Ce dilemme pour Israël a précisément été au centre des discussions lors de la visite de Biden en Israël. Ce dernier a insisté pour que Biden trace une « ligne rouge » pour l’Iran : soit accepter une solution diplomatique avec Téhéran dans un délai déterminé, soit faire face à une guerre contre l’Amérique. Biden s’est défilé.
Par Alastair Crooke
Publié le 8 août 2022 sur Al Mayadeen
Sayyed Hassan Nasrallah a averti explicitement que si les droits d’exploration de la ZEE maritime du Liban vis-à-vis d’Israël n’étaient pas résolus, il entrerait en guerre. Il a même fixé une date limite : septembre. Dans un mois seulement. Dans ce contexte, il existe un précédent potentiellement explosif : la situation des champs libanais contestés (Karish et Qana) rappelle étrangement celle des champs de gaz volé dans la bande de Gaza en Palestine. Les habitants de Gaza ne peuvent que regarder les plates-formes de forage gazier israéliennes opérer à quelques kilomètres de leur propre côte, ce qui ne leur rapporte que quelques maigres pourcentages de la valeur extraite.
Le Hezbollah est déterminé à ce que les actifs énergétiques du Liban ne connaissent pas le même sort.
Pour remuer le couteau dans la plaie, le 15 juin, un protocole d’accord a été signé pour exporter ce même gaz palestinien offshore vers l’UE, qui, comme tout le monde le sait, est tout simplement à court de gaz après son erreur stratégique de se joindre à Washington pour sanctionner la Russie. L’UE paierait en retour à l’Autorité palestinienne seulement 4 % de la valeur. (L’UE, par pure coïncidence, vient cependant d’annoncer un nouveau programme d’aide à l’Autorité palestinienne, d’un montant de 224,8 millions d’euros).
La position de Sayyed Nasrallah sur l’exploration israélienne du gisement de Karish, dans les eaux libanaises contestées, pourrait cependant entraîner un changement dans le calcul de la résistance palestinienne, si la région devait sombrer dans la guerre.
Maintenant, regardons vers l’est : Alon Pinkas, ancien diplomate israélien et conseiller politique principal, reprend un commentaire d’Ali Larijani (ancien président du Majlis iranien) selon lequel « le conflit israélo-iranien ne peut être résolu par la diplomatie » , ajoutant que les responsables politiques et militaires iraniens doivent suivre de près cette évolution.
Voici le premier point d’inflexion : l’ancien Premier ministre Ehud Barak a écrit dans Time Magazine que l’Iran atteindra effectivement le seuil nucléaire. Et qu’il est trop tard pour l’arrêter : « Oui, il leur faudra encore 18 à 24 mois [aux Iraniens] pour [parvenir] à une tête de missile. Mais ces étapes peuvent être exécutées dans un petit laboratoire ou atelier – et ne peuvent pas être facilement suivies, et encore moins arrêtées ».
Donc, même si vous disposez d’excellents renseignements (ce qui n’est pas toujours le cas), et que vous savez en temps réel ce qui se passe, vous pourriez constater que vous ne pouvez pas faire grand-chose à ce sujet. La réalité est donc la suivante : Israël et (à coup sûr) les États-Unis peuvent opérer au-dessus du ciel iranien contre tel ou tel site ou installation – et les détruire. Mais une fois que l’Iran sera devenu de facto un État au seuil nucléaire, ce type d’attaque ne pourra tout simplement pas retarder le passage au nucléaire des Iraniens.
Ce que cela signifie, écrit Barak, c’est que « les États-Unis peuvent encore dissuader l’Iran de devenir nucléaire par un ultimatum diplomatique pour arrêter le programme, soutenu par la menace crédible d’une guerre à grande échelle. Rien d’autre que cela ne peut garantir un résultat. J’espère que c’est encore réaliste ».
Oui, Barak dit qu’Israël, aussi, est maintenant à un nouveau point d’inflexion. Le vieux mécanisme d’endiguement du JCPOA est dépassé ; il dit que le conflit israélo-iranien ne peut pas être résolu par la diplomatie, mais seulement par une perspective crédible de guerre.
Ce dilemme pour Israël a précisément été au cœur des discussions lors de la visite de Biden en Israël.
Israël a insisté sur le fait que Biden devait tracer une « ligne rouge » pour l’Iran : soit accepter une solution diplomatique avec Téhéran dans un délai déterminé, soit faire face à une guerre contre l’Amérique. Biden s’est défilé. Il a simplement répété qu’il était favorable à la diplomatie. Il n’a pas voulu envisager l’éventualité de l’échec du JCPOA, au grand dam du Premier ministre Lapid.
