Le Conseil fédéral salue les efforts de paix du gouvernement américain en Ukraine. Est-ce un tournant dans la politique étrangère de la Suisse?

Le discours du vice-président américain J.D. Vance à la Conférence sur la sécurité de Munich a fait sensation. Il a vivement critiqué les politiciens des pays de l’UE1 pour leur manque de respect envers la volonté démocratique de leur propre population et pour avoir restreint la liberté d’expression. Vance a reçu un large soutien dans les médias sociaux. Les politiciens des vieux partis européens, en particulier ceux d’Allemagne, ne se sont en revanche pas montrés très enthousiastes. Le ministre-président bavarois Markus Söder a accueilli la critique de Vance avec un sourire moqueur.2 Le ministre de la Défense Boris Pistorius a qualifié les propos du vice-président d’«inacceptables».3 Le chef de la CDU et candidat à la chancellerie Friedrich Merz les a ressentis comme «envahissants».4 Les politiciens européens ont donc tous réagi avec indignation.

Ce n’est pas le cas du Conseil fédéral suisse: la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter a fait l’éloge du discours.5 Il s’est agi d’un «plaidoyer pour la démocratie directe», a-t-elle déclaré dans une interview accordée à un journal. Elle partage les valeurs évoquées par Vance «comme la liberté et la possibilité pour la population d’exprimer son opinion». Ces propos ont à nouveau suscité des critiques au sein du Parlement suisse. Le conseiller national socialiste Cédric Wermuth a réagi de manière aussi hystérique que les politiciens allemands du vieux parti et a qualifié les louanges de Keller-Sutter6 de «ralliement à une politique néofasciste».

Les nouveaux accents du gouvernement suisse à l’égard de la nouvelle administration américaine sont frappants. Outre les propos élogieux de la présidente de la Confédération, le Conseil fédéral salue les efforts actuels de l’administration Trump pour s’asseoir à la table des négociations avec la Russie et mettre définitivement fin à la guerre en Ukraine. La Sonntagszeitung a titré à ce sujet:7 «Le Conseil fédéral change de cap en matière de politique étrangère».

Elève modèle dans une guerre économique totale

Il y a huit mois, la situation était encore totalement différente. En été, la Suisse a accueilli la «Conférence sur la paix» au Bürgenstock. La Russie en tant que partie belligérante n’ayant pas même été invitée,8 ce sommet s’est révélé être une farce dès le départ. Il s’agissait plutôt d’une manifestation de bienfaisance pour le gouvernement Zelensky, afin de permettre de nouvelles livraisons d’armes à l’Ukraine.9 Cela n’a certainement pas contribué à la paix. La mort des soldats des deux côtés se poursuit encore aujourd’hui – et continuera.

Outre ses déclarations unilatérales de solidarité avec Kiev, le gouvernement suisse s’est profilé ces trois dernières années comme le premier de la classe dans l’application des sanctions contre la Russie. Ce que beaucoup ignorent: parmi les pays qui ont imposé le plus de sanctions à la Russie, la Suisse occupe la 3e place avec 3010 mesures,10 devançant ainsi l’UE qui n’en a édicté que 2234. Les Etats-Unis et le Canada occupent respectivement la première et la deuxième place avec 6433 et 3185. En bref, le Conseil fédéral n’a laissé passer aucune occasion de ternir la réputation de la Suisse en tant qu’Etat neutre. Il s’est volontiers prêté au jeu – dans l’hypothèse fallacieuse de pouvoir mettre à genoux une puissance nucléaire sans risquer un enfer nucléaire.

