La conférence de Walid Khalidi, présentée ci-dessous, est intéressante à plusieurs titres :

1- Walid Khalidi s’arrête sur la déclaration Balfour qu’il considère comme la matrice du projet colonial sioniste. Avec cette Déclaration, les anglais ont donné, 40 ans après le congrès sioniste de Bâle, leur bénédiction au projet colonial sioniste et son véritable élan. Khalidi insiste à raison sur l’avant et l’après Déclaration Balfour. Le projet sioniste ne pouvait se réaliser sans la protection d’une grande puissance. Il faut rappeler que Théodore Herzl est parti chercher un parapluie pour son projet auprès du Sultan Ottoman Abdelhamid.

2- Khalidi aborde la question de l’historiographie de la Nakba de 48 et les travaux qu’il a réalisé pour rétablir la vérité sur le nettoyage ethnique des populations palestiniennes. Il évoque le plan Dalat qui a prévu l’expulsion par la force et la violence des arabes palestiniens aussi bien à l’intérieur de l’Etat d’Israël (selon le plan de partage de 1947) qu’à l’extérieur. Ce plan, peu connu par le public veut imposer un fait accompli. Ce qui nous rappelle la déclaration de Golda Meir « Israël s’étend là où les juifs peuvent s’installer« .

3- Contrairement à l’idée reçue, Khalidi trouve que la résolution 242 même si elle évoque dans son préambule l’illégalité des territoires conquis, constitue, après la Déclaration Balfour, la deuxième matrice de l’occupation de la Palestine et de la dépossession des Palestiniens. Cette résolution est opaque et floue sur le plan juridique. Elle ne nomme, ni ne délimite les territoires conquis, et ne parle pas de Palestiniens. Elle parle de retrait, mais ne précise ni quand, ni comment il doit se faire. Ce no man’s land juridique de la résolution 242 a conduit toutes les négociations à l’impasse !

4- Le plus surprenant et intéressant est sa position sur la «collaboration» de Mahmoud Abbas; le choix de la non violence, sous entendue la non résistance, tient davantage à une stratégie qu’à une tactique. Difficile de dire à quel point il voit juste et quel en sera l’impact sur la réconciliation que Khalidi semble appeler de tous ses vœux (article date de 2014) ?

5- Sa vision sur la radicalisation de la société israélienne, le développement du messianisme religieux rigoriste, le fondamentalisme religieux dans lequel a été baigné et pétri Natanhayou prédisposent au pire surtout que la notion de paix est absente de la rhétorique sioniste. [ASI]

Le Professeur Walid Khalidi, éminent historien palestinien,  fondateur et directeur de l’’Institut d’Études Palestiniennes (IPS, présent à Beyrouth et Washington), a donné en mars 2014, à l’École des Études Orientales et Africaines de l’Université de Londres (SOAS), devant une assistance nombreuse comprenant deux ambassadeurs arabes et plusieurs journalistes, une conférence sur « la Palestine et les études palestiniennes, un siècle après la Première Guerre Mondiale et la Déclaration Balfour ».

Organisé par le Centre d’Études Palestiniennes/LMEI (Institut pour le Moyen Orient de Londres), l’évènement a été ouvert par le Professeur Gilbert Achcar qui l’a présidé.  Commentaire du Professeur Achcar : “Le Professeur Khalidi a tout simplement laissé son auditoire bouche bée devant une conférence fascinante et une performance étonnante».

Né à Jérusalem, Palestine, en 1925, le Professeur Khalidi a étudié à Oxford avant d’y enseigner, comme il a enseigné à l’Université américaine de Beyrouth, à Harvard et à Princeton. Co-fondateur et Secrétaire Général depuis 1963 de l’Institut d’Études Palestiniennes (IPS) établi à Beyrouth, il est actuellement président de la filiale de cet institut établie à Washington DC. Il est également membre de l’Académie Américaine des Arts et des Sciences.


Par Walid Khalidi | 19/03/2014

I.
Nous voici réunis aujourd’hui pour célébrer le deuxième anniversaire du Centre d’Études Palestiniennes de la SOAS. Je suis honoré d’avoir été invité à présenter cette première Conférence Annuelle. Il est hautement gratifiant pour moi de m’adresser à vous au nom d’une organisation sœur- l’IPS- qui vient de célébrer son cinquantième anniversaire comme institution de recherche indépendante, privée, non-partisane, à but non-lucratif et orientée vers le service public.

Nous, à l’IPS, espérons que de longues années de coopération innovante marqueront les liens entre nos deux institutions. Comme le font les autres centres de recherche palestinienne, nous étudions ce phénomène que constitue l’accumulation toujours plus grande de ruines provoquées, depuis ce jour fatidique du 2 novembre 1917, par ce qu’on a appris à appeler la Déclaration Balfour, le document politique touchant au Moyen-Orient le plus destructeur du 20ème siècle.

Un Centre d’Études Palestiniennes au sein de cette université, une chose qui aurait été tout simplement impensable pour Lord Balfour. On peut se faire une idée du chemin parcouru depuis cette époque en se rappelant les paroles célèbres, pleines de dédain que prononça cet homme en 1919 :

Les grandes puissances sont engagées aux côtés du sionisme. Que le sionisme soit juste ou injuste, bon ou mauvais, il est enraciné dans l’histoire ainsi que dans les besoins présents et les espoirs futurs, un enracinement bien plus profond que les désirs et préjugés des 700 000 Arabes qui habitent maintenant cette vieille terre.

