Par Marc Jean – 01. 05. 2021

Source: Arrêt sur info

Pour les médias dominants, il est de bon ton de dénoncer les fake news diffusées sur les réseaux sociaux et d’amalgamer dans le même discrédit de « conspirationnisme », sinon de « négationnisme », tous les médias alternatifs ne partageant pas le narratif établi. Curieusement, ces mêmes sont étrangement silencieux lorsque ce sont des agences ayant pignon sur rue qui fabriquent et diffusent à grande échelle, avec leur complicité volontaire ou involontaire, des fake news pour induire en erreur l’opinion publique. Nous analyserons deux cas emblématiques.

L’affaire des « couveuses » du Koweit

Lors de la guerre du Koweit(1), l’intervention d’une jeune fille, nommée Nayirah al-Sabah(2), présentée comme une infirmière, témoignant en larmes le 14 octobre 1990 devant le Comité des droits de l’Homme du Congrès des Etats-Unis, a bouleversé l’opinion publique. Elle prétendait que, pendant l’invasion du Koweit par l’armée irakienne, alors qu’elle travaillait dans un hôpital koweïti, elle avait vu des soldats irakiens sortir des bébés des incubateurs et les déposer par terre, où ils étaient décédés.

Nayirah al-Sabah témoignant devant la Comité des droits de l’Homme aux Etats-Unis. Image:Democracy.now

Le président Georges Busch senior a repris cette histoire choquante, l’a répétée à la télévision, en affirmant que 312 bébés étaient morts de cette façon. Ce récit horrible n’a pas peu contribué à diaboliser l’Irak et son dirigeant, Saddam Hussein. Ce témoignage bouleversant, attestant des atrocités commises par les Irakiens au Koweït, fut rapidement retransmis par les télévisions du monde entier, et eut donc un impact déterminant sur l’opinion publique, qui se déclara favorable à une intervention en Irak.

Cependant, qu’en est-il de la véracité de ce témoignage qui eut un retentissement important dans la sphère internationale ? L’armée irakienne avait-elle commis des crimes de guerre pendant l’invasion du Koweït ? Ou bien le récit de la jeune Nayirah n’obéissait-il qu’à une simple opération de propagande ?

En réalité, un groupe désigné comme les Citoyens pour un Koweit libre,[Citizens for a free Kuwait], organisé et financé par le gouvernement du Koweit exilé, avait sollicité en 1990 la société de communication Hill & Knowlton(3) pour l’assister dans sa campagne visant à influencer l’opinion américaine en faveur d’une intervention armée.

C’est Hill & Knowlton qui avait monté le scénario de l’infirmière en pleurs, dont on a appris par la suite qu’elle était la fille de l’ambassadeur du Koweit aux Etats-Unis, Saud bin Nasir Al-Sabah, et que son récit était entièrement mensonger. La société a reçu environ 10 millions de dollars pour son travail.

Bien entendu, Hill&Knowlton a nié ces accusations. Il est vrai que cette société n’a jamais placé la morale et l’éthique dans ses objectifs. Pour preuve, elle a également été critiquée pour avoir représenté des gouvernements cherchant à améliorer leur réputation tout en étant accusée de violations des droits humains comme l’Indonésie, la Turquie, les Maldives et l’Ouganda. La société est également l’une des nombreuses entreprises engagées par des intérêts de fracturation hydraulique ces dernières années. Hill&Knowlton Strategies a co-fondé, dans les années 1970, Asbestos Information Association, qui, en niant les risques sanitaires de l’amiante, est responsable de milliers de vies perdues. L’entreprise était également impliquée dans des pratiques similaires concernant le plomb, le chlorure de vinyle et les CFC. (4)

Vidéo INA

Ce scandale, véritable cas d’école, démontre aujourd’hui à quel point il est facile de manipuler l’opinion publique afin de la pousser à défendre les idées d’un gouvernement. Cependant, malgré la révélation de cette supercherie, les Etats-Unis utilisèrent un prétexte similaire en 2003, dans le contexte de la guerre d’Irak, à savoir l’affaire des armes de destruction massive. (5)

Les camps de concentration serbes

Pendant le guerre civile bosno-serbe,(6) le dirigeant bosniaque Izetbegovic missionna une société de lobbying Ruder Finn(7) en charge de convaincre l’opinion américaine du bien-fondé de sa cause. La mission semblait difficile, sinon improbable. D’abord, la plupart des citoyens américains ignoraient jusqu’à l’existence d’un pays nommé la Bosnie, qu’ils devaient confondre avec quelque lointain pays africain, Par ailleurs, la communauté juive ne se rappelait que trop bien des massacres de leurs coreligionnaires commis pendant la seconde guerre mondiale dans cette région par les unités fascistes croates oustachies et les Bosniaques musulmans de la division SS Handschar. On peut penser que leur sympathie allait plutôt vers les Serbes, victimes comme eux de ces massacres. Les organisations juives américaines apparaissaient donc comme la première cible à convaincre,

[Remarquons que pour ces sociétés de lobbying, l’éthique et la morale ne sont pas des valeurs de référence. En effet, dans les années 1960 et jusqu’à la fin des années 1990, Ruder Finn a joué un rôle déterminant dans la campagne de relations publiques qui contestait les preuves démontrant que le tabagisme était dangereux pour la santé. En 1997, Ruder Finn dirigeait la « Global Climate Coalition », un groupe d’entreprises principalement américaines, qui s’opposaient aux mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre.]

