Des Israéliens observent des frappes aériennes dans le sud du Liban, près de la frontière israélienne, le 23 septembre 2024. (David Cohen/Flash90)

Ceux qui s’emploient à évaluer la situation de la guerre en cours ont souvent recours à des précédents liés au comportement des parties au combat, comme le fait d’essayer de projeter ce qui se passe à Gaza sur la réalité du Liban, qu’il s’agisse de l’agression d’une part ou de la réponse de la résistance d’autre part, tout en ignorant les grandes différences entre les deux scènes, même si l’esprit de l’ennemi est le même dans sa quête de la destruction de tout.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Après presque un an, Israël a décidé qu’il était capable d’ouvrir un front avec le Liban, et que la guerre à Gaza ne nécessitait plus tout le temps et les ressources militaires, ce qui a conduit certains à penser que tout ce qu’Israël a fait était ce que ses dirigeants ont appelé « déplacer le poids » vers le nord. Toutefois, ceux qui pensent ainsi estiment qu’Israël a préparé son programme pour affronter le Hezbollah au cours des derniers mois. Il s’agit là d’une grave erreur d’appréciation de la position israélienne. Ce que Tel Aviv est en train de mettre en œuvre est un programme qui est en préparation depuis vingt ans. Il contient des chapitres qu’Israël n’a pas réussi à mettre en œuvre lors de la guerre de 2006. Tout le monde sait qu’Israël a agi à l’égard du Liban d’une manière totalement différente de la façon dont il s’est préparé à la guerre de Gaza. En effet, ce qui s’est passé à Gaza n’a jamais été à son ordre du jour, et le Hamas a réussi la plus grande opération de désinformation en matière de sécurité, accompagnée du plus haut degré de préparation de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa ».

Face au Liban, Israël pense différemment. Il ne s’agit pas seulement du développement des capacités militaires et humaines de la résistance, mais aussi de l’expansion du rôle de cette résistance dans l’ensemble de la région, en particulier en Palestine. Ici, Israël sait qu’il se bat pratiquement au nom de tous les alliés occidentaux et arabes qui veulent se débarrasser du Hezbollah, non seulement en tant que force mais aussi en tant qu’idée, d’autant plus qu’ils ont un long compte avec le Hezbollah et qu’ils ne trouvent personne d’autre qu’Israël capable de le liquider. Ce qu’Israël n’est pas opposé à faire, car cela fait partie de ses objectifs, sauf qu’il percevra un prix élevé de la part de tous les ennemis du Hezbollah s’il réussit dans cette tâche.

Laissons de côté un dossier qui doit être étudié par des experts en ce qui concerne le type de préparatifs sécuritaires et militaires qu’Israël a mis au point pour affronter le Hezbollah, sachant qu’ils ont commencé à apparaître sous la forme d’opérations dans lesquelles le facteur technique joue un rôle central, et pas seulement la pénétration humaine, dont rien de nouveau n’est apparu ces jours-ci. Mais redessinons le décor au niveau des objectifs :

