1ère partie. Les femmes de la République Islamique d’Iran

Difficile de savoir par où commencer un journal de voyage, et comment décrire en quelques pages un monde redécouvert. Cependant, étant donné l’obsession de l’Occident (et des Iraniens occidentalisés et vivant à l’étranger) de venir en aide aux femmes iraniennes dans leur oppression (tout en leur imposant des sanctions économiques illégales et immorales), il est sans doute approprié de commencer par la perception que j’ai eue des femmes en Iran.

Les médias occidentaux, avec l’aide de féministes et d’Iraniens vivant hors d’Iran, présentent les femmes iraniennes comme des opprimées, en premier lieu car les femmes, en Iran, doivent s’habiller suivant la coutume islamique du hijab. Oui, le hijab est obligatoire, et les femmes ont le choix entre le port du tchador ou du foulard. Mais, ce qu’il est crucial de comprendre, c’est le rôle joué par le tchador dans la période antérieure à 1979, par rapport à l’ère post-Révolution.

Avant la Révolution de 1979, le tchador était un indicateur d’un système de caste à peine voilé. Si quelques femmes distinguées et d’un environnement socio-économique élevé avaient choisi de porter le tchador, le reste d’entre elles, la majorité des femmes iraniennes, étaient simplement nées avec cette coutume. Pour résumer, c’étaient les femmes désavantagées socio-économiquement qui portaient le tchador avant 1979. À cette époque, le tchador était une entrave au développement d’une femme : celle qui le portait était considérée avec suspicion et mépris. Elle ne pouvait pas aller de l’avant ou s’élever socialement. Elle était opprimée. Mais les féministes occidentaux restaient aveugles à cette oppression. Après tout, le Shah était un dictateur moderne, et un ami des États-Unis.

La Révolution a changé ce statu quo et a écorné le système de castes. Une Révolution est, par définition, un changement complet de la manière dont les gens vivent et travaillent. Et ce fut le cas de la Révolution iranienne. Le tchador de l’ère post-1979 n’est plus un obstacle au futur d’une femme. Les femmes iraniennes modernes, ces mêmes classes (anciennement) moins privilégiées, ont trouvé la liberté dans leur tchador. Elles ont été libérées et marchent aux côtés de leurs collègues (anciennement) plus privilégiées. Et c’est cette émancipation, que les féministes occidentaux, ou occidentalisés, voient comme une oppression.

Pour ma part, je fais partie de cette petite minorité de femmes privilégiées d’hier, bien trop confortablement installée dans ma peau d’occidentale, pour souhaiter promouvoir le hijab, mais je ne permettrais pas à mes préférences personnelles de minimiser la valeur des progrès qu’il a apportés. Les âmes bien intentionnées, à l’extérieur du pays, devraient changer la teinte de leurs lentilles, plutôt que chercher à changer la vie des autres, car les femmes iraniennes n’attendent pas d’êtres sauvées. Elles ne suivent pas, elles dirigent.

En deux occasions distinctes, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec un groupe de doctorantes au département de recherches globales de l’université de Téhéran. Franchement, ces jeunes femmes m’ont charmée. Leur esprit curieux et affuté, leur intellect vif et leur confiance flagrante m’ont éblouie. Des féministes occidentaux les considèreraient comme opprimées. J’ai plutôt l’impression que c’est le féminisme qui a besoin d’être secouru, et pas les Iraniennes.

Les succès démesurés des femmes vont bien au-delà de l’éducation : elles participent à tous les pans de la société : la maternité, les arts et les sciences, la haute technologie, les films et le cinéma, la recherche, les affaires, l’administration, la politique, le sport, les forces armées… Le rôle important des femmes dans la société est indéniable. Et je trouve alléchant leur rôle des gardiennes culturelles.

Les femmes – combattantes culturelles

L’impérialisme culturel fait partie du néocolonialisme. L’éradication d’une culture indigène, et son remplacement par une culture hégémonique, permet à celui qui contrôle cette hégémonie d’influencer, de posséder, les nations qui en sont victimes. Et les femmes sont le centre du noyau culturel. Elles maintiennent les familles et transmettent les traditions. Et c’est pourquoi, dans toute les aventures coloniales, où qu’elles aient eu lieu, les femmes ont été la cible principale (c’est-à-dire les victimes à secourir). Cela n’a pas été différent pour l’Iran. Alors que certaines ont effectivement abandonné leur culture pour en embrasser une autre, la grande majorité a résisté et a riposté, en promouvant les traditions iraniennes authentiques.

