Les élections présidentielles au Liban révèlent une réalité troublante et pourtant familière. Alors que les dirigeants parlent de souveraineté, les puissances étrangères contrôlent la présidence, les ambassadeurs et les menaces dictant les résultats, laissant le peuple libanais en supporter les conséquences.
Après plus de deux ans de paralysie politique, la République du Liban a finalement élu son 14ème président – l’ancien commandant des Forces armées libanaises Joseph Aoun – le 9 janvier dernier ; cependant, cette victoire n’a pas été remportée par le peuple libanais, mais par les pressions internationales, notamment celles des États-Unis, de l’Arabie saoudite et de la France, qui ont tiré les ficelles.
Le Liban est peut-être le seul pays où un président est élu sans se présenter aux élections. Dans ce pays, les candidats à la présidence ne sont pas tenus de présenter des programmes électoraux ou d’articuler une vision économique, sociale ou politique.
Depuis l’époque ottomane, en passant par le mandat français, pendant la présence syrienne, et maintenant sous l’influence des envoyés occidentaux et arabes, la présidence du pays a souvent été déterminée par des puissances extérieures plutôt que par son peuple.
Le processus est un paradoxe frappant : alors que la souveraineté libanaise – ou son absence – est un sujet fréquemment abordé dans le discours public, le résultat des élections présidentielles est dicté par des ambassadeurs étrangers, qu’ils soient américains, français, saoudiens ou qataris, sur fond d’accusations de soumission de Beyrouth à l’Iran.
Armés de menaces de sanctions, de blocus et de retards dans la reconstruction, ces envoyés imposent des candidats sans laisser de place au débat, réduisant le processus démocratique libanais à un simple théâtre scénarisé.
Comme l’a dit un jour Nabih Berri, président de longue date du Parlement libanais, il serait peut-être plus simple de laisser les ambassadeurs s’asseoir dans les sièges des députés, car ce sont eux qui décident véritablement du président.
Le rôle des puissances extérieures
L‘Agence nationale de presse libanaise a rapporté qu’ « une session parlementaire consacrée à l’élection du 14éme président de la République a débuté en présence de l’envoyé français Jean-Yves Le Drian, de l’envoyé saoudien Yazid bin Farhan, des ambassadeurs de la commission Quint et d’un groupe de diplomates ».
Lors de chaque cycle d’élections présidentielles, l’accent n’est pas mis sur les souhaits du peuple libanais, mais sur le candidat que l’Arabie saoudite soutient, sur celui que le Qatar soutient et sur celui qui s’aligne sur les intérêts américains et français.
En 1989, Elias Hrawi a été élu président du Liban à la suite de l’accord de Taëf, négocié par la Syrie, l’Arabie saoudite et les États-Unis pour mettre fin à la guerre civile libanaise. Cet accord n’a pas seulement donné naissance à un nouveau président, il a également renforcé l’influence des puissances étrangères dans le système politique libanais, notamment de l’Iran qui soutient le Hezbollah, la seule faction autorisée à conserver ses armes en raison de la menace persistante d’Israël et de l’occupation des fermes de Chebaa.
Près d’une décennie plus tard, en 1998, l’ancien commandant de l’armée libanaise, le général Emile Lahoud, a été élu président avec le soutien explicite de la Syrie. Son mandat a été prolongé de trois ans en 2004, toujours avec la bénédiction de Damas. Cette prolongation illustre l’influence profonde des intérêts syriens sur les affaires politiques du Liban à cette époque.
En 2008, les parties libanaises sont parvenues à un accord connu sous le nom de « accord de Doha », qui a mis fin à une impasse politique de 18 mois. Sous les auspices arabes, cet accord a conduit à l’élection d’un autre commandant de l’armée, le général Michel Suleiman, au poste de président. Si cet accord a marqué une résolution temporaire du conflit interne au Liban, il a également mis en évidence le rôle persistant de la médiation extérieure dans la détermination de la direction du pays.
Un théâtre de candidats
Cette année, la course n’a pas été différente. Bien qu’une poignée de personnalités libanaises, telles que l’ancien ministre Ziad Baroud et le député Neemat Frem, aient annoncé leur candidature, leurs efforts sont restés vains sans le soutien de la communauté internationale.
D’autres noms, dont le commandant de l’armée, le général Joseph Aoun, l’ancien ministre des finances, Jihad Azour, et le directeur de la sécurité générale, le général Elias al-Bisri, ont gagné du terrain en grande partie grâce au soutien de l’étranger.