  • Israël s’efforce de frapper de toutes ses forces tout ce qu’il considère comme les capacités militaires, sécuritaires, humaines et logistiques de la résistance. Il s’efforcera de diriger toutes les frappes qui serviront cet objectif. Il ne s’arrêtera pas, et ne s’est jamais arrêté, à la moindre considération pour le peuple.
  • Israël cherche à actualiser le slogan de la guerre de 2006, qui était d’« écraser le Hezbollah ». Il veut maintenant « déraciner le Hezbollah ». Lorsqu’Israël pense à cela, il ne s’agit pas des forces militaires ou civiles du Hezbollah. Il s’agit plutôt d’un esprit démoniaque qui gouverne les décideurs et qui pousse l’ennemi à se comporter avec le Hezbollah de la même manière qu’avec les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie. L’ennemi croit que l’écrasement et le déracinement s’obtiennent en expulsant les personnes qui forment la base sociale. Quand Israël pense ainsi, il revient à l’origine de son projet. Il considère l’environnement dans lequel vit le Hezbollah comme un environnement hostile, et il avait auparavant embrassé les factions de la résistance palestinienne, puis les factions de la résistance nationale libanaise, avant d’embrasser le Hezbollah. Cela signifie que le programme de l’ennemi exige une guerre à long terme contre le Liban. L’ennemi cherche à détruire tout ce qui a trait à l’environnement civil et populaire de la résistance, et pas seulement ses capacités militaires.
  • L’ennemi cherche à modifier les réalités géographiques et démographiques dans plus d’une région. Lorsque l’ennemi parle d’une zone tampon au Sud-Liban, il ne s’agit pas d’une zone dépourvue de militants ou d’armes. Il s’agit plutôt d’une zone dépourvue de toute présence de population. Il ne veut pas d’êtres humains qui pourraient constituer une base pour tout parti qui rejette et résiste à l’occupation. Dans l’état actuel du Liban, où les divisions sectaires régissent beaucoup de choses, l’ennemi réfléchit à la manière de faire payer aux chiites du Liban leur engagement dans la cause de la résistance, et non de permettre à leurs membres d’appartenir au Hezbollah.
  • Israël cherche à faire exister le Liban à sa convenance. Lorsqu’il a décidé d’entrer dans la confrontation actuelle, il ne se soucie plus ni des Occidentaux, ni des Arabes, ni du reste des Libanais. S’il y a des gens qui ne veulent pas déstabiliser le Liban, créer des guerres civiles et des crises économiques majeures, Israël ne se préoccupera pas de ces choses si elles servent son idée. Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, nous assistons à une grande coopération entre Israël et les États-Unis d’Amérique, ainsi qu’entre certaines capitales arabes, afin de pousser les partis, les forces et les bases d’une couleur sectaire différente à se soulever contre ce qu’ils ont établi dans l’esprit de leur public sous le nom d’« État du Hezbollah », et dans ce cas, Israël ne verra pas d’inconvénient à fournir une assistance à quiconque se montrera disposé à suivre son programme. Dans ce cas, Israël n’hésitera pas à aider quiconque se montrera disposé à suivre son programme.
  • Israël cherche à élever le niveau de ses opérations criminelles, dans l’intention d’exercer diverses pressions sur le Hezbollah. Il frappera des cibles insignifiantes dans certaines zones afin que le public rejette la présence de personnes déplacées, et dans ce cas, il veut répéter ce qu’il a fait à Gaza, où il y a un déplacement permanent, ouvert et continu entre des zones qui sont « considérées comme sûres ». Il veut un déplacement mobile des populations du sud, de la Bekaa et de la Dahiya, afin de pousser une grande partie d’entre elles à abandonner d’abord le Hezbollah, puis à quitter le Liban. L’ennemi pense que pour réussir dans cette action, il sera obligé de porter des coups fatals à tous les Libanais qui soutiennent la résistance, l’aident dans sa position ou ses démarches, ou même l’embrassent. Il mise sur un récit selon lequel sa réussite à frapper le Hezbollah créera une grande vague de frustration dans son environnement social, ouvrant la porte au déclin de son rôle à plus d’un titre.

Ce qui précède n’est pas de la simple spéculation ou un exercice théorique. Ce sont des éléments d’un plan qu’Israël a déjà commencé à mettre en œuvre. Ce qui conduit à une conclusion évidente : nous sommes confrontés à un type de bataille différente, une bataille qui sera certainement plus rude et plus complexe que la guerre de 2006.

Il est vrai que les gens se demandent ce que le Hezbollah va faire. Il est vrai que ceux qui ont été témoins du succès des opérations de sécurité de l’ennemi au cours des derniers mois veulent des réponses ou des explications. Mais surtout, ceux qui se trouvent au cœur de cette bataille doivent se préparer à une guerre dont personne ne sait combien de temps elle durera, dont personne ne peut dire avec certitude quel sera le prix énorme à payer, et quant à ce que fera la résistance, tout le monde n’a qu’à l’attendre, et à l’heure qu’il est, elle n’a pas encore dit son mot !

Ibrahim Al-Amine

Ibrahim al-Amin est rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Akhbar

Source: Al Akhbar, 27 septembre 2024