Par Marc Jean, 23 décembre 2021

Source: Arrêt sur info.ch


L’affaire Navalny a tenu les médias et l’opinion publique en haleine pendant de nombreux mois, avec une succession d’épisodes, tous plus “passionnants” les uns que les autres. Navalny est devenu une icône de la presse occidentale, et le public a suivi, en direct dans les médias, les différents actes de la pièce. D’un côté, le méchant, Vladimir Poutine, de l’autre le gentil, Alexei Navalny. Le public frémit d’indignation et de colère chaque fois que le méchant s’en prend au gentil, et applaudit lorsque le gentil tient tête au gros méchant loup.

C’est un scénario classique, que les médias rejouent régulièrement. Ce fut le cas déjà pour les méchants Serbes s’en prenant aux gentils Bosniaques ou Kosovars ; ce fut le cas pour Saddam Hussein, pour Kadhafi…Et ce scénario séduit toujours autant un public ignorant de la réalité des choses…

Récemment, le 15 décembre 2021, la fille d’Alexei Navalny a reçu en grande pompe le prix Sakharov au Parlement européen(1) au nom de son père en prison. Daria Navalny a déclaré sans ciller que «le Kremlin fait éliminer un à un ses opposants pendant que les dirigeants occidentaux comme vous pensent qu’il suffit de faire des déclarations plus sévères tout en poursuivant le dialogue ».

Ses autres déclarations sont tout autant à l’emporte-pièce lorsqu’elle s’en prend à ceux parmi les Européens qui « rêvent de siéger dans le conseil d’administration d’une entreprise de Poutine ou de naviguer sur le yacht d’un oligarque », sous les applaudissements des parlementaires. Voilà un dictateur bien conciliant qui autorise cette personne à quitter la Russie pour critiquer son régime. Les médias, comme à leur habitude, ont bu comme du petit lait des paroles aussi viriles.

Je recommande à ces parlementaires européens, très peu au fait de la réalité du dossier, de se documenter utilement en lisant le livre(2) écrit par Jacques Baud, colonel de l’armée suisse. Expert en armes chimiques et nucléaires, formé au contre-terrorisme, il a été au service des Nations unies comme chef de la doctrine des opérations de maintien de la paix à New York et engagé en Afrique. A l’Otan, il a dirigé la lutte contre la prolifération des armes légères. Tout donc, sauf un dangereux conspirationniste ou agent infiltré de Moscou !

En réalité, cette remise du prix Sakharov au Parlement européen fait partie, comme l’ensemble du ”feuilleton Navalny”, d’un scénario fabriqué de longue date par des agents d’influence, au service de puissants intérêts. Il s’inscrit dans une démarche visant à diaboliser la Russie et ses dirigeants, accusés des pires turpitudes. J’avais, dans une contribution précédente(3) publiée sur Arrêtsurinfo, développé les raisons de cet acharnement anti-russe(4) et anti-Poutine.

La force de l’ouvrage de Jacques Baud, ce sont ses analyses, basées uniquement sur l’information fournie par les services officiels, les médias occidentaux, y compris ceux qui sont financés par les gouvernements occidentaux et à leur service, les médias liés à l’opposition russe et ceux qui sont considérés comme agents de l’étranger par les autorités russes. En aucun cas, sur les informations des médias officiels russes ou financés par l’Etat russe.

Ce n’est pas ici le lieu de résumer l’ensemble de l’analyse de Jacques Baud. Nous nous limiterons à en faire une synthèse et incitons vivement les lecteurs intéressés à se procurer ce livre.

Affairiste et politicien

Alexei Navalny a commencé sa carrière d’homme d’affaires dans les années 2000, rapporte Jacques Baud : « Conformément à une pratique courante dans la Russie de Boris Eltsine des années1990-2000, il achète des entreprises, afin d’en privatiser les profits (une pratique illégale à l’origine du combat mené par Vladimir Poutine contre certains oligarques qui finiront par se réfugier en Grande-Bretagne ou en Israël) »(5).

Dans une première affaire (Kirovles), Navalny est condamné à cinq ans de prison avec sursis.

