Vingt-quatre heures à peine après que les tapis rouges eurent été remballés au Bürgenstock, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg s’est précipité à Washington pour y appeler ses membres à faire payer la Chine pour son soutien à la Russie et leur réclamer encore davantage d’armes pour l’Ukraine. En matière d’engagement pour la paix, on a vu mieux. Même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de ne pas voir le « Sommet de la paix » organisé par la Suisse comme un Bürgenflop, selon l’expression popularisée par l’ancien ambassadeur Georges Martin.
Mais avant d’aller plus loin, soyons beau joueur et reconnaissons que la rencontre aura été un beau succès hôtelier pour la Suisse. L’accueil et la sécurité y ont été parfaits. Comme pour le Forum de Davos, nous savons mobiliser nos soldats et nos millions pour assurer à nos hôtes de marque un séjour de première classe.
Mais en termes de contenu et de diplomatie, le bilan est autrement moins flatteur. En l’absence voulue de la Russie, la rencontre ressemblait à un pot au feu sans viande et servi sans couteau ni fourchette, quelques grosses légumes et de nombreuses petites flottant dans un bouillon sans saveur. Certes, le sommet a réuni un peu plus de participants que les précédents, qui avaient rassemblé une quarantaine et une cinquantaine d’Etats à Djeddah et à Malte en 2023. Mais il a surtout été boycotté par la plupart des Etats membres des Nations Unies et la grande majorité de la population mondiale, surtout si l’on sait que certains pays inscrits comme l’Inde ou le Brésil n’y ont envoyé que des délégations de second rang. Le président colombien Guillermo Petro a bien résumé la situation, lui qui a renoncé à se rendre en Suisse au dernier moment après avoir découvert qu’il s’agissait d’une réunion unilatérale destinée à prolonger la guerre plutôt qu’à faire la paix. Le fait qu’on a associé pour la conférence de presse finale les présidents ghanéen et chilien pour donner une coloration moins occidentalo-centrée à la réunion, ne trompera que les esprits crédules.
Quant au communiqué final, écrit et réécrit plusieurs fois sur pressions ukrainiennes et otaniennes tout en étant contesté par les pays du Sud, il n’a pas fixé d’agenda pour la suite et a répété ce qu’on avait déjà entendu. Il s’est contenté de dire que la prochaine rencontre devrait inclure « les parties au conflit », ce qu’on savait déjà depuis le début. C’est un piètre résultat et on a l’envie de dire : tout ça pour ça ! Quant au nombre des signataires finaux, il n’a cessé de diminuer, passant de 85 selon le communiqué triomphant de dimanche à 76 après les dernières défections de l’Irak, de la Jordanie et du Rwanda (et sachant que le Kosovo, comptabilisé par la Suisse n’est pas encore un Etat reconnu). Aucun membre des BRICS ne s’y est associé.
On notera aussi que la conférence aura eu son petit scandale avec la sortie de Justin Trudeau au moment de la photo de famille finale. En reprenant les slogans des collaborateurs ukrainiens et massacreurs de Juifs en 1942-1944 (« Gloire à l’Ukraine » et « Gloire aux héros »), le monde entier, à l’exception des médias européens qui n’en ont pas soufflé mot, aura pu se convaincre que la standing ovation qu’il avait adressée au SS Hunka au parlement canadien l’an dernier n’était pas le fruit du hasard. Il s’agissait sans doute de plaire à l’importante communauté ukrainienne du Canada, dont beaucoup sont descendants d’immigrés bandéristes qui ont fui le pays en 1945. Cela prouve une fois de plus que ce « sommet de la paix » n’en était pas vraiment un, pour lui en tout cas. La présidente de la Confédération qui se penche en souriant vers Trudeau à ce moment-là montre aussi qu’elle n’a pas compris ce qui se passait.
Dernière remarque, l’écho médiatique. Autant les dithyrambes et les éloges ont été nombreux en Suisse pour saluer la performance et l’engagement de Mme Amherd et M. Cassis, autant la presse mondiale aura été avare de commentaires. « Aucun grand journal américain n’a évoqué le Bürgenstock dans ses éditions du lundi« , selon la RTS. Le Monde a parlé d’un sommet aux ambitions modestes et d’une timide déclaration finale. Idem en Allemagne, en Italie et dans les autres pays européens. Seule la presse russe en a fait ses choux gras, généralement pour se moquer de l’absence de résultat. On verra comment Présence suisse, qui compile chaque année les articles qui font la réputation de la Suisse, jugera l’événement.
Et la suite direz-vous ? Il n’y en aura pas. Du moins pas dans l’immédiat et pas en Suisse dans tous les cas. Comme on l’a vu, l’OTAN va redoubler de bellicisme. On peut s’attendre à une nouvelle escalade lors de son sommet de juillet. La livraison d’armes permettant de frapper le cœur de la Russie, longtemps présentée comme une ligne rouge qu’elle ne franchirait pas, vient de tomber. L’entrée en guerre des F-16 ne contribuera pas non plus à l’apaisement. Côté russe, la proposition de négociation de Vladimir Poutine, qui ne faisait que sanctionner le présent état des choses sur le terrain, a été sèchement repoussée par Kiev et les Occidentaux. On peut gager que les Russes, loin de réduire leurs exigences, les accroitront à l’avenir.
Dans ces circonstances, le seul point positif du Bürgenstock, à savoir que l’Occident avait pour la première fois accepté de parler de paix depuis février 2022 (jusqu’ici tous les pacifistes étaient traités de traitres à la cause ukrainienne) et a désormais reconnu la nécessité d’inclure la Russie dans les prochaines négociations, est désormais compromis. L’Europe se retrouve désormais dans la même configuration que le Vietnam au début des années 1970 lorsqu’on avait évoqué l’ouverture de négociations. Obsédés par l’idée d’améliorer leur position diplomatique, les Etats-Unis avaient alors redoublé d’ardeur au combat, noyant non seulement le Vietnam du Nord mais aussi le Cambodge et le Laos voisins sous des tapis de bombes, de napalm et d’agent orange cancérigène.
Vous savez comment cela s’est terminé, trois ans et des centaines de milliers de victimes plus tard.
Guy Mettan, journaliste indépendant
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