Essentialisme et la « Gauche » – Partie I

Par Gilad Atzmon

Le sujet que je vais vous présenter aujourd’hui est peut-être nouveau pour la plupart des lecteurs et contributeurs de cette page. Afin de le saisir pleinement, nous devons d’abord examiner la différence entre « différence politique » et « affrontement essentialiste ».

Les personnes, partis, institutions peuvent être en désaccord entre eux sur l’avenir de leur État, ses décisions gouvernementales, la répartition des richesses, le système économique de l’État, la stratégie de défense de l’État, etc. Ces types de désaccords relèvent de ce qu’on appelle les différences politiques.

Un affrontement essentialiste se produit lorsque des personnes, partis et institutions ne s’entendent pas entre eux sur la signification fondamentale du fait d’être ensemble en tant que société, collectif ou État. Ces événements sont rares dans l’histoire et sont largement associés à des idéologies de droite, conservatrices et religieuses. Hitler et son parti, par exemple, défendaient une vision révolutionnaire du sens et de l’essence de l’existence germanique. Tommy Robinson et ses partisans adhèrent à une conception de la société britannique (blanche et chrétienne) qui diffère radicalement de l’image tolérante et multiculturelle commune des Britanniques. La révolution islamique en Iran a transformé la signification de l’Iran tel qu’il était perçu jusqu’alors. La bataille autour des significations fondamentales est ce que j’appelle un « affrontement essentialiste ».

Les « Israéliens » contre le « Royaume de Judée »

Un mode de compréhension du développement du projet nationaliste juif implique de saisir l’affrontement essentialiste entre deux visions juives nationalistes israéliennes concurrentes. Ces deux perceptions idéologiques attribuent une signification complètement différente à la notion d’« État juif » mais aussi à celle d’« être juif » dans un tel État.

Au fil des années, ces deux perceptions rivales se sont éloignées et se trouvent aujourd’hui dans un conflit amer et non résolu.

Du côté prétendument « gauche », « laïque » et « éclairé » de la fracture politique israélienne, nous rencontrons les soi-disant « Israéliens », les « restes » du sionisme travailliste. Ce sont les nouveaux Hébreux laïcs qui croient que les Juifs en Palestine sont désormais un « fait sur le terrain ». Ils sont en Palestine parce qu’on leur a promis un « foyer national pour le peuple juif » par la Déclaration Balfour. Cette déclaration a été renforcée par l’ONU en 1949. Pour les « Israéliens » ou Hébreux laïcs, le projet de colonisation en Palestine a toujours été un projet territorial avec des objectifs territoriaux. Les soi-disant « Israéliens » croient encore que le différend de l’État juif avec pratiquement tout le monde dans la région est de nature territoriale et donc résoluble par des compromis territoriaux (par exemple les accords d’Oslo, la solution à deux États, etc.).

De l’autre côté du débat amer, nous rencontrons les authentiques nationalistes religieux de droite. Ce sont des gens qui croient sincèrement que la terre d’Israël leur a été donnée (à eux seuls) par une figure divine (qu’ils ont eux-mêmes inventée). Pour eux, l’occupation de la Palestine ou même du Grand Israël n’est pas une « affaire territoriale », c’est en réalité un acte religieux, une mitzvah fondamentale. Certains commentateurs politiques en Israël désignent ce collectif droitier et zélé comme le « Royaume de Judée ». Ils se voient comme les véritables descendants de la Judée biblique.

Ce que nous voyons, en pratique, c’est un affrontement entre deux perceptions essentialistes rivales (« Israéliens » et « Royaume de Judée ») qui interprètent le sens et l’essence de l’État juif de manière totalement différente. L’analyse ci-dessus peut expliquer à certains témoins perplexes pourquoi, dans les manifestations dites « anti-Netanyahou », on remarque plus de drapeaux israéliens que de personnes. Les « Israéliens » insistent pour s’approprier les symboles de l’État, à savoir le drapeau, le nom de l’État, etc. Mais au fond, cette bataille est un affrontement essentialiste entre « l’israélité » et le « judaïsme ».

