Nous vous présentons, ci-dessous, la version intégrale de l’excellente analyse de trois années de guerre par Guy Mettan. Il y pointe les aveuglements idéologiques qui empêchent les dirigeants européens de mener l’Ukraine vers la paix. (ASI)
Les erreurs qui aveuglent les Européens
« Ah les cons ! S’ils savaient… » On se souvient de l’exclamation prêtée à Daladier à l’aéroport du Bourget le 30 septembre 1938, alors que la foule l’applaudissait à son retour de la conférence de Munich. 87 ans plus tard mais pour des raisons inverses, on a l’envie de répéter la même chose à ceux qui ont célébré les trois ans de guerre de haute intensité en Ukraine et les offres de négociations de Donald Trump en réclamant la poursuite des hostilités à tout prix. Au moins Daladier et ceux qui l’acclamaient avaient-ils l’excuse de vouloir la paix. Les médias et les leaders politiques européens, qui se veulent aujourd’hui « tous unis derrière l’Ukraine » et appellent à la poursuite de l’hécatombe, risquent d’être jugés demain aussi sévèrement que Daladier et Chamberlain. L’histoire ne leur pardonnera pas de s’être trompés ni d’avoir trompé leurs peuples.
Après la pseudo-conférence de paix du Bürgenstock et les pseudo-plans de paix de Zelenski, les voici en train de se précipiter aux Etats-Unis pour convaincre le président Trump de renoncer à ses négociations avec les Russes et de continuer à armer l’Ukraine « jusqu’à la défaite de la Russie ».
Cela alors que la nouvelle administration américaine a compris que Kiev ne pouvait pas gagner la guerre sur le terrain et qu’elle tente d’éviter un désastre qui affaiblirait irrémédiablement l’Europe – et donc l’Amérique par contrecoup – tout en renforçant de façon irréversible l’axe russo-chinois et le reste des BRICS. Plus les hostilités dureront, plus l’Ukraine et la position de l’Occident s’affaibliront.
On ne sait pas encore si le projet de Trump réussira, tant les résistances sont vives. En attendant son issue, il n’est pas inutile de revenir sur les erreurs de jugement, les omissions et les effets délétères d’une propagande qui a amené les peuples européens à s’aveugler sur ce conflit et les leaders européens à s’intoxiquer avec leurs propres discours mensongers. C’est ce que nous nous proposons de faire, en décryptant les contre-vérités les plus flagrantes à l’origine de cet acharnement belliciste.
1/C’est une guerre non provoquée. FAUX !

17 octobre 2014 : Poutine, à gauche, s’entretient avec le président ukrainien Petro Porochenko, à droite, ainsi qu’avec Angela Merkel et le président français François Hollande. (Kremlin.ru, CC BY 4.0, Wikimedia Commons)
Dès le lendemain de l’opération russe du 24 février 2022, un narratif s’est mis en place dans les chancelleries et les médias occidentaux, suivant lequel il s’agirait d’une guerre non-provoquée, qui aurait éclaté sans raison aucune, par pur caprice du sadique « Maître du Kremlin ». Depuis lors, les porte-parole de la Maison-Blanche, du Pentagone, du Département d’Etat ainsi que l’ensemble des médias mainstream américains n’ont cessé de déclamer sur tous les tons le mantra d’une « unprovoked war of agression ». La formulation complète se lit comme suit : « L’invasion russe et la guerre d’agression non-provoquée contre l’Ukraine ne sont pas aujourd’hui juste une attaque contre la liberté et nos libertés, mais aussi une menace pour l’ordre mondial (US Department of Defense, Feb. 24, 2024) ». Les Européens ont repris l’antienne en chœur.
En réalité, il s’agit bien d’une guerre provoquée, et provoquée depuis des décennies même, si l’on déroule le fil des doctrines et des actions des Etats-Unis depuis la chute de l’Union soviétique fin 1991, qui visent toutes à contrer la Russie : doctrine dite Wolfowitz (1992), Le Grand Echiquier de Zbignew Brezinski (1997), progression de l’OTAN aux frontières russes (2004), invitation faite à l’Ukraine d’adhérer à l’Otan (2008) malgré les avertissements de Poutine en 2007, attaque de Saakhachvili contre l’Ossétie (août 2008), coup d’Etat de Maidan (février 2014), armement de l’Ukraine malgré les accords de Minsk I et II (2015-2022), rapport de la Rand Corporation (Overextending and Unbalancing Russia, 2019), refus de considérer les offres de paix russes (Sommet de Genève du 16 juin 2021 et plans de paix de décembre 2021).
Après trois ans de conflit et un million de morts inutiles, de plus en plus d’observateurs et la nouvelle administration américaine sont en train de démonter cette légende et conviennent que cette guerre aurait pu, et aurait dû être évitée.
Il aurait suffi pour cela de réaliser quatre conditions très raisonnables : faire appliquer les Accords de Minsk signés en 2014 et 2015 ; dissoudre les milices ukrainiennes d’extrême-droite ; renoncer à inclure l’Ukraine dans l’OTAN ; entamer des négociations sérieuses avec la Russie à propos d’une nouvelle architecture de la sécurité en Europe. Mais on n’en voulait à aucun prix tant il importait d’affaiblir la Russie et de l’éliminer de la scène mondiale.
On notera qu’un narratif similaire a servi au lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. Les gouvernements et les médias occidentaux l’ont présentée comme un attentat terroriste destiné à tuer des innocents sans raison, et non comme la réaction d’un peuple décimé et occupé depuis des décennies. En revanche, quand c’est l’Occident qui se lance dans une guerre (Vietnam 1964, Panama 1989, Golfe 1991, Serbie 1999, Afghanistan 2001, Irak 2003, Côte d’Ivoire 2004, Syrie et Lybie 2011), celle-ci est évidemment toujours provoquée (par le comportement de l’ennemi).
2/Le conflit a commencé le 24 février 2022. FAUX !
La guerre en Ukraine ayant éclaté sans raison, il importe de gommer tout ce qui pourrait permettre de comprendre le comportement russe, et donc d’effacer les causes antérieures au 24 février (voir supra). C’est pourquoi, dans la bouche des dirigeants et des journalistes occidentaux, on ne trouvera jamais, ou très rarement, des rappels d’événements précédant cette date. Lorsqu’ils sont évoqués, c’est isolément, comme s’ils étaient détachés de la présente guerre.
