Des Palestiniens marchent le long de la rue Salah al-Din, entre les maisons détruites du quartier d’Al-Zaytoun, à Gaza, le 14 février 2025. (Photo de Majdi Fathi/NurPhoto via Getty Images)

Par Malak Radwan

Nous voici de nouveau. Le temps s’est replié sur lui-même, réduisant la distance entre hier et aujourd’hui à un présent étouffant. Il y a deux ans, le 30 octobre, un jour où flottait la fumée et la peur, le monde s’est coupé en deux le long de la route de Salah al-Din.

Nous nous souvenons du grondement métallique des chars avançant et de la vibration menaçante de l’air près de Beit Lahia. Pendant un an et demi, nous avons appris à reconnaître la forme du confinement. Nos vies se sont réduites à la taille d’une simple maison, nos horizons limités par la peur. Nous avons cartographié les sons de la guerre : le sifflement avant l’impact, le tremblement des murs, le rythme effréné de nos propres cœurs. Nous étions ceux qui sont restés, ceux qui croyaient au caractère sacré des racines, même lorsque la terre elle-même brûlait.

Puis vint l’aube illusoire de la trêve en janvier 2025. Un souffle, un bref répit. Les habitants de Gaza retournèrent à Gaza et assistèrent à un miracle, non pas de reconstruction, mais de résurrection. La ville respira à nouveau ses habitants, et un esprit fragile vacilla au milieu des ruines. Nous osâmes peut-être croire que la roue avait tourné.

Mais le temps à Gaza ne file pas en ligne droite, c’est un cercle vicieux. Aujourd’hui, les nouvelles tombent comme un cauchemar récurrent. L’axe Netzarim est rétabli. Le couperet tombe à nouveau, coupant le nord du sud. La route à sens unique vers le sud est réouverte, un écho grotesque invitant au prochain exode.

Et cette fois, nous sommes de ceux qui partent. Nous, les irréductibles, devenons des déplacés. Désormais, la peur d’être pris au piège, pourchassés par les tirs et écrasés par le blocus nous suit où que nous allions. C’est le fantôme qui hante nos valises. Chaque déclaration annonçant un assaut, chaque image de chars en mouvement, n’est pas qu’une information de plus. C’est le sésame du même vieux scénario de l’horreur qu’on nous sert sans cesse.

Gaza en est au point zéro. Le calendrier affiche à nouveau octobre d’il y a deux ans. Les mêmes routes sont encombrées par les mêmes allers et retours désespérés. La même peur se lit sur les mêmes visages.

Pourtant, nous ne sommes plus les mêmes. Nous trimbalons le souvenir intime et indélébile du premier blocus. Nous savons que la survie n’est pas qu’un combat physique, mais une flamme obstinée au plus profond de notre âme. Ils peuvent tracer des lignes sur leurs cartes, contrôler les routes et les checkpoints, mais ils ne contrôleront jamais ces vérités silencieuses et inflexibles que nous sommes désormais : le peuple qui a appris à vivre dans les entrailles de la bête restera toujours debout. Avec le temps, l’esprit s’endurcit, se fortifie et gagne en résilience. Nous sommes les archives de ce qui fut, et la chronique inédite de demain.

Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, ni combien de temps nous resterons ici, dans le sud de cette terre dévastée, déchirée, perdue et à la dérive. Je ne sais pas si nous pourrons un jour retourner à Gaza, dans le camp de Jabalia, d’où nous avons été chassés sous un déluge de feu en mai dernier. Je prie pour que cet exil soit moins long que le précédent, une année et demie d’attente interminable. J’implore le ciel de nous laisser rentrer chez nous.

Par Malak Radwan

Source: Qudsnen.co