La compréhension la plus cruciale à ce stade est de saisir que la bataille à laquelle nous assistons au sein de l’État juif n’est pas de nature politique mais porte sur la véritable essence de l’État juif, de l’existence juive dans un tel État et sur la signification du judaïsme en général.

S’il est vrai que le sionisme travailliste et sa vision de l’israélité ont dominé le projet national juif jusqu’en 1977, après la guerre de 1967, les nationalistes religieux juifs n’ont cessé de gagner du pouvoir. Leur domination actuelle dans la politique israélienne est désormais complète, au point que les « Israéliens » deviennent une minorité en voie de disparition. Le parti travailliste israélien, qui a pratiquement transformé le sionisme en État et dirigé le projet national juif jusqu’en 1977, lutte pour entrer à la Knesset. Pourtant, l’orgie de sacrifices humains que nous observons tous à Gaza est le résultat direct de l’hégémonie totale du « Royaume de Judée » au sein de l’armée et de la politique israéliennes. Les agitateurs nationalistes religieux juifs parlent ouvertement, sans honte et sans peur, « d’expulsions massives », de « famine massive », de « meurtres de masse », de « viols massifs », et du moins de leur point de vue, ils font écho à leurs enseignements religieux.

Alors que dans les années 1990 la bataille entre ces deux identités concurrentes était encore perçue comme indécise, au début des années 2000 elle s’est conclue par une défaite totale de l’israélité. Israël a appris à se voir comme « l’État juif », un État du peuple juif (par opposition à un État des Israéliens). Mais il n’a pas fallu longtemps avant que cet État ne se transforme à nouveau, cette fois en un État judaïque. Israël est désormais défini par les enseignements religieux judaïques et inspiré par les textes religieux judaïques. Cette transition se manifeste dans tous les aspects de la vie israélienne, y compris la politique israélienne en général et les crimes israéliens contre l’humanité en particulier.

Ce que nous voyons à Gaza est une amplification tragique de l’interprétation la plus extrême et la plus meurtrière du précepte judaïque. Fait choquant, cette interprétation de l’appel judaïque est massivement populaire en Israël mais aussi largement répandue parmi les institutions juives occidentales.

Je n’ai pas encore vu l’ADL, l’AIPAC, les « Labour Friends of Israel » britanniques ou le CRIF français appeler Israël à mettre fin au génocide de Gaza. Bien au contraire, ce que font ces organisations, institutions et lobbies juifs, c’est s’efforcer de pénaliser ceux qui osent appliquer le mot génocide aux actions israéliennes.

Alors que l’analyse que je présente ci-dessus est courante en Israël et acceptée par la plupart des commentateurs de gauche comme de droite, le mouvement de solidarité palestinien, la gauche et la plupart des activistes palestiniens occidentaux prétendent être aveugles à la véritable signification de cet affrontement essentialiste au sein de la société israélienne. Ils continuent de se concentrer sur l’objectif « territorial » israélien, feignant de ne pas voir qu’il se joue quelque chose de bien plus profond et sombre dans le « Royaume de Judée ». Cela s’appelle la théologie.

Dans la Partie II, je vais examiner la manière dont des décennies d’activités de l’industrie de la solidarité palestinienne ont été gaspillées dans une tentative désespérée de ne pas heurter les sensibilités juives en diagnostiquant délibérément de manière erronée le projet national juif. Ce faisant, au lieu de conduire à une résolution quelconque du sort palestinien, le mouvement dans son ensemble est devenu une continuation du problème.

Par Gilad Atzmon

Fin Partie I.

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Solidarité avec la Palestine, gauche contre droite – Partie II

« L’anti » sionisme juif pour les nuls

Par Gilad Atzmon

Après une longue délibération et réflexion, et des dizaines de milliers d’enfants palestiniens massacrés à Gaza, les soi-disant « anti-sionistes » juifs nous ont finalement accordé la permission d’utiliser le terme « génocide ». Ils nous ont même donné le feu vert pour comparer Israël au 3ᵉ Reich. Pourtant, ils veillent toujours à fixer les limites de telles comparaisons, simplement pour s’assurer que nous n’examinions pas la théologie judaïque qui guide Israël. Nous sommes autorisés à faire des parallèles avec d’autres génocides à condition que :

1.- Nous maintenions la primauté de la souffrance juive (la Shoah).

2.- Nous nous abstenions de regarder les éléments judaïques qui façonnent concrètement la brutalité du conflit.

Autant que je sache, aucun agitateur ou militant juif anti-sioniste n’a récemment apporté la moindre réflexion sur le rôle du judaïsme, des textes judaïques ou des enseignements judaïques dans le contexte du génocide de Gaza. Pour la gauche juive, et les soi-disant juifs « anti » sionistes, l’État « sioniste » reste soumis à l’hégémonie des « Israéliens ». Pour les juifs « anti » sionistes, le problème du « sionisme » est « l’occupation », c’est-à-dire une « question territoriale » (reprenant l’approche des « Israéliens », voir Partie I, lien dans le 1er commentaire), tout en ignorant le fait qu’en réalité, ce que nous voyons est une crise théologique judaïque.

Les anti-sionistes juifs insistent pour que nous restreignions notre critique au « colonialisme », au « colonialisme de peuplement », à « l’apartheid », bref à tout modèle ou terme historique trompeur qui détournerait l’attention du mot commençant par J. Quand ils se permettent de parler de « suprématie juive » (comme certains le font enfin aujourd’hui), ils la cadrent toujours dans le contexte limité du « sionisme » contemporain ou du « colonialisme de peuplement », comme si la suprématie juive était une invention récente, comme si le « problème juif » était né avec le sionisme. En réalité, le soi-disant « problème juif » est aussi ancien que le judaïsme lui-même. Fait assez ironique, le sionisme, dans sa version initiale, se présentait comme une promesse de résoudre ce problème.

Mais les anti-sionistes juifs ne sont pas seuls. Ils disposent d’un bataillon d’activistes et d’universitaires palestiniens occidentaux qui soutiennent ce projet trompeur. Pourquoi ? Parce que c’est commode. Cela évite la peine d’être puni pour avoir manqué de considération envers les « sensibilités juives ». En l’état actuel, les activistes palestiniens ne peuvent fonctionner efficacement que s’ils bénéficient du soutien des « anti » sionistes juifs. Il s’agit bien sûr d’une situation absurde dans laquelle le discours de solidarité des opprimés est façonné par les sensibilités de l’oppresseur.

La gauche occidentale n’est pas d’une grande aide non plus. Aussi sincèrement qu’elle soutienne les Palestiniens et qu’elle soit dévastée par la campagne d’extermination en cours en Palestine, la gauche ne sait pas comment traiter l’essentialisme, la religion et la spiritualité. La gauche est un appareil matérialiste dialectique ; la théologie, pour elle, est « l’opium du peuple».

Fait intéressant, d’un point de vue métaphysique, le discours de gauche dans son approche de l’histoire est structurellement similaire à la philosophie judaïque de l’Ancien Testament. Les juifs rabbiniques n’ont pas besoin d’histoire, car le sens de leur existence, leur temporalité et leur direction historique sont inspirés par la Torah. L’histoire juive est essentiellement un cycle d’inversions recyclées de « Souviens-toi d’Amalek ». La gauche suit un paradigme similaire : elle recycle ses quelques modèles matérialistes (lutte des classes, colonialisme, colonialisme de peuplement, impérialisme, apartheid, etc.). Qu’ils correspondent ou non à la réalité est sans importance. En revanche, douter de leur pertinence ou de leur pouvoir explicatif est considéré comme un acte d’hérésie dans la plupart des cercles de gauche, sinon tous. Je vous laisse deviner pourquoi…

La nouvelle droite américaine et Gaza

C’est précisément là que l’éveil de la droite idéologique américaine devient un événement très intéressant, du moins pour moi. La droite est naturellement moins encline au jeu politique partisan ou à toute forme de rectitude.

Il n’a pas fallu longtemps aux principaux activistes de MAGA pour se retourner contre leur leader une fois qu’ils ont réalisé qu’il n’avait en réalité aucun plan concret. Il ne leur a pas fallu non plus beaucoup de temps pour identifier que l’éléphant dans la pièce avait une nature casher et ce, depuis un bon moment. Si le « pouvoir juif » est un sujet tabou dans les cercles de gauche et les groupes de solidarité palestinienne occidentaux (ils iront jusqu’à parler de « pouvoir sioniste »), dans la droite américaine, personne ne semble avoir peur de prononcer le mot commençant par J ni de mentionner la domination de la « tribu » dans la vie américaine.

Le tournant que nous observons actuellement à droite aux États-Unis pourrait être bien plus significatif que des décennies de solidarité palestinienne à tendance gauchiste, pour la raison évidente que la droite américaine et la droite chrétienne se sont réveillées face à la nature morbide de l’État juif et à la théologie qui l’a façonné. La gauche n’aurait jamais pu vivre un tel éveil car elle ne possède même pas les outils théoriques ou idéologiques pour aborder le sens de la théologie judaïque ou de la religion en général.

Mais il y a un autre aspect ici qui pourrait être très significatif. Ni le Hamas, ni le Hezbollah, ni les Houthis, ni l’Iran ne peuvent être considérés comme de gauche, sous aucune forme. Ils sont mus par la religion et, du point de vue de la gauche, sont par nature considérés comme de droite. Il est donc tout à fait naturel que les agitateurs de droite présentent une meilleure compréhension de l’idéologie centrale qui inspire à la fois Ben Gvir et Sinwar.

Bien que je ne voie pas Tommy Robinson au Royaume-Uni soutenir le Hamas de sitôt, nous avons déjà vu Tucker Carlson offrir sa tribune à la voix de l’Iran tout en se concentrant sur certaines questions juives fondamentales. Le colonel Douglas Macgregor n’hésite pas à utiliser le mot commençant par J tout en présentant également les perspectives iraniennes. Candace Owens pointe sans crainte du doigt le problème. Nick Fuentes est probablement celui qui s’exprime le plus sur le sujet. Inutile de mentionner que beaucoup insistent sur le fait que Charlie Kirk aurait perdu la vie pour s’être éveillé à la cause palestinienne et au tournant pris par la droite américaine à ce sujet.

Je suis, bien sûr, une personne « post-politique ». J’étais un « gauchiste » dans ma jeunesse. Je suis resté plus ou moins au même endroit, je défends encore à peu près les mêmes valeurs, mais c’est la gauche qui a bougé : elle est devenue « libérale », progressiste et « identitaire ». Elle s’est compromise. En tant qu’adulte pensant, j’ai depuis longtemps perdu tout intérêt pour toute affiliation politique, à gauche comme à droite, mais je suis fasciné, à la place, par le sens du discours politique, par les questions qu’il soulève et par les réponses qu’il échoue à fournir.

Il m’est très évident que la gauche et les anti-sionistes juifs organisés ont trahi la Palestine tout au long, en méconnaissant la perspective théologique juive au cœur d’Israël. Était-ce un acte délibéré et calculé de trahison, ou peut-être le résultat d’une capacité théorique limitée ? Voilà une question très intéressante à méditer. Cependant, il se peut que ce soit le dernier moment pour la gauche et pour les anti-sionistes juifs de comprendre enfin ce qui alimente l’éradication brutale du peuple palestinien.

Ce n’est pas un enthousiasme pour « l’accaparement de terres » (l’accaparement est un symptôme, pas la maladie). Ce n’est pas le « colonialisme », qui manque d’une « nation-mère ». Ce ne sont pas des idées de « colonialisme de peuplement » qui motivent les colons comme Smotrich, Ben Gvir et Daniella Weiss. Ce n’est pas non plus un zèle expansionniste territorial. C’est la théologie. Nous devons cette reconnaissance la plus évidente à nous-mêmes, mais plus encore aux Palestiniens, car ils sont les victimes actuelles de cette même théologie.

Par Gilad Atzmon, 29 septembre 2025

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Arrêtsurinfo.ch, 30.09.2025