En réalité, la guerre d’Ukraine a commencé en avril-mai 2014, lorsque les populations du Donbass, de Kharkov, Odessa et Marioupol se sont révoltées contre le traitement que les nouvelles autorités pro-occidentales issues du renversement du gouvernement légal de Ianoukovitch leur infligeaient (pogroms, interdiction de la langue russe pour les démarches officielles et dans les écoles). On notera à titre exemple le pogrom de Marioupol lors de la fête du 9 mai 2014 (une vingtaine de morts), l’incendie de la Maison des Syndicats d’Odessa par des extrémistes néonazis le 2 mai 2014 (42 morts), des incendies de bus et le bombardement des villes du Donbass par l’aviation puis par l’artillerie des bataillons Azov dès le mois d’avril 2014. Entre 2014 et 2022, la guerre a fait près de 14 000 morts selon le décompte de l’OSCE et de l’ONU, dont 4000 civils et 200 enfants du Donbass.
Dès le 16 février 2022, les bombardements ukrainiens, toujours selon les rapports officiels, ont redoublé d’intensité faisant des dizaines de morts par jour, laissant craindre une attaque massive de l’armée ukrainienne contre le Donbass. (OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine, Daily Reports on 17 to 24 Feb. 2022). Ces bombardements massifs ont redoublé d’intensité dès le 16 février 2014, suggérant une attaque massive du Donbass par l’Ukraine. Ces faits ne sont jamais mentionnés en Occident mais ce sont eux qui ont déclenché l’attaque russe du 24 février. Sous cet angle, l’intervention russe peut être vue comme le droit légitime de protéger des populations en danger (R2P, selon l’article 138 et suivants de la Charte des Nations Unies), tel que l’Occident l’a maintes fois invoqué lors de ses interventions militaires néo-coloniales. Voir « Is Putin’s War Legal? » Joe Lauria, Consortium News, March 29, 2022.
3/La Russie veut la guerre. FAUX !

Les présidents biélorusse, russe, français, ukrainien, et la chancelière allemande réunis à Minsk le 11 février 2015. Crédits : Flickr.com, Karl-Ludwig Poggemann
Outre que cet argument contredit l’affirmation No 1, il ne repose sur aucun fait tangible ni aucune déclaration, doctrine ou document qui viendraient l’étayer. Depuis la Conférence de Munich de 2007, Poutine n’a cessé de demander aux Occidentaux de maintenir la neutralité de l’Ukraine, neutralité par ailleurs garantie par la déclaration de souveraineté de 1990 et l’article 17 de la Constitution ukrainienne de 1996 qui prohibe la présence de bases militaires étrangères sur le sol ukrainien. Poutine s’est porté garant des accords de Minsk de 2014 et 2015, signés par les séparatistes et les kiéviens, et qui prévoyaient une fédéralisation de l’Ukraine et le respect des langues minoritaires. Or ces accords ont sciemment été utilisés par l’Ukraine pour se réarmer et non pour être appliqués, ainsi que l’ont reconnu l’ancien président Porochenko, Angela Merkel et François Hollande en décembre 2022.
Pendant toute l’année 2021, tant au Sommet du 16 juin à Genève qu’avec les deux projets de traités sur la sécurité européenne présentés par Moscou le 17 décembre, la Russie n’a cessé de multiplier les offres de paix et d’espérer des signes dans ce sens de la part des Occidentaux – souvenez-vous de la longue table qui avait servi à accueillir Emanuel Macron. Sans succès.
Seules les déclarations des dirigeants polonais, baltes et scandinaves et les propos des experts proches des milieux néo-conservateurs appuient la thèse du militarisme agressif de la Russie. Pas très convaincant.
L’argument pourrait d’ailleurs être retourné contre ses auteurs. N’est-ce pas l’Occident qui n’a cessé de proclamer qu’il fallait poursuivre cette guerre pour affaiblir la Russie, comme l’a répété à maintes reprises Lloyd Austin, l’ancien chef du Pentagone, voire pour la démanteler en 200 groupes ethniques indépendants comme l’a proposé le président polonais Duda à la conférence du Bürgenstock ? N’est-ce pas l’Ukraine de Zelenski qui s’est interdit de négocier avec la Russie ? (Cf. Un décret de Kyiv entérine l’impossibilité de négocier avec Poutine, Reuters, 4 octobre 2022).
4/la Russie veut envahir l’Europe et détruire ses démocraties. FAUX !

Le président russe Vladimir Poutine au Monument de la mère patrie à Saint-Pétersbourg, le 27 janvier, à l’occasion du 81e anniversaire de la libération complète de Leningrad du siège nazi. (Kremlin)
Variante du mensonge précédent. L’argument consiste à reprendre la théorie des dominos en vigueur pendant la guerre froide : si on cède sur l’Ukraine, Poutine envahira les pays baltes, puis la Pologne puis l’Europe. C’est la thèse favorite de The Economist, le magazine phare de l’interventionnisme militaire, qui dépeint sans cesse sur ses couvertures un Poutine rêvant de conquérir l’Europe et de reconstituer soit l’Union soviétique soit l’empire tsariste, quand ce n’est pas les deux en même temps.
Sauf que jusqu’à maintenant, la Russie n’a jamais lancé d’attaques sur un territoire européen, à l’inverse des pays de l’OTAN dont les armes s’enfoncent profondément dans le territoire russe, dont les satellites et les drones d’observation scrutent le territoire russe pour guider les missiles ukrainiens et dont les experts militaires et du renseignement forment et conseillent l’armée et les services ukrainiens.
Jamais Poutine n’a menacé, ni même laissé entendre qu’il voulait attaquer l’Europe. On ne trouvera aucun mot dans ses discours et ses écrits allant dans ce sens. Au contraire, il a affirmé que celui qui souhaitait le retour de l’Union soviétique n’avait pas de tête et n’a jamais changé d’avis à ce propos. Les deux guerres de Tchétchénie ont été livrées à l’intérieur du territoire russe et non à l’extérieur. La brève guerre de Géorgie d’août 2008 a été provoquée par l’attaque surprise de Sakaachvili pendant l’inauguration des JO de Pékin. Quant aux conflits gelés de Transnistrie et d’Abkhazie, ils datent des années 1990, bien avant l’arrivée de Poutine au pouvoir.