Découplage de Bruxelles

Soudainement, on salue le fait que la Russie soit ramenée à la table des négociations. Les négociations se déroulent en Arabie saoudite – ce qui devrait également donner à réfléchir à la Suisse. Sommes-nous vraiment arrivés à un point où la Suisse doit apprendre de l’Arabie saoudite ce que signifie la neutralité? Il n’est pas étonnant qu’elle soit considérée comme un Etat hostile par la Russie.11 Le ton positif du Conseil fédéral à l’égard de l’offensive de paix américaine en Ukraine montre qu’il a peut-être reconnu les signes du temps: à Washington, un nouveau shérif est en ville.12 Toutefois, une hirondelle ne fait pas l’été. Il faut attendre de voir comment le Conseil fédéral se positionnera en politique étrangère dans un avenir proche ou moyen.

Dans mon article «Make Switzerland neutral again!»,13 j’ai déjà souligné que le deuxième mandat de Donald Trump serait une bonne occasion pour la Suisse de se retirer des sanctions contre la Russie. Ce serait la condition sine qua non pour se réhabiliter en tant qu’Etat neutre – sachant qu’il faudra des années pour rétablir la confiance avec la Russie et d’autres Etats avec lesquels on a cassé de la porcelaine au niveau diplomatique par le passé.

La Suisse a entretenu des relations constructives avec les Etats-Unis au cours des quatre premières années de la présidence Trump. De ce point de vue, le Conseil fédéral aura affaire à une administration américaine qui tend à être bienveillante envers la Suisse. En même temps, comme l’a montré la Conférence de Munich sur la sécurité, un net refroidissement des relations entre Bruxelles et Washington se dessine déjà. Pour ne pas se retrouver elle-même sous le feu croisé des Etats-Unis, il serait une fois de plus conseillé à la Suisse de s’émanciper de l’Union européenne, de ne pas appliquer dans son propre pays les lois de censure de l’UE tel que le Digital Services Act14 et de mettre en veilleuse l’accord-cadre prévu avec Bruxelles.

Michael Straumann, 18 février 2025

Michael Straumann, né en 1998, étudie les sciences politiques et la philosophie à l’Université de Zurich et travaille comme stagiaire rédactionnel pour le magazine «Schweizer Monat». Il est l’éditeur de «StrauMedia».

Michael Straumann.

(Cet article a également été publié sous forme de chronique sur le portail de la «Freie Akademie für Medien & Journalismus», édité par le professeur Michael Meyen, spécialiste des médias, et Antje Meyen, journaliste diplômée. 18 février 2025)

1https://www.youtube.com/watch?v=pCOsgfINdKg

2https://x.com/Deu_Kurier/status/1890448254069788731

3https://www.spiegel.de/politik/j-d-vance-in-muenchen-boris-pistorius-nennt-aeusserungen-nicht-akzeptabel-a-dba7bdd7-2700-43bb-89fa-f39d01603ab3

4https://www.n-tv.de/politik/CDU-Chef-Friedrich-Merz-kritisiert-J-D-Vance-fuer-fast-schon-uebergriffige-Rede-article25564831.html

5https://epaper.sonntagszeitung.ch/article/10000/10000/2025-02-16/1/135127798

6https://www.nau.ch/politik/bundeshaus/karin-keller-sutter-erntet-wegen-vance-lob-kritik-fdp-relativiert-66915077

7https://epaper.sonntagszeitung.ch/article/10000/10000/2025-02-16/1/135127798

8https://www.srf.ch/news/schweiz/interview-mit-viola-amherd-warum-hat-man-russland-nicht-eingeladen-frau-bundespraesidentin

9https://schweizermonat.ch/der-friedensgipfel-droht-zur-ruestungskonferenz-zu-werden/

10https://www.castellum.ai/russia-sanctions-dashboard

11https://www.swissinfo.ch/ger/russischer-aussenminister-bezeichnet-schweiz-als-%22offen-feindselig%22/76037916

12https://reitschuster.de/post/ein-neuer-sheriff-ist-in-der-stadt/

13https://www.straumedia.ch/p/make-switzerland-neutral-again

14https://www.inside-it.ch/bundesrat-will-social-media-plattformen-regulieren-20240815


Source: https://www.straumedia.ch/p/sinneswandel-in-bundesbern

Traduction: «Point de vue Suisse»