La guerre d’Ossétie du Sud s’est caractérisée par des attaques violentes contre les populations civiles, à l’instar de ce qui devait se passer six années plus tard en Ukraine.

À la veille de leur attaque, les forces géorgiennes se composaient de 5 brigades d’infanterie (avec, pour certaines de ces brigades, un bataillon de chars organique), d’une brigade d’artillerie (stationnée à Gori), une brigade du génie (stationnée à Gori), un bataillon blindé indépendant (stationné à Gori), de plusieurs bataillons indépendants d’infanterie légère (utilisés comme réserves pour les Commandos) et différentes unités de service. La disposition des forces montrait aussi une forte concentration des moyens à proximité de l’Ossétie du Sud (3 brigades d’infanterie, la brigade d’artillerie, la brigade du génie et le bataillon blindé indépendant) et de l’Abkhazie (une brigade d’infanterie stationnée à Senaki et des unités de défense anti-aérienne).

L’échec des troupes géorgiennes
Cependant, en dépit de cette supériorité numérique et de l’effet de surprise, les troupes géorgiennes n’ont pénétré qu’aux deux tiers de Tskhinval. En dépit de leur brutalité, ces attaques n’ont pu permettre au gouvernement géorgien d’atteindre ses objectifs. La forme des dégâts à Tskhinval, leur répartition géographique, confirment plusieurs points:

(a) L’agglomération a subi un bombardement délibéré et massif de la part de l’artillerie géorgienne.

(b) Ce bombardement ne correspond pas aux combats les plus violents, car une partie importante des destructions est située au nord de la ligne d’avance la plus importante des troupes géorgiennes. Ces destructions sont donc l’effet d’un bombardement délibéré sur des objectifs civils et une population sans défense. Ceci les qualifie indiscutablement en crimes de guerre.

(c) Les tirs géorgiens semblent avoir répondu à deux objectifs, d’une part détruire un certain nombre de bâtiments clés pour désorganiser le commandement Ossète, et d’autre part provoquer délibérément de fortes pertes civiles afin de provoquer un exode massif de la population.

Les observateurs militaires de l’OSCE ont signalé ces faits comme le rapporte désormais le journal Der Spiegel allemand. Ils ont signalé que les Géorgiens avaient commis des crimes de guerre lors de l’attaque de Tskhinval (1). On cite des cas où les forces géorgiennes s’approchant de la ville ou entrant dans celle-ci auraient mitraillé les civils. Des témoignages, essentiellement collectés par la télévision russe (2), font état de massacres de civils quand les deux colonnes de l’armée géorgienne sont entrées dans la ville.

La contre-offensive des troupes ossètes et russes

Des combats violents se dérouleront alors dans la partie sud de Tskhinval, mais vers 13h00 les troupes géorgiennes auront atteint le siège du gouvernement ossète. Les troupes géorgiennes vont continuer à progresser vers le nord de Tskhinval, mais devront s’arrêter alors qu’elles ne contrôlent que les deux tiers de la ville. Les pertes semblent avoir été lourdes durant les dix heures de combat qui n’épargneront pas la population civile (3). Les pertes géorgiennes concernent essentiellement des équipages de chars, dont les véhicules ont été détruits par des RPG ou des missiles antichars, et des soldats pris à partie par des tireurs d’élites (4). Les troupes russes présentes à Tskhinvali au titre du mandat ONU ne semblent pas avoir disposé d’un armement anti-char. Les unités géorgiennes vont se retirer vers le sud à partir de 17h30 / 18h00, très certainement en raison des pertes subies dans la ville et probablement aussi du fait de l’épuisement de leurs munitions. Ossètes et Russes reprennent alors une partie du terrain perdu dans la journée.

La première phase de la bataille de Tskhinval est une illustration classique d’une « bataille d’arrêt » livrée par une force inférieure en nombre et équipement, dans le but de retarder l’adversaire et de gagner du temps. La réaction russe a en effet commencé dès la matinée du 8 août. Alors que Vladimir Poutine, qui est le premier ministre à l’époque, va écourter son séjour à Beijing dans le cadre des Jeux Olympiques pour rentrer en Russie, le président Medvedev a convoqué une réunion du Conseil de sécurité nationale. Dès les premières heures de la matinée, des unités blindées et mécanisées de la 58e Armée vont franchir le tunnel de Roki et se diriger vers le sud. Des avions russes vont commencer à bombarder les bases arrière des forces géorgiennes à partir de 10h30, essentiellement les dépôts de munitions et de carburant de Kareli et Gori. Dès la mi-journée, l’aviation russe va établir sa supériorité au-dessus de la zone des combats, tandis que les avions de pénétration (les Su-24 « Fencer ») vont attaquer les bases aériennes géorgiennes de Vaziani et Marneuli près de Tbilissi et au sud de la Géorgie pour interdire à l’aviation géorgienne toute capacité d’intervention.

