Haidar Hijazi, un enfant libanais de cinq ans, est hospitalisé après avoir été blessé par une frappe aérienne israélienne qui a visé son village natal dans le sud du Liban, le 27 septembre 2024 ( © AFP).

Le public est soumis à une campagne sans précédent de propagande médiatique visant à dissimuler les véritables objectifs d’Israël alors qu’il étend le massacre…

Plus Israël intensifie sa guerre au Moyen-Orient, plus les médias occidentaux intensifient la guerre contre nos consciences.

Les médias de l’establishment, comme la BBC, utilisent le langage de leurs reportages comme arme contre le public, tout aussi efficacement qu’Israël a utilisé des outils technologiques primitifs contre le peuple libanais.

La semaine dernière, des milliers de Libanais ont été mutilés par l’explosion de beepers et de talkies-walkies. Parallèlement, la couverture médiatique empêche les opinions publiques occidentales de comprendre comment et pourquoi Israël attise dangereusement le feu dans toute la région.

Des mots comme “audacieux”, “escalade” et “cibles” sont devenus des outils pour dissimuler le sens, et non pour l’éclairer – et ce pour une bonne raison. Parce que les actions d’Israël sont si manifestement criminelles, si manifestement horribles, si manifestement génocidaires. Le langage devient une arme pour masquer la vérité.

Le refrain des médias est le suivant : Israël attaque le Liban pour mettre fin aux tirs de roquettes du Hezbollah et permettre aux habitants des communautés les plus septentrionales d’Israël de rentrer chez eux. Ou encore, dans le langage plus brutal et orwellien des responsables israéliens qui encadrent ce spectacle d’horreur : “Israël doit ‘escalader’ pour désescalader”.

Les civils libanais paient le plus lourd tribut – quelque 550 d’entre eux ont été tués au cours de la seule première journée de la campagne de bombardement israélienne. Des dizaines de milliers de personnes ont été chassées – nettoyées ethniquement – du territoire du Sud-Liban.

Pourquoi ? Parce que, selon Israël, le Hezbollah a caché son arsenal de roquettes dans leurs maisons. Ces maisons doivent donc être détruites. Curieusement, le Hezbollah semble avoir oublié qu’il dispose de vastes terrains rocailleux dans le sud du Liban où il pourrait plus sûrement et plus judicieusement dissimuler son arsenal.

Si cette histoire vous semble familière, c’est parce qu’elle l’est. Il s’agit du même scénario que celui utilisé pour justifier le massacre de Gaza. Ensuite, les médias ont répété sans réfléchir les discours israéliens sur la destruction de Gaza par Israël pour “éliminer le Hamas”.

Quelque 2,3 millions de Palestiniens auraient dû être forcés de quitter leurs maisons pour leur propre sécurité, alors même qu’Israël les tuait dans ces mêmes “zones de sécurité”.

À l’époque, comme aujourd’hui, les médias nous ont présenté des vidéos de propagande israéliennes générées en images de synthèse et montrant des “centres de contrôle et de commandement” souterrains censés se trouver sous des hôpitaux et d’autres infrastructures vitales qu’Israël voulait voir détruites.

Cette fois encore, les médias diffusent sans esprit critique des vidéos de propagande israéliennes tout aussi ridicules montrant des roquettes du Hezbollah cachées dans des salons libanais.

Qui a le droit de se défendre ?

Sur les 9 600 attaques transfrontalières, Israël en a commis 7 845 – soit les quatre cinquièmes – et a commencé à le faire le 7 octobre même. En fait, les graphiques montrant les “attaques transfrontalières” depuis le 7 octobre de l’année dernière – lorsque le Hamas s’est échappé durant une journée du camp de concentration qu’Israël avait créé à Gaza pendant des décennies – suggèrent à quel point la narration d’Israël selon laquelle il a bombardé le Liban pour “faire cesser les tirs de roquettes du Hezbollah” est totalement factice.

Ce que les graphiques ne peuvent pas montrer, c’est la nature asymétrique de ces échanges.

Les roquettes du Hezbollah ont causé beaucoup moins de dégâts à Israël que les bombes et missiles israéliens, bien plus nombreux et bien plus puissants. Au cours de la troisième semaine de septembre, Israël a tué plus de 750 Libanais, contre 33 Israéliens. La différence est encore plus marquée aujourd’hui.