La riposte de Biden n’est pas une « stratégie » , c’est un espoir de « s’en sortir » : l’espoir qu’Israël ne tentera rien de stupide, que l’Iran se contentera de rester sur le point de faire une « percée » (ce terme est une abréviation pour la décision, suivie d’une action, de passer d’un programme civil à un armement), et que le calme pourra être préservé jusqu’aux élections de novembre aux États-Unis.
Alors, que peut faire Israël face à l’absence de réponse de Biden ? Comme l’explique Alon Pinkas : « Mettre en œuvre une approche méthodique et ferme à l’égard de l’Iran, une approche qui correspond à celle de Téhéran, non pas tant en matière de type de cible, mais en matière de stratégie. L’objectif final : réinitialiser les lignes rouges [de dissuasion] ». (Encore.)
Lapid : « Nous avons dit au monde que nous n’étions pas prêts à en supporter davantage, l’Iran dit que nous pouvons amener la guerre à votre porte, parce que vous ne l’amènerez jamais à la nôtre … ce n’est pas comme ça que ça va se passer …. Si les Iraniens amènent la guerre à notre porte, alors ils trouveront la guerre à la leur. S’ils veulent l’éviter, alors nous l’éviterons aussi ».
Pinkas paraphrase la déclaration de Lapid ainsi : « Nous avons entendu vos proclamations fastidieuses selon lesquelles vous avez l’intention de nous rayer de la carte, de raser Tel Aviv, etc. Nous avons fini de disséquer chaque mot à la recherche de sens cachés et d’ambiguïtés, nous avons compris… Alors, s’il vous plaît, écoutez ceci : si la finalité de l’Iran est l’éradication d’Israël, ce sera aussi la stratégie d’Israël »
Eh bien … nous « comprenons ». Et cette déclaration présage bien de notre deuxième point d’inflexion : le membre de la Knesset Itamar Ben-Gvir, mouche du coche d’extrême droite qui dirige le parti du Pouvoir juif, est actuellement la plus grande star de la télévision dans la politique israélienne depuis Netanyahou. Il est l’incarnation parfaite de l’éternelle « jeunesse des collines » (c’est-à-dire du radicalisme des colons). Lors des élections précédentes, Netanyahou s’est assuré qu’Itamar Ben-Gvir, un raciste déclaré, serait élu et ferait partie de la coalition au pouvoir. Nous, écrit Chuck Freilich dans Haaretz, « devons reconnaître que Ben-Gvir change la donne, qu’il unifie les ultra-orthodoxes, les colons et le Likoud en un grand bloc ».
La droite n’a pas eu de propagandiste aussi révolutionnaire depuis Netanyahou… Voilà l’enjeu. C’est l’enjeu des prochaines élections. Si Netanyahou est réélu, nous pourrions rapidement nous retrouver là où nous en étions, mais en bien pire cette fois. La coalition qui pourrait le ramener au pouvoir serait composée des forces les plus radicales et les plus sombres de l’histoire d’Israël, prévient Freilich.
Qui bluffe qui, ici ? Israël prétend « essayer de comprendre l’ultimatum de Nasrallah sur la question maritime » . Les responsables israéliens disent que le Sayyed perd son sang-froid. Il s’est, disent-ils, mis dans l’embarras au moins deux fois ces dernières semaines. Les évaluations israéliennes expliquent ainsi les propos de Nasrallah comme une tactique de diversion, en attirant l’attention sur la menace supposée d’Israël, afin de détourner l’attention de sa position délicate dans la politique intérieure libanaise.
Mais ce n’est pas ce que les hauts fonctionnaires ont dit à Biden pendant son voyage en Israël. Ils ont prévenu que Sayyed Nasrallah est très probablement sérieux dans sa menace de guerre.
Et, en ce qui concerne l’allusion à l’éradication mutuelle assurée (de l’Iran) par Israël ? Si cette éradication ne peut être réalisée de manière conventionnelle, comme Ehud Barak l’a expliqué de manière convaincante, le passage à la droite dure évoqué par Israël ne suggère-t-il pas qu’une réponse nucléaire à la « percée » pourrait bientôt être envisagée ? Ou s’agit-il d’un nouveau coup de bluff ?
Ainsi donc, à un moment où Taïwan et l’Ukraine sont au premier plan des préoccupations mondiales concernant les risques de guerre, il est bon de rappeler que Mike Pompeo, dans un discours politique réfléchi prononcé au Hudson Institute en juin, a défini Taïwan et l’Ukraine, ainsi qu’Israël, comme étant les trois pivots phares de l’action de soutien néo-conservatrice.
Alastair Crooke
Source: Al Mayadeen
Traduction: Arrêt sur info/Olinda