L’expression “Problème palestinien” est un raccourci pour parler de la genèse, de l’évolution et des retombées de la colonisation sioniste de la Palestine, colonisation qui a commencé dans les années 1880 et se poursuit au moment où je vous parle.
Il y a juste un siècle, avec la Première Guerre Mondiale, s’est enclenchée la chaîne d’évènements qui a conduit à la Déclaration Balfour. A l’époque où celle-ci fut prononcée, 40 années étaient déjà passées depuis les débuts de la colonisation sioniste et 20 années depuis le premier Congrès Sioniste de Bâle. En dépit de la ferveur des premiers colonisateurs, le mouvement des masses juives fuyant le régime tsariste ne prenait pas la direction du Sud vers le Levant mais celle de l’Ouest, à travers l’Europe, vers les rivages prometteurs de l’Amérique du Nord. Une poignée d’immigrants vers la Palestine et des flots vers l’Amérique.

La plupart des autorités rabbiniques de la diaspora étaient hostiles au sionisme parce qu’il prétendait devancer la venue du Messie juif alors que pour les bourgeoisies juives européenne et américaine, cette doctrine n’était que source d’embarras et de crainte d’accusations de double loyauté de la part des Gentils.

Tout cela a changé quand la Grande-Bretagne a donné, avec la Déclaration Balfour, sa bénédiction à l’entreprise sioniste. Mais par-delà cette bénédiction, la Grande-Bretagne en a fait une obligation du Droit International à laquelle elle devait elle-même se soumettre dans le système du Mandat de la Société des Nations.

Fait unique pour une puissance impériale, elle accepta de mener à bien cette obligation en collaboration avec une entité étrangère privée (l’Organisation sioniste mondiale) désormais élevée, sous la forme d’une Agence Juive internationale, au rang d’acteur indépendant reconnu par la Société des Nations et avec pour programme, la création d’un Foyer national juif en Palestine.

Une question vient immédiatement à l’esprit. Comment Londres, débordant d’expertise proconsulaire mûrie dans des siècles à la tête d’un empire embrassant tant de contrées, de races et de croyances à travers le globe a-t-elle pu tomber dans le panneau du plan sioniste ?

La réponse courte tient en deux syllabes : Hybris. A la fin de la Première Guerre Mondiale, avec Les USA retranchés derrière le mur de l’Isolationnisme et avec les empires ottomans, des Romanov, des Habsbourg et des Hohenzollern en ruines, la puissance britannique était à son apogée. Il n y avait que la France qui pouvait la défier. Un problème auquel Sir Mark Sykes avait trouvé une solution toute simple: partager le butin. 

Il y a, bien sûr, une réponse plus longue, et c’est là que nous faisons appel à nos centres de recherche. Ceux-ci feraient bien décoller leur attention des feuillages touffus des arbres de la période du Mandat, avec ses Livres Blancs et Bleus et ses Commissions d’enquête, pour se poser la question qui embrasse la forêt, à savoir pourquoi Londres, entre les deux guerres mondiales, a nourri sous sa coupe un imperium in imperio, un État dans l’État. Le mystère s’épaissit quand on considère que cet imperium n’avait rien de local, qu’il avait une dimension extérieure, qu’il était imperium ex imperio, pouvoir qui échappait au contrôle de l’Empire. C’est l’Agence Juive dont les institutions financières centrales ainsi que les autres sources de pouvoir étaient en grande partie américaines. Ainsi, quand en 1939 Ben Gourion, le dirigeant le plus en vue du Yichouv*, décida de d’abandonner la monture britannique pour un meilleur cheval, les USA, c’était parce qu’il savait que les USA étaient potentiellement un contrepoids et un successeur de la Grande-Bretagne.

Cette histoire est aussi vieille que l’Histoire, c’est la révolte d’un client contre le patron métropolitain. Mais l’érosion de la concorde anglo-sioniste à la fin des années trente illustre une loi d’airain de la politique, à savoir qu’il n’existe pas deux entités politiques qui restent éternellement amies. Il y a peut-être là une morale qui peut aider à comprendre ce qui se passe actuellement entre Washington sous Obama et Tel-Aviv sous Bibi.

II

Les évènements de 1948 ont suscité plus de controverses qu’aucune autre phase du Problème palestinien, donnant lieu bien plus tard en Israël à l’émergence d’une nouvelle école post-sioniste d’historiographie. Ses auteurs ont été appelés « les Nouveaux Historiens » par opposition aux « Vieux Historiens » qui développaient un récit fondateur mythique du sionisme.

Le vieux récit mettait en scène un David du Hichouv face à un Goliath arabe, avec la Perfide Albion travaillée par l’envie d’étrangler l’Etat nouveau-né. Il mettait aussi en scène des centaines de milliers de Palestiniens qui quittaient leurs maisons, leurs fermes et leurs entreprises pour obéir à l’ordre de leurs dirigeants qui voulaient faire place nette devant l’arrivée des armées arabes d’invasion le 15 mai 1948.

Étant donné le rôle de l’Institut d’Études Palestiniennes et de votre serviteur dans l’édification d’un contre-récit palestinien face à celui des Vieux Historiens, il serait utile pour mémoire de partager certains éléments de sa naissance et  de son développement.

UN des premiers comptes-rendus qui font autorité à propos du mythe israélien de «  l’ordre donné aux populations arabes  »  a été fait par l’historien palestinien Arif al-Arif. Arif était commissaire de district adjoint à Ramallah pendant les dernières années du Mandat et les Jordaniens l’y avaient maintenu comme gouverneur civil de facto.