Parmi eux, le général Joseph Aoun se distingue. Bénéficiant de l’approbation des États-Unis, de l’Arabie saoudite et de la France malgré l’absence d’un large soutien local, Aoun a été élu nouveau président du Liban, mettant fin à un vide présidentiel de plus de deux ans et à une impasse politique. Ironiquement, sa candidature – qui nécessitait des amendements constitutionnels – était contestée par les principales forces politiques chrétiennes, notamment les Forces libanaises dirigées par Samir Geagea, le Mouvement patriotique libre et le Mouvement Marada, dont le chef, Suleiman Frangieh, est un proche allié du Hezbollah. Pourtant, la pression extérieure a forcé nombre de ces groupes à rentrer dans le rang, exposant une fois de plus la faille de la souveraineté du Liban.
L’ironie réside dans le fait que le candidat international arabe à la présidence du Liban – qui est le poste chrétien le plus élevé du pays – n’a pas le soutien des forces politiques chrétiennes du Liban.
Le prix de la souveraineté
L’implication d’émissaires étrangers tels que Jassim Al-Thani du Qatar et Yazid bin Farhan d’Arabie Saoudite montre à quel point les responsables arabes sont mieux connus du public libanais que de nombreux députés eux-mêmes. L’envoyé de Riyad, par exemple, a explicitement déclaré que la reconstruction et la stabilité économique du Liban dépendaient de l’élection de leur candidat préféré.
Cette ingérence n’est pas seulement politique mais aussi financière. Des rapports suggèrent que des députés se sont vus offrir des sommes considérables pour garantir leur vote, comme l’a rapporté le journaliste libanais Hassan Illaik sur X. Les prix pour un seul vote atteindraient 300 000 dollars, payables en plusieurs fois. De telles transactions montrent à quel point la présidence est devenue une marchandise sur un marché dominé par les acheteurs étrangers.
Pour les citoyens libanais ordinaires, les enjeux ne pourraient être plus élevés. Alors que les politiciens et les émissaires étrangers se disputent la présidence, le pays reste dans un état d’effondrement. Plus de 70 % de la population connaît une pauvreté multidimensionnelle et des milliards de dollars de dépôts bancaires se sont évaporés.
L’un des candidats à la présidence a informé Le Cradle que lors de ses rencontres avec les députés, au lieu d’être interrogé sur la crise économique urgente, il a été questionné sur sa position sur la question des armes du Hezbollah et sur sa position concernant les résolutions internationales.
L’illusion de la démocratie
Dans l’arène politique libanaise actuelle, le duo chiite – Hezbollah et Mouvement Amal – qui représente une partie essentielle de l’Axe de la Résistance, a centré ses négociations autour de la présidence de la République. Ce levier critique vise à obtenir des gains susceptibles d’atténuer l’impact de la guerre israélienne, qui a entraîné d’importantes destructions dans la Bekaa, au Sud-Liban et dans la banlieue sud de Beyrouth.
Le duo chiite demande notamment des garanties pour la reconstruction, la nomination du prochain commandant de l’armée et un engagement en faveur d’une stabilité économique à long terme. Toutefois, hier en fin de journée, les émissaires internationaux n’ont pas encore donné d’engagements concrets sur ces questions.
Lors du premier tour des élections présidentielles, le Hezbollah et le Mouvement Amal ont décidé de voter blanc, retardant ainsi l’élection d’un président. Il s’agissait d’un message délibéré : Aucun président ne peut être élu sans leur approbation.
À l’issue des négociations, les parties auraient reçu des assurances de la part du commandant de l’armée Joseph Aoun et des émissaires saoudien, américain et français concernant leurs principales revendications. Au second tour, les deux partis ont voté pour M. Aoun, qui a été élu président.
Les bulletins blancs du premier tour ont constitué une démonstration stratégique de leur influence, affirmant leur droit de veto sur l’élection présidentielle. Malgré la forte pression des émissaires internationaux, qui cherchaient à imposer leur candidat préféré, les négociations avec le duo chiite se sont poursuivies. Au cours de quatre sessions avec le conseiller saoudien Yazid bin Farhan, dont une dernière réunion hier matin avec le député du Hezbollah Ali Hassan Khalil, des accords ont été conclus deux heures seulement avant le second tour de la session parlementaire.
En fin de compte, le Hezbollah et le Mouvement Amal ont dicté le résultat de l’élection présidentielle. Le ministère des finances reste sous leur contrôle et l’Arabie saoudite s’est engagée dans les efforts de reconstruction avec des garanties fermes.
Pour les citoyens libanais, les élections sont un rappel douloureux que leur démocratie n’est guère plus qu’une façade, manipulée par des puissances étrangères dont les priorités s’alignent rarement sur les besoins du pays.
Tant que le Liban n’aura pas repris en main ses processus de décision et n’aura pas donné la priorité au bien-être de sa population par rapport aux pressions extérieures, sa présidence restera un pion dans un jeu beaucoup plus vaste de politique de puissance internationale.
Rédaction The Cradle, 9 janvier 2025
Article original Thecradle.co