Un graffiti coloré représente un homme transportant des blocs de construction. “Ajouter couleur et défi à la grisaille de Gaza”. Donya Ahmad Abu Sitta

Les femmes et les enfants sont pris pour cibles intentionnellement, affirment des dénonciateurs israéliens. Des troupes au sol aux commandants, les règles de la guerre ont été bafouées.

Ils ne cessent d’arriver. Le week-end dernier, Israël a lancé une nouvelle attaque aérienne dévastatrice sur Gaza, tuant au moins 90 Palestiniens et en blessant des centaines d’autres, dont des femmes, des enfants et des secouristes.

Une fois de plus, Israël a pris pour cible les réfugiés déplacés par ses précédentes bombes, transformant une zone qu’il avait officiellement déclarée « zone de sécurité » en un champ de bataille.

Et une fois de plus, les puissances occidentales ont haussé les épaules. Elles étaient trop occupées à accuser la Russie de crimes de guerre pour avoir le temps de s’inquiéter des crimes de guerre bien plus graves infligés à Gaza par leur allié israélien – avec des armes qu’elles lui ont fournies.

L’atrocité commise dans le camp d’al-Mawasi, où 80 000 civils s’entassent, a été couverte par l’habituelle histoire israélienne, destinée à rassurer les opinions publiques occidentales sur le fait que leurs dirigeants ne sont pas les hypocrites absolus qu’ils semblent être en soutenant ce que la Cour mondiale a qualifié de « génocide plausible ».

Israël a déclaré avoir tenté de frapper deux dirigeants du Hamas, dont Mohammed Deif, chef de la branche militaire du groupe, bien que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu ait semblé incertain de réussite de la frappe.

Personne dans les médias occidentaux n’a semblé se demander pourquoi les deux hommes préféraient se transformer en cible dans un camp de réfugiés de fortune surpeuplé, où ils couraient le risque énorme d’être trahis par un informateur israélien, plutôt que de s’abriter dans le vaste réseau de tunnels du Hamas.

Ou pourquoi Israël a jugé nécessaire de tirer une multitude de bombes et de missiles massifs pour éliminer deux individus. S’agit-il de la nouvelle définition extensive qu’Israël donne de l’« assassinat ciblé » ?

Ou pourquoi les pilotes et les opérateurs de drones ont poursuivi les frappes pour toucher les équipes de secours qui s’occupaient de la destruction initiale. Y avait-il des renseignements indiquant que Deif ne se cachait pas seulement dans le camp, mais qu’il était resté dans les parages pour extraire les survivants ?

Ou comment le fait de tuer et de mutiler des centaines de civils pour tenter de frapper deux combattants du Hamas pourrait-il satisfaire aux principes les plus élémentaires du droit international ? Les notions de « proportion » et de « distinction » exigent des armées qu’elles évaluent l’avantage militaire d’une attaque par rapport à la perte attendue de vies civiles.

La vengeance biblique

Mais Israël a bouleversé les règles de la guerre. Selon des sources au sein de l’armée israélienne, celle-ci considère désormais qu’il est acceptable de tuer plus de 100 civils palestiniens dans la poursuite d’un seul commandant du Hamas – un commandant, notons-le, qui sera tout simplement remplacé dès qu’il sera mort.

Même si les deux chefs du Hamas avaient été assassinés, Israël n’aurait pu douter qu’il était en train de commettre un crime de guerre. Mais Israël a appris que plus ses crimes de guerre deviennent routiniers, moins ils sont médiatisés et moins ils suscitent d’indignation.

Ces derniers jours, Israël a frappé plusieurs écoles des Nations unies servant d’abris, tuant des dizaines d’autres Palestiniens. Mardi, une autre frappe dans la « zone de sécurité » d’al-Mawasi a fait 17 morts.

Selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés, l’Unrwa, plus de 70 % de ses écoles – presque toutes servant d’abris aux réfugiés – ont été bombardées.

La semaine dernière, des médecins occidentaux qui s’étaient portés volontaires à Gaza ont déclaré qu’Israël truffait ses armes de shrapnel afin de maximiser les blessures de ceux pris dans  le rayon d’action de l’explosion. Les enfants, dont le corps est plus petit, souffrent de blessures beaucoup plus graves.

Les organisations humanitaires ne peuvent pas soigner correctement les blessés, car Israël bloque l’entrée des fournitures médicales à Gaza.