A propos de l’Ukraine, Poutine a toujours affirmé qu’il voulait une Ukraine démilitarisée et « dénazifiée » mais en aucun cas occupée. Le 15 juin 2024, il a proposé un plan de paix, le cinquième depuis 2014, qui se contentait de renouveler ces deux exigences. La seule nouveauté concernait les quatre oblasts annexés en 2022 et dont la population russophone ne souhaite en aucun cas réintégrer l’Ukraine après les sévices subis. Si l’on s’en tient aux faits et aux déclarations, Poutine a toujours affirmé que la Russie avait bien assez de territoires à développer avant de songer à s’étendre encore. Jusqu’ici, rien n’est venu démentir ses propos.
5/L’extension de l’OTAN jusqu’aux frontières russes n’est pour rien dans le conflit. FAUX !

L’arrivée au sommet de Washington, le 31 mai 1990, a été marquée par une grande cérémonie sur la pelouse de la Maison Blanche. Ici, le président Bush salue officiellement Mikhaïl Gorbatchev, alors président de l’URSS. (Crédit : Bibliothèque présidentielle George H.W. Bush, P13298-18)
Cette affirmation des bellicistes néo-conservateurs est parfaitement fausse. D’une part, en 1990, une promesse ferme avait été faite à Mikhail Gorbatchev, suivant laquelle l’URSS ne s’opposerait pas à la réunification de l’Allemagne et au départ de l’Armée rouge en échange de la non-expansion de l’OTAN en Europe de l’Est. Verbale, cette promesse figure expressément dans les archives américaines déposées à l’Université de Georgetown. Elle a été maintes fois confirmée par l’ancien ministre allemand Hans-Dietrich Genscher et par Jack Matlock, l’ambassadeur américain à Moscou à cette époque. François Mitterrand envisageait alors de créer une maison commune européenne avec la Russie.
Dans les années 1990, Boris Eltsine, puis Evgueni Primakov se sont opposés à la première puis à la deuxième vague d’expansion de l’OTAN voulue par Bill Clinton et les milieux proches de Wolfowitz et de Robert Kagan. La Russie ayant dissous le Pacte de Varsovie, elle avait même proposé d’intégrer l’OTAN. Sans succès. Depuis 2004 et l’adhésion des pays baltes, l’OTAN est aux portes de la Russie.
En 2007, à la conférence de la sécurité de Munich, Poutine clairement dit que l’admission de l’Ukraine et de la Géorgie serait considérée comme une ligne rouge, en s’inspirant de la réaction américaine lors de la crise des missiles. Si les Etats-Unis ont failli déclencher une guerre nucléaire en 1962 à cause de missiles nucléaires soviétiques à Cuba, pourquoi la Russie devrait-elle tolérer des missiles nucléaires américains à sa frontière ? Début février 2022 pourtant, Zelenski laissait entendre, à la conférence de Munich toujours, qu’il était prêt à accueillir des missiles nucléaires américains sur son territoire… Dix jours plus tard, la réponse russe à cette ultime provocation était connue.
6/L’Euromaidan fut une révolution populaire. TRES PARTIELLEMENT VRAI !

Des manifestants affrontent la police à Kiev, en Ukraine, en février 2014. (Mstyslav Chernov, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0)
Le narratif occidental voudrait que la révolution de Maidan entre novembre 2013 et février 2014 fût le résultat d’un pacifique mouvement populaire contre une odieux régime ploutocratique soutenu par Moscou. C’est très partiellement vrai.
L’élection de Ianoukovitch en 2010 a probablement été la plus démocratique de toute l’histoire de l’Ukraine. Elle a été validée comme telle par toutes les instances européennes et onusiennes. En réalité, il avait même été élu une première fois en 2004 mais son élection fut contestée à la faveur d’une première révolution orange orchestrée par le candidat pro-occidental Iouchtchenko. La veille de son départ forcé, le 21 février 2014, Ianoukovitch avait signé un accord avec quatre ministres européens en vue d’organiser de nouvelles élections à l’automne. Résultat : il fut renversé le lendemain par un coup d’Etat organisé par l’ambassadeur américain Geoffrey Pyatt et la secrétaire d’Etat adjointe Victoria Nuland après que toute la nomenklatura néoconservatrice européenne et américaine, de Bernard-Henri Lévy à John Mc Cain se fut bousculée place de Maidan pour distribuer des croissants aux manifestants chauffés à blanc par la propagande de l’extrême-droite bandériste. Des fuites ont révélé les échanges entre ces deux personnages, montrant comment ils avaient choisi le premier ministre à installer au pouvoir et avaient envoyé paître (le fameux Fuck the EU!) l’Union européenne et l’accord signé la veille avec Ianoukovitch.
Quant aux pacifiques manifestants, ils n’eurent très vite plus rien de pacifique ni de spontané. D’une part, dans une audition au Congrès en décembre 2013, Victoria Nuland a reconnu que les Etats-Unis avaient investi cinq milliards de dollars dans un changement de régime en Ukraine et devaient rapidement récupérer leur investissement. Et l’étude faite par le professeur Ivan Katchanonvski de l’Université d’Ottawa a clairement montré comment ces manifestants avaient été instrumentalisés par l’extrême-droite ukrainienne et que des tirs avaient été sciemment dirigés contre les policiers ukrainiens depuis l’hôtel Ukraina afin de provoquer une riposte et de pouvoir ensuite accuser le gouvernement de tuer les manifestants. J’ai moi-même vu des vidéos prises par un agent du renseignement français qui montraient l’origine des tirs et leur impact sur les arbres alors présents sur les lieux.
Conclusion : l’arrivée au pouvoir d’Arseni Iatseniouk, le politicien désigné par Victoria Nuland, n’est aucunement le fruit d’un choix démocratique, mais le fruit d’un coup d’Etat organisé à la suite d’une grossière ingérence américaine (et non russe !) dans les affaires internes de l’Ukraine. Aussitôt installé aux commandes, Iatseniouk, aujourd’hui réfugié aux Etats-Unis, devait prendre les décisions funestes qui devaient conduire au soulèvement des populations russophones d’Odessa et du Donbass et à la guerre actuelle.
7/Poutine est un malade mental à l’article de la mort. FAUX !
Depuis 2014, on ne compte pas les unes de magazines et les émissions TV sur les maladies mentales et physiques de Poutine. Syndrome d’Asperger, autisme, paranoïa, délire de persécution remontant à son enfance perturbée, cancers à répétitions, Poutine devrait être interné à l’asile psychiatrique ou mort depuis longtemps si l’on en croit les experts qui défilent sur les plateaux et les colonnes des journaux.
