Les autorités pénitentiaires israéliennes laissent la gale se propager en limitant l’approvisionnement en eau des détenus palestiniens et en les privant de vêtements propres et de soins médicaux.

Le photojournaliste palestinien Mo’ath Amarnih lors de sa libération après neuf mois de détention administrative dans une prison israélienne.

Pâle et frêle, avec une barbe en désordre et une prothèse oculaire, son corps émacié témoigne de la négligence et de la torture qu’il a subies à l’intérieur de la prison israélienne. « Ne vous approchez pas », crie-t-il à la foule enthousiaste qui l’entoure après sa libération. « Je ne sais pas quelle maladie je porte — j’ai une éruption cutanée et je ne peux pas prendre le risque de serrer des mains. » Mais ses parents, submergés par l’émotion, s’avancent pour l’embrasser. Il se dérobe, insistant avec crainte sur le fait qu’il ne doit pas être touché.

Mo’ath Amarnih, photojournaliste palestinien de Cisjordanie occupée, a été libéré de la prison de Ktzi’ot en juillet. En 2019, alors qu’il couvrait des manifestations contre les colonies, un soldat israélien lui a tiré une balle dans le visage, lui faisant perdre son œil gauche. Mais rien ne pouvait le préparer à ces neuf mois de détention administrative — emprisonnement sans inculpation ni procès — au cours desquels il a été détenu dans des conditions désastreuses, soumis à des abus et privé de soins médicaux alors qu’il souffre de diabète.

Amarnih fait partie des centaines de prisonniers palestinienes récemment libérés des prisons israéliennes dont les corps maigres ont été marqués par la gale — une infestation parasitaire causée par des acariens, entraînant de graves démangeaisons et des éruptions cutanées qui s’aggravent souvent la nuit et sont exacerbées par la chaleur de l’été. L’épidémie a été signalée dans de nombreuses prisons, notamment à Ktzi’ot, Nafha et Ramon dans le Naqab/Negev, à Ofer en Cisjordanie et à Megiddo, Shatta et Gilboa dans le nord du pays. Israël n’a pas fourni de données sur le nombre de prisonniers infectés.

Au cours de l’année écoulée, la population carcérale totale a augmenté de manière significative : de 16 353 le 6 octobre 2023, elle est passée à plus de 21 000 en juin de cette année, selon les données de l’administration pénitentiaire israélienne (IPS). Près de la moitié d’entre eux, soit environ 9 900 au moment de la rédaction du présent rapport, sont définis comme des « prisonniers de sûreté », dont plus de 3 300 sont placés en détention administrative.

Le photojournaliste palestinien Mo’ath Amarnih avant et après une période de neuf mois de détention administrative à la prison de Ktzi’ot.

Avec cette forte augmentation de la population carcérale, les conditions à l’intérieur des prisons israéliennes se sont considérablement dégradées. Depuis 11 mois, les détenus — qui ont subi des tortures et des abus ayant entraîné la mort d’au moins 18 d’entre eux — ne disposent que d’un seul vêtement et n’ont pas le droit d’acheter du shampoing ou du savon ; ils et elles n’ont qu’un accès limité aux douches et sont totalement privés de buanderie. De plus, la suspension des visites familiales a éliminé la possibilité de recevoir des vêtements, des draps et des serviettes propres de l’extérieur.

Le 16 juillet, une coalition de cinq organisations israéliennes de défense des droits de l’homme a déposé une pétition auprès de la Haute Cour israélienne, exigeant une intervention urgente de l’IPS et du ministère de la santé pour lutter contre l’épidémie alarmante de gale qui frappe les prisonniers palestiniens, principalement ceux des unités de sécurité. Les détenus sont souvent privés de soins médicaux et les visites de médecins dans les prisons sont devenues de plus en plus rares.

Comme le souligne le Dr Ahsan Daka, dermatologue, dans la pétition, la gale peut être traitée efficacement, mais l’endiguement de l’épidémie nécessite des conditions de vie hygiéniques. Le fait que l’IPS n’ait pas agi en ce sens suggère que la propagation de la maladie parmi les prisonniers est devenue, dans les faits, une composante de leur punition.

Je reviens de l’enfer

En mai 2023, Mohammed Al-Bazz, 38 ans, originaire de Naplouse, a été arrêté et placé en détention administrative dans la prison de Ktzi’ot, dans le Naqab, sans qu’on lui déclare pourquoi. Il avait déjà passé plus de 16 ans dans les prisons israéliennes depuis l’âge de 17 ans, mais ces expériences n’étaient rien en comparaison de ce qui allait se passer après le 7 octobre.