Et pourtant, les médias occidentaux n’ont pas qualifié les attaques du Hezbollah de “droit de se défendre” – un droit dont on nous rappelle sans cesse qu’il n’appartient qu’à Israël.

Pourquoi la priorité a-t-elle été donnée à la nécessité pour Israël d’“arrêter” les roquettes du Hezbollah, moins nombreuses et pour la plupart non létales, plutôt qu’à la nécessité pour le Liban d’arrêter les bombes israéliennes, plus nombreuses et bien plus meurtrières ?

Mais surtout, Israël ne veut pas que l’opinion publique occidentale soit exposée à d’autres raisons, plus plausibles, pour lesquelles le Hezbollah tire des roquettes depuis un an – ou à ce qu’il faudrait faire pour qu’il cesse de le faire. Et les médias occidentaux aident habilement Israël à dissimuler ces raisons.

Le Hezbollah a indiqué à plusieurs reprises que ses tirs de roquettes cesseraient si Israël se retire de Gaza et cesse d’y massacrer des dizaines de milliers de Palestiniens, comme l’exige le droit international.

Dans deux décisions distinctes, la Cour internationale de justice (CPI) a estimé que l’occupation par Israël des territoires palestiniens, qui dure depuis des décennies, est illégale et constitue un acte d’agression contre le peuple palestinien qui doit cesser, et qu’il est “plausible” qu’Israël commette un génocide à Gaza.

Bien que personne à la BBC ou ailleurs ne l’admette jamais, le Hezbollah est en fait beaucoup plus proche du respect du droit international que les États occidentaux comme les États-Unis, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, qui contribuent tous à armer et à soutenir le génocide “plausible” d’Israël.

Combler les vides

Les médias occidentaux refusant de fournir un contexte significatif aux actions du Hezbollah, le récit égocentrique d’Israël occupe le terrain : on part du principe que le Hezbollah – et peut-être tous les “Arabes” – n’est animé que par un désir irrationnel et antisémite d’assassiner les Juifs d’Israël.

Il en résulte que le Liban mérite tout ce que lui fait subir Israël.

Jeremy Bowen, rédacteur en chef de la BBC pour le Moyen-Orient, a habilement huilé cette mécanique lors du journal télévisé du lundi soir en décrivant le Hezbollah dans les termes suivants : “Combattre Israël est dans leur ADN, voilà pourquoi ils existent”.

Ignorons l’amalgame que fait Bowen entre l’aile militaire du Hezbollah et ses branches politique et sociale – précisément la vision israélo-centrée du Hezbollah imposée par le gouvernement britannique en désignant l’ensemble du mouvement comme une “organisation terroriste”.

Les hommes politiques du Hezbollah, les fonctionnaires, les policiers, les médecins, les enseignants et les administrateurs qu’il emploie pour faire fonctionner les institutions du Liban – “l’État dans l’État”, comme l’appellent les médias – n’existent-ils que pour “combattre Israël” ? Est-ce vraiment la seule raison de leur existence ?

Mais même si nous ignorons tout des civils impliqués au sein du Hezbollah et que nous nous concentrons exclusivement sur son aile militaire, la caractérisation de Bowen est-elle impartiale, juste, voire exacte ?

Le Hezbollah n’est pas mû par une pure soif de sang pour “combattre Israël”, comme le suggère l’expert en Moyen-Orient de la BBC. Pour de nombreux citoyens libanais, il est là pour protéger leur pays d’une armée israélienne qui interfère agressivement dans ses affaires depuis des décennies, bien avant que le Hezbollah n’existe.

Israël a envahi le Liban à plusieurs reprises, a supervisé des massacres horribles tels que ceux de Sabra et Chatilla, a occupé les terres du sud du Liban pendant près de deux décennies, a bombardé ses infrastructures, s’est immiscé dans sa politique, a truffé son territoire de bombes à fragmentation et a effectué des vols agressifs avec des avions de combat au-dessus de son territoire, violant l’espace aérien libanais, sans relâche pendant tout ce temps.

Pour de nombreux citoyens libanais, le Hezbollah existe parce que le Liban avait besoin d’une force de combat militaire crédible pour repousser l’armée d’occupation israélienne – ce qu’il a finalement réussi à faire en 2000 – et bloquer toute réapparition.

