Le renversement du gouvernement syrien est un triomphe pour le Turc Tayyip Erdogan et pour les ennemis occidentaux de la Syrie, menés par les États-Unis.
Les « succès » d’Israël continuent de s’accumuler. Le dernier en date est la décision du gouvernement suédois de mettre fin à son soutien financier à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), cédant ainsi de la manière la plus crapuleuse aux pressions d’un gouvernement qui commet un génocide.
Elle répartira désormais son aide humanitaire entre plusieurs agences, mais l’UNRWA est la seule dont le mandat porte exclusivement sur l’assistance aux Palestiniens. La Suisse envisage maintenant de prendre la même décision.
La Suède doit savoir qu’en abandonnant l’UNRWA, elle met les Palestiniens encore plus à la merci de leurs bourreaux. Après une enquête interne, le licenciement de neuf employés (sur plus de 30 000) qui « pourraient avoir été impliqués » dans l’attentat du 7 octobre est la raison pour laquelle la Suède a coupé toute aide financière à l’UNRWA. Israël ne produit que des accusations, pas de preuves qui pourraient être prises en compte.
Pourtant, tout en punissant les Palestiniens par l’intermédiaire de l’UNRWA, la Suède ne lève pas le petit doigt pour punir un gouvernement qui assassine massivement des Palestiniens, reconnu coupable de génocide dans le monde entier et dirigé par un Premier ministre inculpé par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
La Suède doit savoir que les plans d’Israël pour la Cisjordanie reproduiront ceux de Gaza. Ses villes et ses camps sont déjà rasés, sa population civile tuée, ses hôpitaux assiégés, ses magasins et ses marchés incendiés, ses oliviers détruits ainsi que tout ce qui représente la Palestine dans l’esprit des soldats et des colons lâchés sur les Palestiniens comme une meute de chiens sauvages.
La dépravation morale des gouvernements révélée par le génocide de Gaza semble n’avoir aucune limite. Seule l’Irlande, dans le monde occidental, a eu le courage de défier Israël, ce qui lui a valu d’être « punie » par la fermeture de l’ambassade d’Israël à Dublin, évitant ainsi aux Irlandais d’avoir à le faire eux-mêmes, comme certains pourraient le dire. Pourquoi voudrait-on que le drapeau d’assassins de masse flotte dans sa ville ?
Même voter en faveur des résolutions de l’ONU soutenant les droits des Palestiniens, affirmés depuis longtemps, c’est trop pour un gouvernement qui commet un génocide. Oubliez les milliers d’enfants qu’il a tués, les milliers qu’il a mutilés et les centaines de milliers qu’il a condamnés à une vie sans éducation, sans même de quoi manger.
La criminalité est stupéfiante et pourtant, ce sont les hurlements de rage d’Israël, et non des Palestiniens, face à l’injustice du traitement qui leur est infligé, qui remplissent l’air.
La complicité des gouvernements occidentaux dans le génocide de Gaza garantit qu’Israël a les mains libres pour infliger le même sort à la Cisjordanie. Que ce soit à Gaza ou en Cisjordanie, Israël veut que tous les Palestiniens disparaissent. Il l’a toujours fait. Il s’est débarrassé d’un million d’entre eux lors des guerres de 1948 et de 1967 et se rapproche maintenant du reste.
Après avoir massé les Palestiniens terrorisés dans le sud de Gaza, Israël n’a plus qu’à défoncer la porte de Rafah pour qu’ils se déversent dans le Sinaï. L’Égypte sera incapable de les arrêter et, une fois dans le Sinaï, les Israéliens ne les laisseront jamais revenir.
Les mêmes tactiques de terreur seront utilisées en Cisjordanie, mais avec la Jordanie comme point de sortie. Le gouvernement jordanien ne sera pas non plus en mesure d’arrêter le flux. En fait, sous l’effet de l’indignation suscitée par cette monstrueuse violation des droits souverains, le transfert d’argent à ces deux États à court d’argent comme émollient ne serait pas surprenant.
En février 2024, la Fondation du Sinaï pour les droits de l’homme, une ONG égyptienne, a signalé qu’un grand complexe fortifié était en cours de construction dans le Sinaï, à côté de la porte de Rafah, pour « accueillir » les réfugiés palestiniens « en cas d’exode massif ».
Des photos satellites montrent des murs de sept mètres de haut construits autour d’une enceinte de 21 km² « capable d’accueillir 100 000 personnes ». Si l’on en croit Mawasi, de l’autre côté de la porte de Rafah, il s’agit en fait d’accueillir autant de personnes qu’Israël peut en faire entrer sans se préoccuper de la façon dont elles vont survivre.
Nous assistons aujourd’hui à la floraison de la mauvaise graine plantée en Palestine par Arthur James Balfour. Créé par l’Occident, Israël abuse continuellement de l’Occident, de ses lois et de ses institutions. Pourtant, il ne peut survivre sans l’Occident.
Dans l’un des retournements les plus pervers de l’histoire, ce petit État est aujourd’hui capable de dominer et d’intimider ses bienfaiteurs. Krafft-Ebing a peut-être des explications à donner à ce curieux état de fait.
En l’espace d’un an, le génocide de Gaza s’est métastasé en une intensification du pogrom permanent des Palestiniens de Cisjordanie, en une guerre au Liban et en l’aboutissement de l’assaut contre la Syrie entamé en 2011.
Cette dernière étape représente la tentative la plus déterminée jamais entreprise par l’Occident pour détruire un gouvernement arabe. Pour Israël, la Syrie a toujours été l’ennemi principal. Pour les États-Unis, elle était le « pivot » sur lequel l’avenir de la région pouvait basculer. Située au cœur du Moyen-Orient, elle pouvait également être considérée comme un bouchon qui, une fois retiré, entraînerait l’effondrement de tout ce qui l’entourait.