Peu après l’assaut du Hamas sur le sud d’Israël, la Knesset a adopté une loi permettant au ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, de déclarer l’état d’urgence dans les prisons israéliennes. Il avait déjà commencé à mettre en place une vision plus sévère pour les Palestiniens incarcérés dès son entrée en fonction au début de l’année dernière. Néanmoins, armé de ces nouvelles mesures d’urgence en temps de guerre, il s’est empressé de surpeupler les installations de l’IPS et de réduire encore davantage les droits des détenus palestiniens.

Al-Bazz, qui a été libéré en mai de cette année, n’a reçu que peu de nouvelles du monde extérieur. La première chose que l’IPS a faite après le 7 octobre a été de retirer les radios et les télévisions, de couper l’électricité et de limiter les prisonniers à une heure d’eau par jour, collectivement. « Imaginez 15 prisonniers dans une cellule qui ne reçoit de l’eau que pendant une heure grâce à un robinet et à des toilettes, et vous devez l’utiliser pour tous vos besoins », raconte-t-il à +972.

Comme tous les prisonniers, il lui était interdit de quitter sa cellule ; ils n’avaient plus droit à l’heure de sortie habituelle. Les buanderies ont été fermées et transformées en cellules supplémentaires, et les visites des familles ont été interdites, ce qui a empêché les détenus de recevoir de nouveaux vêtements de l’extérieur.

« Le soleil et l’air n’ont pas touché ma peau pendant huit mois », déclare M. Al-Bazz. « J’ai dormi sur le même matelas, sans draps ni oreiller, je me suis douché à l’eau froide, sans shampoing ni serviette, et j’ai dû remettre mes vêtements sales sur mon corps mouillé, en hiver comme en été. Cela démontre une volonté systématique de propager la maladie parmi les prisonniers par le biais d’une mauvaise hygiène ».

Le premier cas de gale a été signalé à Physicians for Human Rights — Israel (PHRI) à la mi-février, selon Naji Abbas, directeur du département des prisonniers et détenus de l’ONG. Ce prisonnier, Mohammed Shukair, avait été violemment arrêté en mai et s’était vu remettre une chemise de prison qu’il a déclaré à PHRI comme étant déjà sale. Les symptômes de la maladie ont rapidement commencé à apparaître sur sa peau, et il a été emmené à la clinique de la prison pour y être diagnostiqué.

PHRI a demandé aux services pénitentiaires de lui fournir des médicaments, et il a reçu une pommade pour traiter les symptômes. Mais son environnement n’a pas été désinfecté et ses compagnons de cellule n’ont pas été traités, cela n’a donc pas fonctionné. « La pommade ne suffit pas, car les acariens qui causent la maladie vivent sur les surfaces jusqu’à 36 heures et la personne peut être réinfectée », explique Abbas.

Al-Bazz ajoute que lorsqu’un prisonnier présente des symptômes de gale, l’IPS ne le retire pas de sa cellule et ne prend aucune autre mesure pour empêcher la propagation de la maladie parmi ses codétenus. « Ils ont même déplacé des prisonniers infectés dans des cellules où se trouvaient des prisonniers sains, ce qui a eu pour effet de contaminer tout le monde. »

« C’est la pire des maladies, je n’ai jamais rien vu de tel », poursuit Al-Bazz, la voix brisée par le chagrin. « Elle commence par de petits boutons qui se répandent sur tout le corps et provoquent des démangeaisons insupportables. Je saignais sur tout le corps à force de me gratter. Si vous demandez à aller à la clinique de la prison, ils vous aspergent de gaz lacrymogène [en guise de punition] ou vous emmènent dehors pour vous battre devant toutes les cellules ».

Al-Bazz déclare à +972 qu’il n’a reçu aucun traitement pour la gale pendant toute l’année qu’il a passée à Ktzi’ot ; en effet, les prisonniers de sûreté ont signalé qu’il n’y a pas d’accès aux cliniques de la prison ou aux médecins pour toute condition médicale. « Sous le prétexte de la guerre en cours, l’autorité [pénitentiaire] prive même les patients atteints de cancer de traitements cruciaux pendant des mois. »

Comme Amarnih, Al-Bazz est presque méconnaissable à sa sortie de prison : il a perdu 60 kilos entre octobre et mai. Il a rapidement cherché à se faire soigner à sa sortie de prison, mais étant encore porteur de la maladie, il a involontairement contaminé sa femme et ses jumeaux.