Il existe pour dissuader Israël de continuer à intervenir au Liban, tout comme le Hamas existe pour tenter de faire payer à Israël la brutalité, par ailleurs lucrative, dont sont victimes les Palestiniens sous occupation.

Mais si Bowen pense vraiment que ce type de raisonnement réducteur sur le Hezbollah est juste, il devrait être cohérent et décrire l’armée israélienne de la même manière. Les soi-disant forces de défense israéliennes n’existent-elles que pour “combattre ses voisins arabes ?”

Guerre d’agression

Il existe de nombreuses raisons plausibles pour lesquelles Israël attaque le Liban, qui n’ont rien à voir avec “l’arrêt des tirs de roquettes” – et pourtant, elles sont toutes passées sous silence par la BBC et d’autres organes de presse occidentaux.

Israël a beaucoup à gagner en étendant sa guerre génocidaire contre Gaza à l’ensemble de la région.

Cette nouvelle guerre détourne utilement l’attention de l’échec d’Israël à réaliser son objectif avoué d’“éliminer le Hamas” à Gaza, et de ses crimes de guerre, et ce au moment même où la CPI s ‘apprêterait à approuver un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour crimes contre l’humanité. Dans le climat actuel de fièvre de la guerre, ces mandats peuvent à peine être mentionnés.

Les immenses souffrances de Gaza, qui ne cessent de s’aggraver, ont complètement disparu du radar de l’actualité.

La guerre régionale permet d’accroître utilement la pression – certes minime – exercée par les alliés occidentaux sur Netanyahu pour qu’il mette fin au massacre de Gaza.

Netanyahu ne peut se permettre de relâcher son discours belliciste, car toute initiative en faveur d’un cessez-le-feu mettrait sa coalition en danger, pourrait l’évincer du pouvoir et accélérerait son procès pour corruption et la probabilité qu’il soit emprisonné.

L’intensification de la guerre a déjà ravivé le soutien à Netanyahu et à son gouvernement, à un moment où celui-ci était soumis à des pressions croissantes au niveau national, sous l’impulsion des familles des otages israéliens à Gaza, pour parvenir à un cessez-le-feu.

Aujourd’hui, les discussions sur un cessez-le-feu à Gaza ont été submergées par les encouragements à une deuxième campagne de massacre, cette fois au Liban.

Et surtout, une guerre régionale provoquée par Israël, qui entraînerait non seulement le Hezbollah mais aussi l‘Iran, obligerait Washington à s’impliquer encore plus activement dans une région où il tente progressivement de sous-traiter son empreinte militaire massive à d’autres acteurs, en particulier dans le Golfe.

Les États-Unis ne seraient pas seulement contraints d’armer davantage le massacre d’Israël, mais d’y participer directement.

Israël veut que sa guerre devienne une guerre américaine, et espère que la puissance américaine forcera d’autres acteurs régionaux, notamment les États du Golfe, à se joindre également au combat d’Israël.

Contrairement au prétexte d’“arrêter les roquettes” fourni par Israël et repris par les médias occidentaux, toutes ces autres raisons ne sont manifestement pas défensives. Elles suggèrent qu’Israël mène une guerre d’agression. Voilà pourquoi les médias occidentaux ne les évoquent ni ne les dénoncent.

Un terrorisme “audacieux”

C’est ce contexte qui a fait défaut lorsqu’Israël a commencé à faire monter la température de façon spectaculaire au Liban en faisant exploser des beepers et des talkies-walkies, tuant des dizaines de personnes, dont deux enfants, et en mutilant des milliers d’autres.

Comme l’a fait remarquer Alistair Crooke, un ancien diplomate britannique établi à Beyrouth, ceux qui utilisaient ces dispositifs de technologie dépassée n’étaient pas des combattants d’élite du Hezbollah, contrairement à ce qu’ont suggéré les médias occidentaux dans le sillage d’Israël.

Beaucoup de ceux qui ont perdu leurs mains et leurs yeux étaient probablement des civils travaillant dans les services d’urgence et dans la fonction publique pour l’“État dans l’État” du Hezbollah : administrateurs, personnel médical, enseignants et officiers de police.

Piéger ces équipements mobiles constitue une violation flagrante du droit international, c’est-à-dire un crime de guerre.