Mais l’affaire la plus médiatisée concerne la société de cosmétiques Yves Rocher. C’est un dossier relativement complexe, de conflit d’intérêt, dans lequel le frère de Navalny, Oleg, considéré comme le principal accusé, est condamné à trois ans et demi de prison ferme, alors que son frère Alexei est condamné à trois ans et demi avec sursis. C’est ce sursis – lui interdisant de quitter le territoire russe – qui d’appel en appel, est repoussé, pour finalement être appliqué en 2021. Bref, un affairiste sans scrupules, profitant du chaos de l’ère Boris Elstine pour s’enrichir facilement, en profitant du système lui permettant d’acquérir à bon compte des entreprises pour ensuite les revendre ”à la découpe”. Un personnage cynique, ne méritant pas l’indulgence de ses compatriotes, victimes de cette libéralisation brutale de l’économie russe.

« Au plan politique, il participe comme cofondateur à plusieurs mouvements nationalistes russes. En 2010, à l’invitation de Garry Kasparov, Navalny est invité aux Etats-Unis à participer au “Yale World Fellows Program”. Il s’agit d’un programme de formation de quinze semaines, non diplômant, offert par l’université de Yale à des étrangers, identifiés par certaines élites américaines, comme des “futurs leaders” dans leurs pays respectifs »(6).

Tout un chacun aura compris que cette formation n’est pas philanthropique, mais qu’elle dissimule des intentions cachées, destinées à former des agents d’influence susceptibles d’oeuvrer, un fois de retour dans leur pays, au profit des intérêts états-uniens. Et dès lors, on comprend comment le scénario Navalny va se dérouler avec l’appui des élites mondialistes.

Quant à ses idées politiques, l’image n’est guère plus reluisante. En 2007, il est expulsé du parti centre droit Iabloko en raison de sa participation régulière à la Marche russe, un mouvement ultranationaliste et de ses activités nationalistes à tendance raciste. En octobre 2013, il soutient et attise les émeutes de Biruyulyovo, en fustigeant les hordes d’immigrants légaux et illégaux. Quant à sa popularité, elle est très faible.

Un sondage, effectué entre le 20 et le 26 août 2020 (juste après son prétendu ”empoisonnement” par le Centre Levada, (financé par les Américains et considéré en Russie comme “agent étranger”, donc pas vraiment “inféodé au régime”) montre la différence de popularité entre Vladimir Poutine et Alexei Navalny. Poutine est crédité de 56% d’intentions de vote et Alexei Navalny de 2%  (7).

Bref, un personnage peu apprécié de ses compatriotes, en réalité un ”pion” manipulé par des puissances étrangères .

Encore et toujours le Novitchok

Le jeudi 20 août 2020, lors de son vol entre Tomsk et Moscou, l’opposant Alexei Navalny est pris de violentes douleurs. Le vol est détourné sur Omsk afin qu’il puisse être hospitalisé d’urgence. Immédiatement, et sans aucune preuve, les médias vont unanimement présenter la version d’un empoisonnement au Novitchok, prétendument commanditée par le président Poutine.

Le Novitchok refait donc son apparition, et avec lui le prétendu empoisonnement des Skripal à Londres, où, déjà, ce redoutable poison avait été utilisé par des agents secrets russes (selon la version anglaise). On notera simplement que les Skripal ont, depuis leur empoisonnement, au final sans conséquences graves, complètement disparus. Les médias les ont oubliés.

Jacques Baud analyse les différentes versions d’un possible empoisonnement accidentel ou volontaire, sans qu’il soit possible de privilégier une piste plutôt qu’une autre(8). Il est impossible de résumer ses conclusions en quelques lignes.  Mais quelle importance puisque les médias persistent et signent. Ainsi, sur France 5, François Clémenceau, cinq mois après la prétendue tentative d’empoisonnement, affirme :

«Il a été empoisonné avec une arme chimique [..] qui a été fabriquée dans des laboratoires suffisamment sophistiqués pour laisser penser que les services russes sont obligatoirement derrière »(9)

Récemment encore, le 19 décembre 2021, la chaîne Paris Première diffusait un documentaire : Navalny : l’homme que Poutine n’a pas réussi à tuer, en mentionnant que ce “documentaire reconstitue l’histoire digne de James Bond d’Alexei Navalny, le leader charismatique de l’opposition russe qui a été empoisonné au Novitchok. Le pouvoir russe est-il impliqué”?