Les autorités géorgiennes ne prendront la mesure de la rapidité et de l’ampleur de la réaction russe que vers le milieu de la journée du 8 août. C’est à ce moment que les réserves géorgiennes commenceront à être mobilisées. Le gouvernement de Tbilissi décidera alors de rapatrier vers la Géorgie une partie de son contingent déployé en Irak et demandera pour ce faire l’aide américaine dans l’après-midi du 8. En fin de journée localement, et en matinée à New York, la délégation Russe aux Nations unies tentera de faire voter au Conseil de sécurité une résolution appelant au cessez-le-feu. Cette résolution sera bloquée par les Etats-Unis qui refuseront l’inclusion d’une phrase concernant l’engagement au non-recours à la force. Cette décision de la part de la délégation américaine aura des conséquences par la suite.

La destruction des forces géorgiennes

Les forces mécanisées russes recevront le soutien d’éléments de la 76e Division Parachutiste basée à Pskov, qui sera utilisée comme une infanterie légère dans les collines pour reprendre les crêtes saisies par les forces géorgiennes dans la nuit du 7 au 8. D’autres forces aéroportées seront déployées en Ossétie du Sud et en Abkhazie durant le 10 et le 11 août, dont la 98e division parachutiste. L’aviation russe va maintenir ses bombardements sur les arrières des forces géorgiennes, attaquant spécifiquement l’artillerie, qui sera progressivement réduite au silence durant la journée du 9 août. Le dépôt de Gori sera à nouveau bombardé et l’explosion des munitions et des réserves de carburant sera très violente. Les radars de contrôle de l’espace aérien seront détruits les uns après les autres le 10 et le 11 août.

Les combats vont reprendre à terre avec violence en Ossétie, mais aussi en Abkhazie où s’ouvre un nouveau front à la surprise des Géorgiens. En Ossétie du Sud, les forces géorgiennes vont tenter un ultime effort pour prendre Tskhinval. Après s’être regroupées au nord de Gori et avoir reçu des renforts en chars et véhicules blindés (en provenance presque certainement du bataillon blindé indépendant et de la 3ème brigade d’infanterie) ainsi que 10 000 réservistes (5), les forces géorgiennes vont attaquer à nouveau et se heurter cette fois à des éléments blindés russes. Une très violente bataille se déroule dans la vallée et les faubourgs sud de Tskhinval de 15h30 à tard dans la nuit avec de très lourdes pertes dans les unités géorgiennes (c’est à ce moment qu’ont été détruits la vingtaine de chars géorgiens montrés à la télévision russe.

Sur la côte géorgienne et en Abkhazie, la contre-offensive russo-abkhaze a semble-t-il pris les forces géorgiennes par surprise. Les forces abkhazes en ont profité pour reprendre les gorges de Kodori. L’aviation russe a attaqué des objectifs militaires dans le port de Poti et une escadre russe, commandée par le vieux croiseur porte-hélicoptères Moskva (6), patrouille devant la côte, après avoir détruit une vedette lance-missiles géorgiennes (en fait les deux vedettes lance-missiles géorgiennes ont été détruites dans le port de Poti). Des forces russes seront héliportées à Poti en fin de journée. Contrairement aux affirmations des autorités géorgiennes aucune cible civile n’a été touchée durant ces bombardements à Poti. Une photographie satellite datant du 25 août 2008 montre que les installations industrielles et les zones résidentielles sont intactes.

La combinaison des actions russes, sur terre, dans les airs, sur mer mais aussi dans le domaine de la guerre électronique (7) qui perturbe les communications militaires géorgiennes dès le 8 août, va conduire à un effondrement des forces géorgiennes à partir de la fin de matinée du 10 août. Démoralisées par les pertes subies (qui ont affecté les unités les plus combatives par ailleurs(8)), privées de soutien d’artillerie et soumis à des bombardements aériens constants ainsi qu’à un meurtrier tir de contrebatterie de l’artillerie russe, isolées de leur commandement en raison de l’effondrement du système de transmission, les troupes géorgiennes vont brutalement refluer vers le sud, parfois en cherchant à s’empare de force de tous véhicule disponible. Avant de s’enfuir de la région de Tskhinval les forces géorgiennes ont cependant détruit les canaux d’irrigation pour tenter de provoquer une inondation de la ville. L’effondrement militaire qui se profile dès l’après-midi du dimanche a pour corollaire une panique politique.