C’est tellement évident que même un ancien directeur de la CIA, Leon Panetta, a volontiers reconnu que les attaques israéliennes sur les bippeurs constituaient une forme de terrorisme : “Je ne pense pas qu’il y ait le moindre doute sur le fait qu’il s’agit d’une forme de terrorisme”.

Les médias ont donc été confrontés à un problème délicat en rendant compte de ce qui s’apparente à un acte de terrorisme d’État et qui crée un précédent terrifiant pour le reste d’entre nous : les appareils électroniques que nous passons une grande partie de la journée à tenir ou à transporter peuvent être transformés en bombes.

Il ne s’agit pas là d’une inquiétude vaine. Estimant qu’Israël a libéré un génie terrifiant dans la nature, M. Panetta a exhorté les États à trouver un moyen d’inverser la tendance. Si l’on ne met pas un frein à l’arsenal des appareils électroniques, a-t-il fait remarquer, “c’est le champ de bataille de l’avenir”.

Si un autre État avait provoqué un tel carnage aléatoire et dystopique – et si cela s’était produit alors qu’une cible était à bord d’un avion -, le choc et la répulsion auraient été immédiats et écrasants.

Mais pour les médias occidentaux, l’acte terroriste monstrueux d’Israël a été uniformément accueilli, non pas avec horreur, mais avec une admiration insidieuse. Comme s’ils lisaient un script, les médias occidentaux ont choisi exactement le même terme pour décrire l’ action d’Israël : elle était audacieuse”.

À l’instar de ses homologues de droite, le Guardian, journal prétendument libéral, a raconté sans retenue les détails de ce qu’il a qualifié d’opération “soigneusement planifiée”, “sophistiquée” et “audacieuse” menée par Israël pour mutiler des milliers de Libanais.

La BBC lui a emboîté le pas. Bowen a une fois de plus soutenu Israël, célébrant son terrorisme comme un triomphe tactique et “le genre de coup spectaculaire que l’on peut lire dans un roman à suspense”.

Des propos militarisés

La BBC a donné l’exemple de la banalisation du langage pour effacer les crimes d’Israël au Liban, comme elle l’a fait précédemment à Gaza.

Lundi, lors de l’émission BBC News at Ten, alors qu’Israël lançait une campagne de bombardements massifs quelques jours après avoir fait exploser des beepers dans tout le Liban, le présentateur a commencé par cette évaluation : “Près de 500 personnes ont été tuées après un bombardement israélien intensif sur des cibles de l’Hebollah.”

Le lendemain, le site internet de la BBC a adopté la même approche. Un titre de la BBC répondait à sa propre question : “Où les frappes israéliennes sur le Hezbollah ont-elles été menées hier ?”.

Au journal télévisé du mercredi soir, Anna Foster, de la BBC basée à Beyrouth, a déclaré sans hésiter qu’Israël avait “frappé plus de 2 000 cibles du Hezbollah”. Elle a ajouté que les séries de bombardements ont détruit “des lance-roquettes, des sites de stockage d’armes et d’autres infrastructures”. Toutes les affirmations israéliennes non vérifiées sont considérées comme étant factuelles. Elle a aussi noté que le Hezbollah avait frappé “des sites civils et militaires”.

De même, dans le reste de ses reportages, l’hypothèse par défaut de la BBC a été identique à celle d’Israël : tout ce qu’Israël frappe est une “cible” du Hezbollah par définition. Les affirmations d’Israël sont des preuves suffisantes.

Mais si c’était vraiment le cas, pourquoi tant de femmes et d’enfants libanais ont-ils été tués par les bombes israéliennes – une répétition du massacre par Israël, au cours de l’année écoulée, de dizaines de milliers de femmes et d’enfants palestiniens à Gaza ?

Se pourrait-il qu’Israël attaque au hasard le Sud-Liban pour faire fuir ses habitants par la terreur – pour les nettoyer ethniquement – tout comme il a auparavant terrorisé la population de Gaza en la faisant fuir de chez elle ? Voilà pourquoi au moins 90 000 Libanais auraient fui leurs localités jusqu’à présent.

Se pourrait-il que l’affirmation d’Israël selon laquelle le Hezbollah cache des armes dans les maisons du Sud-Liban soit tout aussi mensongère et intéressée que son affirmation précédente selon laquelle chaque hôpital, université et mosquée de Gaza abritait un centre de commandement et de contrôle du Hamas ?

