John Lennon chantait l’amour et la paix. Assassiné à New York le 8 décembre 1980, à l’âge de 40 ans, par Mark Chapman, un inconnu en quête de célébrité, John Lennon était alors l’un des artistes les plus aimé. Toutefois les gens ignoraient le plus souvent combien il a souffert pour sa critique de l’ordre établi. Silvia Cattori.

Les Etats-Unis contre John Lennon

Par Jon Wiener | 12 septembre 2006

Avec le documentaire « The U.S. vs. John Lennon » [Les Etats-Unis contre John Lennon], racontant la campagne du Président Richard Nixon pour expulser le Beatles à crinière à cause de son militantisme anti-guerre, l’historien de John Lennon et consultant cinématographique Jon Werner écrit que le Président Bush est allé beaucoup plus loin que Nixon dans son utilisation des lois sur l’immigration pour se débarrasser des non-ressortissants que la Maison-Blanche n’aime pas.

Le nouveau documentaire « The U.S. vs. John Lennon » raconte l’histoire de la métamorphose de John Lennon, garçon charmant aux cheveux longs devenu militant anti-guerre, et rappelle les faits concernant la campagne de Richard Nixon pour l’expulser en 1972, dans un effort pour le réduire au silence en tant que voix du mouvement de la paix. Les réalisateurs ont obtenus de quantités de personnes qu’elles parlent de Nixon et de Lennon devant la caméra, y compris Walter Cronkite, Gore Vidal, Mario Cuomo, George McGovern, Angela Davis et Bobby Seale, avec G. Gordon Liddy représentant l’autre camp. Ce film inclut aussi des images d’archives de Nixon et de J. Edgar Hoover et a pour vedette John Lennon, ainsi que son esprit mordant et sa musique géniale. Il sortira le 15 septembre à Los Angeles et à New York, puis dans tous les Etats-Unis le 29 septembre. L’histoire de la tentative de Nixon d’expulser Lennon est aujourd’hui d’actualité parce que l’expulsion et la question plus vaste des droits politiques des immigrés sont devenus un problème au central de la politique américaine.

L’affaire de l’expulsion de Lennon a une genèse peu ordinaire. Elle a commencé lorsque Strom Thurmond [1], le sénateur républicain de Caroline du Sud, envoya en 1972 une lettre à la Maison-Blanche. Thurmond y résumait les plans de John Lennon pour une tournée de concerts aux Etats-Unis qui combinerait la music rock avec l’organisation anti-guerre et l’inscription sur les listes électorales — 1972 fut l’année où le droit de vote fut accordé à partir de 18 ans. Nixon préparait sa réélection et s’inquiétait des 11 millions nouveaux électeurs qui étaient probablement des fans des Beatles et pour la plupart contre la guerre. Le mémo de Thurmond faisait remarquer que Lennon était aux Etats-Unis en tant que ressortissant britannique et conclut que « son expulsion serait une contre-mesure stratégique ».

Le reste de l’histoire a été documenté dans le dossier de Lennon au FBI, que j’ai demandé en vertu de la Loi sur la Liberté d’Information de 1981, peu après son assassinat. Le FBI a déclaré qu’il avait un dossier de 281 pages sur Lennon, mais qu’il en retenait la plupart, prétendant qu’elles étaient des documents de « sécurité nationale ». Le gros de ce dossier fut publié en 1997, après 15 années de litiges — j’étais le plaignant, représenté par L’ACLU [American Civil Liberties Union] de la Californie méridionale et Morrison & Foerster LLP — dans mon livre « Gimme Some Truth: The John Lennon FBI Files. » [Donnez-moi un peu de vérité : Le dossier de John Lennon au FBI].

L’histoire de Nixon contre John Lennon pris fin, bien sûr, lorsque Nixon quitta la Maison-Blanche. Et Lennon est resté aux Etats-Unis. Mais il n’était pas qu’une célébrité mondiale ; bien qu’il fût un « étranger », il était un homme blanc de Grande-Bretagne. On se demande ce qui se serait passé s’il avait été un homme de couleur venant d’un pays musulman ! L’administration de George W. Bush est allée bien plus loin que Nixon dans son utilisation de la loi sur l’immigration pour empêcher d’entrer dans le pays ceux qui critiquent la politique étasunienne et pour se débarrasser des non-ressortissants que la Maison-Blanche n’aime pas.