Au milieu de juillet 1948, les forces israéliennes lancèrent une attaque massive contre les villes palestiniennes de Lydda et de Ramla alors que les armées arabes qui n’étaient qu’à un jet de pierre restaient passives. La population entière des deux localités, soit à peu près 60 000 personnes, fut jetée sur les routes dans de longues files se dirigeant vers Ramallah. Ces gens arrivèrent là-bas dans des conditions misérables après que des centaines eurent abandonné en chemin.

Le Comte Bernadotte, le médiateur de l’ONU, arriva à Ramallah pendant la troisième semaine de juillet 1948. Arif qui avait été délégué pour l’accompagner fut stupéfait quand Bernadotte lui dit que les officiels de haut rang israéliens qu’il venait de rencontrer lui avaient assuré que les habitants de Lydda et de Ramla avaient quitté leurs maisons suite aux ordres de leurs dirigeants locaux.

ARIF fit immédiatement en sorte que Bernadotte puisse rencontrer ces dirigeants, encore réfugiés dans des caves et sous des ponts après leur expulsion: religieux musulmans et chrétiens, conseillers municipaux, juges et membres de toutes sortes de professions.

Il y a peu de doute dans mon esprit que cette expérience contribua à décider Bernadotte à faire ses recommandations à l’Onu pour le retour des réfugiés, recommandations que l’Assemblée Générale adopta après son assassinat par le Gang Stern d’Yitzhak Shamir.

Dans les années 1950, le mythe de l’ordre donné aux populations de quitter leurs maisons avait déjà fait son chemin dans les médias britanniques. À cette époque déjà, la version israélienne dominante était que l’ordre avait été lancé par radio, non pas par les dirigeants locaux mais par les plus hauts dirigeants palestiniens. Le présentateur le plus agressif de cette version était le journaliste britannique John Kimche qui était le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Jewish Observer, l’organe de la Fédération Sioniste Britannique.

Le plus grand dirigeant palestinien, Haj Amin al Husseini, vivait à l’époque en exil au Liban. Je le connaissais depuis l’enfance et il avait toujours été prévenant avec moi. Quand je lui décrivis l’impact en Occident du mythe de l’ordre de quitter, il m’accorda immédiatement l’accès illimité à ses archives (qui furent plus tard détruites par les forces phalangistes durant la guerre civile libanaise des années 70).
J’avais auparavant parcouru de longs passages des enregistrements de suivi faits par la BBC des émissions radio arabes de 1948 et conservés au British Museum de Londres.

J’ajoutais les données des archives de Haj Amin à celles des enregistrements de la BBC pour écrire l’article « Pourquoi les Palestiniens ont-ils quitté leurs foyers ? », qui fut publié en 1959 par le journal des anciens étudiants de l’Université Américaine de Beyrouth, le Middle East Forum.

Arrive Erskine B. Childers. Juste après la publication de l’article, je reçus à Beyrouth la visite de ce jeune journaliste qui montra un grand intérêt pour les enregistrements de la BBC, déclarant qu’il avait l’intention de les examiner lui-même dès son retour à Londres.

Arrive (au début de 1960) Ian Gilmour, le propriétaire du Spectator, le prestigieux hebdomadaire britannique. Il venait de rentrer d’une visite en Israël et avait tout entendu chez les officiels israéliens de haut rang à propos de l’ordre de quitter les lieux donnés aux Palestiniens. Ayant lu l’article du Middle East Forum, il posa plusieurs questions et repartit.

Le 12 mai 1961, le Spectator publia l’article de Childers intitulé « The Other Exodus » dont la conclusion était : « Il n’y a pas eu d’ordres ».

S‘ensuivit une correspondance passionnée de la part des lecteurs du Spectator qui dura environ 3 mois et dans laquelle, grâce à Gilmour, un récit prenant le contrepied du récit israélien reçut une diffusion sans précédent.

Un de ses premiers commentateurs critiques fut John Kimche qui écrivit dédaigneusement « de nouveaux mythes ont remplacé les anciens. Les Israéliens …ont contribué au leur mais plus récemment, ce sont les propagandistes arabes (Walid Khalidi et Erskine Childers) qui le font. »

À l’époque, bénéficiant d’un congé sabbatique de l’Université Américaine de Beyrouth, j’étais à Princeton où je vérifiais, à la Bibliothèque Firestone, les enregistrements de surveillance des émissions radio arabes de 1948 faits par la CIA. De là-bas, j’écrivis au Spectator, niant tout lien avec Childers (ce qui était faux) mais exprimant ma satisfaction que celui-ci, de façon indépendante, eût tiré les mêmes conclusions que les miennes (ce qui était vrai). Je notais aussi que mes dernières découvertes dans les enregistrements de la CIA corroboraient celles que j’avais faites dans celles de la BBC.

Mais à Princeton, je ne me privai pas d’examiner les sources en hébreu, ce que je fis avec l’aide d’une universitaire qui manifesta beaucoup de sympathie à l’égard de ma recherche, une chercheuse sépharade d’un certain âge.

Le résultat de ma recherche fut “Le plan Dalet : « Le plan directeur sioniste pour la conquête de la Palestine », qui allait rapidement être publié en 1961, lui aussi, dans le Middle East Forum. Comme le courrier du Spectator abordait de plus en plus l’Exode palestinien de manière plus générale, j’y répondis par un résumé des conclusions de mes recherches. Entre autres, j’y écrivis ceci :

« Un plan directeur sioniste appelé Plan Dalet prévoyant l’expulsion par la force des Arabes se trouvant aussi bien à l’intérieur qu’’à l’extérieur de l’État Juif « octroyé » par l’ONU aux sionistes a été mis en œuvre. Ce plan visait la « désarabisation » de toutes les régions sous le contrôle sioniste.