Décidément, Poutine ferait preuve d’un grand amateurisme pour récidiver, en rejouant deux fois le scénario de l’empoisonnement au Novitchok. Ou alors, les agents des services secrets russes seraient de parfaits imbéciles. Il serait temps alors que le maître du Kremlin y fasse le ménage.

Mais, trêve de plaisanteries, tout cela participe de la même volonté d’affaiblir la Russie. En été 2020, sous le titre “Pinning Down Putin”, “Epingler Poutine”, dans la revue Foreign Affairs(10), l’ambassadrice Victoria Nuland, aujourd’hui sous-secrétaire d’Etat aux affaires politiques de Joe Biden, esquisse ce que devrait être la politique américaine pour affaiblir la Russie. Elle y défend le principe d’intervention dans la politique intérieure et l’économie russe. C’est dans ce contexte que Navalny est devenu – probablement malgré lui – l’instrument de la politique américaine envers la Russie, pour déstabiliser Poutine.

Le “palais” de Poutine

Après sa sortie de l’hôpital berlinois le 23 septembre 2020, Alexei Navalny n’est pas rentré de suite en Russie, car il était à Kirchzarten, en Forêt Noire, pour la réalisation aux Black Forest Studios d’un film de propagande sur le soi-disant ”palais de Poutine”(11).

Jacques Baud précise que « ces studios avaient été contactés début décembre par une firme basée en Californie, dont l’identité n’a pas été révélée, pour savoir s’ils avaient les capacités nécessaires à la production du film. C’est cette firme qui a financé la réservation des studios et la réalisation du film en Allemagne (12). Manifestement, le film est déjà partiellement réalisé ; manquent encore quelques scènes avec Navalny, qui sont tournées en décembre 2020. Le 19 janvier 2021, il est diffusé par l’ensemble des médias occidentaux et vu plusieurs dizaines de millions de fois. Il porte sur un somptueux palais situé à Gelendjik, dont une rumeur – entretenue par ses adversaires – attribue la propriété à Vladimir Poutine. En fait, il s’agit d’une accusation réchauffée, purement spéculative et que rigoureusement aucun élément ne confirme»(13).

Sans être expert en complotisme, plusieurs éléments apportent la preuve que ce sont des agents d’influence, au service de puissances étrangères, qui ont mis en scène ce film :

-une firme basée en Californie a financé sa réalisation, son identité n’a pas été révélée

-la sortie du film coïncide avec le retour de Navalny à Moscou 17 janvier 2021

-synchronisation parfaite avec les médias occidentaux qui relayent en choeur cet événement

D’ailleurs, Jacques Baud souligne « que le financement de son séjour en Allemagne et du film par des oligarques basés en Israël et à Londres, et de son mouvement par la NED(14), montrent bien que les Etats-Unis l’utilisent comme un pion dans leur lutte contre la Russie »(15).

Les médias français n’ont pas été en reste dans la surenchère en multipliant les fakes news sur ce sujet. Il serait trop long de les citer tous, mais quelques -uns ont brillé par leur inventivité (16). Les médias occidentaux ont depuis longtemps inversé les rôles, accusant tout média ne se pliant pas à la doxa officielle, de complotisme. Par exemple le site Arrêts sur infos a été associé à des sites complotiste(17) par ceux-là mêmes qui multiplient les fakes news en toute impunité(18). Rappelons qu’il existe des sociétés de conseil spécialisées dans l’élaboration et la diffusion à grande échelle de fakes news. Leur expertise dans ce domaine est très recherchée par certains agents d’influence (19).

Conclusion

A la disparition de l’Union soviétique il était possible de rêver à une cohabitation pacifique avec la Russie. Cela eût permis l’arrimage de la Russie à l’Europe occidentale, ce que le Général de Gaulle désignait par l’expression « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural ». Il suffisait de donner quelques gages de bonne volonté à la Russie, par exemple en n’étendant pas vers l’Est les frontières de l’Otan. Rien n’empêchait les anciens pays du bloc soviétique de rejoindre l’Union européenne, en conservant un statut de neutralité. Mais l’Europe, sous tutelle américaine, a choisi de s’allier à la politique américaine cherchant à affaiblir la Russie (pour mieux la dépecer une fois que l’ours russe aura été accroché au crochet, comme le disait Vladimir Poutine lors d’une conférence de presse).