Petit florilège : « l’effroyable » Poutine est « un menteur, un imposteur, un kleptocrate, un manipulateur, un dictateur, un violeur (des peuples), un oppresseur, un conservateur, un calculateur, un stalinien, un nouvel Hitler, un fasciste, un nostalgique de l’URSS, un nostalgique des tsars, un révisionniste, un kagébiste et un obsédé sexuel qui propose à l’Occident de se joindre au Contrat social du mensonge. Son regard est froid et son œil presque vitreux, avec une face de cire muette et une freudienne et pathétique obsession sexuelle des biscoteaux et du botox. »
Quant à ses tares physiques, on croirait lire le compendium des pathologies de l’OMS, tant elles sont nombreuses.
Et pourtant, Poutine est plus fringant que jamais malgré ses septante-deux ans, ses vingt-cinq ans de pouvoir et ses trois ans de chef de guerre… Pas une parole qui dérape, pas un geste qui se lâche, une concentration de tous les instants, on ne connait pas beaucoup de chefs d’Etat d’un tel sang-froid. De quoi faire pâlir de jalousie Joe Biden et Emmanuel Macron…
8/Il n’y a jamais eu d’accord à Istamboul du printemps 2022
A en croire les médias occidentaux, il n’y aurait jamais eu d’accord à Istamboul en mars-avril 2022. On les a longtemps niés, avant de reconnaitre que, si discussions il y a bien eu entre Ukrainiens et Russes, on aurait été très loin d’un accord. Aucun document n’aurait été signé et Boris Johnson ne serait jamais intervenu pour les faire annuler à l’occasion de sa visite surprise à Kiev le 9 avril 2022, répétait encore le quotidien suisse le Temps peu avant la conférence du Bürgenstock de mai 2024.
Et pourtant un coup d’œil dans la presse de l’époque suffit à prouver que les pourparlers furent bien réels et qu’on était parvenu à un accord signé, qu’il ne s’agissait plus que de ratifier.
Un premier round de négociations a eu lieu fin février dans le parc national biélorusse de Brest. Le deuxième s’est déroulé le 4 mars près de Gomel et les trois suivants à Istamboul. Le 6 mars, l’un des négociateurs ukrainiens, Denis Kireev a été assassiné après avoir été accusé de trahison. Le 28 mars, un communiqué est publié à Istamboul avec l’intitulé « Key Provisions of the Treaty on Ukraine’s Security Guarantees ». Le même jour, Zelensky confirmait que les négociations pourraient être finalisées le lendemain 29 mars.
Le 30 mars, la Russie retire ses troupes de Kiev et, le 2 avril, surgit l’affaire du soi-disant massacre de Boutcha, qui prit aussitôt de proportions inouïes. (On notera à ce propos qu’on n’en entend plus parler. Aucune preuve n’a été fournie malgré les enquêtes et les assurances données. On attend toujours la liste des victimes…) Le 9 avril, Boris Johnson est à Kiev. Mi-avril, le WEF annule la participation russe au Forum de Davos, qui avait été déplacé en mai à cause du Covid, et transforme la maison russe en Maison de l’Ukraine avec une exposition sur les crimes de guerre russes. Des pourparlers continuent cependant jusqu’au 3 mai, moment où les Ukrainiens annoncent la fin des « non-négociations »…
En 2023, Poutine a exhibé les 18 articles du projet d’accord devant un parterre de chefs d’Etat africains. De son côté, le 25 novembre 2023, le chef de la délégation ukrainienne, David Arakhamia a confirmé que les négociations étaient proches d’aboutir mais qu’elles ont échoué faute de confiance et parce que Boris Johnson avait promis d’armer l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire. En avril 2024, la revue Foreign Affairs publiait un article retentissant sur les « négociations qui auraient pu mettre fin à la guerre en Ukraine. » Ce qu’on savait déjà depuis que l’ancien premier ministre israélien Naftali Bennett, qui avait rencontré les parties au printemps 2022, avait déclaré que les accords avaient été bloqués par les Occidentaux. Mais c’était avant qu’il se rétracte, suite au tollé suscité par ses propos. Il affirma ensuite avoir simplement voulu dire que « les négociations avaient été stoppées »… Heureusement, le New York Times a pu mettre tout ce petit monde d’accord en publiant l’intégralité du document le 15 juin 2024 (Ukraine-Russia Peace Is as Elusive as Ever. But In 2022 They Were Talking).
Certes, de nombreux points n’avaient pas été réglés, tels que le statut de la Crimée et des territoires annexés. Mais ce texte reste encore aujourd’hui le meilleur point de départ pour de vraies négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie.
9/L’Ukraine est une démocratie. FAUX ! Elle se bat pour défendre les valeurs européennes : VRAI !

En haut de la fourgonnette, le leader de l’opposition d’extrême droite ukrainienne Oleh Tyahnybok, à gauche, ainsi que Vitali Klitschko et Arseniy Yatsenyuk, au centre, s’adressant aux manifestants de l’Euromaïdan, le 27 novembre 2013. (Ivan Bandura, CC BY 2.0, Wikimedia Commons)
La formule sonne bien mais elle est aux trois-quarts fausse. L’Ukraine n’est plus une démocratie depuis longtemps et elle ne défend pas vraiment les valeurs de l’Occident.
L’Ukraine a été relativement démocratique jusqu’en 2014, beaucoup moins entre 2022 et 2014, et plus du tout après cette date. On a vu qu’en 2004, la victoire de Yanoukhovitch au premier tour avait été contestée par une première révolution orange qui avait porté au pouvoir le candidat battu. Depuis l’indépendance, la corruption a gangrené les élections, les députés pouvant s’acheter leur siège avec l’aide des oligarques, et notamment de deux de plus connus d’entre eux, Ihor Kolomoïski et Rinat Akhmetov, le propriétaire de l’usine Azovstal. On rappellera que le premier a financé la campagne de Zelenski en 2019 et que l’actuel Premier ministre, Denys Chmygal, a été l’un des plus proches collaborateurs d’Akhmetov, le plus riche des milliardaires ukrainiens.
