Caroline Galactéros fait partie de ces gens qui essaient de s’opposer au déferlement de propagande délirant auquel nous assistons depuis l’invasion russe du 24 février dernier. Comme tous ceux qui appellent à la raison et qui essaient de rappeler la réalité, elle est évidemment qualifiée « d’agent de Poutine ». Tenter de pointer et d’expliquer ce qui relevait autrefois du simple bon sens vaut insultes, excommunication, dénonciations, harcèlement médiatique, voire pourquoi pas menaces de mort. Le gouvernement ukrainien qui peut absolument tout se permettre dans ce domaine, et peut-être inspiré par ses références historiques, établit des listes d’ennemis médiatiques, dans lesquels il range tous ceux qui osent le critiquer ou émettent des réserves. Les médias-système français prennent le relais sans discuter, et gare à ceux qui disent que la paix c’est quand même mieux que la guerre, et appellent à la négociation. Immédiatement, dans une singulière inversion, fuse l’insulte suprême lancée à la face des hérétiques : « Munichois ! »

L’Ukraine en 2022 n’est pas semblable aux Sudètes en 1938

Dans un article publié le 7 octobre dernier, Madame Galactéros se plaçant sur le terrain de cette analogie explique de façon convaincante le mécanisme de l’inversion accusatoire, pour démontrer que dans ce domaine aussi « c’est celui qui le dit qui l’est ». Comme en font tous les jours la démonstration, les « experts » de plateaux dévoués à l’OTAN, pour ne prendre que cet exemple.

Le problème est que cette inversion munichoise fonctionne sur une analogie boiteuse. En septembre 1938, lors d’une conférence se tenant à Munich, les démocraties de l’Ouest européen avaient cédé aux exigences d’Hitler qui réclamait l’annexion d’une partie de la Tchécoslovaquie, les Sudètes, dont les habitants parlaient allemand. Cette capitulation dans le souci de sauver la paix avait permis à Winston Churchill une de ses citations les plus célèbres lançant au premier Britannique Neville Chamberlain de retour de Munich : « Vous aviez le choix entre la honte et la guerre. Vous avez choisi la honte et vous aurez la guerre ».

Alors on nous assène que le Donbass 2022 et les Sudètes 1938 c’est la même chose. Cela ne tient pas une seconde.

Écoutons Caroline Galactéros : « Nous formons depuis 2015, via l’OTAN, les forces ukrainiennes pour bouter la Russie hors d’Europe et la couper de l’Allemagne. Depuis le 24 février, nous inondons Kiev d’armements et sommes devenus cobelligérants de fait. Nous sommes déjà en guerre contre la Russie et pour le compte de l’Amérique ; simplement nous ne le disons pas pour ne pas devoir demander leur avis à nos peuples, et nous faisons cette guerre par Ukrainiens interposés et à leurs dépens ultimes [……] Personne en Europe ou aux Etats-Unis n’entend mourir pour le Donbass. En revanche, sacrifier les Ukrainiens en les armant sans cesse pour espérer épuiser la Russie et la mettre à terre économiquement et stratégiquement [……] Contrairement à ce que dit E. Macron, « le prix de la liberté » – le massacre de l’économie européenne – ne sauvera pas la « démocratie » ukrainienne. Ce sera la guerre directe si rien n’est fait pour casser l’engrenage et restabiliser la sécurité européenne, ce qui est illusoire sans la Russie. »

Toutes proportions gardées, il y a pourtant une analogie, qui elle fonctionne beaucoup mieux. Même si on imagine qu’elle fera hurler les petits télégraphistes de l’empire américain, invoquant immédiatement le fameux point Godwin.

L’impérialisme américain dans les têtes

Depuis Charles de Gaulle, on sait que la France est en conflit avec les États-Unis. Cela avait commencé pendant la deuxième Guerre mondiale quand Roosevelt avait tout fait pour se débarrasser du Général comme chef de la France Libre et président du Gouvernement provisoire installé à Alger. Ce fut également le projet de l’Amgot visant à faire de la France un pays occupé par les États-Unis en 1944, projet mis en échec par la virtuosité politique de de Gaulle. Après le retour de celui-ci au pouvoir en 1958, les relations avec les États-Unis furent exécrables et notre pays fut confronté à plusieurs tentatives visant à l’écarter. Des tentatives de « révolution de couleur » déjà, contre un homme qui entendait préserver l’indépendance et la souveraineté de son pays. On se rappelle bien sûr la création de la « force de frappe nucléaire tous azimuts » et le retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN, mesures justement destinées à les garantir. On se rappelle moins la phrase prononcée par de Gaulle en 1963 et rapportée par Alain Peyrefitte : « Le grand problème, maintenant que l’affaire d’Algérie est réglée, c’est l’impérialisme américain. Le problème est en nous, parmi nos couches dirigeantes, parmi celles des pays voisins. Il est dans les têtes. » Ou cette déclaration de décembre 1965 dans lequel il explique ce que doit être la position de la France : « Par conséquent, la France cherche la paix, cultive la paix, aide la paix partout. Comment ? En étant en rapport avec tout le monde. Il n’y a aucune espèce de raison pour que nous excluions d’avoir de bons rapports avec ceux-ci ou avec ceux-là. » Quiconque se prétend gaulliste sans préconiser cette orientation-là est un imposteur. François Mitterrand n’était pas gaulliste, mais cela ne l’a pas empêché d’aller plus loin dans une conversation avec Georges Marc Benamou à la fin de sa vie : « Au sujet des relations entre la France et les États-Unis : « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. » Anthony Blinken secrétaire d’État aux affaires étrangères de Joë Biden vient très tranquillement de confirmer la pertinence de cette analyse à l’occasion d’un débat tenu le 17 octobre 2022 à l’université de Stanford, avec Condolezza Rice qui l’avait précédé à ce poste sous George Bush. Les deux comparses du courant néoconservateur belliciste américain, exposent sans fard et sans complexe leur conception d’un monde nécessairement dirigé par l’Amérique en fonction de ses intérêts.

Les outils de la vassalité

Et le problème qui se pose aujourd’hui à notre pays c’est celui ,de la stratégie de cette puissance qui considère son hégémonie comme un dû, brandit en permanence son exceptionnalité et revendique son inculpabilité. Elle est l’incarnation du camp du bien et ne peut être coupable de rien. Et veille pour cela à disposer dans les pays qu’elle considère comme les vassaux de son empire, d’amis et de serviteurs qui sont les relais soigneux de sa stratégie. L’attitude de l’Europe en général et de la France en particulier dans la crise ukrainienne, avec cet alignement millimétré sur les positions américaines accompagné d’un délire russophobe inepte, que ce soit avant ou après le 24 février et l’invasion russe, en est la triste illustration. Les États-Unis consacrent des sommes considérables à cette influence, interviennent directement dans la vie politique, financent des carrières, organisent des actions tout en n’hésitant pas à mettre les dirigeants de ces pays sous des surveillances occultes. Comme l’ont démontré les révélations d’Édouard Snowden à propos des écoutes illégales dont les gouvernements européens ont été l’objet. Ils repèrent les personnes susceptibles de devenir leurs instruments, et les font participer à des programmes comme par exemple celui des « Youngs leaders ». Qui met la main sur des français issus de la politique, de la finance, de la presse talentueux et pressentis pour occuper des postes clefs dans leur pays. On ne saurait être plus transparent sur ses intentions. Consulter la liste de ceux qui sont passés par cette filière permet de mesurer l’ampleur du mal. Ne serait-ce qu’avec la constatation que les deux derniers présidents de la république française en sont issus ! Mais s’y ajoutent énormément de canaux où l’argent joue un rôle essentiel, à base de contrats, de rémunérations, d’invitations, de postes dans des universités, enfin tout ce qui assure la gratitude et la fidélité dans la défense des intérêts des USA. Et il n’est pas excessif de dire que les élites françaises gouvernementales, administratives, judiciaires et médiatiques sont inféodées à l’atlantisme. Et l’Armée n’y échappe pas non plus, où l’on se bouscule pour obtenir les postes prestigieux à l’OTAN. Ou bien lorsqu’un de ses chef d’état-major, une fois son poste quitté, s’en va occuper une confortable pantoufle dans un cabinet de conseil américain. Aujourd’hui s’y rajoutent les experts de plateaux appointés qui viennent compenser des carrières militaires médiocres en déversant sans complexe, la propagande puérile demandée par leurs nouveaux employeurs. Gare à ceux qui tentent de ne pas trop s’éloigner du réel, c’est la garantie du passage immédiat à la trappe.

Comment s’étonner alors de l’atlantisme furieux qui s’exprime dans les élites françaises depuis l’invasion russe et notamment dans son système médiatique ? Comment s’étonner du suivisme absurde et suicidaire de la France par rapport à la politique américaine, qui va plonger notre pays dans la récession et la crise sociale ? Comment s’étonner de la censure qui règne à l’encontre des opinions divergentes, comme la simple expression du souhait de voir l’ouverture de négociations de paix ? (N’est-ce pas Ségolène Royal ?). Comment ne pas être humilié par cette séquence où l’on voit au sommet du G7, un Macron, président français en bras de chemise, petit toutou trottant et jappant derrière Biden, pour tenter en vain d’attirer son attention ? Comment s’étonner enfin, à la lecture de la presse internationale, de constater que les Français affichent une servilité que même les maîtres qu’ils se sont donnés ne demandent pas. Il est vrai que l’excès de zèle est en général le propre du collabo.

Une fois encore, le goût de la soumission

Parce que bien sûr, la France n’est pas un pays militairement occupé, mais si de Gaulle avait déjà raison au début des années 60, la situation s’est malheureusement terriblement dégradée pour être aujourd’hui encore pire. Eh oui, « le problème est en nous, parmi nos couches dirigeantes, parmi celles des pays voisins. Il est dans les têtes. » Alors assurément, sous ce couvercle étouffant on peut avoir le sentiment d’un pays intellectuellement et politiquement occupé. Ces couches dirigeantes, ce bloc élitaire qui maîtrise l’essentiel des moyens de communication et a toutes les manettes du pouvoir se vit aujourd’hui plus atlantiste encore que les Américains. Et il n’est pas abusif de considérer que ce sont ceux-là qui se comportent comme des « collaborateurs » de cet Empire étranger. Il y a d’ailleurs un signe qui ne trompe pas. La consultation de la presse américaine beaucoup moins monolithique que la française, répétons-le, permet de constater que les Américains ne sont pas dupes. Et dans leurs propos on voit s’exprimer une sorte de mépris qui n’est pas à notre honneur.

Le monde change rapidement, et dans l’affrontement Occident contre reste du monde, la France appliquant les enseignements du général de Gaulle, aurait dû jouer un tout autre rôle que celui voulu par ces élites. Qui ont choisi ce soutien aveugle à une stratégie américaine qui nous emmène nécessairement à l’échec.

Dont elles porteront la responsabilité pleine et entière.