C’est désolant et c’est pitoyable de voir tous les médias et tous les journalistes de l’establishment participer à cette curée.

Marc Jean


(1) Remise du prix Sakharov 2021 à Alexeï Navalny (via sa fille)

(2) BAUD Jacques, L’affaire Navalny, le complotisme au service de la politique étrangère, Editions Max Milo, Paris, 2021

(3) https://arretsurinfo.ch/la-russie-delenda-est/

(4) Pourquoi tant de haine contre la Russie ? – Politique & Eco n°325 avec Jacques Sapir – TVL (tvlibertes.com)

(5) BAUD Jacques, L’affaire Navalny, Le complotisme au service de la politique étrangère, p.17-19

(6) BAUD Jacques, L’affaire Navalny, Le complotisme au service de la politique étrangère, p.21

(7) BAUD Jacques, L’affaire Navalny, Le complotisme au service de la politique étrangère, p.25

(8) BAUD Jacques, L’affaire Navalny, le complotisme au service de la politique étrangère, p.27-60 

(9) François Clémenceau dans l’émission ” C dans l’air ” du 3 février 2021. (« Navalny peut-il faire tomber Poutine, cdanslair03.02.2021 », France 5/YouTube, 4 février 2021

(10) Victoria Nuland, ”Pinning Down Putin”,  Foreign Affairs, juillet /août 2020, cité dans BAUD Jacques,  L’affaire Navalny, le complotisme au service de la politique étrangère, p.91 

(11) Alexei Makartsev,Georg Rudiger, « Nawalny produzierte Putin-Film im Schwarzwald »(« Navalny a produit un film sur Poutine dans la Forêt-Noire »), Badische Neueste Nachrichten, 23 janvier 2021, cité dans : BAUD Jacques, L’affaire Navalny, p.61

(12) Ralf Deckert, « Palast-Video in Blackforest Studios produziert » (« La vidéo du palais produite à Black Forest Studios »), schwarzwaelder- bote.de, 22 janvier 2021, cité dans : BAUD Jacques, L’affaire Navalny, p.61

(13) BAUD Jacques, L’affaire Navalny, p.61

(14) NED, soit National Endowment For Democracy, ONG créée en 1983 pour reprendre certaines activités de la CIA pour apporter un soutien à certains mouvements de contestation dans des pays ” où la démocratie est réputée fragile”. Est-il besoin de préciser que la NED n’intervient pas dans les pays alliés des Etats-Unis, comme par exemple l’Arabie saoudite

(15) BAUD Jacques, L’affaire Navalny, p.98

(16) Emission « C dans l’air » du 3 février 2021(« Navalny peut-il faire tomber Poutine ? C’est dans l’air 03.02.2021 », France5/YouTube,4 février 2021) cité dans : BAUD Jacques, L’affaire Navalny, p.63

Galia Ackerman, dans l’émission C’est dans l’air » du 28.01. 2021 (« Poutine/ Navalny : espion, poison et corruption » ; France5/YouTube, 29 janvier 202, cité dans : BAUD Jacques, L’affaire Navalny, p.63

(17) Les 5  plus gros diffuseurs de fake news selon les amis de conspiracy watch

Adrien Saumier est un élu de Paris 13 – et il en rajoute contre ce blog et contre vous !

18) Jacques Baud écrit que « dès début septembre2020, avant même que les laboratoires français, suédois et de l’OIAC aient commencé leurs analyses, Conspiracy Watch ”sait” qu’il [Navalny] a été empoisonné avec du Novitchok, ”plutôt associé aux services secrets russes”, et qualifie de ”conspirationnisme” l’éventualité que l’empoisonnement puisse être le fait de la criminalité organisée. Cette manière d’exclure toute explication alternative, d’affirmer un jugement à partir d’informations spéculatives, d’ignorer certains faits et d’en retirer d’autre avec une logique arbitraire, correspond exactement à la définition du conspirationnisme. » BAUD Jacques, L’affaire Navalny, p.112.

La duplicité du site Conspiracy Watch est ainsi démasquée : le dénonciateur de sites conspirationnistes devient lui-même un conspirationniste !

(19) Voir aussi:

Quand des sociétés de communication fabriquent des fake news  

‘La “nouvelle Guerre froide” est une incessante guerre de l’information

Source: Arrêt sur info.ch