Commettre des crimes de guerre, si les opinions publiques occidentales ne l’ont pas encore compris, est le but même de l’« opération militaire » qu’Israël a lancée à Gaza à la suite de l’attaque du Hamas le 7 octobre.

C’est pourquoi l’assaut israélien, qui a duré dix mois, a fait plus de 38 800 morts connus, et probablement au moins quatre fois plus de morts non enregistrées, selon des chercheurs de renom qui ont écrit ce mois-ci dans la revue médicale Lancet.

C’est pourquoi, selon l’ONU, il faudra au moins 15 ans pour déblayer les décombres éparpillés dans Gaza par les bombes israéliennes, et jusqu’à 80 ans – et 50 milliards de dollars – pour reconstruire les maisons des 2,3 millions d’habitants de l’enclave encore en vie à la fin de la guerre.

Le double objectif d’Israël a été la vengeance biblique et l’élimination de Gaza – un déchaînement génocidaire pour chasser la population terrifiée, idéalement vers l’Égypte voisine.

La politique de tirer sur tout le monde

Comme si cela n’était pas déjà assez clair, six soldats israéliens ont récemment pris la parole pour raconter ce dont ils ont été témoins pendant leur service à Gaza – une histoire que les médias occidentaux n’ont absolument pas rapportée.

Leurs témoignages, publiés la semaine dernière par la revue israélienne 972, confirment ce que les Palestiniens disent depuis des mois.

Les commandants ont autorisé leurs troupes à ouvrir le feu sur les Palestiniens à volonté. Toute personne pénétrant dans un secteur que l’armée israélienne considère comme une « zone interdite » est abattue à vue, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme ou d’un enfant.

En mars dernier, le journal israélien Haaretz a averti que l’armée israélienne avait créé de telles « kill zone », où toute personne entrant était exécutée sans avertissement.

Après des mois d’un blocus de l’aide israélienne qui a créé une famine artificielle, l’armée israélienne a transformé la recherche de plus en plus frénétique de nourriture par les habitants de Gaza en un jeu de roulette russe.

Cela explique peut-être en partie pourquoi tant de Palestiniens manquent à l’appel – Save the Children estime que 21 000 enfants sont portés disparus. Les soldats cités dans 972 affirment que les victimes de leur politique de « tirer sur tout le monde » sont éliminées au bulldozer le long des routes où passent les convois d’aide internationale.

« S », un soldat de réserve,  a déclaré qu’un bulldozer Caterpillar « débarrasse la zone des cadavres, les enterre sous les décombres et les renverse sur le côté pour que les convois ne les voient pas – [pour que] les images de personnes à un stade avancé de décomposition ne soient pas diffusées ». Le soldat a également noté : « Toute la zone [de Gaza où l’armée opère] était pleine de corps… Il y a une horrible odeur de mort ».

Plusieurs soldats ont signalé que les chats et les chiens errants, privés d’eau et de nourriture depuis des mois, tout comme la population de Gaza, se nourrissaient des cadavres.

L’armée israélienne a refusé à plusieurs reprises de publier ses règles d’ouverture de feu depuis qu’elle a été mise au défi de le faire devant les tribunaux israéliens dans les années 1980.

Un autre soldat, « B », a déclaré à 972 que l’armée israélienne jouissait d’une « liberté d’action totale », les soldats étant censés tirer directement sur tout Palestinien s’approchant de leurs positions, plutôt que de tirer un coup de semonce en l’air : « Il est permis de tirer sur tout le monde, que ce soit une jeune fille ou une vieille femme ».

Lorsque les civils ont reçu l’ordre d’évacuer une école servant d’abri dans la ville de Gaza, a ajouté B, certains sont sortis par erreur vers la droite en direction des soldats, plutôt qu’à gauche. Parmi eux, des enfants. « Tous ceux qui sont allés à droite ont été tués – 15 à 20 personnes. Il y avait une pile de corps ».

Selon B, tout Palestinien de Gaza peut devenir par inadvertance une cible : « Il est interdit de se promener, et toute personne qui se trouve à l’extérieur est suspecte. Si nous voyons quelqu’un à une fenêtre qui nous regarde, c’est un suspect. On tire ».

Comme un jeu d’ordinateur

S’inspirant de pratiques militaires bien connues en Cisjordanie occupée, l’armée israélienne encourage ses soldats à tirer même lorsque personne ne les interpelle. Ces tirs aveugles et aléatoires sont connus sous le nom de « montrer sa présence » – ou plus précisément, terroriser et de mettre en danger la population civile.