Le Plan Dalet visait dans le même temps à briser l’échine de la résistance arabe de Palestine et à faire face à l’ONU, aux USA et aux pays arabes à travers un fait accompli très rapidement imposé sur le terrain. On comprend ainsi mieux les attaques massives et impitoyables contre les centres de population arabes.

Pendant que le Plan Dalet se déployait sur le terrain et que des dizaines de milliers de civils arabes terrorisés affluaient vers les pays arabes voisins, les opinions arabes forcèrent leurs gouvernements encore hésitants à envoyer leurs armées régulières en Palestine.

Le point de vue bien réfléchi de l’auteur de ces lignes est que ce ne fut que grâce à l’entrée des armées arabes que la réalisation de l’objectif le plus ambitieux du Plan Dalet fut empêchée. Cet objectif ne prévoyait pas moins que le contrôle militaire de toute la Palestine à l’ouest du Jourdain. »

À ma connaissance, ce fut la première fois que le Plan Dalet fut mentionné publiquement en Occident.

III.

De même que la Première Guerre Mondiale donna naissance à la Déclaration Balfour, la Guerre de 1967 donna naissance à la Résolution 242 du Conseil de Sécurité.
Et de même que la Déclaration Balfour est, dans un sens, la matrice de tous les développements qui marquèrent le problème palestinien et le conflit arabo-israélien au 20ème siècle jusqu’à la guerre de 1967 incluse, la Résolution 242, dans un sens est la grande matrice des développements qui marquèrent le conflit jusqu’à la fin du 20ème siècle et en dessinèrent le bilan, toujours le même à ce jour.

Résolution 242 (1967) proposée par la délégation britannique et adoptée à l’unanimité des 15 membres par le Conseil de Sécurité des Nations Unies le  22 Novembre 1967

« Le Conseil de sécurité,

Exprimant l’inquiétude que continue de lui causer la grave situation au Proche-Orient,

Soulignant l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre et la nécessité d’œuvrer pour une paix juste et durable permettant à chaque État de la région de vivre en sécurité,

Soulignant en outre que tous les États Membres, en acceptant la Charte des Nations unies, ont contracté l’engagement d’agir conformément à l’Article 2 de la Charte,

1. Affirme que l’accomplissement des principes de la Charte exige l’instauration d’une paix juste et durable au Proche-Orient qui devrait comprendre l’application des deux principes suivants :

a. Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés au cours du récent conflit ;

b. Fin de toute revendication ou de tout état de belligérance, respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de son droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, à l’abri de menaces ou d’actes de violence ;

2. Affirme d’autre part la nécessité

a. De garantir la liberté de navigation sur les voies d’eau internationales de la région ;

b. De réaliser un juste règlement du problème des réfugiés ;

c. De garantir l’inviolabilité territoriale et l’indépendance politique de chaque État de la région, par des mesures comprenant la création de zones démilitarisées ;

3. Prie le Secrétaire général de désigner un représentant spécial pour se rendre au Proche-Orient afin d’y établir et d’y maintenir des rapports avec les États concernés en vue de favoriser un accord et de seconder les efforts tendant à aboutir à un règlement pacifique et accepté, conformément aux dispositions et aux principes de la présente résolution ;

4. Prie le Secrétaire général de présenter aussitôt que possible au Conseil de sécurité un rapport d’activité sur les efforts du représentant spécial. »

Fait assez étrange, beaucoup d’observateurs portent un regard favorable sur la Résolution 242, surtout parce qu’elle énonce dans son préambule « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre ». Le problème est que dans ses paragraphes de mise en œuvre, la Résolution prescrit juste l’opposé de ce principe.

Il est vrai qu’elle parle du “retrait des forces israéliennes des territoires occupés” (version française) mais elle ne précise ni quand ce retrait doit se faire, ni la ligne de retrait, ni le temps imparti à ce retrait. Cette résolution ne précise même pas les noms des territoires desquels Israël doit se retirer.

La résolution affirme l’exigence d’une « paix juste et durable » et de « frontières sûres et reconnues » entre tous les protagonistes mais n’indique pas qui décide de la sécurité et où se trouvent ces frontières. Il n’y a aucune mention des lignes d’armistice.

La résolution affirme la nécessité d’un “règlement juste du problème des réfugiés » mais n’indique pas qui décide de la justice de ce règlement et qui sont les réfugiés. Le mot « palestinien » est totalement absent et aucune mention n’est faite quant à l’applicabilité des Conventions de Genève aux territoires occupés.

Ce fameux texte doit être apprécié à la lumière des décisions prises par le cabinet israélien les 18 et 19 juin, juste après la fin des hostilités.

Brièvement présenté, voici ce sur quoi portait le consensus du cabinet israélien :

1)Retrait mais à la seule condition que soient conclus des accords de paix.

2)Des traités de paix avec l’Égypte et la Syrie sur la « base » des frontières internationales et sur la base des besoins de sécurité d’Israël.

3)Annexion de la Bande de Gaza et

4)Le Jourdain en tant que « frontière de sécurité » d’Israël, avec pour conséquence le contrôle d’Israël sur la Cisjordanie.

On n’a pas besoin d’être cryptographe pour saisir la convergence de la Résolution 242 avec ces spécifications ou plutôt, ces instructions du cabinet israélien.