La corruption n’a en aucun cas disparu, même si l’Ukraine a « amélioré » sa position en gagnant une vingtaine de places en quatre ans au palmarès de Transparency International. Elle figurait au 104e rang mondial des pays les plus corrompus en 2023. Mais surtout, l’ensemble des médias, des syndicats et des partis opposés à Zelenski ont été bannis, dissous et pourchassés depuis mars 2022, sous le prétexte de collusion avec la Russie (Analysis of Recent Legislation on Banning Political Parties, IFES Comment, May 19, 2022). Il n’y a plus d’opposition ni de médias ni même de médias indépendants en Ukraine aujourd’hui (Voir A Big Step Back : In Ukraine, Concerns Mount Over Narrowing Press Freedoms, New York Times, 18 June 2024. Shrinking press freedom in Ukraine: urgent need to implement a roadmap, RSF, 19 juin 2024). Au début de cette année, Zelenski a fait arrêter l’ancien président Porochenko. Un Zelenski dont le mandat est arrivé à échéance le 20 mai dernier, ce que l’ensemble des médias et des dirigeants européens continuent à ignorer malgré les déclarations de Trump et d’autres dirigeants mondiaux.
De même, l’église orthodoxe d’Ukraine dépendant du patriarcat de Moscou, largement majoritaire dans le pays jusqu’en 2022, a été persécutée. Elle a vu ses prêtres molestés ou expulsés, ses biens confisqués et ses églises et ses couvents brûlés ou fermés, quand ils refusaient de se soumettre au métropolite de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, inventée de toutes pièces en 2018.
Dernier sujet qui fait tache en matière de démocratie : l’influence des mouvements néo-nazis, des extrémistes de Secteur Droit, des milices Azov, Kraken et autres qui ont commis des crimes de guerre depuis 2014 en bombardant les populations civiles et les enfants du Donbass. On se souvient des défilés arborant des emblèmes SS et des saluts nazis en criant des slogans antisémites qui indignaient l’ambassade d’Israël avant janvier 2022. Pendant les premiers mois de la guerre, les images de soldats ukrainiens tatoués de symboles nazis et de portraits de Hitler ont saturé les réseaux sociaux jusqu’à ce qu’ils soient purgés parce qu’elles ne coïncidaient pas avec la défense des « valeurs occidentales ». Leurs liens avec le général Zhalujny, qui a intégré leur chef Andrei Parubyi dans l’armée ukrainienne, sont avérés. Ils ont toutefois perdu un de leurs principaux sponsors, l’ancien ministre de la Défense Arsakov, qui a été mis à l’écart.
Aujourd’hui tout a été purgé et les extrémistes ukrainiens ont été priés de boutonner leurs chemises. Mais l’idéologie n’a pas disparu pour autant.
Comment peut-on affirmer dans ces conditions que l’Ukraine est démocratique et qu’elle lutte « pour défendre nos valeurs » ?
10/Poutine est un dictateur qui veut imposer l’autocratie. CELA RESTE A PROUVER !

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et l’administratrice de l’USAID Samantha Power à Kiev le 2 octobre 2024. (USAID, Flickr, CC BY-NC 2.0)
Attention, sujet délicat ! La reductio ad Hitlerum ou ad Stalinum est généralement celle que vous servent les partisans de l’Ukraine quand ils sont à bout d’arguments. On ne peut pas soutenir le nouvel Hitler, on ne peut pas négocier avec l’héritier de Staline, on ne saurait parler avec le terrifiant Sauron poutinien qui règne sur le noir Mordor.
A ce stade, accordons-leur un point : oui la Russie n’est pas une démocratie libérale. On peut y critiquer l’armée et le régime mais à ses risques et périls (mais ni plus ni moins qu’en Ukraine : voir supra). Certains médias d’opposition se sont exilés. Mais ne sont-ils pas soutenus et financés par des capitaux étrangers, comme viennent de le montrer les révélations de l’USAID ? Des manifestants anti-Poutine ont été arrêtés et certains, comme Navalny, jugés et condamnés. Mais Julian Assange et les Gilets jaunes français n’ont-ils pas subi le même sort ?
Les élections russes seraient biaisées ? La belle affaire ! Que dire des élections moldaves, faussées par l’argent européen et le manque d’accès aux urnes des centaines de milliers de Moldaves de Russie ? Des élections géorgiennes, gangrenées par les ingérences et les capitaux extérieurs ? Des élections roumaines, annulées après le premier tour parce qu’elles allaient porter au pouvoir un candidat non conforme ?
Est-ce de la faute de Poutine s’il est soutenu par plus de 70% de la population, ainsi que le confirment les sondages indépendants, alors que les dirigeants de l’Europe dite démocratique se trainent à 20% ?
La presse ne serait pas libre en Russie ? Mais que dire de la nôtre, qui bannit impitoyablement les voix critiques, interdites d’antenne ou de colonnes dans les médias dominants ? Et comment se plaindre du bannissement de certains journalistes occidentaux en Russie quand d’innombrables médias et journalistes russes sont interdits dans l’Union européenne ? Notre exemplarité laisse beaucoup à désirer…
Quant à imposer l’autocratie à l’extérieur de la Russie, il n’en a jamais été question. Au sein des BRICS, les Russes ne s’ingèrent pas dans les affaires des autres. Ni eux ni les Chinois ne cherchent à convertir à l’autocratie l’Inde, le Brésil ou l’Afrique du Sud.
11/L’armée russe ne vaut rien, la Russie perd la guerre et l’Ukraine va la gagner. FAUX !

Défilé militaire à l’occasion du 79e anniversaire de la victoire de la Grande Guerre patriotique. Photo: Stanislav Krasilnikov, RIA Novosti.
Depuis le retrait de l’armée russe du nord de l’Ukraine le 30 mars 2022, la messe est dite : l’armée russe ne vaut rien, ses soldats sont démotivés et ses équipements dépassés, son commandement est incapable. Et de montrer des Russes en train de courir après des frigos afin de s’emparer des précieuses puces qui manqueraient tant à leurs missiles et à leurs munitions guidées. Et d’annoncer à grands fracas que les Russes sont tantôt à court de tanks, de canons, de drones, d’hélicoptères et même de soldats.
Le repli plus ou moins forcé des territoires du nord-est ukrainien entre Kharkov et la république de Lugansk en octobre 2022 a conforté le mantra. Pendant deux ans, le mantra d’une défaite russe inéluctable a été clamé sur tous les tons par les experts autoproclamés du conflit ukrainien.
Jusqu’à ce que l’échec de la contre-offensive ukrainienne, tant vantée, tant espérée, soit consommé à l’automne 2023. Après cette déconvenue, les communiqués de victoire se sont faits plus rares, jusqu’à disparaître totalement des écrans et des unes de journaux. Le ton martial est reparti de plus belle en été 2024 avec l’offensive de Soudja. A nouveau, on allait voir ce qu’on allait voir ! Six mois plus tard, les Ukrainiens avaient reperdu les deux tiers du territoire conquis, tandis qu’ils reculaient sur l’ensemble du front.