Se pourrait-il que l’affirmation d’Israël selon laquelle le Hezbollah, comme le Hamas, aurait transformé sa population civile en “boucliers humains” soit une excuse passe-partout, destinée à dissimuler les crimes de guerre génocidaires pour lesquels la Cour internationale de justice a jugé Israël ? Plus précisément, pourquoi est-il si inconcevable pour des médias occidentaux comme la BBC que l’une de ces possibilités mérite d’être envisagée ?

Les gentils “montent en puissance”

Lors du journal télévisé de lundi soir, M. Bowen a semblé évaluer le bien-fondé des actions d’Israël tout en avançant son argumentaire favori : “Israël est effectivement en train de parier. Il espère que, ce faisant, il contraindra le Hezbollah à cesser de tirer sur Israël. Je pense que c’est peu probable. Cela signifie qu’Israël devra poursuivre son escalade”.

Mais dans son “analyse”, Bowen, comme le reste des médias occidentaux, a également utilisé le langage du “conflit” pour obscurcir les objectifs les plus probables d’Israël. Qu’entendait exactement le rédacteur en chef de la BBC par “escalade” ? Le terme évolue de manière inquiétante.

Autrefois, l’“escalade” était invariablement invoquée de manière négative à l’encontre des ennemis régionaux d’Israël. Israël frappait avec une force écrasante. Ce n’est que lorsqu’un État ou un groupe arabe ripostait, généralement de manière assez limitée, que les hommes politiques et les médias occidentaux s’inquiétaient soudain d’une “dangereuse escalade”.

La logique était claire : les Arabes tués par la puissance de feu israélienne étaient la norme : c’était le bruit de fond au Moyen-Orient. Mais si Israël subissait une riposte, ou faisait simplement face à des menaces de riposte, les inquiétudes concernant l’“escalade” étaient alors pleinement justifiées. Les Arabes escaladent, Israël répond, ou riposte.

Mais la BBC étend aujourd’hui l’utilisation du terme “escalade” de manière inédite pour aider à dissimuler les crimes d’Israël.

Il est impossible pour les médias d’ignorer le fait qu’un grand nombre de civils à Gaza et au Liban sont massacrés sans but précis. Un euphémisme est donc nécessaire pour masquer ces crimes. L’“escalade israélienne”, selon la terminologie révisée de Bowen, signifie en fait “massacrer des civils”, ou “terroriser des civils dans leurs communautés”, ou “détruire leurs maisons” – ou peut-être les trois à la fois. Le terme “escalade” semble plus raisonnable que la réalité qu’il masque.

Dans l’émission News at Ten de mardi, Orla Guerin, en reportage à Tyr, a renforcé ce nouvel usage, ancré dans l’affirmation absurde d’Israël selon laquelle il doit “escalader pour désamorcer”.

Tout d’abord, elle a elle aussi souligné l’argument central d’Israël, en entonnant : “Le Hezbollah a réussi à tirer 300 roquettes à travers la frontière, ce qu’Israël voulait précisément arrêter.”

Remarque : il ne s’agit pas de ce qu’Israël dit ou prétend vouloir arrêter. Mme Guerin n’admet pas la possibilité que le but de guerre avoué de la Défense puisse cacher d’autres objectifs moins sains.

L’ADN du Hezbollah, rappelons-le, serait de “combattre Israël”. L’ADN d’Israël, apparemment, serait d’essayer d’arrêter les roquettes, d’essayer de protéger ses citoyens de la violence libanaise.

Dans l’univers créé par la BBC, les bons seraient ceux qui commettent un génocide “plausible”. Les méchants seraient ceux qui s’opposent au génocide.

Mme Guerin a ajouté que le Hezbollah avait choisi de ne pas tirer ses missiles de plus grande taille, à plus longue portée et à guidage de précision, qui sont capables de frapper n’importe où en Israël.

Elle a conclu : “Il semble que le Hezbollah ne veuille pas d’une guerre totale. Son sponsor, l’Iran, ne veut pas d’une guerre totale et l’a déclaré. La question est de savoir si l’on peut trouver un moyen d’éviter que cette escalade ne s’aggrave encore.”

Encore le terme “escalade”. Et une fois de plus, il signifie, si l’on peut dissiper le brouillard intentionnel qui l’entoure, qu’Israël risque d’assassiner davantage de civils libanais, alors même que le Hezbollah et l’Iran se montrent très réticents à l’idée d’être entraînés dans le piège de l’escalade tendu par Israël.