Que l’attention ait été focalisée sur l’Égypte et la Syrie à l’exclusion de la Jordanie avait, bien sûr, pour but de rompre les liens de ces deux pays avec la question palestinienne et d’isoler les Palestiniens et la Jordanie.

Le 28 juin 1967, dix jours après la réunion de son cabinet ministériel, Israël révèle ses véritables intentions en annexant 4 km2 de  terrain municipal jordanien de Jérusalem-Est et 36 km2adjacents de premier choix dans la Cisjordanie, dessinant une configuration territoriale qui affiche sans honte une poussée vers Ramallah au nord.

La Résolution 242 fut pour Israël une victoire politique et diplomatique qui n’est pas moins décisive que celle obtenue sur le champ de bataille. Mais elle ne fut possible que grâce à Lyndon B. Johnson. Il reste chez Lyndon B. Johnson des motivations qui n’ont pas encore été élucidées et elles constituent un sujet d’études pour tous les centres de recherches palestiniennes. Alors qu’il était sénateur en 1956, Johnson s’était farouchement opposé à la décision d’Eisenhower de forcer Israël à restaurer le statu quo ante et de restituer les « territoires acquis par la guerre ».

Au lendemain de la guerre de 1967, Abba Eban, le ministre des Affaires étrangères d’Israël, travailla étroitement avec le cercle rapproché de LBJ qui incluait Arthur Goldberg, l’ambassadeur aux Nations Unies (Comme membre de la délégation irakienne d’avant Saddam, il me fut donné d’écouter Eban tisser son énorme toile de mensonges, ce qui me permit de le remettre à sa place).

Eban raconte dans ses mémoires qu’il exhorta ses homologues américains à « éradiquer » jusqu’à la notion « d’armistice » et de conditionner le retrait israélien des lignes de cessez-le feu actuelles à des négociations de paix dans lesquelles les frontières seraient décidées par des accords.

Cela signifiait que le point de départ des négociations serait fixé par les points les plus avancés atteints par les blindés israéliens

en territoire arabe. Cela signifiait aussi qu’Israël pouvait pleinement utiliser comme leviers dans les négociations, aussi bien ses conquêtes que sa supériorité militaire afin de dicter le temps, le rythme et l’étendue de son retrait.

Les règles du jeu établies par la Résolution 242 ont été admises, voire activement promues par les administrations américaines qui se sont succédé depuis la présidence de Lyndon Johnson. L’opacité de cette résolution ainsi que le flou qui la marque ont permis de tracer le cadre duquel les négociations de paix, jusqu’à l’heure présente, ne peuvent sortir. Ce sont ces règles qui ont envoyé Sadate à Jérusalem et Arafat à Oslo.

La guerre de 1967 a donné le coup de grâce au panarabisme laïque qui était déjà moribond. Mais dans le même temps, elle catapulté le mouvement de guérilla palestinien aux premières lignes de front parce que celui-ci symbolisait la résistance après l’humiliante débâcle des armées arabes.

Mais l’impact le plus profond, impact potentiellement catastrophique, de cette guerre  est dans l’inspiration qu’elle a donné au messianisme intégriste néo-sioniste et dans la création de conditions propices  à un choc, avec pour enjeu les lieux saints, entre les djihadistes juifs et évangéliques chrétiens d’une part et les djihadistes musulmans d’autre part.

IV

Quand on regarde la scène palestinienne aujourd’hui, on voit un peuple accroché de toutes ses forces à sa terre ancestrale.

Dans une épreuve aussi terrible, la priorité des priorités est certainement de resserrer les rangs.

C’est pour ça que le fossé entre le Fatah et Hamas est si scandaleux. On a besoin de ses deux bras pour survivre. Les deux côtés sont également fautifs et devraient être, de façon déterminée et sans relâche, être exhortés à se réconcilier.

Il ne fait pas de doute que l’idée même de réconciliation entre Fatah et Hamas serait attaquée par Netanyahou comme un acte de guerre. Et pourtant, Israël sait que la réconciliation intra-palestinienne est une condition sine qua non à toute paix palestino-israélienne.

Le fossé entre Fatah et Hamas sur la façon dont doit être mené le combat est grand. Abbas s’est engagé dans la non-violence. Cet engagement n’est pas philosophique parce qu’Abbas, comme praticien de la violence dans sa période de guérilla, a eu largement le temps de méditer sur son prix et ses conséquences. Ce n’est donc pas par hasard qu’il a été l’un des premiers dirigeants de Fatah à proposer un dialogue avec les interlocuteurs israéliens les plus ouverts.

L’engagement d’Abbas pour la non-violence relève de la stratégie, pas de la tactique. C’est pour moi une certitude parce que j’ai écouté cet homme, comme j’avais écouté avant lui, Arafat, Ahmed Choukairy et Haj Amin.

Par bien des aspects, Abbas est un personnage tragique. C’est un dirigeant de la lutte armée qui a est devenu, en connaissance de cause, « collaborateur». Toutes les nuits, ses forces de sécurité s’enferment dans leurs baraquements pendant que les commandos israéliens rôdent aux alentours des quartiers arabes, des camps de réfugiés et des villages de la Cisjordanie pour faire la chasse aux jeunes militants. Un prix terrible à payer pour une position réputée hautement morale.

Combien de temps encore Abbas pourra-t-il poursuivre cette politique alors qu’aucun progrès réel vers la paix n’a été réalisé ?

Il faut quand même retenir que le Mouvement BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) n’aurait pas progressé autant sans Abbas.

