à un contact ami, dans les médias : Adam Ciralsky, un producteur chez CBS, qui avait été viré de la CIA, en raison, disait-on, de ses liens étroits avec Israël. Le 21 mai, au lendemain de la diffusion par CBS d’un reportage exclusif sur Chalabi, Franklin téléphonait à Ciralsky et lui donnait l’information. Tandis que les deux hommes étaient en conversation, des grandes oreilles, au bureau opérationnel du FBI, à Washington, enregistraient leurs féchanges.

Ce soir-là, la présentatrice, Stahl, fit suivre son reportage initialement prévu de « nouveaux développements » : l’information que Franklin avait fait passer, plus tôt dans la journée. Elle commença, toutefois, en précisant qu’elle ne révélerait pas l’information la plus explosive de toutes : à savoir, le fait que Chalabi avait détruit toute capacité de l’Agence de la Sécurité Nationale d’espionner l’Iran. « Des hauts responsables des services de renseignement mettaient l’accent, aujourd’hui, sur le fait que l’information qu’Ahmed Chalabi est accusé d’avoir remise à l’Iran est si sensible que leur révélation totale porterait gravement atteinte à la sécurité des Etats-Unis », dit Stahl. « C’est la raison pour laquelle nous ne donnons pas les détails sur l’étendue des dégâts causés par Chalabi, à la demande des plus hauts niveaux de responsabilité américains. Cette information comporte des secrets connus d’une poignée seulement de très hauts responsables des services de renseignement. » Grâce à la pression émanant de l’administration, on a épargné à l’opinion publique la connaissance des conséquences les plus dommageables de la trahison de Chalabi.

Après quoi, Stahl passa au message capital de Franklin. « Sur ces entrefaites », dit-telle, « on nous a dit que de graves soupçons sur la véritable nature de la relation de Chalabi avec l’Iran se sont fait jour après que les Etats-Unis eurent obtenus ­ citation ­ des « preuves indéniables » que Chalabi a rencontré un officier supérieur du renseignement iranien, un personnage ­ nous citons ­ « inquiétant, représentatif du côté sombre du régime, un individu ayant participé directement à des opérations secrètes contre les Etats-Unis ». Chalabi n’a jamais évoqué cette rencontre à quelque membre du gouvernement américain que ce soit, pas même à ses amis et à ses sponsors ». Bref : le Pentagone ­ Feith, en particulier ­ était au-dessus de tout soupçon.

6- Le triomphe de la Cabale

Tout de suite après l’émission, l’équipe de David Szady, au FBI, décida de verrouiller son enquête avant que Franklin ne fasse sortir une quelconque information nouvelle. Des agents placèrent en toute quiétude Franklin devant les conversations téléphoniques enregistrées, et ils le pressèrent de coopérer à une opération tordue visant l’Aipac et des membres de l’équipe de Feith au sein du Pentagone. Franklin, confronté à une longue peine de prison, accepta. Le 4 août 2005, Rosen et Weissman étaient mis en examen et, le 20 janvier 2006, Franklin, qui avait plaidé coupable, fut condamné à douze ans et sept mois de prison. Dans une tentative de réduire sa peine, il accepta de témoigner contre les anciens responsables de l’Aipac. Le jugement est attendu cet automne.

Jusqu’ici, toutefois, Franklin est le seul membre de l’équipe de Feith à être poursuivi. L’absence d’autres mises en examen démontre avec quelle facilité effrayante un petit groupe de responsables du gouvernement peuvent collaborer avec des agents de gouvernements étrangers ­ qu’il s’agisse de l’Aipac, du MEK ou du Congrès National Irakien ­ à seule fin de vendre au pays une guerre désastreuse.

Le co-conspirateur non inquiété le plus éminent est Ahmed Chalabi. Même des Républicains de haut rang le soupçonnent de double jeu : « Je ne serais pas autrement surpris s’il s’avérait qu’il a fourni aux Iraniens des faits, des questions, quoi que ce soit, dont nous désirions qu’ils n’en eussent pas connaissance », a dit le Représentant Chri Shays (Républicain, Connecticut), qui préside la sous-commission de la sécurité nationale à la Chambre. Néanmoins, le FBI s’est montré incapable ne serait-ce que de questionner Chalabi, dans le cadre de son procès en cours pour espionnage. En novembre dernier, quand Chalabi est revenu aux Etats-Unis pour une série de conférence et d’événements médiatiques, le FBI a tenté de l’interroger. Mais, étant placé sous la protection du Département d’Etat durant sa visite, indiquent des sources du ministère de la Justice, la requête du bureau fut repoussée sans explication.