Lennon reçut l’autorisation d’entrer aux Etats-Unis en 1970, mais, depuis le 11 septembre, des musiciens et des artistes de toutes sortes, cherchant à se rendre aux Etats-Unis, se sont heurtés à de nombreux obstacles. Une nouvelle loi, la « Loi de 2002 sur l’amélioration de la sécurité aux frontières et la réforme des visas »[Enhanced Border Security and Visa Reform Act of 2002], exige que les gens cherchant à se rendre aux Etats-Unis, à partir de l’un des sept pays qui apparaissent sur la liste du Département d’Etat des « Etats soutenant le terrorisme », subissent des contrôles supplémentaires sur leur passé. Le résultat n’est pas exactement de la censure, parce qu’à l’ère de la reproduction mécanique, les films et les musiques de ces artistes peuvent toujours être vus et écoutées ici. Néanmoins, cette mesure sévère représente vraiment une forme d’attaque, dont la motivation est politique, contre les artistes que le gouvernement considère indésirables pour des raisons politiques.

Parmi les personnes les plus en vue à avoir été la cible de l’INS [l’Institut de Sécurité Nationale], se trouvaient 22 membres de la délégation cubaine des Latin Grammy Awards de 2002 de Los Angeles, empêchés d’y participer. L’un de ceux a qui l’on a refusé un visa est le pianiste de jazz Chucho Valdes, qui a remporté leLatin Grammy de cette année en tant que meilleur album instrumental pop. (Cuba a été dépeint par l’Administration Bush comme une nation qui a assisté al-Qaïda — un argument absurde.) Le réalisateur iranien, Abbas Kiarostami, internationalement reconnu et qui a remporté la Palme d’Or à Cannes en 1997 pour le « Goût de la Cerise », n’a pas pu non plus obtenir de visa pour assister à la première de son nouveau film lors du Festival du Cinéma de New York. Kiarostami s’était rendu auparavant sept fois aux Etats-Unis. Ces cas sont plus scandaleux que celui de John Lennon. Pas seulement parce que l’on a empêché les Américains de voir et d’entendre ces artistes en personne, mais aussi parce qu’ils ont été visés par l’INS, pas pour des actes qu’ils auraient commis en tant qu’individus — mais à cause de leurs origines nationales. Ils venaient de pays que l’administration Bush a définis comme ennemis des Etats-Unis.

Ensuite, il y a les jeunes gens de pays musulmans qui ont été raflés par l’INS depuis le 11/9 et expulsés. Contrairement à John Lennon, ils n’étaient pas des critiques déclarés de la politique étrangère américaine. Leur crime était simplement d’être de jeunes hommes musulmans. Selon Human Rights Watch, dans les semaines qui ont suivi le 11/9, le Département de la Justice a exigé que des milliers de non-ressortissants, sur une liste de pays musulmans, se présentent aux autorités pour être interrogés et fichés, avec prise de leurs empreintes digitales ; au moins 760 ressortissants étrangers furent arrêtés et détenus sur des accusations relatives à l’immigration. Nombre d’entre eux furent détenus pendant des mois sans être accusé du moindre crime. Ils se sont vus refuser le droit d’être assisté par un avocat et la possibilité d’être libérés sous caution. Ils ont été soumis à des « conditions extrêmement dures d’isolement, comprenant des cas d’abus physique et verbal », et ensuite jugés lors d’audiences d’expulsion secrètes. Les jugements secrets sont anathèmes à la démocratie. Et un an plus tard, une cour d’appel fédérale a fait tomber la politique excessive du gouvernement, consistant à conduire des audiences secrètes d’expulsion dans des procès d’après le 11/9, en violation du Premier Amendement.