Aussi vaste qu’on puisse le croire, le fossé entre Abbas et Hamas n’est pas infranchissable. Beaucoup de choses indiquent qu’il y’a du pragmatisme dans la direction de Hamas. Il est vrai que le cadre de pensée de ce mouvement est théologique mais rien ne lui interdit de trouver une voie théologique de sortie de son engagement dans la lutte armée.

De plus, l’engagement d’Abbas pour la non-violence n’interdit pas la désobéissance civile. Celle-ci pourrait constituer le terrain d’entente une fois que la volonté de réconciliation l’aura emporté et que le temps de la désobéissance civile arrivera.

Si le fossé entre le Fatah et Hamas lèse dangereusement la cause palestinienne, il en est de même pour l’opposition des points de vue à propos de l’objectif de la lutte. Il est clair que la question de savoir si on veut un État ou deux États est un débat de première importance, et pas seulement dans le camp palestinien mais aussi dans le vaste cercle des alliés et amis de la cause palestinienne.

Comme vous l’avez peut-être deviné, mon adhésion à la partition de la Palestine, c’est-à-dire la solution à deux États, n’a rien de congénital. En fait, j’y suis venu assez tard. Ce ne fut qu’en 1978 que je la promus dans un article paru dans Foreign Affairs intitulé « Penser l’impensable ».

Je suis toujours un partisan de la solution à deux États pour la raison suivante : à la possible exception des Etats Fédérés de Micronésie, elle bénéficie du soutien mondial. Il serait irresponsable de renoncer à cet atout inestimable.

Nous avons déjà agi en vue de la solution à un seul État durant les trente années du Mandat Britannique et nous savons ce qui s’est passé par la suite, en dépit d’un rapport de force massivement en faveur des Palestiniens.

Le rapport de force aujourd’hui est de façon écrasante en faveur de l’autre partie. Israël est la superpuissance du Machrek, grâce à la pourriture des régimes politiques arabes et de leurs élites politiques en place. Dans le cadre d’un seul État, Israël aurait l’alibi parfait pour écarter tout obstacle à la colonisation. En un clin d’œil, les Palestiniens se retrouveraient dans une situation où il ne leur resterait pas même un lopin derrière leur maison pour y planter des oignons et y enterrer, à côté, leurs morts.

La déclaration d’indépendance d’Israël de 1948 s’est engagée à assurer « l’égalité entière des droits sociaux et politiques de tous les habitants quels que soient leur religion, leur race ou leur sexe. »

Maintenant, Netanyahou insiste sur la reconnaissance du caractère juif d’Israël comme condition absolue avant tout accord de paix.

Parmi les 37 signataires de la Déclaration israélienne d’indépendance, un seul était né en Palestine. Les autres venaient de Pologne et de l’Empire Russe, de Plonsk, de Poltava, Pinsk, Lodz et Kaunas. Politiquement, ces hommes étaient de gauche ou du centre mais il faut dire qu’ils n’avaient pas fait tout ce chemin vers la Palestine pour la partager avec ses habitants.

Quand Netanyahou parle d’un État Juif, il parle au nom de cette grande masse en pleine croissance constituée par une droite fondamentaliste et nationaliste qui coupe la société israélienne juive en deux parties.

La division de la société israélienne juive n’est plus entre droite et gauche mais entre les laïques et les religieux. Beaucoup de laïques sont libéraux et post-sionistes mais on ne peut pas dire qu’ils soient une étoile montante.

Ce qui monte, en revanche, c’est le mouvement néo-sioniste messianique triomphaliste de la droite religieuse des colons, mouvement allié de l’évangélisme apocalyptique américain qui a connu son essor depuis la conquête, en 1967, de l’ensemble d’Eretz Israël, avec le retour du Mont du Temple sous la domination militaire juive.

Cette coalition considère les Palestiniens comme des Cananéens dont la disparition est déjà écrite dans la Bible. Elle ne porte pas un regard plus favorable aux Israéliens juifs laïques. Il n’y a pas de consensus en Israël à propos de savoir qui est Juif. Peut-être que Bibi pourrait nous renseigner.

De nombreux partisans du BDS sont pour la solution à un seul État. Ils s’inspirent du succès des sanctions contre l’Afrique du Sud. Mais entre le début des sanctions au début des années soixante et l’élection de Mandela en 1994, trente années sont passées.

Je ne suis pas contre le BDS, je veux que ce mouvement réussisse. Pour réussir, il a besoin des Juifs post-sionistes et des sionistes libéraux. Délégitimez l’occupation et vos chances de réussir sont brillantes. Délégitimez Israël lui-même et vous perdrez la plus grande partie de vos alliés juifs et la plupart des capitales amies dans le monde.

Ayons deux campagnes BDS:

BDS UN pour mettre fin à l’Occupation.

BDS DEUX pour que soit mis en pratique l’engagement fait aux citoyens arabes dans la Déclaration d’Indépendance d’Israël.

S’accrocher à son identité dans cet âge de mondialisation est un phénomène mondial qu’on peut constater dans l’éclatement de nombreux États et l’émergence de mouvements de « dévolution », indépendantistes ou autonomistes. Les partisans de la solution à Un seul État sont à contre-courant de cette tendance.
Un État palestinien est un impératif palestinien. Les Palestiniens ont besoin de préserver leurs liens avec ce qui leur reste de leur terre ancestrale. Ils ont besoin du cordon ombilical qui les attache à la mémoire collective de leurs parents et grands-parents.