Un groupe de ces guerrières culturelles m’a laissé une forte impression. J’ai assisté à un spectacle de danses dans la fameuse salle Roudaki (Talar Roudaki). Des jeunes filles âgées de 6 à 18 ans ont déchainé les applaudissements de la salle, lorsqu’elles ont dansé sur diverses chansons traditionnelles de l’ensemble du pays. Ces danses ne ressemblaient pas à ce que vous voyez sur MTV. Elles reflétaient la beauté et la pureté d’une ancienne culture. Leurs mouvements et leurs poses ne cherchaient pas à séduire, ils étaient pleins de grâce et de poésie, plongeant dans un passé ancien et le reliant au présent, pour le renforcer. Voila les Iraniennes qui garderont les précieuses traditions et cultures de l’Iran, contre la culture occidentale moderne, présentée comme un pré-requis à toute civilisation et à toute liberté par les féministes occidentaux.

Je ne cherche pas à donner la fausse impression que toutes les femmes iraniennes sont heureuses, prospères et estimées. Comme toute société, l’Iran a sa part de filles et de femmes malheureuses et déprimées. On peut y trouver des femmes abusées et trahies. On y trouve des femmes et des jeunes filles qui se tournent vers la drogue, la prostitution, ou les deux. J’en ai rencontré également. Et je peux confirmer que les lois de l’Iran ne favorisent pas les femmes, que ce soit dans le divorce, la garde des enfants, ou l’héritage. Mais, si la société iranienne doit décider un jour de changer ces lois (ou de maintenir le statu quo), elle le fera sans interférences, et suivant ses propres termes. Je suis certaine que toute interférence extérieure engendrera une réaction négative et opposée.

2ème partie. Washington ne comprend rien à l’esprit de corps

De nombreux visiteurs ont voyagé en Iran et ont ramené des descriptions de paysages, de nourriture, de la gentillesse des habitants, de l’impact des sanctions, et de bien d’autres choses. La plupart de ces descriptions sont justes, mais incomplètes. Je ne souhaite pas fatiguer le lecteur en ajoutant mes propres observations sur ces mêmes sujets. A la place, je souhaite inviter le lecteur à partager mon voyage consacré à découvrir l’âme de ce pays, l’esprit de la nation iranienne.

Les erreurs de Washington sont, en partie, dues au fait que les informations qui lui ont été fournies, concernant l’Iran et les Iraniens, étaient biaisées. Il s’agit d’une vieille formule s’appliquant à Washington. Avant la Révolution de 1979, l’Iran accueillait une pléthore d’employés des USA. Des milliers d’agents de la CIA y étaient stationnés. Leur tâche n’était pas seulement d’apprendre des techniques de torture aux services secrets du Shah. Après tout, il s’agissait avant tout d’espions. En plus du personnel militaire qui accompagnait les équipements vendus à l’armée du Shah par les USA, on trouvait des employés officiels travaillant à l’ambassade américaine de Téhéran. Pas un seul d’entre eux n’a vu la faille [dans leur appréciation du pays].

Ils ont tous misérablement échoué à présenter une vision juste des Iraniens. Ces employés étaient tout simplement trop occupés à profiter du style de vie somptueux fourni par l’Iran. Comme les voyageurs mentionnés plus haut l’ont souvent rapporté, l’Iran est magnifique, la nourriture y est succulente, et les gens hospitaliers. Ces employés assistaient aux soirées somptueuses organisées par les proches du Shah (ou d’autres Iraniens aisés), profitant d’un mode de vie dont ils n’auraient pu rêver ailleurs. Les ambassadeurs américains distribuaient des visas aux enfants gâtés des familles [iraniennes] influentes, qui n’auraient pas pu se rendre aux États-Unis en suivant les procédures normales d’obtention de visas étudiants. Et ce sont ces Iraniens, les élites privilégiées, qui fournissaient les renseignements utilisés par les Américains en Iran. Des informations imprécises et biaisées, qui étaient directement retransmises à Washington. C’est pourquoi Washington croyait que l’Iran resterait un état client ad vitam aeternam. Le succès de la Révolution a été un véritable choc.

Durant les dernières décennies, Washington a continué d’agir en se basant sur des renseignements biaisés. Aujourd’hui, Washington se repose sur l’expertise de certains membres de la diaspora iranienne qui n’ont pas visité l’Iran depuis la Révolution. Aux côtés de ces experts iraniens, Washington s’est trouvé une autre sourced’informations, le culte terroriste de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), qui transmet à Washington les informations qui leur sont distillées par Israël. Auparavant, ce culte était occupé à se battre aux côtés de Saddam Hussein. Il n’est pas étonnant que Washington ne comprenne rien à l’Iran. Et ce que Washington ne peut concevoir, c’est la force de l’Iran, sa résistance exceptionnelle.