« Chalabi se répand partout, disant qu’il n’a rien à cacher », dit un haut responsable du FBI. « Et par-dessus le marché, il utilise notre Département d’Etat pour se protéger contre nous, en même temps. Et il faut qu’on la ferme ! »

Finalement, le travail de Franklin et des autres membres du bureau secret de Feith eut l’effet escompté. Travaillant dans les coulisses, les membres du Bureau des Projets Spéciaux ont réussi à placer les Etats-Unis sur la piste d’une guerre totale contre l’Iran. De fait, depuis la réélection de Bush pour un second mandat, il n’a jamais fait mystère de son désir de voir chuter le régime de Téhéran. Dans un discours on ne peut plus triomphal, lors de la Journée d’Intronisation, en janvier 2005, le vice-président Dick Cheney avertit tout de go que l’Iran était « tout à fait en tête de la liste des « endroits à problèmes » de l’administration américaine ­ et qu’Israël « pourrait bien décider d’agir le premier » en attaquant l’Iran. Les Israéliens, ajouta Cheney assénant manifestement une baffe aux modérés du Département d’Etat, « laisserait le reste du monde se charger de nettoyer le chaos diplomatique qui en résulterait. »

Au cours des six derniers mois, l’administration a adopté pratiquement en tous points la position dure prônée par la cabale pro-guerre au sein du Pentagone. En mai dernier, l’ambassadeur de Bush aux Nations Unies, John Bolton, s’est exprimé devant la conférence annuelle de l’Aipac. Il a averti que l’Iran « doit être averti que, s’il continue à s’enfoncer dans l’isolement international, il y aura des conséquences tangibles et douloureuses. » Comme pour confirmer ce discours martial, le Département d’Etat est en train de dépenser un budget de 66 millions de dollars afin de promouvoir un changement politique en Iran ­ en finançant le même genre de groupes oppositionnels qui ont contribué à entraîner les Etats-Unis dans la guerre en Irak. « Aucun autre pays ne représente pour nous un défi plus menaçant que l’Iran », a déclaré la Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice.

S’ajoute à cela le fait que le Département d’Etat a renforcé récemment son Bureau Iran, le faisant passer de deux membres à dix, tout en recrutant plus de locuteurs du persan et en mettant sur pied huit unités de renseignement dans divers pays, chargés de se concentrer sur l’Iran. La Stratégie de sécurité nationale de l’administration – un document politique officiel qui expose les priorités stratégiques des Etats-Unis ­ qualifie désormais l’Iran d’ « unique pays » représentant la grave menace pour les intérêts américains.

Ce glissement dans la politique officielle ravit d’aise les membres de la cabale. Pour eux, la guerre au Liban représente l’étape ultime dans leur projet consistant à faire de l’Iran un nouvel Irak. En s’exprimant dans la National Review, le 13 juillet, Ledeen avait du mal à se contrôler. « Plus vite, s’il vous plaît », pressait-il la Maison Blanche, arguant du fait que la guerre devrait désormais être prise en charge par l’armée américaine et élargie à l’ensemble de la région. « La seule façon pour nous de remporter cette guerre consiste à abattre les régimes félons de Téhéran et de Damas. Or, ceux-ci ne vont pas tomber du simple fait de combats entre leurs clients terroristes à Gaza et au Liban, d’un côté, et Israël de l’autre. Seuls les Etats-Unis peuvent en venir à bout », concluait-il. « Il n’y a pas d’autre solution. »

Par James Bamford | 24 juillet 2006

James Bamford est l’auteur de l’ouvrage A Pretext for War : 9/11, Iraq and the Abuse of America’s Intelligence Agencies[Un prétexte pour faire la guerre : les attentats du 11 septembre 2001, l’Irak et le détournement abusif des agences américaines de renseignement]. Son reportage, pour Rolling Stone, consacré à John Rendon, « L’homme qui a vendu la guerre » [The Man Who Sold the War, in RS n° 988] lui a valu de remporter le Prix National des Magazines 2006, dans la catégorie reporters.

Original : http://www.rollingstone.com/politics/story/10962352/iran_the_next_war
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

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Source: Arretsurinfo/


Tout tient en un mot de quatre lettres: IRAN

Par Haviv Rettig, 25 janvier 2007 | Jerusalem Post

À en juger à la tonalité de la Conférence d’Herzliya, cette année, l’establishment israélien, bien que s’extirpant à grand-peine d’un scandale pour tomber immédiatement dans un autre, n’a qu’une obsession : l’Iran.

Panel après panel, les conférenciers ont décliné jusqu’à la nausée la « menace existentielle » censée émaner du gouvernement « messianique totalitaire » aux manettes à Téhéran. Des membres de cabinets ministériels, des représentants de l’armée, la smala habituelle des anciens généraux, des analystes politiques et jusqu’à la poignée des responsables du Mossad, ont débattu tant publiquement qu’en petit comité, de la menace nucléaire [iranienne], de ses implications géostratégiques et psychologiques et des méthodes susceptibles de l’éliminer.