Une retenue qui laisse perplexe

De retour à Beyrouth, Anna Foster a de nouveau souligné le même point. Elle a interrogé le journaliste Paul Adams à Jérusalem : “Israël a déclaré qu’une partie de l’idée qui sous-tend cette dernière escalade est de permettre aux habitants du nord de rentrer chez eux. Y parviendra-t-il ?”

Aurait-elle pu être plus claire ? L’“idée” d’Israël consiste à intensifier les hostilités, à tuer et à nettoyer ethniquement la population libanaise du Sud-Liban, afin que les Israéliens puissent rentrer chez eux. La seule question qui vaille la peine d’être posée est de savoir si cette “idée” fonctionnera.

La réponse d’Adams, comme celle de Guerin, est révélatrice. Il s’est demandé pourquoi le Hezbollah fait preuve d’une telle retenue – après tout, “combattre Israël” fait partie de son ADN. Il a suggéré que seules deux réponses sont possibles : parce qu’Israël a détruit la majeure partie de l’arsenal du Hezbollah, “ou parce qu’ils [le Hezbollah] se retiennent pour une raison ou une autre”. La BBC n’a pas osé aller plus loin dans son analyse en essayant de voir les choses du point de vue du Liban et du Hezbollah.

Dans le journal télévisé de mercredi, Adams s’est rendu à la frontière israélienne avec le Liban.

Embarquée avec l’armée israélienne, la BBC a commencé à conditionner son public pour qu’il accepte un massacre imminent de civils libanais lors d’une invasion terrestre israélienne. Des images – fournies par l’armée israélienne ? – montrent un général, Herzi Halevi, dire à ses troupes qu’elles vont bientôt envahir des villages au Liban que “le Hezbollah a transformés en vastes avant-postes militaires”.

En d’autres termes, Halevi prévient que l’armée israélienne se comportera bientôt, comme elle l’a fait à Gaza, comme s’il n’y avait pas de civils au Liban, mais seulement de “grands avant-postes militaires”. Hommes, femmes et enfants seront tous traités comme des cibles militaires légitimes.

Adams n’a pas émis de mise en garde, ni expliqué à son auditoire ce que l’évaluation du général impliquerait réellement. Au lieu de cela, Adams a une fois de plus réaffirmé comme un fait objectif le prétexte d’Israël pour le massacre de masse et le nettoyage ethnique au Liban. La menace d’une invasion terrestre “a un objectif clair : permettre aux civils de retourner dans les communautés frontalières évacuées il y a un an”.

Ensuite, Adams s’est aventuré dans l’une des communautés frontalières israéliennes presque vides : Kiryat Shmona. Là, Doron Spielman, un médecin militaire israélien, a dit à Adams : “La seule façon pour ces gens [les résidents de Kiryat Shmona] de revenir chez eux, c’est que le Hezbollah ne soit plus proche de lieux d’où ils peuvent à nouveau leur tirer dessus”.

Que voulait-il dire ? M. Adams n’a pas demandé d’éclaircissements et n’a pas semblé inquiet. Mais l’intention n’aurait pas pu être plus claire : les habitants du Sud-Liban – des centaines de milliers d’entre eux – doivent faire l’objet d’un nettoyage ethnique définitif, devenir des sans-abri et des sans-terre, et leurs maisons doivent être détruites pour permettre aux habitants de Kiryat Shmona de rentrer chez eux. C’est ce qu’Israël entend par “escalade”.

Vieille histoire contre sang neuf

L’émission News at Ten de mercredi n’a pas eu le temps d’en dire plus sur les nouvelles effusions de sang au Sud-Liban et à Gaza – qui pourraient déclencher une conflagration régionale – parce que la BBC avait des questions plus urgentes à traiter.

Elle a consacré près de 10 minutes de son émission d’une demi-heure à revenir une nouvelle fois sur les événements du 7 octobre de l’année dernière, lorsque le Hamas a envahi le sud d’Israël pendant une journée.

De manière inédite, elle a montré un long extrait d’un nouveau documentaire sur l’attaque du Hamas contre la rave Nova, à côté du camp de concentration de Gaza. Des centaines de fêtards israéliens ont été tués ce jour-là.