Grâce à ces experts, et à l’expérience personnelle de quelques visiteurs, Washington continue de croire que les habitants de l’Iran aiment les USA et qu’ils attendent d’être sauvés de leur gouvernement. C’est vrai, les Iraniens sont généreux, hospitaliers et charmants. Ils accueillent les visiteurs comme des invités, quel que soit leur pays ou leur origine. Cela fait partie intégrale de leur culture. Ils croient qu’un invité est une bénédiction de Dieu [mehmoon barekate khodast (Karime khodast)]. Mais ils n’attendent rien en retour, surtout pas qu’on les débarrasse de leurs dirigeants, bien au contraire. C’est ce que ne peut comprendre Washington.

Bien que les Iraniens apprécient les gens, quelle que soit leur nationalité, et même les Américains, ils voient l’État washingtonien pour ce qu’il est. La politique de Washington a défavorablement affecté pratiquement chaque famille d’Iran depuis plusieurs décennies. Cela inclut ceux dont les rêves et les espoirs ont été brisés par le coup d’État organisé par la CIA contre leur démocratie naissante et leur dirigeant populaire, Mossadegh. Cela inclut, plus tard, les parents, dont les enfants ont été arrêtés, torturés sans pitié, tués, ou qui ont simplement disparu aux mains de la police secrète du Shah, entrainée par la CIA et le Mossad. Et il y a les millions de veuves et d’orphelins de guerre, les soldats estropiés, et les victimes des armes chimiques fournies à Saddam Hussein par les États-Unis pour être utilisées contre les Iraniens, sous les yeux fermés des Nations-Unies. En plus de tous ces victimes, on trouve également celles du terrorisme financé par les États-Unis, notamment le terrorisme juif, et les sanctions. Des millions d’Iraniens ont une expérience directe de ce qui a été déchainé contre eux par Washington.

Ce sont ces victimes, ces familles et leurs connaissances, qui se battent pour la souveraineté iranienne, et qui sont les gardiens de cette fière nation. Ils sont à l’origine de la force de l’Iran. Ils ne sont pas simplement citoyens d’Iran, ils y participent. Comme l’a dit Victor Hugo : « Il n’existe qu’une chose plus forte que toutes les armées du monde, c’est une idée dont le moment est venu ». Il n’est d’armée sur cette Terre, qui puisse occuper, par elle-même ou par procuration, un pays que ses habitants considèrent comme leur, non par droit de naissance, mais par les batailles menées en son nom, les morts qui lui ont été sacrifiés, l’énergie dépensée à le protéger.

J’ai rencontré de nombreuses familles pour lesquelles c’était le cas, l’une en particulier m’est restée en mémoire. Sous le régime du Shah, cette famille travaillait à la ferme de mon père. Le père et son fils travaillaient aux champs et la mère aidait dans la maison. En ces temps là, cette famille et ses descendants n’avaient d’autres horizons que de continuer à travailler la terre, sans éducation et sans projets pour le futur. Mais la Révolution est venue à leur secours.

Les garçons de cette famille sont tous partis à la guerre. Un oncle y a perdu la vie, victime d’armes chimiques. Les autres ont survécu, et ont prospéré. Ils ont eu droit à une éducation gratuite, proposée par ce même gouvernement que les États-Unis cherchent à renverser. L’un de ces garçons, un homme que j’ai retrouvé après quelques 35 années, Kazem, était devenu un homme d’affaires prospère, alors que, fut un temps, il était condamné à rester un paysan. J’ai passé des heures à discuter avec des membres de cette famille, et avec Kazem en particulier. Il m’a non seulement impressionné par sa prospérité et sa réussite professionnelle, mais également pas cette sagesse, qui habituellement vient avec l’âge, et qu’il avait pourtant acquise dans sa jeunesse. Il avait de l’intelligence et de la dignité. Un homme de bien, et j’ai trouvé sa connaissance politique, tant globale qu’intérieure, bien supérieure à celle de l’occidentalisé moyen vivant à Téhéran (ou en dehors de Téhéran). Il avait vécu la guerre, vu la mort. L’Iran lui appartenait. Il se battrait pour lui, encore et encore, et mourrait pour lui s’il le fallait.

Voilà l’Iran que la diaspora a laissé derrière elle, l’Iran qui leur est inconnu. Ce pays est bien supérieur à celui que j’ai abandonné enfant, et que j’ai visité années après années. Les gardiens de l’Iran, ses protecteurs, sont tous comme Kazem. Il a été dit que la force d’une armée réside dans le soutien du peuple derrière elle. En Iran, tout le pays en est l’armée. Et c’est ce que Washington ne peut comprendre. Comme l’a très justement observé Khalid Gibran : « les âmes les plus fortes sont nées dans la souffrance, les personnalités les plus amples sont brûlées de cicatrices ». Avec chaque politique erronée, les États-Unis ajoutent aux cicatrices, renforcent le caractère et l’esprit de cette nation indissoluble. Et c’est ce que Washington ne peut comprendre.

Soraya Sepahpour-Ulrich |  Discovering Iran: a travelogue