À partir du 11 août au matin commence pour les forces russes l’exploitation de leur victoire. Il s’agit à la fois de s’assurer que les forces géorgiennes ont l’échine brisée mais aussi de constituer un périmètre de sécurité. Dès la matinée du 11, les troupes débarquées à Poti, accompagnées par des troupes héliportées, avancent sur Senaki où elles capturent une importante base militaire géorgienne, contrôlant ainsi la principale voie d’accès à la côte. La capture de Senaki rend aussi impossible aux forces géorgiennes de monter une opération de quelque envergure que ce soit contre l’Abkhazie. Dans la plaine devant l’Ossétie du Sud, les troupes russes poursuivent les troupes géorgiennes qui s’enfuient depuis Gori en pleine panique (9). En tenant le nœud de communications, les forces russes ont effectivement coupé la Géorgie en deux. L’effondrement du système de commandement géorgien est à ce moment pratiquement total et le pouvoir à Tbilissi n’a qu’une idée très confuse d’où sont les forces russes et ses propres troupes. Durant la nuit du 11 au 12 et la journée du 12, les forces russes vont systématiquement se déployer pour construire un corridor de sécurité autour de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, et empêcher ce qui reste des troupes géorgiennes de se regrouper (10).

Les leçons de la partie militaire du conflit

Les opérations militaires russes entre le 8 et le 19 août ont suscité autant de commentaires que les causes du conflit elles-mêmes. Les Etats-Unis ont prétendu que l’objectif ultime de la Russie pourrait être la conquête de la Géorgie, une thèse que les autorités géorgiennes ont aussi reprise et qui a été diffusée en France par certaines personnes dans les médias, en particulier Bernard Henri-Lévy.

L’analyse de la chronologie des opérations militaires, que l’on a présentée ici, permet cependant de préciser certains points:

(a) Les opérations militaires qui se déroulent de la matinée du 8 au 12 août correspondent très précisément aux différents plans élaborés par le commandement russe mais aussi aux manœuvres menées dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghai (l’OCS). La manœuvre russe inclut toujours trois phases, une d’arrêt, une de réaction ou de contre-offensive et une d’exploitation. La manœuvre est globale incluant non seulement le combat aéroterrestre mais aussi l’enveloppement maritime, comme testé naguère avec les forces chinoises dans le cadre de manœuvres de l’OCS, et l’usage des forces aéroportées. La destruction des structures de commandement de l’adversaire et de ses lignes de ravitaillement est un « moment » clé du passage de la phase d’arrêt à la phase de réaction. Le succès de cette dernière ouvre la voie à une phase d’exploitation. Ce qui se déroule du 8 au 12 août est donc entièrement conforme au concept des opérations militaires de « sécurité » prévues par la Doctrine Militaire russe et pour lesquelles les forces russes ont été entraînées.

(b) Le fait que les forces russes se soient préparées matériellement et intellectuellement à ce type d’opérations depuis plusieurs années explique la relative souplesse de leur mise en œuvre et le fait qu’une fois la décision prise les événements vont s’enchaîner rapidement. L’amélioration des performances opérationnelles de l’armée russe, a été sensible par rapport à 2003/2004. Même si les améliorations apportées depuis 2003 aux Forces armées ont été limitées, leurs effets cumulatifs ont abouti à une transformation sensible des capacités opérationnelles. Une partie des réactions occidentales, du moins chez les non-spécialistes, peut s’expliquer par le fait que beaucoup d’observateurs sont restés sur les images des forces russes de 1995 à 1999.

(c) La retenue dont la Russie a fait preuve à ce moment constituait un signal politique clair quant aux objectifs de l’opération militaire: sécuriser stratégiquement l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie et mettre les forces géorgiennes dans l’incapacité de lancer de nouvelles opérations offensives en détruisant ses capacités offensives et opérationnelles.