C’est une histoire que nous avons entendue et réentendue à l’infini au cours de l’année écoulée. Pendant des mois, les attaques commises par le Hamas en une seule journée – et d’autres simplement inventées, comme la “décapitation de bébés” et les “viols de masse” – ont été répétées quotidiennement, sans doute dans l’intérêt d’un prétendu “équilibre”, alors que Gaza endurait des jours, puis des semaines, puis des mois, et maintenant presque une année de mort, de douleur et de souffrance ininterrompues.

Le jour où des femmes et des enfants libanais ont été tués lors des “escalades” israéliennes, les téléspectateurs de la BBC ont été encouragés à oublier toute cette misère et à se replonger près d’un an en arrière dans des crimes historiques dont les Israéliens sont les victimes, et non les auteurs.

Il ne fait aucun doute qu’Israël n’aurait pas pu être plus ravi s’il avait été chargé de fixer lui-même la grille d’information de la BBC.

Un porte-parole de la BBC a répondu à ces critiques dans une brève déclaration à MEE : “La BBC s’astreint aux normes éditoriales les plus strictes et rend compte de la situation sans crainte ni favoritisme. Ce conflit est une histoire difficile et polarisante à couvrir. Nous écoutons attentivement les réactions et nous nous engageons à fournir des reportages impartiaux aux téléspectateurs du Royaume-Uni et du monde entier.”

Et pourtant, j’aurais pu écrire des livres entiers pour déconstruire l’assaut que la BBC a lancé ces derniers jours contre l’esprit critique de ses téléspectateurs – en savonnant constamment la voie au massacre de masse, à la purification ethnique et au génocide. En un seul article, on ne peut qu’effleurer la surface des mensonges, des omissions, des tromperies et des erreurs d’aiguillage des médias.

Mais il convient d’en relever un autre.

Mardi, Sarah Smith était à New York pour rendre compte de la dimension “internationale”, c’est-à-dire de la manière dont la Maison Blanche gère les choses alors que le monde est au bord d’une conflagration régionale qui pourrait rapidement se transformer en guerre mondiale ou nucléaire.

N’oublions pas qu’Israël n’est qu’une création de l’ingérence coloniale occidentale au Moyen-Orient, un avant-poste de l’Occident dans cette région et, aujourd’hui, le principal État client de Washington.

Le président Joe Biden, en supposant que ce personnage frêle et confus soit encore capable de diriger le pays, pourrait faire cesser les guerres d’Israël à Gaza et au Liban d’un simple coup de baguette magique. Tout ce qu’il a à faire, c’est refuser d’envoyer les armes américaines qui engendrent mort et destruction, et signifier à ses alliés européens qu’ils doivent faire de même.

Mais la BBC n’en parle pas non plus, bien sûr, pour une raison trop évidente : cela rappellerait aux téléspectateurs qui est réellement responsable du génocide à Gaza et de la destruction gratuite du Liban.

Au lieu de cela, le travail de Mme Smith a consisté à prétendre connaître les pensées les plus intimes de M. Biden et à rassurer les téléspectateurs sur la noblesse et la bonté de ses intentions. Elle nous a dit : “Le président Biden souhaite vraiment essayer d’obtenir un cessez-le-feu à Gaza et la libération des otages avant de quitter son poste”.

Ce n’est que parce que nos esprits ont été si profondément conditionnés par ce matraquage incessant de la propagande occidentale que nous ne rions ni ne crions devant nos écrans lorsque ce monde puéril et imaginaire de la géopolitique – “sincère, authentique” – est présenté comme une information sérieuse.

Israël est loin d’être le seul à mener une guerre dans la région. Et pour obtenir le consentement des opinions publiques occidentales, ou au moins l’absence d’opposition, notre esprit critique doit être pilonné avec autant d’agressivité que les bombes israéliennes réduisent en ruines les maisons des Palestiniens et des Libanais et déchiquètent leurs corps.

Pour que les massacres cessent, nous devons arrêter de croire à ce monde de contes de fées que nous servent nos médias – un monde qui ne profite qu’à une minuscule élite occidentale investie dans une guerre sans fin et dans la mainmise sur les ressources.

Pour que les tueries cessent, réveillons-nous du monde imaginaire qui nous a bercés toute notre vie.

Jonathan Cook

Source: MEE, 27 septembre 2024