Si Bush a augmenté de façon spectaculaire le nombre d’étrangers qui se voient refuser l’entrée aux Etats-Unis pour des raisons politiques, Nixon a montré la voie avec Lennon. Mais Nixon n’était vraiment pas le premier à utiliser la loi américaine sur l’immigration pour expulser des radicaux « indésirables » qui n’étaient pas des ressortissants [américains]. Les périodes de guerre ont souvent été le cadre d’initiatives destinées à réduire au silence les militants anti-guerre. L’affaire Lennon a quelques points communs troublants avec celle des opposants à l’entrée des Etats-Unis dans la Première Guerre Mondiale. La chef de file anarchiste, Emma Goldman, fut expulsée en 1919 après s’être élevée contre la 1ère Guerre Mondiale et en faveur de l’anarchisme. Immigrée, elle avait reçu la nationalité américaine, qui lui fut retirée en 1908, au motif qu’elle était anarchiste. Elle tomba sous le coup de la Loi de Sédition de 1918, qui donnait au gouvernement fédéral le pouvoir de déclarer non-ressortissants des « étrangers indésirables » et de les expulser. Des milliers d’autres radicaux anti-guerre furent expulsés en même temps qu’elle. (Cette même loi comprenait une attaque massive contre la liberté d’expression — utiliser « un langage déloyal, impie, calomnieux ou abusif » vis-à-vis du gouvernement, du drapeau ou des forces militaires pendant la guerre était devenu un crime et l’envoi de publications anti-guerre par courrier était désormais interdit).

La Loi de Sédition ayant été abrogée en 1921, Nixon, par conséquent, n’avait pas le pouvoir de déclarer Lennon « étranger indésirable » et de l’expulser pour ce motif. Au lieu de cela, l’administration Nixon a soutenu que Lennon avait été admis en premier lieu par erreur aux Etats-Unis — parce que selon la loi sur l’immigration d’alors, quiconque ayant été reconnu coupable de détention de drogue, même en quantité minime, quelles que soient les circonstances, était inéligible à l’admission aux Etats-Unis et Lennon avait plaidé coupable du délit de possession de cannabis, à Londres en 1968. (Il a soutenu que ce haschich avait été placé par la police.) Pendant la 2ème Guerre Mondiale, bien sûr, le gouvernement plaça en détention ceux qu’il considérait comme des étrangers indésirables, plutôt que de les expulser — et, bien sûr, un grand nombre des 150.000 ressortissants japonais et d’Américains d’origine japonaise, envoyés àManzanar et dans d’autres « centres de transfert », n’étaient pas des militants anti-guerre ou des non-ressortissants ; ils étaient visiblement tous loyaux envers les Etats-Unis et un tiers d’entre eux avaient la nationalité américaine.

La répression gouvernementale durant la Guerre Froide a apporté une autre vague d’expulsions. Plusieurs commentateurs ont dit que le seul précédent de chasser du pays un radical déclaré comme Lennon fut l’attaque contre Charlie Chaplin, qui, comme Lennon, était resté citoyen britannique après avoir déménagé aux Etats-Unis. Chaplin fut la cible de Hoover et des autres McCartyistes du FBI. Il fut dénoncé pour « activités anti-américaines » et sympathies communistes. Il fut assigné en justice en 1947 par la Commission sur les Activités Anti-Américaines de la Chambre des Représentants, mais obtint à trois reprises le report de son audition et n’y parut jamais. En 1952, il se rendit à Londres pour la première de son nouveau film « Les Feux de la Rampe ». Pendant qu’il était en Angleterre, le Service d’Immigration [américain] révoqua son permis de ré-entrer aux Etats-Unis, et il décida donc de s’établir à Vevey, en Suisse. Lennon, peut-être conscient de l’histoire de Chaplin, ne quitta pas les Etats-Unis tant que son audience d’immigration était en attente, et il ne connut pas le sort de Chaplin.

Par certains côtés, le parallèle le plus proche que l’on peut faire avec l’affaire Lennon fut celle de Picasso. En 1950, Pablo Picasso demanda pour la première fois un visa pour entrer aux Etats-Unis. L’objet de la visite de l’artiste était de conduire 12 délégués du Congrès Mondial pour la Paix à Washington, dans une initiative destinée à convaincre le Président Truman et le Congrès des Etats-Unis de bannir la bombe atomique. Le congrès pour la paix, qui avait été fondé un an plus tôt à Paris et à Prague, était un front communiste et avait été identifié comme tel. Et Picasso lui-même était un membre prééminent du Parti Communiste Français ; le FBI le surveillait depuis 1944. Après avoir consulté les ambassades américaines à Paris et à Moscou, et conféré avec des sénateurs, des membres de la Chambre et le FBI, le Département d’Etat refusa en mars 1950 des visas à l’ensemble de la délégation, y compris Picasso. Les charges étaient que le « célèbre peintre » et ses collègues de la délégation étaient « des compagnons de route communistes notoires » et donc « sujets à l’exclusion, en vertu des lois sur l’immigration ». C’était une nouvelle énorme : le New York Times publia une photo de Picasso en page 9 sous le titre « Entrée refusée aux Etats-Unis ».

La politique de Picasso, cette année-là, pouvait se résumer à un seul mot : « paix ». C’était l’année où il peignit une colombe comme symbole de paix, une image qui est devenue l’icône du mouvement mondial pour la paix en 1950, reproduite sur des affiches et des timbres-poste dans le monde entier. La colombe était la version de Picasso de « All we are saying is give peace a chance » [Le slogan de Lennon, « Tout ce que nous disons est de donner une chance à la paix »].

Lennon se vit refuser, lui aussi, un visa lors de sa demande pour entrer aux Etats-Unis en 1969 pour sa campagne pour la paix — il voulait tenir un « bed-in pour la paix » aux Etats-Unis dans la lignée de son « bed-in » à Amsterdam, où lui et Yoko avaient déclaré que leur lune de miel était une manifestation politique et ils passèrent une semaine au lit au Hilton d’Amsterdam, donnant des interviews sur leur position anti-guerre. Après s’être vu refuser l’entrée aux Etats-Unis, Lennon se rendit au Canada où il espérait atteindre les médias américains de l’autre côté de la frontière. Lors du second « bed-in » pour la paix, à Montréal, il a enregistré « Give Peace a Chance. » Mais l’année suivante, il fut admis aux Etats-Unis et, contrairement à Picasso, il put donc mener sa campagne pour la paix à l’intérieur des Etats-Unis.

La grande question derrière l’histoire de « The U.S. vs. John Lennon » est l’abus de pouvoir de la Maison-Blanche, en particulier le pouvoir d’expulser des radicaux, des militants et ceux qui critiquent le président. La question est : Que pouvons-nous faire aujourd’hui pour combattre ce type d’abus de pouvoir ? Certaines personnes disent : « Nous avons besoin d’un nouveau John Lennon pour mener le lutte ». Mais Lennon lui-même avait une bien meilleure réponse, qu’il mit, comme à son habitude, en chanson : « Power to the people. » La seule véritable solution contre l’abus de pouvoir au sommet est de renforcer la démocratie en bas, d’aider à la mobilisation de gens ordinaires pour lutter pour leurs droits — y compris les droits des non-ressortissants. Même si John Lennon était l’une des personnes les plus célèbres au monde — et une personne disposant de beaucoup d’argent pour ses dépenses d’avocats — il eut [quand même] besoin de beaucoup d’aide pour gagner son procès. Aujourd’hui, les cibles des services de l’immigration de l’administration Bush ont besoin de beaucoup plus d’aide — et cela revient à ceux d’entre nous qui bénéficions des droits que confère la citoyenneté d’apporter cette aide.

Par Jon Wiener | 12 septembre 2006

Jon Wiener enseigne l’histoire à UC Irvine. Il a écrit « Gimme Some Truth: The John Lennon FBI Files » et écrit occasionnellement pour The Nation et fut le consultant historique du film « The U.S. vs. John Lennon. »

Article original: John Lennon and the Politics of Deportation

Traduit de l’anglais