Le ton est désormais plus sobre. On se contente désormais de multiplier les reportages apitoyés sur les souffrances endurées par les soldats ukrainiens sur le front et les difficultés des civils à l’arrière. La propagande a changé de registre : le temps est désormais à la compassion, à l’affliction, à la solidarité avec les victimes, à la célébration du courage des femmes et des vieillards et aux témoignages patriotiques des blessés prêts à repartir au combat.
A moins que la livraison des nouvelles armes, des F-16 et des Mirage 2000, en attendant les missiles Taurus, ne fasse à nouveau changer le refrain ?
Chantez tant que vous voulez, peu nous importent vos chansons tant que nous avançons, semblent répondre les Russes, qui attendent sans se presser de voir les cartes que les Américains mettront sur la table au moment où les négociations sérieuses commenceront.
12/L’économie russe va s’effondrer. TOUT FAUX !
L’ex-ministre français de l’économie Bruno Lemaire a désormais tout son temps pour méditer sa fameuse phrase du 1er mars 2022 : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe » grâce à nos sanctions d’une ampleur inédite dans l’histoire. Et en effet, Américains et Européens ont adopté le plus vaste et le plus sévère train de sanctions de l’histoire en bloquant 300 milliards d’actifs russes dans les banques occidentales et en bloquant l’accès au système de paiement Swift, ce qui aurait dû immédiatement entraver l’ensemble du commerce et du trafic des paiements russe. Mais c’était sans compter sans la résilience de l’économie russe, beaucoup plus forte que ce que deux décennies de préjugés et de désinformation avaient laissé penser.
Aujourd’hui, alors que les Etats-Unis y ont renoncé, l’Union européenne a annoncé son seizième paquet de sanctions inefficaces contre la Russie, alors qu’en 2024, la croissance économique globale de la Russie était sept fois supérieure à celle de l’Union européenne (4,1 % contre + 0,8%) selon le journal belge L’Echo. Les pronostics, selon le FMI, sont les mêmes pour 2025, en dépit des 15 000 sanctions antirusses. Loin de s’écrouler, l’économie russe progresse si bien qu’elle est même en surchauffe. Pendant la crise, elle s’est même offert le luxe de dépasser le Japon et l’Allemagne qui, elle, régresse fortement, si bien qu’en termes de parité de pouvoir d’achat, elle est la quatrième économie mondiale derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Inde.
Persévérant dans l’insuccès, l’Europe vient de proscrire les importations de gaz liquéfié et a confisqué les intérêts des biens séquestrés (1,5 milliard de dollars) pour les reverser au programme d’armement ukrainien, en violant délibérément le droit de propriété et le droit international puisque ces sanctions n’ont pas été adoptées par les Nations Unies. Centrée sur son nombril, les Européens refusent de voir que la majorité des pays du monde n’ont pas pris de sanctions contre la Russie…
Quant à la Suisse, qui avait juré de n’appliquer que les sanctions approuvées par l’ONU en adhérant à l’organisation en 2002, elle a suivi sans broncher, violant à la fois sa neutralité et sa longue tradition de bons offices.
Pourquoi renoncer à une politique aussi désastreuse, en effet ?
13/Le régime de Poutine va s’écrouler. ON ATTEND TOUJOURS !

Le président Vladimir Poutine (à droite) et le Premier ministre Narendra Modi (à gauche) se promènent dans les bois du domaine présidentiel à Novo-Ogaryovo, dans la région de Moscou, le 8 juillet 2024.
C’est imminent, le régime de Poutine va s’écrouler ! Au printemps 2022, c’était une question d’heures. En été 2023 au moment de la révolte de Prigogine, c’était une question de jours. Aujourd’hui, comme dans le désert des Tartares, on attend toujours.
Les soldats russes seraient mécontents et se rebelleraient contre leurs officiers incompétents, les mères de soldats protesteraient, les oligarques fâchés d’avoir perdu leurs yachts renverseraient le président, le peuple affamé par les sanctions allait lui couper la tête, les milices de Wagner allaient s’emparer de Moscou, la contre-offensive ukrainienne s’emparerait du Kremlin à l’automne, les provinces étaient prêtes à faire sécession, la Chine, l’Inde et le Sud global envisageaient de lâcher Moscou. Bref, il fallait être fou pour miser un kopeck sur la tête de Vladimir Poutine.
Par charité, on taira le nom des centaines d’éditorialistes qui ont pronostiqué la chute du « Maître du Kremlin » tandis qu’un publiciste habile et aussitôt monté en épingle prétendait révéler les manœuvres du mystérieux « Mage du Kremlin » qui était censé tirer les ficelles en coulisses.
Résultat : deux ans après le début de la guerre, Poutine était réélu à la tête de l’Etat avec 87,28 % des voix tandis que ses adversaires les plus fanatique
14/Poutine est isolé (FAUX) et la communauté internationale est contre la Russie (A DEMI VRAI).

Membres du Conseil de sécurité de l’ONU votant le 24 février la résolution 2774 implorant « une fin rapide du conflit et une paix durable entre l’Ukraine et la Fédération de Russie ». (UN Photo/Eskinder Debebe)
Très vite, l’alliance atlantique s’est mobilisée pour sonner le tocsin antirusse et rameuter la « communauté internationale » derrière elle. Le 28 février 2002 déjà le procureur de la Cour pénale internationale, avec une célérité inédite, ouvrait une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En mars 2023, elle inculpait Vladimir Poutine de crime contre l’humanité. Il lui a fallu beaucoup plus de temps pour se réveiller face aux crimes israéliens à Gaza. Et on attend toujours sa réaction face aux crimes de guerre commis lors de l’invasion américaine en Irak en 2003. Le monde a brusquement pris conscience que ce qu’on appelait la « communauté internationale » n’était que le club des pays occidentaux et que le « multilatéralisme » n’était que le cache-sexe d’un unilatéralisme éhonté.
Le 2 mars 2022 l’Assemblée générale adoptait une résolution déplorant « l’agression » russe par 141 voix contre 5 et 35 abstentions. Le 24 mars, une résolution demandant l’arrête immédiat des hostilités, suivait avec 140 voix contre 5 et 38 abstentions. En octobre, une troisième fut votée avec les mêmes scores. Puis la tendance s’infléchit. En novembre 2022, il n’y avait plus que 94 pays pour soutenir la quatrième, contre 14 oppositions et 73 abstentions. La dernière en date, celle du 24 février 2025, n’était plus votée que par 93 pays contre 18 oppositions (dont les Etats-Unis !) et 65 abstentions, le camp du non regroupant l’immense majorité de la population mondiale.
