Par Guy Mettan, journaliste indépendant
« La menace qui m’inquiète le plus vis-à-vis de l’Europe n’est ni la Russie, ni la Chine, ni aucun autre acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est la menace intérieure, le recul de l’Europe par rapport à certaines de ses valeurs les plus fondamentales : des valeurs partagées avec les États-Unis d’Amérique… » Cette déclaration du vice-président américain JD Vance à la Conférence de Munich en février dernier avait stupéfié et scandalisé l’Europe. Comment ose-t-il nous critiquer et mettre en doute notre liberté d’expression, puisque c’était à cela que Vance faisait allusion, alors que nous en sommes les plus fidèles gardiens et les plus loyaux serviteurs ?
Oui JD Vance, quoiqu’on puisse penser du personnage, a osé mettre le doigt là où ça fait mal, sur l’angle mort de notre morale affichée, sur ces valeurs que nous proclamons mais que nous n’appliquons pas en invoquant de fallacieux prétextes. C’est peut-être triste à dire, mais JD Vance a raison.
Quand on se donne la peine de décortiquer le discours dominant et la manière dont nos politiques et nos médias rendent compte des crises et des conflits qui ensanglantent le monde, on ne peut qu’être épouvanté par les biais, la partialité, les partis pris qui font de nos postures morales des impostures et de nos indignations vertueuses des monuments d’hypocrisie.
Le cas de la guerre en Ukraine est flagrant et nous en avons déjà beaucoup parlé. En trois ans, et même en onze ans si on remonte à 2014, pratiquement aucun des millions d’articles et de reportages parus dans les médias officiels occidentaux n’a donné la parole au camp russe ni essayé d’expliquer les causes profondes du conflit. Pire, on a même censuré et interdit l’ensemble des médias russes en Europe sous prétexte de « lutter contre la propagande », comme si l’on craignait le peuple puisse se faire une opinion par lui-même.
En Palestine, on a fait exactement la même chose mais cette fois-ci en faveur de la puissance occupante, Israël, qui massacre et assassine impunément des civils – plus de 50 000 à ce jour – sans subir la moindre remarque de nos dirigeants et de la plupart des médias. On continue à cacher excuser le crime sous prétexte de « lutte contre l’antisémitisme ».
Dans le même ordre d’idée, au nom de la lutte contre le fascisme et de slogans aussi simplistes et liberticides que « pas de parole pour les ennemis de la liberté », ou « pas de parole pour les ennemis de la démocratie », on prive d’accès aux médias les avis de dizaines de millions de citoyennes et de citoyens européens. En comparaison, mêmes les Chinois ont plus de droits !
Et inversement, on surestime et on surexpose l’opinion des minorités qui s’opposent aux pouvoirs classés dans le camp du mal. Les manifestations contre le Turc Erdogan ou le Serbe Vucic, les protestations contre Poutine sont exaltées, déclinées sans fin, célébrées par les éditorialistes, analysées par le menu par des cohortes d’experts. Mais les manifestations géantes des Roumains en faveur du candidat évincé des élections présidentielles Calin Georgescu sont systématiquement tues. Quand Maduro est soupçonné de fausser le résultat des élections vénézuéliennes, on l’assaille de critiques pendant des semaines et on l’accable de sanctions. Quand l’Union européenne et les ministres français interviennent en Roumanie pour faire casser le résultat des élections qui leur déplaît, c’est le silence radio.
Même chose en Syrie : quand des terroristes s’en prennent au régime de Bachar el-Assad, on les félicite pour avoir fait du « bon boulot » (dixit Laurent Fabius) et quand les mêmes s’emparent du pouvoir quelques années plus tard et massacrent des Alaouites et des Chrétiens par centaines, on leur accorde 2,5 milliards d’euros de subventions.
On peut rallonger la liste à l’infini, tant les manipulations abondent. Tout cela sans que les professionnels, les journalistes, les activistes des droits humains ne s’offusquent. A l’image de ce récent communiqué de Reporters sans frontières qui déplorait, à bon droit d’ailleurs, la mort de dizaines de journalistes ukrainiens tués sur le front par des tirs russes mais n’avait pas un mot pour les dizaines de correspondants russes tués par des obus ukrainiens de l’autre côté du front.
Le plus drôle, ou plutôt le plus tragique, dans ce constat est qu’il est fait par un homme, JD Vance, qui est lui-même susceptible de devenir un danger pour les « valeurs » et notamment pour la liberté de la presse. Après avoir dénoncé avec raison les méfaits de la cancel culture qui avaient conduit au bannissement des universités et des bibliothèques de certains enseignants jugés trop traditionnels et à la mise en place d’une sorte de terreur wokiste en y imposant le nouveau langage totalitaire libéral-progressiste, l’Administration Trump est en train de faire la même chose en prescrivant sa propre terminologie et en faisant la chasse à celles et ceux qui n’appliqueraient pas ses consignes.
Nous vivons dans un monde de fous et de fanatiques, mais nous les avons bien voulus. A aucun moment, pas plus hier qu’aujourd’hui, nous n’avons cherché à les stopper. Il n’est pas trop tard pour réagir, d’un côté comme de l’autre de l’Océan Atlantique.