Mais Ruder Finn va réaliser un coup extraordinaire(8) en faisant publier, le 19 juillet 1992, dans le quotidien américain New York Newsday  un reportage du journaliste Roy Gutman. Dans cet article, intitulé « Prisoners of Serbia’s War ». Roy Gutman évoque l’existence en Bosnie de camps dans lesquels les détenus ne seraient pas de simples prisonniers de guerre. Le surlendemain, sous le titre «“Like Auschwitz”», [Comme à Auschwitz, ndt] Gutman publie un autre reportage, dans lequel il affirme, en s’appuyant sur plusieurs témoignages, que les nationalistes serbes déportent des civils musulmans et croates dans des wagons de marchandises plombés. Le 2 août 1992, dans le même quotidien new-yorkais, Gutman publie un troisième reportage, intitulé « Death Camps » .(9)

Dans cet article, Gutman qualifie explicitement les camps en question de “camps de la mort” (death camps), et affirme que les Serbes ont organisé en Bosnie un massacre systématique à grande échelle de la population bosniaque. Les informations données dans ce reportage sont reprises en référence explicite à Newsday dans la quasi-totalité de la presse française, dès les éditions du 3 ou du 4 août pour ce qui concerne les quotidiens. Ainsi J.François Bouthors, du journal La Croix, titre le 6/08/92 «  Le document qui accuse les Serbes », bien évidemment Le Monde( 8/08/92) et Libération(7/08/92) emboîtent le pas….

Les mots utilisés dans ces reportages rappelaient instantanément aux lecteurs et surtout au lectorat juif les horreurs vécues pendant la seconde guerre mondiale : Auchswitz, déportation, camps de la mort, massacre systématique, trains de marchandises plombés…

L’effet fut immédiat et dévastateur. Désormais plus rien ne pourra inverser la tendance. L’opinion du lectorat juif, mais aussi des autres lecteurs, bascula en faveur des « malheureux » Bosniaques assimilés aux déportés juifs. Les Serbes furent à tout jamais ostracisés dans l’opinion et d’ailleurs resteront, pendant toute la durée du conflit en Bosnie, mais aussi, quelques années plus tard, dans le conflit du Kosovo, les mal aimés, en un mot les « méchants ».

La fake news imaginée par Ruder Fin aura atteint son objectif. Les Serbes, alliés pendant les deux guerres mondiales des démocraties occidentales, et en particulier de la France, et victimes eux-mêmes de massacres pendant cette époque, ne bénéficieront plus d’aucune mansuétude, ni des médias, ni de nos dirigeants. Leur image sera à jamais diabolisée.

Le « Palais »    de Poutine

On se souvient de cette information diffusée par tous les médias, sur le prétendu « palais » que le Président Poutine se serait fait construire. Une vidéo a abondamment circulé sur les réseaux et a été reprise par l’ensemble des médias sans aucune retenue ni vérification préalable. On ignore pour l’instant comment et avec quels moyens cette vidéo a été fabriquée. Mais on remarquera l’extraordinaire coïncidence entre la diffusion de ce document et le retour de l’opposant russe Alexandre Navalny à Moscou. Cette mise en scène ne peut manquer d’interroger tout observateur impartial. Ce genre de fake news semble futile à première vue, mais, ne nous y trompons pas, elle ne reste jamais sans effets sur une opinion publique facile à manipuler. Salir l’image du Président Poutine, l’assimiler à un potentat s’enrichissant sur le dos du peuple, exciter la haine de l’opinion contre lui, c’était assurément l’objectif poursuivi. Tous les moyens pour y parvenir sont bons, même les fake news …

Marc Jean

(1) Daniele Ganser, dans son livre « Une brève histoire de l’Empire américain, » p.237, analyse les raisons de cette guerre

(2) La guerre du Golfe et l’affaire des couveuses du Koweït (histoire-fr.com)

(3) Hill&Knowlton Strategies est une société mondiale de conseil en relations publiques , basée à New York, aux États-Unis, avec plus de 80 bureaux dans plus de 40 pays. La société a été fondée à Cleveland, Ohio, en 1927 par John W. Hill.  Elle appartient au groupe WPP.

(4) Informations reprises de :https://en.wikipedia.org/wiki/Hill+Knowlton_Strategies

(5) https://www.dailymotion.com/video/xfdqv9

(6) Pour comprendre les origines des conflits qui ont ensanglanté l’ex Yougoslavie, voir : Ce fut un jeu d’enfant pour les Etats-Unis de disloquer l’Etat multiethnique de Yougoslavie 

(7) Ruder Finn est une société de relations publiques dont les sièges se situent aux États-Unis et en Chine. C’est l’une des plus grandes agences de communication privée au monde. Ruder Finn a été créé en 1948 à New York par David Finn et Bill Ruder [Ruder Finn — Wikipédia]

(8) Voir les détails dans l’excellent ouvrage d’Alexandre Del Valle, Guerres contre l’Europe, publié aux éditions des Syrtes, p.213-216

(9)https://www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2000-3-page-33.htm

Source: https://arretsurinfo.ch/quand-des-societes-de-communication-fabriquent-des-fake-news/