C’est qu’entretemps le Sud global s’est réveillé, enhardi par le fait qu’un membre permanent du Conseil de sécurité, la Russie, a osé défier l’hégémonie occidentale par les armes. Trois quarts de la population mondiale se médie désormais de l’Occident. Les pays du Sahel se sont révoltés contre la tutelle coloniale française et bouté la France hors de la région, avec l’aide de la Russie. La Chine a tenu bon. L’inde et le Brésil refusent de s’aligner sur l’Ouest. La Hongrie, les Emirats, l’Arabie saoudite et la Turquie ont basculé dans le camp des neutres ou des équilibristes comme on voudra. La Russie a réorienté la quasi-totalité de son commerce en direction de la Chine, de l’Inde et du Sud, avides de pétrole, de gaz, d’engrais et de blé bon marché.
Les pays des BRICS se sont non seulement abstenus de critiquer la Russie mais ils ont violemment critiqué Israël, porte-avions surarmé de l’Occident au Moyen-Orient. Et ils ont admis six nouveaux membres tandis qu’une vingtaine d’autres se bousculent au portillon en vue d’y adhérer. Pendant ce temps, le G7 restait accroché à ses sept membres, incapable de se réformer et de prendre acte que le monde était en train de basculer et qu’un nouvel ordre mondial, multipolaire et bigarré, était en train d’émerger. Le « rules based order« , l’ordre mondial basé sur les règles définies par les démocrates américains et leurs alliés semble vivre ses dernières heures.
La Russie isolée ? Depuis que les Etats-Unis ont changé de camp, il n’y a plus que les Européens à le croire…
15/La morale est de notre côté. FAUX !

Opérations militaires israéliennes au sol dans la bande de Gaza le 1er novembre 2023. (Unité du porte-parole des FDI, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0)
La guerre en Ukraine, c’est le combat du Bien contre le Mal, du Bon Ukrainien contre le Méchant Russe. La caricature de l’ours russe agressif, du Moscovite avec le couteau entre les dents a été recyclée avec succès dans le langage européen et reprise à l’envi, jusqu’à la nausée.
Mais la riposte insensée des Israéliens contre les civils palestiniens de Gaza après l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, a renversé les fronts et remis les pendules à l’heure. Pour la majorité mondiale, « l’agresseur » a désormais changé de camp.
La sympathie légitime pour les Ukrainiens en 2022 a cédé la place à l’indifférence et à la colère de la majorité de opinions publiques mondiales quand elles ont constaté l’indifférence devant la souffrance des 50 000 Palestiniens tués par l’armée israélienne, et les quelque 20 000 enfants massacrés. Idem pour les centaines de milliers de femmes et d’enfants tués dans l’Est du Congo par des milices proches du gouvernement rwandais soutenu par l’Occident. Ce cynisme a écœuré l’ensemble des pays du Sud, d’Amérique latine et d’Asie. La fiction selon laquelle seuls les Russes commettraient des crimes contre l’humanité alors que Tsahal serait l’armée la plus morale du monde ne prend plus. L’alignement sans condition de l’Europe derrière Israël au mépris du respect de la vie humaine tant vanté en Ukraine apparait comme une vaste hypocrisie.
De même quand l’Europe refuse unanimement de voter en faveur d’une résolution condamnant le nazisme, pourtant soutenue par une majorité de 140 pays sur 193, elle perd toute crédibilité morale. Sa volonté affichée de vouloir créer un tribunal spécial pour juger le crime d’agression de Vladimir Poutine alors qu’elle ignore les agressions de ses protégés, ne va pas améliorer les choses.
16/Les Russes ont détruit le gazoduc Nordstream. FAUX !

Le président Dmitriy Medvedv lance le projet Nord Stream, avril 2010 (Russian Presidential Press and Information Office/Wikimedia)
Le 26 septembre 2022, trois des quatre tubes des gazoducs Nordstream I et II explosent dans la mer Baltique, près de l’île danoise de Bornholm. Le lendemain la Suède et le Danemark ouvrent une enquête. La presse se déchaine, accusant immédiatement la Russie d’être à l’origine des explosions qui ont détruit les gazoducs. Pendant des semaine cette thèse absurde – pourquoi les Russes détruiraient-ils leurs propres gazoducs qu’ils ont eu tant de difficulté à achever à cause des obstacles mis sur leur route, qui leur ont coûté dix milliards d’euros et qui assurent le transit de leur gaz vers l’Allemagne – sera diffusée sur tous les tons par les experts de tous poils mais de stricte obédience atlantiste qui emplissent les plateaux télé et les médias mainstream.
Jusqu’à ce que, début 2023, les Allemands annoncent qu’ils n’ont trouvé aucune preuve d’une implication russe; que le journaliste d’investigation et Prix Pulitzer américain Seymour Hersh (auteur des révélations sur le crime de guerre de My Lai au Vietnam en 1968) publie une enquête impliquant les Etats-Unis et que, pour détourner les soupçons, le New York Times lance début mars 2023 la thèse farfelue impliquant la participation de nageurs ukrainiens embarqués à bord d’un voilier de plaisance parti de Rostock. A partir de là, l’ensemble des médias et des services d’espionnage occidentaux multiplient les déclarations dans ce sens tout en ressuscitant la version d’une attaque russe car on aurait découvert (six mois après l’événement !) que des navires de guerre russes auraient traversé le détroit dans les jours précédant les expositions.
Vingt mois plus tard, les enquêtes ont été abandonnées, les enquêteurs russes se sont vus empêchés d’accéder aux lieus et de participer à l’enquête internationale, la notice Wikipédia a été expurgée des éléments les plus dérangeants. Les thèses les plus contradictoires peuvent donc continuer à circuler en toute quiétude afin d’empêcher la vérité d’émerger.
Ou quand l’invraisemblance le dispute à l’absurde !
Qu’à cela ne tienne puisque depuis lors les Etats-Unis vendent leur gaz à prix fort aux Européens et que l’Allemagne est définitivement coupée de ses approvisionnements russes.
17/les Russes bombardent la centrale de Zaporijia. FAUX !

Centrale nucléaire contrôlée par la Russie dans la région de Zaporozhya, où une « contre-offensive » ukrainienne est attendue (photo d’archives).