Et mises à part des observations initiales relatives au Président Moshe Katsav, le Premier ministre Ehud Olmert a consacré la totalité de son discours, lors de la cérémonie de clôture de la conférence annuelle, à ce même sujet. Observons toutefois que cette focalisation sur l’Iran n’était pas le seul fait des Israéliens présents à la conférence. Le sous-secrétaire d’État [usaméricain] pour les questions politiques, Nicholas Burns, vint à Herzliya, cette semaine dire aux participants que la menace iranienne était « sans conteste, le défi le plus important que nous ayons à relever, aujourd’hui ».

Thomas Pickering, qui assumait les fonctions de Burns avant lui, avertit contre le fait que « la prolifération nucléaire est véritablement la caractéristique de la présente ère nucléaire, et son danger majeur ». Peter MacKay, ministre canadien des Affaires étrangères, a affirmé que son pays était « profondément préoccupé au sujet de l’Iran », insistant sur le fait que « Téhéran ne doit pas être autorisé à obtenir des armes nucléaires. »

Et ce fut toujours et encore la même chose, avec des parlementaires allemands, l’ancien Premier ministre espagnol José Maria Aznar, le député d’opposition et ancien ministre de la Justice canadien Irwin Cotler, entre autres. Tout ceci soulève une question évidente : Que pensent – de spécifique – l’establishment sécuritaire israélien, ainsi que les participants américains et européens à la conférence, qu’il soit possible de faire, et qui doive être fait, à ce sujet ?

Tous sont tombés d’accord sur le fait que la menace émanant du gouvernement du président Mahmoud Ahmadinejad était réelle et immédiate. D’après le professeur de Princeton, le célèbre spécialiste d’histoire islamique, j’ai nommé Bernard Lewis, « Ahmadinejad croit réellement au message apocalyptique qu’il propage [au sujet du retour imminent du Mahdi messianique]. Cela fait de lui un homme extrêmement dangereux. « Une Destruction Mutuelle Garantie », pour lui, ça n’est pas une dissuasion, mais une incitation. »

S’ajoute à cela, pour le Dr. Dan Schueftan, de l’Université de Haïfa (un expert très respecté ès sécurité israélienne), le fait qu’une « bombe chiite » amènerait les pays arabes sunnites à construire leur propre « bombe sunnite », transformant un Moyen-Orient perclus de conflictualité en un environnement ingérable et spectaculairement plus dangereux encore.

Pourtant, il y a de très bonnes raisons d’être extrêmement préoccupé par toute frappe occidentale entendant éliminer le programme nucléaire iranien. D’après Shmuel Bar, analyste de l’Institut pour la Politique et la Stratégie du Centre Interdisciplinaire d’Herzliya, qui a travaillé pour les milieux du renseignement israélien durant trois décennies, une frappe usaméricaine déclencherait les impulsions primales de survie du régime iranien. Cela aurait à coup sûr pour conséquence une agression totale de l’Iran contre les champs pétrolifères koweïtiens et saoudiens, dans une tentative pour extorquer un niveau de prix [du pétrole] capable de dissuader l’Occident d’amplifier son assaut pour le porter au niveau du changement de régime [en Iran], a-t-il déclaré au Jerusalem Post.

De plus, il existe un « danger réel » que le régime iranien soit en mesure d’instiguer des grèves chez les chiites du Sud de l’Irak, a déclaré le Dr. Ian Bremer, président de la compagnie de consultants en matière de risques économiques, Eurasia Group. Cela pourrait considérablement faire baisser la production de pétrole, qui pourrait même passer de plus d’un million de barils par jour jusqu’à zéro baril, ne serait-ce que pour une courte période », a-t-il averti.

De plus, comme l’ont fait observer plusieurs analystes, toute frappe qui ne serait pas assez drastique pour renverser le régime iranien et discréditer totalement Ahmadinejad ne pourrait que déclencher une vague de soutien à la faction Ahmadinejad au sein du régime, lui donnant un avantage décisif dans la lutte complexe de pouvoir qui caractérise la vie politique iranienne.

Pour toutes ces raisons, Robert Satloff, Directeur de l’Institut de Washington pour la Politique Moyen-Orientale, pense qu’ « à propos de l’Iran, la majorité des analyses diplomatiques US proposent des moyens dissuasifs et non pas la prévention. N’était le fait qu’Israël se focalise sur la prévention, l’élite politique US aurait glissé vers la dissuasion, et dans ce cas, l’attention se concentrerait sur Israël, et non pas sur l’Iran ».