Dans d’autres cas, les soldats ouvrent le feu simplement pour se défouler, s’amuser ou, comme l’a dit un soldat, « vivre l’événement » d’être à Gaza.

Yuval Green, un réserviste de 26 ans de Jérusalem, le seul soldat à avoir accepté d’être nommé, a fait remarquer que « les gens tiraient juste parce qu’ils s’ennuyaient »

Un autre soldat, « M », a également noté que « on tire sans restriction, comme des fous » – et pas seulement avec des armes légères. Les troupes utilisent des mitrailleuses, des chars et des obus de mortier avec la même frénésie injustifiée.

« A », un officier de la direction des opérations de l’armée, a souligné que cet état d’esprit d’insouciance totale s’étendait jusqu’au sommet de la chaîne de commandement.

Bien que la destruction d’hôpitaux, d’écoles, de mosquées, d’églises et d’organisations d’aide internationale nécessite l’autorisation d’un officier supérieur, dans la pratique, ces opérations sont presque toujours approuvées, déclare A.

« Je peux compter sur les doigts d’une main les cas où l’on nous a dit de ne pas tirer. Personne ne versera une larme si nous détruisons une maison alors que ce n’était pas nécessaire, ou si nous tirons sur quelqu’un sans nécessité de le faire ».

Commentant l’ambiance dans la salle d’opérations, A dit que la destruction de bâtiments ressemble souvent à un jeu d’ordinateur.

De plus, A met en doute l’affirmation d’Israël selon laquelle les combattants du Hamas représentaient une forte proportion du nombre de morts à Gaza. Toute personne prise dans les « zones de mort » d’Israël ou ciblée par un soldat qui s’ennuie est comptée comme « terroriste ».

Mettre le feu aux maisons

Les soldats ont également indiqué que leurs commandants détruisaient les maisons non pas parce qu’ils les soupçonnaient de servir de base aux combattants du Hamas, mais par pur désir de vengeance à l’égard de l’ensemble de la population.

Leurs témoignages confirment un rapport antérieur de Haaretz selon lequel l’armée met en œuvre une politique consistant à brûler les maisons palestiniennes après qu’elles ont servi de lieux d’hébergement temporaire pour les soldats. M. Green a déclaré que le principe était le suivant : « Si vous allez de l’avant, vous devez brûler la maison ». Selon B, sa compagnie a « brûlé des centaines de maisons ».

Une politique de destruction gratuite et vengeresse est également mise en œuvre – à une échelle bien plus grande – par les pilotes de chasse et les opérateurs de drones israéliens, ce qui explique pourquoi au moins deux tiers des immeubles de Gaza ont été laissés en ruines.

Il y a d’autres mensonges. L’une des raisons déclarées de la présence d’Israël à Gaza est de « ramener les otages », les dizaines d’Israéliens qui ont été entraînés dans la bande de Gaza le 7 octobre. Ce message n’est apparemment pas parvenu aux militaires israéliens.

Green a noté que, malgré l’opération à la hussarde le mois dernier qui a tué plus de 270 Palestiniens pour récupérer quatre otages israéliens, l’armée est en fait profondément indifférente à leur sort.

Il a déclaré avoir entendu d’autres soldats déclarer : « Les otages sont morts, ils n’ont aucune chance, ils doivent être abandonnés. »

En décembre dernier, les troupes israéliennes ont abattu trois otages qui agitaient des drapeaux blancs. Les tirs irraisonnés sur des bâtiments représentent la même menace pour la vie des otages que pour celle des combattants et des civils palestiniens.

Cette indifférence pourrait également expliquer pourquoi les dirigeants politiques et militaires israéliens ont accepté de bombarder aussi massivement les bâtiments et les tunnels de Gaza, au péril de la vie des otages comme de celle des civils palestiniens.

Culture de la violence

L’histoire racontée par ces soldats dans 972 ne devrait surprendre personne, à l’exception de ceux qui s’accrochent encore désespérément aux contes de fées sur l’armée israélienne « la plus morale du monde ».

En fait, une enquête menée par CNN le week-end dernier a révélé que des commandants israéliens identifiés par des responsables US comme ayant commis des crimes de guerre particulièrement odieux en Cisjordanie occupée au cours de la dernière décennie ont été promus à des postes de haut niveau au sein de l’armée israélienne. Leur travail consiste notamment à former les troupes au sol à Gaza et à superviser les opérations qui s’y déroulent.