La Syrie elle-même ne s’est pas simplement « effondrée ». Elle s’est effondrée sous l’effet d’une série de gouvernements puissants et de leurs mandataires terroristes. Leurs attaques sanglantes à travers le pays se sont accompagnées de la destruction de plus de 80 % de l’économie. L’occupation du nord-est a privé la Syrie de son pétrole et de son blé. La destruction et le pillage des usines à Alep ont frappé le cœur du secteur industriel.
Les sanctions globales imposées par les États-Unis ont délibérément appauvri la population civile. Le gel des dépôts bancaires à l’étranger a réduit le flux d’argent liquide à un filet, poussant ce qui restait de l’économie vers l’hyperinflation.
En bref, la Syrie a été délibérément vidée de sa substance. Son armée s’est vaillamment battue pendant une décennie, mais elle a fini par s’épuiser. La Russie a contribué à éviter la chute en 2015, mais lorsqu’elle a finalement retiré son soutien, pour quelque raison que ce soit, la fin était inévitable.
Le chef du HTS, Ahmad al-Shara’a (Abu Muhammad al-Julani), a fait savoir depuis longtemps que les groupes réunis sous sa bannière n’avaient pas l’intention d’attaquer l’Occident. Arrêté en Irak, Julani a passé cinq ans dans des camps de prisonniers américains avant d’être libéré « par coïncidence » en 2011, au moment où la guerre contre la Syrie commençait.
Les « rebelles » qui ont pris le contrôle de la Syrie n’ont jamais effleuré le flanc d’un char israélien pour défendre la Palestine. Ce qu’al-Shara’a veut maintenant, c’est la respectabilité que lui apportent les diplomates arabes et occidentaux qui lui rendent visite à Damas. Les dirigeants du HTS envoient des signaux indiquant qu’ils n’envisagent pas une nouvelle guerre, mais de bonnes relations avec les « voisins » de la Syrie, qui sont apparemment tous des voisins.
Israël est la clé qui ouvrira toutes les portes à l’acceptation et à l’aide financière de l’Occident si le HTS s’engage activement dans cette voie. La nouvelle « modération » d’Al-Shara’a, après avoir dirigé les groupes armés les plus violents de la planète, a déjà conduit les États-Unis à supprimer la prime de 10 millions de dollars sur sa tête, et d’autres gouvernements suivront certainement.
On ne sait pas jusqu’où al-Shara’a pourra aller dans cette voie. L’alliance HTS a été formée après des combats sanglants à Idlib. Des rapports font déjà état de représailles sanglantes de la part de certains groupes. Ils veulent un gouvernement islamique dur à Damas, dur pour les femmes et dur pour les minorités, les chrétiens, les alaouites et les druzes. Seront-ils prêts à échanger le gouvernement qu’ils veulent à Damas contre la respectabilité de l’Occident ?
La situation actuelle est grotesque à bien des égards. Des gouvernements attachés à « l’ordre international fondé sur des règles » le laissent voler en éclats à Gaza, au Liban et en Syrie. Même le génocide est autorisé, en fait rendu possible par une complicité active (armes, soutien financier et politique) ou par le fait de ne rien faire pour l’arrêter. En permettant à Israël de faire ce qu’il veut, l’Occident se coupe la gorge de sa propre civilisation.
Netanyahou ne peut pas se rendre en Pologne pour visiter Auschwitz parce que le gouvernement polonais l’avertit qu’il l’arrêtera pour les mêmes crimes que ceux qui ont conduit à la poursuite des dirigeants nazis à Nuremberg, en particulier dans son cas les crimes de guerre de famine comme méthode de guerre et les attaques intentionnelles contre une population civile, ainsi que les crimes contre l’humanité de meurtre, de persécution et « d’autres actes inhumains ».
Du 7 octobre à la dévastation du Liban et au renversement du gouvernement syrien, les dures leçons du passé doivent être apprises, absorbées et appliquées alors que la résistance entre dans une nouvelle phase.
Le renversement du gouvernement syrien est un triomphe pour le Turc Tayyip Erdogan et pour les ennemis occidentaux de la Syrie, menés par les États-Unis, qui, il va sans dire, en remontant loin dans l’histoire, sont également des ennemis de la véritable indépendance arabe. Leur idée de la démocratie est sélective. Les dictateurs ne les dérangent pas du tout tant qu’ils sont leurs dictateurs.
Cependant, le plus grand bénéficiaire, et de loin, de la destruction du gouvernement syrien est Israël. Pour ceux qui ont soutenu simultanément la cause palestinienne et le renversement du gouvernement de Damas, il aurait dû être clair dès le début de l’assaut contre la Syrie que ce serait le résultat d’une victoire des « rebelles ». Puissent-ils être longtemps heureux de ce qu’ils ont souhaité.
Jeremy Salt
25 décembre 2024
Jeremy Salt a enseigné pendant de nombreuses années à l’université de Melbourne, à l’université du Bosphore à Istanbul et à l’université Bilkent à Ankara, où il s’est spécialisé dans l’histoire moderne du Moyen-Orient. Parmi ses publications récentes figure son livre de 2008, The Unmaking of the Middle East. A History of Western Disorder in Arab Lands (University of California Press) et The Last Ottoman Wars. The Human Cost 1877-1923 (University of Utah Press, 2019). Il a contribué à cet article pour The Palestine Chronicle.
Source:https://www.palestinechronicle.com/the-fall-of-syria-beware-of-what-you-wish-for/