Ils ont besoin d’une tribune qui défendra ceux qui sont restés en diaspora. Ils ont besoin de transmettre un héritage à leurs enfants et grands-enfants. Ils ont besoin d’une place sous le soleil de Dieu où ils ne soient pas des étrangers, des fantômes apatrides ou des citoyens de deuxième classe.

V.

L’état lamentable dans lequel se trouve l’idée de “Nation Arabe” se constate dans le fait que l’avenir de la Palestine obéit plus aux « désirs et préjugés » de Benyamin Ben Sion Nathan Netanyahou qu’à ceux  des pouvoirs auxquels est maintenant dévolu l’honneur de perpétuer la grandeur des Omeyyades de Damas, des Abbassides de Bagdad, des Ayyoubides du Caire et des Wahhabites de Ryad.

Il reste que les discussions tripartite entre Netanyahou, Kerry et Abbas ne sont que la partie visible du bras de fer de longue durée que se livrent Bibi et Obama depuis cinq ans.

Ce n’est pas par hasard que j’ai donné un aperçu de la généalogie de Netanyahou. Il fonctionne dans un moule idéologique bien précis, celui dont il a hérité à travers les enseignements de son grand-père Rabbi Nathan et son père le professeur Ben Zion.

Le Rabbi Nathan, un contemporain de Herzl, était un sioniste national-religieux (une espèce rare à l’époque). Il était un fervent adepte de Vladimir Jabotinsky, le fondateur du sionisme révisionniste, mouvement ainsi nommé car il tenta dès le début des années 1920 de « réviser » la stratégie de Chaïm Weizmann et de Ben Gourion, consistant à avancer pas à pas et masqué.

Jabotinski insistait sur un point limite du Foyer National Juif qui ignorait toute retenue, un État juif que le Jourdain traverserait, pas un État dont ce fleuve serait la frontière. Et cet objectif devait être réalisé dans le temps le plus court possible grâce à l’immigration massive et une Muraille d’Acier, c’est-à-dire la force militaire écrasante. Ben Gourion avait pris l’habitude d’appeler Jabotinsky « Vladimir Hitler ».

L’enthousiasme de Ben Sion pour les idées de Jabotinsky n’était pas moins intense que celui de Nathan. Il rejoignit le Parti Révisionniste à l’âge de 18 ans et dirigea plus tard un quotidien appelé Le Jourdain qui critiquait sans cesse Weizman et Ben Gourion.

Ben Sion suivit Jabotinsky aux USA et où il devint son secrétaire. Il y passa 10 ans à diffuser l’idéologie révisionniste mais retourna en Israël pour attaquer Begin pour le traité de paix que celui-ci avait conclu avec l’Égypte.

Récemment et peu de temps avant sa mort, Ben Sion déclara à un quotidien israélien qu’en « privant les villes arabes de nourriture, d’instruction publique, d’électricité et autres nécessités, les Arabes ne pourraient plus survivre ici et seraient obligés de fuir ».

Les biographes israéliens de Bibi rapportent que Ben Sion donnait à ses fils des leçons d’Histoire et Judaïsme et qu’il leur inspirait une « sainte adoration ». Quand il était petit garçon, Bibi aimait beaucoup discuter du principe des « deux rives du Jourdain ».

Si Bibi eut pour instructeurs idéologiques son père et son grand-père, il eut comme modèle de référence son frère aîné Jonathan, le héros qui laissa sa vie à Entebbe. C’est de là que vient la tendance de Bibi à jouer les gros bras.

La mort de Jonathan a traumatisé père et fils. En l’honneur du défunt, ils fondèrent l’Institut Jonathan pour l’étude du terrorisme international.

Et ce n’est pas par hasard que l’une des conférences organisées par cet institut fut donnée par le Premier ministre Menahem Begin qui s’abstint tout de même de partager ses souvenirs à propos de Deir Yassine ou de rappeler comment son organisation, l’Irgoun, introduisit au Moyen-Orient la lettre piégée, le colis piégé, la bombe-baril, la bombe au marché et la voiture piégée.

Pour Bibi, les USA ou Israël, c’est toujours chez lui. Il connaissait les USA depuis l’âge de sept ans, école primaire, lycée, MIT, travail dans une firme de consulting. Durant cette période, il perfectionna son accent de Philadelphie et sa maîtrise du vocabulaire du base-ball. Au moins trois de ses oncles avaient émigré aux USA où ils étaient devenus des magnats de l’acier et de l’étain.

Après l’invasion du Liban par Israël en 1982, Yitzhak Shamir, qui était ministre des Affaires étrangères, envoya Bibi comme attaché d’ambassade à Washington afin qu’il contribue à réparer l’image d’Israël.

Parce qu’il était partout présent dans les médias avec sa gouaille et parce qu’il était élevé au rang de héros par les grandes organisations juives, Bibi eut une ascension instantanée. Comme ambassadeur aux Nations Unies entre 1984 et 1988, il consolida son statut de star auprès du public pro-israélien des USA.

En 1991, Shamir, qui était devenu Premier ministre, augmenta encore l’appétit gargantuesque de Bibi en le faisant vice-ministre. En 1993, Bibi était déjà le leader du Likoud et en 1996, Premier ministre.

Une source précieuse de données pour qui veut un meilleur éclairage sur les rapports entre Washington et Tel Aviv est constituée par les mémoires et autobiographies des présidents et secrétaires d’Etat. L’espace consacré au conflit arabo-israélien dans ces écrits a énormément crû durant ces dernières décennies. Curieusement et à ce jour, aucune tentative sérieuse d’établir de liens entre ces données et celles d’autres sources d’information n’a été faite. Voici un domaine d’études intéressant pour les Centres d’Études Palestiniennes.