L’armée russe a occupé le territoire de la centrale nucléaire de Zaporijia, la plus puissante d’Europe, dès le 2 mars 2022. Une garnison y a été installée pour empêcher sa reconquête par l’Ukraine tandis qu’une partie du personnel ukrainien a continué à la faire fonctionner jusqu’à la mise en arrêt du dernier réacteur en 2023. Depuis trois ans, la centrale fait l’objet de bombardements réguliers malgré les risques évidents et les visites des responsables de l’Agence internationale de l’énergie atomique ont lieu régulièrement.
Rien n’y fait : ce sont les Russes qui bombarderaient la centrale et leurs propres troupes ! L’AIEA n’a rien trouvé à redire à cette infox et son directeur, l’Argentin Rafael Grossi, n’a jamais osé démentir la propagande.
Nordstream et la centrale de Zaporijia montrent l’ampleur des fake news et de la propagande qui circulent dans les médias occidentaux depuis le début de la guerre. Le journaliste d’investigation belge Michel Collon et le collectif Test media International ont publié un livre passionnant sur les 50 exemples de désinformation en Ukraine. Concernant le Théâtre de Marioupol, par exemple, on ne sait toujours pas exactement ce qui s’est passé. Mais le fait que les médias occidentaux et ukrainiens annonçaient zéro mort le lendemain de son écroulement, trois cents morts une semaine après et 600 morts quinze jours plus tard, avant de redescendre à 12 selon le communiqué d’Amnesty International daté du 30 juin 2022, ne milite pas en faveur de la thèse du bain de sang.
Quant à Boutcha, malgré les enquêtes menées par toutes sortes de commissions internationales depuis trois ans, on n’en sait toujours pas plus. La liste des noms des victimes réclamée par les Russes n’a toujours pas été publiée. Comme pour le crash de l’avion MH 17 dans le Donbass en été 2014, on n’est toujours pas plus éclairé dix ans après les faits. Le jugement du tribunal hollandais n’a apporté aucune preuve d’une implication russe tout en condamnant par contumace trois suspects (russes bien sûr) qu’il n’a jamais vus tandis que les Américains ont constamment refusé de fournir les observations satellites enregistrées le jour de la catastrophe…
18/Nos armes magiques et nos milliards vont sauver l’Ukraine. RIEN DE MOINS SÛR !

GRAFENWOEHR. Les chars américains M1A1 Abrams arrivent à Grafenwoehr,. Allemagne, 12 mai 2023. Les chars M1A1 utilisés pour l’entraînement du personnel des forces armées ukrainiennes. Photo de l’armée américaine prise par le spc. Adrian Greenwood, Domaine public/Wikimedia Commons.
On terminera ce petit tour d’horizon de la contre-vérité avec trois dernières affirmations trompeuses. Depuis le début du conflit, l’Occident arme l’Ukraine en lui promettant des armes qui devaient changer le sort de la bataille, des game changers comme on dit dans le jargon. Chars d’assaut Leopard, missiles Himars et Storm Shadow, drones de combat, avions F-16, etc. Résultat : zéro ! Les Russes continuent d’avancer lentement mais sûrement. Toutes les lignes rouges ont été franchies et continueront à être franchies. Si les négociations échouent, ce qui pourrait bien arriver dans la mesure où les Etats-Unis n’obtiendront pas ce qu’ils veulent, à savoir détacher la Russie de la Chine, et où ils pourront continuer à livrer des armements à Kiev avec la certitude d’être remboursés, grâce à l’accord sur les minerais ukrainiens. A ce stade, les chances de parvenir à un cessez-le-feu et celles que la guerre reparte de plus belle s’équilibrent. Dans tous les cas, l’Ukraine risque d’être la principale perdante.
19/Nous respectons le droit international et la démocratie. TRÈS DISCUTABLE !
Variante du mensonge No 15. L’Occident a violé le droit international en 1999 en bombardant la Serbie, en 2003 en envahissant l’Irak, en 2011 en bombardant la Libye. Il a soutenu l’atroce guerre d’Israël en Palestine, qui est une violation crasse du droit humanitaire. Il a avalisé l’annexion illégale du Golan et celle, rampante, de la Cisjordanie. Il a détaché le Kosovo de la Serbie tout en contestant le droit de la Russie à faire de même avec la Crimée et le Donbass.
Concernant la démocratie, il n’a cessé de provoquer des révolutions orange pour renverser les régimes qui ne lui convenaient pas un peu partout dans le monde, le dernier exemple étant celui de la Roumanie. Et chez lui, il n’hésite pas à pratiquer la censure des médias, à contester le résultat des urnes, comme en 2017 en lançant les fausses accusations du Russiagate après la première élection de Trump, à maintenir des législations liberticides telles que le Patriot Act, à réprimer sévèrement la contestation comme celle des Gilets jaunes en 2018, à persécuter les lanceurs d’alerte comme Julian Assange et Edward Snowden.
20/La Suisse n’a pas bradé sa neutralité. AH BON ?
Revenons en Suisse pour la fin. A entendre l’establishment suisse, le pays n’aurait pas sacrifié sa neutralité en cédant aux pressions euro-américaines, en adoptant des sanctions unilatérales contre la Russie et en prenant de facto parti pour le gouvernement israélien et contre les Palestiniens. Et cela sans parler du rapprochement avec l’OTAN, qui devient difficile à cacher tant il apparait évident. Tout est question d’interprétation, prétend-on à Berne.
C’est vrai que la neutralité est une notion élastique. Mais le problème est que la neutralité ne dépend pas seulement de ce que nous, Suisses, décidons d’en faire mais surtout du regard des autres. Les Russes, qui étaient très attachés à la Suisse et avaient toujours défendu la place de Genève, se sont sentis trahis par la décision du Conseil fédéral. La conférence du Bürgenstock a encore aggravé le fossé. Quand les Russes, mais aussi le président Biden, et dans leur sillage l’ensemble des pays du Sud global, constatent avec amertume ou avec satisfaction que la Suisse n’est plus neutre, c’est qu’elle n’est plus vraiment neutre. Et ça, c’est un problème pour notre crédibilité, pour notre tradition de bons offices, pour notre sécurité si les tensions internationales devaient s’envenimer…
Le meilleur antidote à la guerre n’est pas la paix, mais la vérité. Il est bon de s’en souvenir.
Guy Mettan, journaliste indépendant
Arretsurinfo.ch, 12.03.2025
Première partie − 1 à 10 : « Ah les cons ! S’ils savaient… »
Deuxième partie − 11 à 20 : Ukraine: les erreurs qui aveuglent les Européens