La situation dans la province d’Alep évolue à grande vitesse. Les villages aux mains des djihadistes dans la province d’Alep sont la cible depuis deux semaines d’une intense offensive lancée par l’armée syrienne. Ses troupes ont repris samedi 13 février le contrôle du village de Tamura, situé sur les hauteurs de la cité d’Alep. Elles ont également pris le contrôle des villages de Azaz et Tel Rifat, bloquant tout le secteur au Nord par où les armes et les mercenaires venus de Turquie arrivaient.
Un habitant d’Alep a accordé à Arrêt sur Info ce bref entretien touchant les développements de la situation. Il précise que, contrairement à ce qu’affirment nos médias, l’offensive en cour depuis plusieurs semaines n’a pas encore touché Alep, et que les « vagues de civils » ne fuyaient pas les « bombardements russes sur Alep »…
SC.- Quelles sont les conséquences de l’offensive qui frappe Alep et ses environs pour ceux qui y vivent ?
Je dois préciser qu’il n’y a pas en ce moment de bataille dans la ville d’Alep elle-même. A Alep, il y a, comme d’habitude, des tirs de mortiers et de bombonnes de gaz lancés par les groupes armés contre les quartiers sous contrôle de l’Etat : ils détruisent des immeubles, tuent et blessent des civils. Et les ripostes de l’armée gouvernementale qui frappe les zones tenues par les djihadistes d’où partent les tirs. Mais ce n’est pas maintenant pire qu’avant.
SC.- Alors les images de maisons en ruine et de civils frappés par les avions russes dont nous voyons les images sur nos antennes ne sont pas prises à Alep ? L’offensive de l’armée syrienne dite « bataille d’Alep » se déroule en fait en dehors d’Alep ?
L’offensive lancée par l’armée syrienne se concentre sur les villes et les villages au nord, sud et à l’est d’Alep. L’armée est en train de pousser le plus loin possibles les groupes terroristes qui encerclent Alep. C’est là dans ces villages occupé depuis 3 ans par les groupes armés, que se concentrent les attaques les plus intenses pour desserrer l’étau qui étouffe la ville.
SC.- Combien de personnes vivent dans la partie d’Alep sous le contrôle de l’Etat d’une part, et combien de civils vivent dans la partie occupée par les groupes armés d’autre part ?
Peuplée d’environ 1,6 million d’habitants en 2009 la partie d’Alep sous contrôle de l’Etat compte aujourd’hui quelques 2 millions d’habitants, suite à l’arrivée de Syriens qui ont fui les zones rebelles. Je ne sais pas combien de personnes il y a dans la partie tenue par les rebelles.
SC.- Donc, les images de ruines attribuées aux bombes russes, les images de civils blessés et paniqués que l’on nous a montré sur nos médias comme touchant Alep (1) ne correspondent pas à ce qui se passe dans la cité ?
A Alep, c’est plutôt calme. Les gens fêtent la Saint Valentin. Même s’il n’y a plus d’électricité depuis 4 ou 5 mois et si la vie n’est pas sans difficultés, les gens vivent mieux qu’en 2012, après le début de la guerre à Alep. Les gens sont très confiants et pensent que l’armée a toutes ses chances de parvenir à libérer les villes et les villages occupés par les terroristes et d’en finir avec le siège.
S.C.- Est-ce à dire que les ONG et les politiciens qui accusent les frappes russes d’avoir tué de nombreux civils et d’avoir provoqué l’exode de 100.000 civils ces deux dernières semaines mentent ?
Quand l’armée syrienne après d’intenses combats, appuyée par les avions russes, a fini par déloger les terroristes qui maintenaient sous siège les villages de Nabul et Zahra au nord d’Alep (2), les villageois les ont accueillis avec joie. Ils ne se sont pas enfuis. Cela montre bien que l’offensive de l’armée ne vise pas les civils mais ceux qui les maintiennent en otage. Si les villageois étaient hostiles à Assad ils se seraient enfuis. Les supposés civils que l’on voit s’enfuir vers la Turquie sont des combattants et leurs familles.
SC.- Ce ne se sont pas des civils ?
Les femmes et enfants qui se sont enfuis en Turquie sont liés aux groupes armés. Les civils qui n’ont aucune attache de famille ou de sympathie avec les terroristes ne fuient pas.
SC.- Il est reproché à Assad et à la Russie de ne pas combattre l’EI ; de s’attaquer à des « rebelles modérés », à une « opposition modérée ». Quel est votre avis ?
Différencier les divers groupes est aberrant. Tous les combattants qui portent des armes en Syrie et les dirigent contre la population sont des terroristes ; ils mènent conjointement une guerre visant à détruire notre Etat pour mettre à sa place des extrémistes comme on l’a fait en Libye.
SC.- Les millions de Syriens qui sont partis n’ont pas fui Assad ?
Le fait que des Syriens quittent le pays n’indique pas forcément qu’ils sont hostiles à la politique de leur Etat. Tous les Syriens qui sont entrés en Turquie depuis 4 ans ne sont pas forcément des gens qui cherchent un refuge, un statut de réfugié. Il y a des Syriens qui vont vivre en Turquie en attendant que la situation s’améliore. Il y a des Syriens qui sont liés aux groupes armés, des Syriens fanatisés qui vont et viennent comme bon leur semble. Le chiffre que l’on avance de 2, 5 millions de réfugiés en Turquie demande confirmation. Combien sont inscrits officiellement comme réfugiés ? Le chiffre avancé permet à la Turquie d’exercer un chantage sur l’Europe et de lui extorquer des avantages. Un grand nombre de Syriens qui quittent la Syrie ne fuient pas le gouvernement. Ce sont des gens qui veulent vivre en paix, pas des opposants. Ils ne partent pas parce qu’ils ont peur du gouvernement. Ceux qui disent avoir été persécutés par le gouvernement, soit ils mentent pour obtenir de bonnes conditions de séjour comme réfugié en Europe, soit ils sont liés aux groupes armés et leurs familles.
Ma famille à Alep n’a pas fui, ne fuit pas. Mes amis et voisins non plus. Tous sont dans l’attente que l’armée finisse par déloger les terroristes des villes et villages et nous ramener la paix. Les grandes villes attaquées par les groupes armés, Hama, Homs, Alep, Damas, Tartous, Lattaquié sont toutes pro gouvernementales.
Beaucoup de civils qui partent n’ont rien contre le gouvernement. Ils pensent revenir. Ce sont les difficultés économiques due en grande partie aux sanctions et l’insécurité générée par la présence terroriste, qui les poussent à fuir. Ils n’ont pas forcément besoin d’être accueillis comme réfugiés. Je connais des Syriens qui sont allés en France pour un temps et quand ils ont demandé une carte de séjour provisoire, sans demander le statut de réfugiés, il leur a été demandé de signer une déclaration disant qu’ils souffrent de persécution de la part du gouvernement syrien.
En Syrie l’immense majorité des citoyens pensent comme moi et sont confiants en la victoire de leur gouvernement. Ce n’est pas à la France de décider si Assad est légitime ou pas. Ni aux journalistes de le condamner. Ce n’est pas leur affaire. C’est l’affaire des Syriens qui vivent en Syrie.
Propos recueillis par Silvia Cattori, le 13 février 2016
[1] Ce témoin affirme que l’offensive de l’armée syrienne ne frappait pas la ville d’Alep, que l’aviation russe ne tuait pas les civils comme cela a été rapporté.