Même si la gale disparaît lentement de son corps, les tortures subies par Al-Bazz à Ktzi’ot auront un impact psychologique durable. Un incident particulier survenu lors d’une nuit froide du 22 octobre témoigne de l’horreur : selon Al-Bazz, les gardiens ont déshabillé les prisonniers, leur ont menotté les mains et lié les pieds, avant qu’un gardien n’urine sur eux.

« La plupart des gens sont gênés de raconter en détail ce que nous avons vécu », dit-il. « De nombreux prisonniers ont été violés avec divers objets ; des gardiennes regardaient, riaient et jouaient avec nos corps nus. Elles et ils prenaient plaisir à nous torturer et à nous humilier. Cela m’a rappelé Abu Ghraib, voire pire. Ils et elles nous ont battus toute la journée, à tour de rôle, de 9 heures du matin à 11 heures du soir. Je n’arrive pas à croire ce qu’ils et elles nous ont fait. Cela restera à jamais gravé dans ma mémoire. Je reviens de l’enfer. »

Mohammed Al-Bazz avant et après avoir passé un an en détention administrative dans la prison israélienne de Ktzi’ot.

Des gardiens infectés

Selon PHRI, la gale s’est déclarée dans la plupart des prisons israéliennes. « Les avocats disent que dans certaines prisons, lorsque les gardiens amènent les prisonniers pour les rencontrer, on les voit porter des gants pour ne pas entrer en contact direct avec les prisonniers », déclare Abbas. « Nous ne disposons pas de données précises, mais des prisonniers ont déclaré avoir vu des gardiens infectés par la maladie. »

« Les services pénitentiaires affirment que la maladie a été introduite dans les prisons par les personnes arrêtées à Gaza, ce qui n’est pas vrai car les prisonniers de Gaza sont séparés du reste des prisonniers », poursuit Abbas. « Et même si c’était le cas, la question n’est pas de savoir qui a introduit l’infection dans les prisons, mais ce qui peut être fait pour mettre fin à l’épidémie actuelle. »

Mais au lieu d’améliorer les conditions de détention, de réduire la surpopulation et de traiter efficacement l’épidémie de gale, l’IPS restreint encore les visites extérieures. Dans une déclaration commune du 3 septembre, le Club des prisonniers palestiniens et le Comité des affaires des détenus (CDA) ont noté que l’IPS avait informé leurs avocats que les visites prévues avaient été annulées dans les prisons de Nafha et de Ramon, sans préciser de période, sous le prétexte d’imposer une quarantaine dans toutes les sections des prisons pour contrôler la propagation de la maladie.

« Les séances du tribunal après le 7 octobre se déroulent généralement via Zoom », a déclaré à +972 Jameel Saadeh, le chef de l’unité juridique du CDA. « Pour les prisonniers atteints de la gale, les sessions sont soit annulées, soit le tribunal tient les sessions sans les prisonniers. »

Lorsque +972 a contacté un porte-parole de l’IPS pour obtenir un commentaire, celui-ci a nié l’annulation des visites extérieures et n’a pas commenté la propagation actuelle de la gale dans les prisons.

Entre-temps, Al-Bazz n’a toujours pas pris conscience de l’ampleur de la déshumanisation à laquelle il a été confronté pendant son séjour à Ktzi’ot. « Les prisonniers sont des êtres humains », déclare-t-til. « Ce ne sont pas des surhommes qui peuvent tout endurer ; elles et ils doivent simplement supporter les mauvais traitements parce qu’il n’y a pas d’autre choix. »

« Nous sommes enfermés pour une cause honorable et nous nous battons pour notre liberté », a-t-il poursuivi. « Mais en fin de compte, je suis un être de chair et d’os, avec une dignité et des émotions – un être humain qui se fatigue, qui ressent la douleur lorsqu’il est battu et qui est désespéré lorsqu’il est malade. »

Vera Sajrawi, le 25 septembre 2024

Vera Sajrawi est une journaliste palestinienne basée à Haïfa et ancienne rédactrice en chef du magazine +972.

Source : +972

Traduction :Agence Média Palestine