De fait, beaucoup de participants ont évoqué – et ont reflété, dans leurs opinions propres – une préférence US pour l’encouragement au changement de régime. « Ahmadinejad s’est aliéné beaucoup d’Iraniens, et même le leader Khomeiny [l’auteur de l’article et/ou l’interviewé confondent le défunt Khomeiny et Ali Khamenei, NdR] commence à voir en lui un handicap », a déclaré au Jerusalem Post Robert Einhorn, ex-assistant au Secrétaire d’État chargé de la non-prolifération, et membre du Conseil des Relations Extérieures. « Voici encore seulement six mois de cela, les Iraniens étaient fiers de leur pays, qui était considéré comme un leader du monde musulman, jusque dans la rue arabe sunnite. Aujourd’hui, il est critiqué publiquement pour avoir provoqué les résolutions de l’ONU [critiquant le programme nucléaire iranien] », a-t-il expliqué, ajoutant que le gouvernement iranien « pourrait juger de son propre intérêt de mettre à la décharge ce véritable paratonnerre attirant sur lui les foudres des critiques ».

À la question de savoir comment il interprétait le déploiement récent de deux porte-avions de la marine US dans le Golfe persique, et si cela était une indication de préparatifs américains en vue d’une opération militaire contre l’Iran, le président de la conférence, Uzi Arad, un ancien directeur du Mossad, nous a déclaré : « J’ai posé exactement cette question à des amis US ».

Ces « amis » l’ont rabroué, en lui demandant de ne « pas être ethnocentrique à ce point », a-t-il dit, avec malice. « L’Amérique a bien deux ou trois autres intérêts, au Moyen-Orient, mis à part la protection d’Israël », a-t-il ajouté, et le déploiement US entendait en réalité uniquement calmer quelques nerfs à vif chez certains alliés de l’US, dans le Golfe.

La plupart des participants à la Conférence d’Herzliya, toutefois, ne considérèrent pas que le changement de régime soit une conséquence probable de pressions internationales, et prédirent un échec retentissant de l’initiative diplomatique. Ils voulurent voir dans le récent déploiement naval un signe que cette vision des choses était partagée par l’administration Bush.

Comme l’a expliqué Bar à la conférence, il est extrêmement peu probable qu’Ahmadinejad tombe en raison des critiques internationales, les Gardiens de la Révolution du régime qu’il dirige contrôlant près de 30 % de l’économie iranienne, « et absolument tous les flingues », dans ce pays.
Un analyste ayant de la bouteille a indiqué au Post que si Arad a sans doute de bons amis dans les milieux civilsdu renseignement, c’est au Ministère de la Défense que se fie, quant à elle, l’administration Bush en matière de planification stratégique.

Plusieurs observateurs à la conférence d’Herzliya ont procédé à une évaluation des intentions de l’administration US, et ont fait part de leur impression que le déploiement dans le Golfe persique avait sans doute une signification beaucoup plus large. «  Il me semble que je sens le brouillard de la guerre », a dit le colonel (réserviste) Eran Lerman, ancien analyste en chef à la direction du renseignement de l’armée israélienne, résumant l’impression des autres participants, qui ont refusé d’être enregistrés.
Burns a lui-même fait observer que « l’Iran, de par les politiques qui sont les siennes, a causé une sévère réaction aux USA, qui ont, depuis lors, provoqué un regain d’efforts d’espionnage et d’obtention d’informations paramilitaires concernant ce pays ». Il a même déclaré, à la tribune, que l’ « Iran n’est plus en position offensive, mais plutôt sur la défensive ».

Était-ce là une indication que les ennemis de l’Iran étaient, quant à eux, en position offensive ? Et qu’a voulu dire Olmert, quand il a affirmé le « droit d’Israël à une liberté totale de réaction », déclarant qu’il y a un moment à partir duquel « plus aucune des lois de la diplomatie classique ne tient plus » ?

Les préparatifs en vue d’une frappe US ou israélienne, contre l’Iran, tant en termes militaro-logistiques que diplomatiques et psychologiques, vont bon train. Pour citer Bremer : « Il y a deux horloges en train de cliqueter » : celle de la réforme – ou du changement – du régime iranien, et celle de la course du régime iranien à l’acquisition de l’arme nucléaire.

Le consensus général, à Herzliya, était que si l’horloge nucléaire devait être perçue, en Occident, comme avançant plus vite que la première [celle de la réforme ou du renversement du régime iranien], une frappe militaire US totale – en dépit des terribles risques encourus – deviendrait inévitable.

Haviv Rettig, 25 janvier 2007

Original : Jerusalem Post

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier