L’assaut d’Israël sur le nord de Gaza a contraint des dizaines de milliers de personnes à quitter leurs maisons, ici le 25 octobre. ©Mahmoud IssaAPA images

L’assaut d’Israël sur le nord de Gaza a forcé des dizaines de milliers de personnes à quitter leurs maisons, ici le 25 octobre.

C’est l’apocalypse.

C’est ainsi que les habitants décrivent la situation à Jabalia et dans le nord de la bande de Gaza, alors que l’offensive israélienne approche de son deuxième mois.

Israël a ordonné à tous les habitants de se diriger vers le sud, mais a également érigé des points de contrôle empêchant les gens de se déplacer.

Sur les 400 000 personnes qui se trouvaient dans le nord au début de l’offensive, début octobre, plus de 100 000 seraient restées.

Israël a pratiquement coupé l’aide humanitaire au territoire dans une tentative apparente d’affamer la population.

Il a bombardé avec insistance, tuant quelque 1 200 personnes au cours des quatre dernières semaines, dont plus d’une centaine en une seule frappe sur une maison pour personnes déplacées à Beit Lahiya le 30 octobre, ainsi que 150 en une série de frappes sur 10 bâtiments à Jabalia le 24 octobre.

« Vous ne pouvez pas imaginer ce qui se passe à Jabalia », a déclaré Nadia al-Kafarna, 69 ans. « Le ciel est noir de fumée et le sol est brûlé ».

Nadia a répondu à The Electronic Intifada par téléphone, malgré un réseau instable. L’armée israélienne l’a forcée à quitter son abri dans le camp de réfugiés de Jabalia le 17 octobre, mais elle se trouve toujours dans la ville de Gaza, au nord.

« Rien n’a été épargné par la destruction. Les bruits d’explosion sont étranges, différents de ceux d’avant, terrifiants et secouant les os, comme s’ils allaient vous déchirer », a déclaré Nadia, profondément bouleversée. « En moi, tout est brisé par l’horreur de ce que j’ai vu. Aujourd’hui encore, mon cœur est serré et je suis saisie par la peur ».

L’apocalypse, dit-elle. « J’ai été témoin d’horreurs apocalyptiques« .

Une agression implacable

Nadia a déclaré que les soldats n’avaient « aucune pitié […] Il y a des corps en décomposition de femmes et d’enfants dans tout le camp [de réfugié], dans les maisons et dans les rues ».

L’armée israélienne n’a épargné personne. Mahmoud Basal, de la défense civile de Gaza, a déclaré que toutes les opérations dans la région nord ont dû être interrompues à la suite des attaques des forces israéliennes, qui ont fait au moins trois blessés, tandis que plusieurs personnes ont été arrêtées.

Il n’y a pratiquement plus d’eau ni de nourriture dans le camp. Selon les Nations unies, Israël a empêché 83 % de l’aide humanitaire d’entrer dans le nord en septembre. Les habitants de Jabalia souffrent douloureusement de la faim, beaucoup d’entre eux ayant recours à des pierres attachées à leur estomac pour atténuer les douleurs de la faim – une pratique enracinée dans la tradition prophétique.

Les habitants du camp ont également soif, car l’eau potable qui arrive dans le camp est limitée. Rachel Cummings, de Save the Children International, qualifie la situation d’« absolument catastrophique ».

« Les gens sont constamment bombardés par des attaques aériennes et, bien sûr, nous savons que la nourriture et l’eau ne sont pas suffisantes. Les convois de nourriture et d’eau sont interdits d’accès dans le nord… C’est absolument catastrophique », a déclaré Mme Cummings.

Nadia a qualifié les bombardements d’incessants.

« Les bombardements n’ont jamais cessé, jour et nuit, sans pitié ni humanité. Nous avons récité des prières en permanence, sentant la mort plus proche que jamais à chaque explosion terrifiante », a-t-elle déclaré.

« Nos journées sont longues, ma famille et moi luttant contre la faim, la soif et la peur. Nous nous contentons de morceaux de pain que nous faisons cuire à l’intérieur de la maison, sur un feu ouvert. Le pain et le zaatar ont été notre seule subsistance pendant plus de deux semaines ».

L’apocalypse

Nadia a dressé un tableau apocalyptique de la situation à Jabalia : des visages pâles à cause du manque de sommeil, des enfants avec des noms écrits sur leurs bras pour les identifier, et une peur constante.

Obligée de quitter sa maison, Nadia a raconté que sa famille – ses trois fils, leurs femmes et leurs enfants, noms inscrits sur les bras – avait eu dix minutes pour se conformer à un ordre militaire d’évacuation.

« J’ai perçu le tremblement collectif et entendu des parents murmurer des prières pour demander la protection de Dieu alors que nous partions. J’ai regardé le visage de mes enfants et de mes petits-enfants en pensant que c’était peut-être la dernière fois que je les voyais ».

Et, comme d’autres l’ont rapporté, quitter Jabalia a ajouté son lot d’horreurs.

« À l’entrée de notre allée, des chars étaient amassés, ainsi qu’un grand nombre de soldats. La scène ressemblait à un abattoir : les hommes étaient rassemblés, déshabillés jusqu’à leurs sous-vêtements, les mains attachées dans le dos, puis les yeux bandés. À proximité se trouvait une fosse profonde où les mères étaient retenues sans leurs enfants, tandis que les enfants pleuraient et criaient depuis une troisième zone ».

Il y avait une quatrième zone, a-t-elle ajouté.

« Il y avait un quatrième tas – un tas de corps empilés à l’entrée de la maison de mes voisins, plus de cinquante cadavres presque nus exécutés plus tôt. J’aurais préféré ne pas voir ça».

Un soldat appelle Nadia par haut-parleur.

« Il m’a ordonné d’aller vers le sud et m’a menacée de me tuer si je ne faisais pas vite. Lorsque je me suis risquée à lui demander des nouvelles des enfants, de ma fille et de mes belles-filles, il m’a autorisée à les emmener avec moi. Mais tous les hommes sont restés sur place, sans qu’on sache ce qu’ils sont devenus, entre les mains de tueurs ».

Un miracle

M.D., 57 ans, a refusé de révéler son nom par crainte de représailles. Il pense que lui et son fils de 15 ans ont survécu « par miracle » aux soldats et aux drones qui ont envahi le camp de Jabalia.

« Lorsque j’ai appris que les forces israéliennes avançaient dans notre quartier, mon fils et moi avons emprunté des chemins détournés à travers le camp pour nous rendre dans une zone plus sûre au nord de Gaza. Alors que nous pensions être en sécurité, nous avons vu que des soldats bloquaient la fin de la route que nous avions empruntée. Nous avons légèrement reculé et nous nous sommes abrités dans une maison dont la porte était cassée ».

À l’intérieur, raconte-t-il, il a vu quatre corps.

« Deux hommes et une femme, exécutés par balles, et une femme âgée laissée à mourir de faim dans une pièce. Elle semblait alitée, en mauvaise santé, laissée seule lutter contre la mort. Nous avons passé une nuit entière piégés parmi les morts, incapables de dormir et de partir. Les soldats étaient assis devant la porte, riant et jouant, comme s’ils étaient à un pique-nique ».

Ils ont profité d’un moment où les soldats ont changé de quart.

«Nous avons réussi à nous échapper en traversant la route et en nous dirigeant vers la ville de Gaza. Je n’arrivais pas à croire que nous avions survécu ! J’avais l’impression qu’on m’avait accordé une nouvelle vie ».

Néanmoins, M.D. a été marqué par cette expérience. En réfléchissant à sa survie, il dit que le pire n’a pas été de passer une nuit « parmi les morts », ni la mort et la destruction qu’il a vues. « Je n’ai pas pu donner à mon fils un sentiment de sécurité. Je lui ai caressé la tête en lui murmurant : « Tout ira bien ». Mais il a été témoin de la mort et de tourments terrifiants. Il ne parle plus depuis des jours et se trouve dans un état de détresse extrême.

La plupart des habitants de Jabalia ont refusé de partir. Ils considèrent leur départ comme déraisonnable et affirment qu’ils sont enracinés dans leur terre.

S.K., 49 ans, qui ‘a pas voulu donner son nom, est l’un de ceux qui ont refusé de partir. Sa maison, dit-il, est encerclée.

« Les soldats israéliens ne sont qu’à quelques centaines de mètres. Ils tuent de sang-froid des femmes, des enfants et des personnes âgées, ils font tomber du béton et de l’acier sur la tête d’innocents. Ces soldats ne font preuve d’aucune compassion. Ils sont le dragon du mal de notre époque ».

Il y a des dragons

S.K. tient absolument à rester dans sa maison.

« Rien ne justifie que l’on m’expulse de chez moi par la force. Le camp n’est pas un champ de bataille. Je ne quitterai pas ma maison et la terre de mes ancêtres. Je reste ici comme un arbre dont les racines s’enfoncent chaque jour davantage. Je ne peux être déraciné que par la mort ».

Mais sa détermination a un prix, car l’armée israélienne cherche à affamer les gens.

« La plupart du temps, j’ai des vertiges », a déclaré S.K. « Ma vue se brouille à cause du manque de nourriture. Nous ne mangeons que du pain et du zaatar. Chaque fois que je pense à mes enfants qui endurent ces privations et ce danger, je pleure. Comment peut-on accepter qu’un enfant soit soumis à une telle brutalité ? ».

Il ajoute que les habitants de Jabalia sont privés de sommeil et terrorisés par l’armée israélienne.

« Croyez-moi quand je vous dis que depuis que l’extermination de ce camp a commencé, nous n’avons pas dormi. Les bombardements sont constants et les obus pleuvent dans un fracas insupportable qui nous remplit d’effroi. Imaginez une sensation de piqûre sur tout votre corps en même temps. C’est la peur que nous vivons ».

Des drones planent constamment dans le ciel au-dessus du camp, dit-il, se déplaçant entre les maisons, descendant et remontant, ciblant tout ce qui bouge. D’innombrables corps sont abandonnés. Des animaux aussi – ânes, chats et chevaux – ont été abandonnés pendant des jours, leurs carcasses se décomposant.

« Nous avons peur de sortir, de regarder par la fenêtre ou d’allumer la lumière la nuit. Ici, tout est une cible, les drones s’en prennent à nous. À quelques mètres de ma maison, il y a un corps. Je ne peux pas sortir pour l’enterrer, et de nombreuses personnes ont été laissées en train de se vider de leur sang dans les rues et les maisons du camp ».

Le fait que tant de personnes soient déterminées à rester malgré le massacre pour éviter le sort de leurs parents ou de leurs grands-parents, qui ont été chassés de leurs maisons et de leurs terres pour ne jamais être autorisés à y retourner, montre à quel point la leçon de la Nakba de 1948 est ancrée chez les habitants de Jabalia.

« Je ne quitterai ma maison sous aucun prétexte, malgré ma peur intense », a déclaré S.K.

« Nous avons l’impression d’être au Jugement dernier. Nous ne sommes pas en sécurité ; nous sommes menacés de mort, même si nous ne combattons pas. Nous sommes en train de mourir ici, sans que personne ne vienne nous sauver ».

Husam Maarouf, journaliste et écrivain à Gaza.

Source: Electronicintifada.net, 4 Novembre 2024