Depuis l’époque où il était à l’ambassade israélienne de Washington, Bibi, occupant divers postes, a eu affaire à cinq administrations US successives. Il considère l’arène politique américaine comme ouverte de droit pour lui. Il croit que ses écrits sur le terrorisme ont convaincu le président Reagan de changer sa politique à l’égard de ce problème.

Il se vante d’avoir réussi un “lobbying” qui a conduit le Congrès à mettre fin aux tentatives du secrétaire d’Etat Baker d’ouvrir un dialogue avec l’OLP, tout en expliquant « tout ce que j’ai fait est de le (Baker) forcer à changer de politique en appliquant sur lui un peu de pression diplomatique. C’est le nom qu’on donne à ce jeu…”

Durant sa première visite aux USA en tant que premier ministre, en 1996, Bibi a eu droit, quand il s’est adressé au Congrès, à une longue série mécaniquement réglée d’ovations assourdissantes des élus des deux partis. Un magnat de ses oncles qu’il avait invité déclara que son neveu pouvait battre Bob Dole et Bill Clinton dans une course à la présidence.

Le président Clinton s’est plaint du fait que quand Bibi vint à la Maison Blanche pour une visite, “l’évangéliste Jerry Falwell était dans la rue en train de “mobiliser des foules…en faveur de la résistance d’Israël au retrait par étapes des Territoires Occupés.» Il s’est aussi plaint du fait que « des agents du LikOud aux USA ont contacté des républicains pour susciter de la méfiance envers sa diplomatie au Moyen-Orient ».

La conviction de Clinton était que Bibi éprouvait une grande aversion pour le processus de paix et que sa tactique favorite « était d’atermoyer, d’obstruer et  de crier à l’atteinte à l’honneur national quand on osait le défier »

Voici maintenant Obama. Bibi, né en 1949, est de douze ans son aîné. A l’époque où Obama se porta candidat au Sénat en 2003, Bibi avait déjà été ambassadeur, leader du Likoud, Premier ministre, ministre des Affaires étrangères et, à ce moment-là, ministre des Finances.

Ce ne fut que quand Obama fit son discours devant la Convention Démocratique en 2004 qu’il éveilla l’attention de Bibi. Mais d’où vient ce bonhomme, et affublé d’un tel deuxième prénom ? Il est tentant de conjecturer que Bibi considère Obama comme quelqu’un qui vient piétiner ses platebandes.
Nous n’avons pas le temps de décrire round par round le bras de fer entre Obama et Bibi- le gel de la colonisation, les ambitions nucléaires iraniennes, les frontières de 1967, la reconnaissance par l’ONU, l’accord entre Hamas et le Fatah. Certains observateurs pensent que Bibi a pu réduire Obama à une sorte de soumission. Ils se trompent lourdement.

Mesdames et Messieurs,

Durant les cent dernières années, depuis 1914, le sionisme a enfourché la Pax Brittannica, ensuite la Pax Americana pour établir la Pax Israeliana aux dépens du peuple palestinien. Combien de temps encore Israël persistera- t-il dans son refus de faire face à ce qu’il a fait aux Palestiniens?

Mon petit doigt me dit que Bibi va donner son acquiescement au cadre de propositions de Kerry mais sans autre intention que de bloquer. Il pense qu’il s’en tirera encore une fois.  Il se considère comme beaucoup plus que le Premier Ministre d’Israël. En 2010 et 2012, le Jerusalem Post l’a désigné comme numéro 1 dans une liste des Juifs les plus influents du monde.

Pour Bibi, l’Atlantique coule à travers Eretz Israel. Il sait qu’il va survivre politiquement à Obama. En Israël, Premier ministre une fois, Premier ministre toujours. Obama a encore moins de trois ans devant lui comme président. Bibi sait aussi qu’il peut l’emporter sur Obama au Congrès. Il dispose certainement de plus de soutien des deux partis dans cette enceinte que n’en a le locataire du Bureau Ovale.

Tous les autres protagonistes croient à une solution pacifique. Et Kerry n’est que la voix d’Obama dont la compréhension du problème palestinien dépasse de loin celle de tous ses prédécesseurs. L’engagement d’Abbas pour la paix est authentique. A son âge, la paix serait pour lui le couronnement de toute une vie. Les dynasties du Golfe brûlent du désir d’une solution parce qu’elles veulent se concentrer sur l’ennemi réel, à savoir le pouvoir anti- monarchique et panislamique de Téhéran.
Bibi ne partagera jamais Jérusalem. La perpétuation de l’occupation et de la colonisation et l’étau qui se resserre autour de Jérusalem-Est conduiront tout droit, tôt ou tard, vers une catastrophe de dimension apocalyptique sur les Lieux Saints de Jérusalem. Avec la montée du fanatisme religieux des deux côtés, la route vers Armageddon part de Jérusalem.

C’est pourquoi, Mesdames et Messieurs, Benyamin Ben Sion Ben Nathan Netanyahou  est le dirigeant politique le plus dangereux sur terre aujourd’hui.

Par Walid Khalidi | 19/03/2014

Texte original : http://www.soas.ac.uk/news/newsitem91772.html

* Yichouv: hébr. implantation, nom sous lequel les dirigeants sionistes furent les interlocuteurs, au nom des colons juifs de palestine, des autorités britanniques pendant les 28 ans du mandat [NdE]

Traduit par Najib Aloui

Source: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=12194