(d) Une partie de la presse occidentale a fait preuve d’une étonnante mauvaise foi en reprenant à son compte les accusations de la partie géorgienne selon laquelle les forces russes auraient détruit les capacités économiques du pays. Si les installations militaires ont été systématiquement attaquées, il n’y a pas de cas d’attaque délibérée sur des objectifs civils. Ainsi, contrairement à certaines affirmations, la partie industrielle et civile du port de Poti est restée intacte. Par contre, les forces russes ont détruit les unités de la marine de guerre géorgienne. Les bombardements russes ont été beaucoup plus sélectifs que ceux de l’OTAN sur la Serbie en 1999 et ceux des forces armées israéliennes en 2006 au Liban. On se souvient que l’aviation américaine toucha l’ambassade de Chine à Belgrade… En 2006, l’aviation Israélienne ne s’est pas contentée d’attaquer les positions du Hezbollah (avec une efficacité toute relative d’ailleurs (11)) mais a bombardé l’ensemble des infrastructures économiques libanaises, y compris des laiteries et des usines d’emballages.

La guerre d’Ossétie du Sud est donc une démonstration des capacités de l’armée russe à opérer dans des conflits limités et dans des scénarios de défense des populations. De ce point de vue, cette guerre a abouti à un grand succès pour la Russie et a permis de faire échec aux tentatives de la Géorgie et des Etats-Unis. Ceci aurait dû servir de leçon. Il n’en a, hélas, rien été et le conflit en Ukraine est là pour nous le rappeler.

Jacques Sapir

[1] AFP, le 30 août 2008, via Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/08/30/01011-20080830FILWWW00465-l-osce-met-en-cause-la-georgie.php

Le texte du Spiegel donnant l’information peut être consulté à:http://www.spiegel.de/politik/ausland/0,1518,575396,00.html

L’OSCE a par la suite démenti avoir transmis ces informations « par source diplomatique », mais n’a pas contesté la véracité des faits. Ceci indique que les militaires européens détachés auprès de l’OSCE et déployés sur le terrain ont organisé des « fuites » afin de rendre publiques des informations que leurs gouvernements souhaitaient ne pas voir diffusées.

[2] La situation à Tskhinval du 8 au 12 août a fait l’objet d’un film en trois parties d’environ 10 minutes chaque, tourné par la 1ère chaîne russe. Il est visible sur internet aux adresses suivantes:

Part 1 http://www.youtube.com/watch?v=6US4hxPlsTg

Part 2 http://www.youtube.com/watch?v=V4Oe10yDCB0

Part 3 http://www.youtube.com/watch?v=h43mr35r9bI

[3] Outre le bombardement initial la ville de Tskhinval a été durement touchée durant les combats du 8 et du 9 août. Voir BBC News, « Anger smoulders in rebel city rubble », publié le 14 août 2008, http://news.bbc.co.uk/go/pr/fr/-/2/hi/europe/7558619.stm
[4]  Les forces Ossètes, du moins sur les images de la télévision russe, ne semblent pas disposer de missiles anti-chars. Cependant certains des chars géorgiens détruits dans Tskhinval ont été touchés par des missiles anti-chars, probablement mis en œuvre par des troupes russes.

[5] Ces derniers très mal entraînés, sont arrivés dans une confusion totale et ont plus contribué à désorganiser la logistique des forces géorgiennes qu’à accroître ses capacités de combat.

[6] Cette ancienne unité, conçue comme navire de lutte ASM a été convertie en unité de soutien aux troupes amphibies. En dépit de son âge, le Moskva a des moyens de commandement qui lui permettent de jouer un rôle intéressant comme navire amiral pour une opération le long des côtes de la Géorgie. Il peut emporter de nombreux hélicoptères.

[7] Les mesures de guerre électronique utilisées par les forces russes incluent la détection des centres de commandement pour leur destruction ultérieure (tirs de contrebatterie sur relèvement goniométrique), le brouillage des transmissions, mais aussi des « cyber-attaques » sur les sites et domaines internet utilisés par l’administration géorgienne.

[8] Les sources russes indiquent aujourd’hui 3000 morts dans les forces géorgiennes, chiffre qui semble élevé. Il est probable que l’estimation de 3000 porte sur les pertes totales subies par les forces géorgiennes (tués, blessés et disparus). Il est incontestable que l’armée géorgienne a connu un nombre important de désertions, qui apparaissent dans ces statistiques comme des soldats « disparus ».

[9] Ce que confirment les journalistes du Daily Telegraph le 11 août 2008.http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/georgia/2541051/Georgia.html
[10] Comme on peut le voir sur des images satellitaires

[11] Voir Ltn. Col. M. Goya,  » Dix millions de dollars le milicien « , in Politique Étrangère, n°1/2007 ainsi que le document du Centre de Doctrine d’Emploi des Forces du Ministère de la Défense,  » La Guerre de Juillet « , sur le site: www.cdef.terre.defense.gouv.fr

Lire la suite: http://fr.sputniknews.com/points_de_vue/20150817/1017590944.html#ixzz3kNkFK9rU