Un dénonciateur du bataillon Netzah Yehuda qui a parlé à CNN a déclaré que les commandants, issus du secteur ultra-orthodoxe extrémiste religieux d’Israël, ont alimenté une culture de la violence à l’égard des Palestiniens, y compris des attaques de type « justicier ».

Comme l’indique l’enquête de CNN, la mort et la destruction gratuites à Gaza sont bien une caractéristique, et pas un bug.

Depuis des décennies, l’armée israélienne met en œuvre ses politiques inhumaines à l’égard des Palestiniens, non seulement dans la petite enclave, mais aussi dans toute la Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est.

Israël étouffe Gaza par un siège depuis 17 ans. Et depuis 1967, il étouffe la Cisjordanie occupée et Jérusalem-Est avec des colonies illégales – dont beaucoup abritent des milices juives violentes – afin de chasser la population palestinienne.

Ce qui est nouveau, c’est l’intensité et l’ampleur de la mort et de la destruction qu’Israël a été autorisé à infliger depuis le 7 octobre. Les gants ont été retirés, avec l’approbation de l’Occident.

L’agenda d’Israël, qui consiste à vider la Palestine historique de ses Palestiniens, est passé d’un objectif ultime et lointain à un objectif urgent et immédiat.

Des politiciens semblables à des serpents

Néanmoins, l’histoire bien plus longue d’Israël en matière de violence et de nettoyage ethnique des Palestiniens est sur le point d’être placée dans la lumière, malgré tous les efforts déployés par Israël pour maintenir notre attention fixée sur la menace du « terrorisme » du Hamas.

La Cour Internationale de Justice de La Haye, souvent appelée Cour mondiale, examine deux affaires contre Israël. La plus connue est celle qui a été lancée en janvier et qui vise à juger Israël pour génocide.

Mais vendredi, la Cour mondiale doit se prononcer sur une affaire plus ancienne, antérieure au 7 octobre. Elle se prononcera sur la question de savoir si Israël a enfreint le droit international en rendant permanente l’occupation de la Palestine. [cf message suivant]

S’il est plus urgent d’arrêter le génocide à Gaza, un arrêt de la Cour reconnaissant la nature illégale de la domination d’Israël sur les Palestiniens est tout aussi important. Il apporterait un soutien juridique à ce qui devrait être évident : une occupation militaire prétendument temporaire s’est transformée depuis longtemps en un processus permanent de nettoyage ethnique violent.

Une telle décision permettrait de comprendre ce contre quoi les Palestiniens se sont réellement battus, alors que les capitales et les médias occidentaux ont endormi leurs opinions publiques année après année, décennie après décennie.

Cette semaine, Oxfam a accusé le nouveau gouvernement britannique, dirigé par Keir Starmer, d’être « complice » des crimes de guerre d’Israël en appelant à un cessez-le-feu d’un côté tout en fournissant activement à Israël les armes nécessaires à la poursuite du massacre. Le gouvernement travailliste a tardé également à rétablir le financement de l’Unrwa, qui est le mieux placé pour lutter contre la famine à Gaza [rétabli seulement aujourd’hui].

À la demande de Washington, le parti travailliste cherche à bloquer les efforts du procureur général de la Cour pénale internationale pour émettre des mandats d’arrêt contre Netanyahou et son ministre de la défense, Yoav Gallant, pour crimes de guerre. Et rien n’indique que Starmer ait l’intention de reconnaître la Palestine en tant qu’État, ce qui marquerait l’opposition du Royaume-Uni au programme de nettoyage ethnique d’Israël.

Malheureusement, Starmer est typique des politiciens occidentaux style serpents : affichant son indignation face aux attaques « dépravées » de la Russie sur les enfants en Ukraine, tout en gardant le silence sur les bombardements encore plus dépravés et la famine des enfants de Gaza.

Il jure que son soutien aux Ukrainiens « ne faiblira pas ». Mais son soutien aux Palestiniens de Gaza confrontés à un génocide n’a même jamais commencé.

Les Palestiniens de Gaza – et de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est occupées – ne sont pas seulement confrontés à une armée israélienne violant les lois et déchaînée. Ils sont trahis chaque jour un peu plus par un Occident qui donne sa bénédiction à une telle barbarie.

Jonathan Cook, 19 juillet 2024

Source: https://jonathancook.substack.com/p/israeli-soldiers-tell-story-of-savage